[n° ou bulletin] est un bulletin de / Alexandre Lacroix (2011)Titre : | N°151 - Juillet-Août 2021 - L'étrange gravité du sexe | Type de document : | texte imprimé | Année de publication : | 2021 | Importance : | 98 p. | Présentation : | ill. en coul. | Format : | 29 cm | Langues : | Français (fre) | Catégories : | Philosophie
| Tags : | sexe Vercors Montaigne Edgar Morin | Index. décimale : | 17 Morale. Éthique. Philosophie pratique | Résumé : | Nous vivons une drôle d’époque du point de vue des mœurs. D’un côté, avec les applications de rencontre, la mode des sex friends et des plans cul, le succès des conseils des sexperts, nous n’avons jamais été aussi près d’une démystification de l’érotisme qui facilite sa consommation effrénée. De l’autre, avec le phénomène #metoo mais aussi la publication de livres comme La Familia Grande de Camille Kouchner, une prise de conscience de la violence de la domination masculine est en cours, qui empêche de prendre l’acte sexuel à la légère. Alors, voulons-nous tout à la fois plus de liberté et plus d’éthique au lit ? Est-ce seulement possible ? (Philomag) | Note de contenu : | ÉDITO
Article 3 min
Les carnés du sous-sol
Alexandre Lacroix 08 juillet 2021
Il y a quelques années, une jeune fille de ma famille éloignée est devenue attachée de presse chez Marc Dorcel (pour ceux qui ne connaissent pas, je renvoie aux paroles d’un autre classique contemporain, le rappeur La Fouine : « Le bonheur s’fait rare comme une vierge dans un film de..
ENTRETIEN
Entretien 25 min
Edgar Morin : “100 ans, ce n’est pas un chiffre normal”
Martin Legros 08 juillet 2021
Acteur engagé dans les grands événements de ce siècle, Edgar Morin a connu la Résistance, la désillusion communiste, l’effervescence de Mai-68 et de la contre-culture californienne, et il a anticipé l’actuelle urgence écologique. Pour nous, ce « philosophe sauvage », désormais centenaire, revient sur une vie de combats.
Edgar Morin : “100 ans, ce n’est pas un chiffre normal”
VOS QUESTIONS
Article 3 min
“L’indépendance est-elle vraiment possible ?”
Charles Pépin 08 juillet 2021
Question de Romain Coste
“L’indépendance est-elle vraiment possible ?”
REPÉRAGES
Article 2 min
Un coup de pouce en plus
Octave Larmagnac-Matheron 08 juillet 2021
Et si vous vous dotiez d’un pouce supplémentaire ? C’est ce que propose le designer anglais Dani Clode. Les prothèses transhumanistes de son Third Thumb Project ne sont pas à destination des amputés mais visent à augmenter les capacités « normales » de l’homme – j..
Un coup de pouce en plus
Article 1 min
“Promesse”
Octave Larmagnac-Matheron 08 juillet 2021
“Nous ne pouvons pas nous reposer jusqu'à ce que la promesse d’égalité soit remplie pour chacun de nous dans chaque partie de cette nation” Joe Biden, le 16 juin 2021, sur Twitter “Une promesse indéterminée ajournant son échéance à un jour en général..
Article 1 min
“Brésilianisation”
Octave Larmagnac-Matheron 08 juillet 2021
Depuis le début des années 2000, un certain nombre de politologues soulignent combien la trajectoire économique mondiale rejoint celle du géant d’Amérique du Sud : explosion des inégalités, constitution d’oligarchies, privatisation des richesses… La brésilianisation ne peut pourtant ..
“Brésilianisation”
Article 1 min
“4320”
Octave Larmagnac-Matheron 08 juillet 2021
C’est la superficie en km2 du plus grand iceberg du monde, qui s’est détaché de l’Antarctique fin mai. Baptisé A-76, le bloc de glace s’est ensuite divisé en trois morceaux aux allures de monstres marins, qui continuent leur périple dans la mer de Weddell. L’image n’est pas gratuite..
Article 2 min
Relations de bon voisinage
Octave Larmagnac-Matheron 08 juillet 2021
Parmi les Français, 94 % discutent avec leurs voisins 77 % échangent des services 69 % font des visites de convivialité Ils se rendent chez leurs voisins 56 % des ouvriers non qualifiés 79 % des cadres du secteur culturel Ils tissent des relations avec des p..
PERSPECTIVES
Article 3 min
La gifle est-elle royaliste ?
Pierre Terraz 08 juillet 2021
Lors d’un déplacement dans la Drôme le 8 juin, le président de la République Emmanuel Macron s’est fait gifler par un homme lors d'un bain de foule. Un simple « pétage de plomb »… ou un geste plus engagé qu’il n’y paraît.
La gifle est-elle royaliste ?
Article 3 min
Faut-il avoir lu Confucius pour devenir taïkonaute ?
Océane Gustave 08 juillet 2021
Le projet de la science occidentale est de découvrir les lois qui régissent l’Univers, et les conquêtes spatiales américaine, russe ou européenne en sont le bras armé. Dès lors, quel système de représentation se cache derrière la ruée de la Chine contemporaine vers l’espace ?
Faut-il avoir lu Confucius pour devenir taïkonaute ?
Article 3 min
Armes acoustiques : l’injustice au-delà du mur du son ?
Alexandre Lacroix 08 juillet 2021
Dans le débat démocratique, les canons à son ne font guère de bruit. Ils viennent pourtant d’être déployés à la frontière entre la Grèce et la Turquie, dans le cadre de nouvelles mesures contre l’immigration qui posent des questions éthiques inédites.
Armes acoustiques : l’injustice au-delà du mur du son ?
Article 3 min
Avishai Margalit : “Il y a beaucoup de mauvais compromis dans cette coalition mais pas de ‘compromis pourris’”
Pierre Terraz 08 juillet 2021
Une coalition politique hétéroclite vient de chasser Benyamin Netanyahou de la tête du gouvernement israélien qu’il occupait depuis douze ans. Mais comment cette alliance fragile parviendra-t-elle à diriger le pays ? Éclairage avec Avishai Margalit, professeur émérite à l’Université hébraïque de Jérusalem et penseur du compromis.
Avishai Margalit : “Il y a beaucoup de mauvais compromis dans cette coalition, mais pas de ‘compromis pourris’”
AU FIL D’UNE IDÉE
Article 2 min
Tout un fromage
Sven Ortoli 08 juillet 2021
Les premières traces de fromage ont été retrouvées en Pologne dans quelques interstices de poteries cassées : elles datent de 7 500 ans. En 2019, 26 millions de tonnes de fromage ont été produites à travers le monde. Avec 25 kg/an, les..
Tout un fromage
ETHNOMYTHOLOGIES
Article 3 min
Thomas Pesquet. Nouvelles de l’invisible
Tobie Nathan 08 juillet 2021
Le spationaute français actuellement en mission dans l’espace est adulé. Avec ses photos de la Terre vue du ciel, il témoigne, à la manière d’un chaman, de ce que nous ne pouvons – ou préférons ne pas – voir.
Thomas Pesquet. Nouvelles de l’invisible
REPORTAGE
Article 33 min
Les nouvelles graines de la résistance
Alexandre Lacroix 08 juillet 2021
L’avant-garde des « humanités écologiques » a élu résidence entre le Vercors et les Alpes. Pour ce reportage en plein air, nous sommes allés à la rencontre d’une nouvelle génération de penseurs, en demandant à chacun de nous recevoir dans un lieu chargé de sens. Et nous les avons invités à déployer un rapport inédit et revigorant au vivant et à la Terre.
Les nouvelles graines de la résistance
MOTIFS CACHÉS
Article 3 min
Proctorio, le pion sans visage
Isabelle Sorente 08 juillet 2021
Ce logiciel de surveillance d’examens à distance a été acquis par plusieurs grandes universités américaines. Mais son inflexibilité toute mécanique l’autorise à exclure bien d’autres candidats que de simples tricheurs. Malheur à celui ou celle qui lève les yeux de sa copie !
Proctorio, le pion sans visage
DOSSIER
5 articles
L’étrange gravité du sexe
Publié le 08 juillet 2021
Nous vivons une drôle d’époque du point de vue des mœurs. D’un côté, avec les applications de rencontre, la mode des sex friends et des plans cul, le succès des conseils des sexperts, nous n’avons jamais été aussi près d’une démystification de l’érotisme qui facilite sa consommation effrénée. De l’autre, avec le phénomène #metoo mais aussi la publication de livres comme La Familia Grande de Camille Kouchner, une prise de conscience de la violence de la domination masculine est en cours, qui empêche de prendre l’acte sexuel à la légère. Alors, voulons-nous tout à la fois plus de liberté et plus d’éthique au lit ? Est-ce seulement possible ? > Pour le comprendre, rien de tel que d’écouter quelques histoires vraies d’hommes et de femmes, gay ou hétéro, dont la vie a été profondément modifiée par certains rapports sexuels. La philosophe et psychanalyste Clotilde Leguil, autrice de Céder n’est pas consentir, en donne sa lecture. > Dans les universités américaines, l’éthique sexuelle est devenue une discipline à part entière. Nous avons interrogé l’un de ses représentants, Raja Halwani, dont les travaux portent sur le mariage et sur les coups d’un soir. > Si l’on est attentif aux avancées et aux publications féministes, qu’est-ce qu’on fait dans l’intimité ? Les gestes et les paroles qui miment la domination ou la soumission sont-ils à proscrire ? Un article en forme de plaidoyer inquiet, par notre journaliste Ariane Nicolas. > Ces deux écrivains ont en commun d’avoir mené des expériences extrêmes et de les avoir racontées dans un roman. Emma Becker s’est prostituée dans un bordel de Berlin, Arthur Dreyfus est tombé dans l’addiction sexuelle. Leur dialogue tourne autour de la curieuse fragilité du plaisir.
L’étrange gravité du sexe
Article 5 min
Le jeu de la vérité
Martin Legros 08 juillet 2021
Plus qu’un moment de plaisir, plus qu’un passe-temps ludique, l’acte sexuel ne révélerait-il pas à chacun son être intime, sa part de lumière et sa zone grise ?
Le jeu de la vérité
Article 17 min
Mises à nu
Cédric Enjalbert 08 juillet 2021
Amoureuses ou passagères, fusionnelles ou traumatisantes : cinq témoins, hommes et femmes, gay et hétéros, nous livrent leurs aventures sexuelles les plus marquantes. La philosophe et psychanalyste Clotilde Leguil commente ces récits, convaincue d’y trouver des expériences fondatrices.
Mises à nu
Article 9 min
Raja Halwani : “Le consentement ne suffit pas à qualifier l’acte sexuel d’éthique”
Victorine de Oliveira 08 juillet 2021
Le consentement est-il suffisant pour qu’une relation sexuelle soit équilibrée ? N’est-il pas une entrave au désir et au plaisir ? Comment, dès lors, des partenaires peuvent-ils établir une véritable égalité sexuelle entre eux ? Professeur de philosophie à la School of the Art Institute de Chicago et spécialiste d’éthique sexuelle, Raja Halwani esquisse les conditions d’un rapport sexuel éthique.
Raja Halwani : “Le consentement ne suffit pas à qualifier l’acte sexuel d’éthique”
Article 5 min
Peut-on encore jouir sans entraves ?
Ariane Nicolas 08 juillet 2021
Prise de conscience salutaire, l’actuelle vague féministe a également engendré de nouvelles normes, parfois contraignantes. Peut-on être vraiment libérée sexuellement après #metoo ? Réponse de notre journaliste Ariane Nicolas dans ce texte engagé.
Peut-on encore jouir sans entraves ?
Dialogue 9 min
Emma Becker-Arthur Dreyfus. Au-dessous du volcan
Cédric Enjalbert 08 juillet 2021
Elle s’est immergée dans un bordel berlinois pour décrire dans La Maison cette « ombre claire » de la sexualité tarifée, explorant ses obscurités sans moraline ni caricature. Il a publié son monumental Journal sexuel d’un garçon d’aujourd’hui, enregistrant crûment chaque nouvelle expérience. Emma Becker et Arthur Dreyfus parlent du désir, de la jouissance, de la mort, et témoignent d’une quête de vérité.
Emma Becker-Arthur Dreyfus. Au-dessous du volcan
LE CLASSIQUE SUBJECTIF
3 articles
Michel de Montaigne vu par Claude Romano
Publié le 08 juillet 2021
Montaigne a voulu ses Essais comme un laboratoire, nous dit le philosophe Claude Romano. Non pour se connaître mais pour forger sa vie en écrivant. Cheminer avec Montaigne, c’est la promesse de renouer avec le naturel et l’authenticité, d’approcher, sans la rechercher, sa vérité.
Claude Romano : “Lire Montaigne est une expérience de liberté”
Article 12 min
Claude Romano : “Lire Montaigne est une expérience de liberté”
Victorine de Oliveira 08 juillet 2021
Montaigne a voulu ses Essais comme un laboratoire, nous dit le philosophe Claude Romano. Non pour se connaître mais pour forger sa vie en écrivant. Cheminer avec Montaigne, c’est la promesse de renouer avec le naturel et l’authenticité, d’approcher, sans la rechercher, sa vérité.
Claude Romano : “Lire Montaigne est une expérience de liberté”
Article 2 min
Un extrait de Montaigne commenté par Claude Romano
Victorine de Oliveira 08 juillet 2021
L’extrait de Michel de Montaigne « Or, de moy, j’ayme mieux estre importun et indiscret que flateur et dissimulé. J’advoue qu’il se peut mesler quelque pointe de fierté et d’opiniastreté à se tenir ainsin entier et descouvert sans consideration d’autruy ; et me semble qu..
Article 5 min
Montaigne, décidément moderne
Victorine de Oliveira 08 juillet 2021
Auteur inclassable mû par son insatiable curiosité, Montaigne ne cessera de prendre des positions très singulières, en faveur des animaux, contre le mariage ou l’éducation classique.
BOÎTE À OUTILS
Article 2 min
Pourquoi visitons-nous les musées en silence ?
Nicolas Tenaillon 08 juillet 2021
Ce n’est pas interdit, mais il est rare de parler à voix haute dans les musées. D’où vient cette loi du silence ? Quatre philosophes vous passent l’audioguide.
Pourquoi visitons-nous les musées en silence ?
Article 1 min
Kombinować
Octave Larmagnac-Matheron 08 juillet 2021
Et si vous en rajoutiez auprès de votre médecin pour que votre rhume se transforme en arrêt-maladie ? Pas très moral, mais l’ambiance étant délétère au travail, vous n’auriez pas volé votre pause… Vous voilà sur le point de kombinować, remarquerait un Polonais. De ruser, quitte à..
Article 2 min
Attente
Océane Gustave 08 juillet 2021
Sénèque (v. 4 av. J.-C.-65 apr. J.-C.) Les hommes, parce qu’ils sont toujours en quête d’un avenir meilleur, se privent paradoxalement de tout bonheur. En effet, pour le philosophe stoïcien, « ce qui nous empêche le plus de vivre, c’est l’attente qui se fie au lendemain&n..
LIVRES/NOTRE SÉLECTION D’ÉTÉ
Livre
Gavin Francis
Rêver des îles. Le voyage comme respiration philosophique
Publié le 06 juillet 2021
Et si votre prochaine destination était une île ? À vrai dire, pas même besoin de réserver un billet d’avion : les cartes anciennes qui illustrent cet essai suffisent à l’évasion et à la rêverie. Pour le médecin et écrivain écossais Gavin Francis, les Hébrides, les Baléares ou les Féroé exercent un attrait onirique et philosophique, au point qu’il s’échappe du continent dès qu’il le peut – la Grande-Bretagne est sans doute une île trop étendue pour pouvoir exercer son charme sur l’auteur. Ce désir étrange est le point de départ de son essai. En clinicien, Gavin Francis s’interroge : « Se pourrait-il que l’amour des îles relève moins d’une prédilection que d’un diagnostic ? » Il se souvient du psychanalyste et pédiatre Donald Winnicott, pour qui l’adolescent ne peut parvenir à l’âge adulte qu’à condition de trouver des espaces d’isolement nécessaires à la construction de sa propre identité. S’isoler est vital. Gare toutefois à la rupture pathologique. Rallier une île, c’est aussi se donner l’occasion de « simplifier », selon le mot d’ordre de Henry David Thoreau, dont l’étang de Walden n’est au fond qu’une « île en négatif ». Là-bas, les sons se réduisent au vent, aux vagues et aux cris des oiseaux marins. La difficulté d’accès fait qu’on ne s’encombre que du nécessaire – Gavin Francis évoque souvent sa tente pour seul habitat. S’embarquer pour une île reculée, c’est faire une expérience philosophique : celle de la rupture avec la communauté des êtres humains, de la rencontre avec une nature indifférente et préservée, et de la possibilité de s’épanouir dans la solitude. Mais si les îles fascinent à ce point l’auteur, c’est qu’elles recèlent toujours la possibilité de la fuite, du retour à l’activité du continent et de la ville. Certes, il existe des îles-prisons au haut potentiel imaginaire : Alcatraz, Rikers Island, If ou encore l’île sur laquelle échoua Robinson Crusoé… Mais la condition sine qua non de l’isolement réussi réside dans la possibilité du retour. Gavin Francis convoque Rousseau, Stevenson, Woolf ou Darwin dans son sac à dos d’arpenteur des îles du monde entier. En résulte un essai écrit comme on naviguerait à l’envi entre les différents points d’une carte dont on dessinerait soi-même les contours.
Rêver des îles. Le voyage comme respiration philosophique
Livre
Patrick Chamoiseau
Le Conteur, la Nuit et le Panier
Publié le 06 juillet 2021
Le conteur, la nuit : ayant grandi aux Petites Antilles, ces mots résonnent en moi comme si les contes créoles étaient restés enfouis dans ma mémoire de petite fille, sans que je les aie vraiment entendus. Patrick Chamoiseau, lui, ne cesse de déchiffrer leur signification pour aujourd’hui. Dans ce dernier livre, encore plus que dans les précédents, il fait du conteur une figure de résistance. Le vieux « Maître-de-la-Parole » du XVIIe siècle, au cœur de la plantation, résistait à l’ordre colonial et esclavagiste. Quand on parle de résistance des esclaves, on pense immédiatement au marronnage : des esclaves trouvaient la force de fuir la propriété du maître esclavagiste et n’hésitaient pas à s’enfoncer dans la végétation hostile pour mieux organiser la libération de leurs pairs restés prisonniers. Le conteur, lui, est un prisonnier a priori comme les autres, mais il est celui qui ouvre le champ des possibles dans l’espace avilissant de la plantation. C’est que le conteur s’exprime toujours la nuit : cette nuit qui efface les ombres menaçantes de la colonie, gomme ce soleil impitoyable sous lequel on a dû courber l’échine des heures durant. Contre toute attente, le conteur fait jaillir un espace de rêverie au sein même de l’aliénation. Sa performance est alors totale, poétique : elle restructure l’espace et, surtout, elle est une réappropriation du corps et de la voix. Patrick Chamoiseau interprète sa pratique littéraire à la lumière de cette expression émancipatrice primordiale et, ce faisant, il la réintègre dans la longue histoire de l’humanité. Quant au « panier », dernier terme du titre de son ouvrage, il est l’énigme : pourquoi le conteur, s’il parle en plein jour, risque-t-il d’être transformé en panier ?
Le Conteur, la Nuit et le Panier
Livre
Milo Rau
Vers un réalisme global
Publié le 06 juillet 2021
« Il ne s’agit plus seulement de représenter le monde. Il s’agit de le changer. » Voici le premier principe du manifeste rédigé par l’artiste Milo Rau, directeur du Théâtre national de Gand. Son but ? Réformer les règles de création : révision du statut de l’auteur, refus d’adapter littéralement les classiques, modestie de moyens… Avec son ambition d’inspiration marxienne, il affirme une démarche « réaliste ». Ce volume composite en témoigne, qui réunit trois conférences qu’il a données ainsi que des entretiens. S’inspirant d’Aristote autant que de Bourdieu, Milo Rau fait un sort à la déconstruction. Il n’entend plus se contenter d’interroger le monde ou de le critiquer, il veut apporter des réponses, quitte à se tromper. Certains disent sa démarche documentaire, parce qu’il met en scène des sujets comme le procès de Ceauseșcu ou le génocide des Tutsi par les Hutu. Or il ne restitue jamais scrupuleusement l’histoire, il la rejoue, au sens qu’attribue Søren Kierkegaard à la reprise : un second commencement, un « ressouvenir en avant » qui crée du sens. L’art dramatique selon Rau repose ainsi sur trois piliers. D’abord, la pratique de « l’anthropologie d’investigation », un art de la mimêsis répétant donc le passé pour en retrouver la « forme émotionnelle » ; ensuite, un art de « l’apparaître », ou le « théâtre comme médium de présence », interpellant le regard du spectateur jusqu’à provoquer la catharsis ; enfin, un art de la « propagande », exposant la réalité dans « toutes ses conséquences », espérant en changer concrètement « l’ordre symbolique ». Cette réflexion stimulante nourrie par l’expérience fait du théâtre plus qu’un simple passe-temps : une manière « d’élargir et de politiser la perception du monde ». Décidément essentiel ?
Vers un réalisme global
Livre
Charles Baudelaire
La Passion des images. Œuvres choisies
Publié le 06 juillet 2021
Baudelaire poète ou Baudelaire critique d’art ? Plus besoin de choisir ! Forte de la conviction que l’imaginaire poétique propre à Baudelaire est intimement lié à la « passion des images » qui l’animait, cette édition propose 310 illustrations en couleurs pour illuminer ce volume : des tableaux de Courbet et de Manet, des eaux-fortes de Goya, des encres et lavis de Constantin Guys – « le peintre de la vie moderne » –, des crayonnés des caricaturistes, des dessins à la plume de la main même de Baudelaire, des portraits de Nadar… Ici, il s’agit d’illustrer un poème, comme lorsque fait face à Danse macabre la statuette du même nom ayant appartenu au poète. Ailleurs, comme dans le cas de ses commentaires sur les Delacroix de l’église Saint-Sulpice ou de ses Salons (expositions d’art contemporain), les reproductions donnent une dimension supplémentaire à ses jugements. Partout, ces images réunies rendent à la sensibilité de Baudelaire son unité, nous font pénétrer dans l’univers visuel d’une esthétique faite de force et de sensualité, où la noirceur côtoie un rêve de beauté. Mieux : le lecteur, en l’occurrence le lecteur-spectateur, est amené à imaginer lui-même des Correspondances pour faire dialoguer les couleurs qu’il voit et la musique des mots qu’il lit ou déclame. Nous rendre un peu baudelairiens à notre tour, il n’y a pas de plus belle manière de célébrer cette année le bicentenaire de la naissance de l’écrivain.
La Passion des images. Œuvres choisies
Livre
David Abram
Comment la terre s’est tue. Pour une écologie des sens
Publié le 06 juillet 2021
L’écologie politique se présente souvent comme une complainte culpabilisante. Elle nous livrerait au constat d’une catastrophe annoncée dont nos modes de vie et de pensée prédateurs seraient responsables. L’intérêt de la démarche de David Abram, qui a été prestidigitateur itinérant avant de devenir une figure de l’écologie contemporaine, titulaire de la chaire Arne-Næss à l’Université d’Oslo, est de nous faire sortir de ce cadre « humaniste larmoyant » – au sens où l’humanité y décide, pour le pire, de la forme de son environnement –, pour adopter un point de vue « métaphysique inspiré ». Il s’agit de creuser plus profond tout en adoptant la position d’un joyeux enquêteur. Si la terre s’est tue, écrit Abram, si nous n’entendons plus les esprits du vent et des éléments, ce n’est pas seulement que nous les avons fait disparaître, c’est que, sous le coup d’une histoire longue, où la Bible autant que la philosophie ont leur part, le monde lui-même a peu à peu cessé de nous parler. Selon lui, nous avons transposé dans l’expérience de la lecture cette « interaction animée » que les humanités archaïques entretenaient avec la Terre : « De même que jadis les animaux non humains, les plantes et même les rivières “inanimées” parlaient à nos ancêtres tribaux, aujourd’hui les lettres “inertes” sur la page nous parlent. C’est une forme d’animisme que nous considérons comme allant de soi, mais ce n’en est pas moins de l’animisme – aussi mystérieux qu’une pierre qui parle. » Est-ce à dire que nous ne pouvons plus entrer en résonance avec la Terre ? Loin s’en faut. À travers une relecture fine de Merleau-Ponty et de Heidegger, Abram nous convainc qu’en dépit du fait que nous ne croyons plus aux esprits des lieux, nous continuons, via la perception sensible du bleu d’un ciel, par exemple, d’entretenir un rapport participatif d’envoûtement avec le visible. Dans un monde de plus en plus technique, c’est même, dit-il, la dernière pierre de touche dont nous disposons : « Sans l’oxygène et le souffle des forêts, sans l’étreinte de la pesanteur, sans la magie tumultueuse des rivières, nous n’avons aucune distance par rapport à nos technologies, aucune possibilité d’évaluer leurs limites, aucune manière d’éviter leur emprise. » La force de cette pensée et de la prose magnifique d’Abram est de faire parler à nouveau le mystère des rivières, des arbres et du vent… avec des mots !
Comment la terre s’est tue. Pour une écologie des sens
Livre
Mélanie Traversier
L’Harmonica de verre et miss Davies. Essai sur la mécanique du succès au siècle des Lumières
Publié le 06 juillet 2021
L’harmonie est-elle angélique ou démoniaque ? La pureté absolue d’un son touche-t-elle le ciel de la douceur ou bien l’enfer de la folie ? C’est cette tension – électrique ? – qui traverse le récit de Mélanie Traversier sur l’histoire d’un instrument inouï, l’harmonica de verre. De cloches de cristal de diamètres croissants, enchâssées sur un axe tournant, l’on tire des harmonies « célestes » en les frottant avec des doigts mouillés. L’instrument a été mis au point en 1761 par le « génie de l’électricité », Benjamin Franklin, artisan de l’indépendance américaine et personnage clé des Lumières. Sa notoriété éclipsera celle de Mary Ann Davies, première interprète de cet harmonica et dont l’historienne documente le destin tragique. L’émotion musicale s’allie ici aux sciences. Nous passons du cosmos, avec l’harmonie des sphères de Pythagore, au corps, avec la mécanique des fluides : les expériences de magnétisme de Mesmer dans les années 1780 au son de l’harmonica de verre exacerbent la réputation sulfureuse de l’instrument. L’harmonica va ainsi s’accorder à la nervosité des Lumières, puis s’abîmer dans la mélancolie des romantiques pour finir disqualifié par la rationalité de la révolution industrielle à partir de 1830. Et cette rationalité peut aller jusqu’à une « mélophobie », une haine de la musique. Tantôt érotique ou suspectée de provoquer les maladies des nerfs (l’ennui et la mélancolie, prisées dans l’imaginaire romantique), tantôt au contraire soignant l’épilepsie et l’hystérie, la recherche de l’harmonie absolue est toujours un clair-obscur, comme l’héritage des Lumières lui-même.
L’Harmonica de verre et miss Davies. Essai sur la mécanique du succès au siècle des Lumières
Livre
Textes réunis par Quentin Hiernaux
Philosophie du végétal. Botanique, épistémologie, ontologie
Publié le 06 juillet 2021
Quoique je goûte peu les après-midi à la plage, je me réjouis d’aller, d’ici quelques semaines, en Vendée. Moins pour la mer que pour les grandes forêts de pins et de chênes biscornus qui la bordent. M’y promener suscite toujours chez moi une joie vive, qui ne va pas cependant sans une légère appréhension devant ce spectacle étourdissant de la vie, entremêlant ses innombrables formes dans les taillis confus. « Foyer sans éclat ni chaleur qui brûle sans autre signification que dévorer et croître », le végétal « perturbe l’ordre de notre système de pensée », analyse Quentin Hiernaux en ouverture de ce recueil. Peut-être est-ce la raison pour laquelle nous avons chassé les plantes de nos villes comme de notre tradition philosophique : parce qu’elles nous inquiètent. Nous ne savons pas vraiment ce qu’elles manigancent ; nous commençons tout juste à saisir ce dont elles sont capables : mémorisation, apprentissage, comme le montre le travail pionnier d’Helena Lipavskà, de Fatima Cvrčková et de Victor Zárský, chercheurs tchèques jamais traduits jusqu’ici. C’est le cas aussi de bon nombre de textes sélectionnés par Hiernaux qui, du philosophe de la Renaissance Andrea Cesalpino à la réflexion du Britannique Anthony Trewavas sur l’activité des plantes, invitent à redécouvrir tout un pan du réel resté longtemps dans l’ombre. Oubli paradoxal, car même si nous ne lui prêtons pas attention, le végétal enserre nos existences : il « nous est familier avant tout par son omniprésence. Nous partageons avec lui, partout et depuis toujours, presque tous nos milieux de vie ». Pas d’atmosphère sans arbres, pas d’agriculture sans céréales. Nous entretenons avec les plantes un lien vital et « réconfortant » qu’il est urgent de penser. En vous abandonnant à la douceur de l’été, demandez-vous sans fin ce qui se trame dans les brins d’herbe d’une pelouse, dans la fleur d’un jardin ou dans l’arbre centenaire d’une forêt !
Philosophie du végétal. Botanique, épistémologie, ontologie
Livre
Louise Glück
L’Iris sauvage
Publié le 06 juillet 2021
Souvent, la poésie américaine est spatiale. La poésie européenne est plutôt temporelle, elle évoque des drames vécus par un sujet (le poète) plongé dans le temps. Mais la poésie américaine essaie de prendre la mesure d’un espace et tisse différentes voix pour le déployer dans toutes ses dimensions. Difficile, lorsqu’on ouvre le recueil L’Iris sauvage de Louise Glück, lauréate du prix Nobel de littérature 2020, de ne pas penser à l’un des plus célèbres poèmes de la tradition américaine, Asphodèle de William Carlos Williams, qui avait connu un accueil dithyrambique à sa parution en 1954 et qui est une déclaration d’amour à sa femme, Flossie. Le renouvellement des champs d’asphodèles représente chez Williams les transformations de l’amour conjugal (il avait épousée Flossie en 1912). Pour L’Iris sauvage, Louise Glück se donne comme espace d’exploration poétique un jardin. De nombreux poèmes portent le nom d’une fleur (« Perce-Neige », « Violettes », « La Rose blanche »…) et démarrent comme des prosopopées, c’est-à-dire que ce sont les plantes qui s’expriment. Mais il y a deux autres voix importantes dans ce jardin, dont l’alternance est de plus en plus marquée : celle d’un jardinier qui, le regard tourné vers la terre, est matérialiste, concret, et celle d’une divinité créatrice. L’Iris sauvage est également un recueil sur l’amour conjugal, et l’on voit souvent passer dans ce jardin deux silhouettes, celles de John et de Noah, prénoms du mari et du fils de Louise Glück. Évidemment, cette construction est hyperintellectuelle, très abstraite, et pourtant, et c’est le tour de force de Glück, la langue est d’une extrême simplicité : « Les êtres humains laissent des traces de sentiments partout, fleurs éparpillées sur un chemin de terre, toutes blanches et dorées, certaines d’entre elles à peine soulevées par le vent du soir. » L’édition Gallimard est bilingue, et c’est une bonne idée, car l’on peut regretter que la traduction française vise quelquefois à rendre le texte plus soutenu, plus nobélisable qu’il ne l’est dans l’original (fallait-il rendre « dark birds » par « sinistres freux », « white fire » par « feu opalin », ou encore rétablir la ponctuation souvent élidée à dessein ?). On l’a compris, L’Iris sauvage est imprégné d’un lyrisme très cérébral, mais c’est une haute réalisation artistique, un peu comme les Concertos brandebourgeois de Bach.
L’Iris sauvage
Livre
Mark Fisher
Spectres de ma vie
Publié le 06 juillet 2021
À l’origine de ce livre, il y a un mot de Jacques Derrida : « hantologie ». L’hantologie, c’est la poursuite des phénomènes du passé disparus dans le présent. Ils vivent dans « l’espace entre l’être et le rien », ils ont la texture du spectre : invisibles parce qu’ils ne sont plus, visibles parce que leur souvenir continue de mouvoir les vivants. Mark Fisher (1968-2017) a passé sa vie de philosophe et de critique musical à se débattre avec les spectres des rêves de son époque : l’émancipation punk, la liberté des raves des années 1990 et surtout l’horizon communiste auquel il aspirait. À chaque fois, ces espoirs ont été balayés par « le réalisme capitaliste » et le mot martial prêté à Margaret Thatcher : « Il n’y a pas d’alternative. » Mais grâce à l’hantologie, Mark Fisher a pu au moins en retrouver les fantômes, dans le cinéma de Christopher Nolan, dans la musique de Joy Division ou de Burial. Autant de traces de ces futurs perdus mais encore là, quelque part, réfugiés entre une basse dubstep et la voix sépulcrale de Ian Curtis. La musique, dit Fisher, est particulièrement adaptée aux spectres, parce qu’elle « donne à entendre ce qui n’est pas là, la voix enregistrée, la voix qui ne garantit plus la présence ». Comme un souvenir de Hegel, qui écrivait que « le son est une extériorisation qui, à peine née, se trouve abolie par le fait même de son être là, et disparaît d’elle-même ». Oui, l’évanescence de la musique épouse l’être disparu de l’hantologie. Alors si vous voulez lire Fisher, un conseil : branchez votre casque.
Spectres de ma vie
Livre
Vladimir Jankélévitch
Philosophie morale
Publié le 06 juillet 2021
Pourquoi les meilleures choses sont-elles toujours à consommer « avec modération » ? Et « pourquoi faut-il que ce qui a bon goût soit nuisible, que ce qui est doux [et] suave […] n’annonce pourtant rien de bon pour moi ? » C’est ce genre de questions que Jankélévitch affronte dans cette somme de six ouvrages de philosophie morale, établie et préfacée par Françoise Schwab. « La Mauvaise Conscience », premier essai, s’attaque au remords, « ce remurmure » lancinant de la culpabilité qui a le mauvais goût « d’arriver toujours en retard », une fois que l’on a fini le paquet de bonbons. L’âme, que le philosophe désigne comme un « milieu infiniment excitable », n’a pas fini de se soumettre aux tentations… Et de s’en mordre les doigts ! Sous la plume de l’auteur, les corrupteurs ressemblent à des personnages de contes de fées : « ogres », « nains » et autres « demi-sorciers » sont capables, en un clin d’œil, de nous faire enfler d’orgueil ou de nous réduire à la mesquinerie la plus ridicule. « Les monstres de la conscience » ont des adversaires de taille : la modestie, le charme ou encore l’humour nous permettent de renouer, l’espace d’un instant, avec « le ciel de mai de l’innocence ». Certes, « la pureté » ne dure jamais, et les obstacles sont infinis. Mais c’est la force de cette philosophie : faire de notre vie morale une véritable odyssée, avec ses embûches et ses moments de grâce. Loin d’être un chemin de croix, cette aventure débordante « déblaye en plein réel des oasis de ferveur et d’intensité », tout en exaltant « le délicieux décousu de l’existence ». Cet été, plongez-vous donc dans Jankélévitch, moraliste virtuose et rafraîchissant qui, sans faire la morale… réussit même à nous redonner le moral !
Philosophie morale
Livre
Vassili Grossman
Années de guerre
Publié le 06 juillet 2021
Steppes jaunies de la toundra, gares comme des oasis, métropoles industrielles cerclées d’infinis sapins : cette Russie « immortelle » est le principal décor des Années de guerre de Vassili Grossman, collection d’articles parus pendant la Seconde Guerre mondiale dans L’Étoile rouge, le magazine de l’armée soviétique pour qui il fut correspondant de guerre. Suivant la chronologie des combats, ces neuf textes relatent l’invasion de l’Ukraine, la bataille de Stalingrad, puis la progression de l’URSS vers l’Allemagne. Partout, « l’atmosphère est en folie » : la terre, le ciel, la Volga, tout rougeoie et part en cendres. Les Juifs sont assassinés par milliers, les Slaves brûlés vifs dans leurs isbas, les « Sibériens » en armes tombent en masse. « Il est courant d’appeler ça enfer. » Face à ce spectacle de mort, le sang-froid de l’écrivain impressionne. Sa sensibilité aussi : dans le regard apeuré d’un cheval ou le bleu d’un chardon fleurissant, il témoigne du tragique de la guerre, tout en capturant des étincelles de vie, parvenant malgré tout à la transfigurer. Ce matériau se retrouvera dans son grand œuvre Vie et Destin, qu’il commence à écrire peu après la fin du conflit. Dans sa préface, Mathias Enard (prix Goncourt 2015) raconte le parcours étonnant de ce recueil d’articles, traduit anonymement en 1946, puis resté circonscrit aux bouquinistes. Il bénéficie donc, enfin, d’une large exposition. Ce qui étonne dans ces textes, c’est leur registre d’écriture, qui oscille entre journalisme, roman et propagande. Grossman était-il alors un stalinien convaincu ? En tout cas, l’admiration qu’il éprouve pour « la magnifique fraternité des prolétaires opprimés » ou leur « noble moralité » semble sincère (rappelons toutefois que Vie et Destin, achevé en 1962, est une charge violente contre le stalinisme, qui sera confisqué par le KGB et échappera de peu à la destruction). Saisissant, le livre devient vraiment déchirant avec l’évocation de Treblinka. Grossman est l’un des premiers à avoir découvert le camp d’extermination : il en décrit le fonctionnement à l’aide de dizaines de témoignages. Et même dans ce travail d’historien, l’écrivain reprend le dessus : « On sema du lupin sur l’emplacement du camp, et un certain Streben s’y construisit une maisonnette. Aujourd’hui, elle n’existe plus : elle a été brûlée, elle aussi. »
Années de guerre
Livre
Jean Genet
Romans et poèmes
Publié le 06 juillet 2021
Dans Saint Genet, comédien et martyr paru en 1952, Sartre écrit : « Le génie n’est pas un don mais l’issue qu’on invente dans les cas désespérés. » De fait, en 1948, au bout de six ans seulement, Jean Genet achève un prodigieux cycle romanesque. Ouverte en 1942 par Notre-Dame-des-Fleurs, cette fulgurance se poursuit avec Miracle de la rose, puis Pompes funèbres, Querelle de Brest et enfin Journal du voleur. Rassemblés en un volume dans La Pléiade, ces romans et récits servent d’écrin à un personnage-roi, un prince des ténèbres. On y retrouve Divine, la créature sulfureuse de Notre-Dame-des-Fleurs, on y contemple Harcamone, le condamné à mort de Miracle de la rose. On s’y confronte à la violence de Georges Querelle, le marin meurtrier de Querelle de Brest, ou à celle, plus trouble encore, d’Erik Seiler, l’officier nazi de Pompes funèbres. Ces personnages sont de vivantes condamnations d’une bienséance morale, politique et sexuelle dont la force de nuisance l’emporte toujours sur la leur. « Il existe un étroit rapport des fleurs et des bagnards, écrit Genet dans Journal du voleur. La fragilité, la délicatesse des premières sont de même nature que la brutale insensibilité des autres. » Ces textes, où l’argot et le classicisme se fécondent l’un l’autre, porte en eux une logique d’inversion très puissante. Le brutal y devient délicat, le vil s’y anoblit, le criminel s’y sanctifie. La rage destructrice y côtoie l’émerveillement, comme si la démolition était un préalable à la poésie. Réceptacle hypersensible de la barbarie du XXe siècle, l’œuvre de Genet n’en cherche pas l’antidote, elle joue le jeu périlleux de sa transfiguration.
Romans et poèmes
Livre
David Graeber
L’Anarchie - pour ainsi dire
Publié le 06 juillet 2021
La mort de David Graeber, en septembre dernier, m’a marqué. Sans l’avoir lu in extenso, j’étais et demeure convaincu que nous perdions un grand penseur. C’est un réconfort que de pouvoir lire, quelques mois plus tard, ces conversations que l’anthropologue anarchiste et figure de proue du mouvement Occupy Wall Street a tenues avec Mehdi Belhaj Kacem, Nika Dubrovsky et Assia Turquier-Zauberman. Le ton y est libre, enlevé, stimulant. On a l’impression d’écouter quatre amis occupés à refaire le monde pendant des heures, un soir d’été. J’ai sans doute trouvé dans ce livre plus que ce que j’étais venu chercher : la possibilité de croire à une conciliation entre le socialisme et l’anarchisme, en dépit de l’aspect potentiellement disciplinaire et liberticide du premier, désordonné et inégalitaire du second. Car voilà : Graeber est un anarchiste qui a une acception tout à fait singulière de la liberté, ce qui le préserve de ne jamais s’enferrer dans une chapelle sectaire – Dieu sait, et Graeber aussi, qu’elles sont (re ?) devenues nombreuses ces derniers temps. Pour lui, la liberté est d’abord « cette capacité à faire des promesses », à entrer volontairement dans des relations de contrainte en se ménageant toujours la possibilité d’en sortir. Un véritable tremplin aussi bien moral que politique, qui permet notamment de faire du Rojava kurde, au nord de la Syrie, le modèle d’une prometteuse « double souveraineté », à la fois descendante et ascendante – étatique, d’un côté ; municipale et libertaire, de l’autre. « Nous n’allons pas avoir un moment insurrectionnel où l’État s’effondre », assène sans détour l’anthropologue. Mieux vaut construire des hybridations politiques plutôt que de développer des principes moraux rigides. Promettons-nous d’essayer la liberté : ce sont les mots que je retiens de cette discussion posthume.
L’Anarchie - pour ainsi dire
CULTURE
Article 2 min
“Moriyama-Tōmatsu : Tokyo”, urbain révélateur
Cédric Enjalbert 08 juillet 2021
La Maison européenne de la photographie (à Paris) présente jusqu'au mois d'octobre le travail de deux photographes japonais, Daidō Moriyama et Shōmei Tōmatsu. Les deux artistes dressent une cartographie labyrinthique de Tokyo, à rebours de tous les clichés.
“Moriyama-Tōmatsu : Tokyo”, urbain révélateur
Article 2 min
“Hamlet à l’impératif !”. Qui est là ?
Cédric Enjalbert 08 juillet 2021
Olivier Py se frotte à un monument à l’occasion de l'édition 2021 du Festival d'Avignon : Hamlet, sans doute la pièce la plus philosophique de Shakespeare, que le metteur en scène conjugue « à l’impératif ». Un travail prolongé d'un livre qui vient de paraître chez Actes Sud.
“Hamlet à l’impératif !”. Qui est là ?
Article 2 min
“Annette”. Chantons sous la nuit
Cédric Enjalbert 08 juillet 2021
Avec son dernier film qui vient d’être présenté à Cannes, Leos Carax surprend une nouvelle fois. Le cinéaste met en scène Marion Cotillard et Adam Driver dans une comédie musicale noire où, sur les pas de Nietzsche, la « volonté de vérité » se confronte à la « volonté de puissance ».
“Annette”. Chantons sous la nuit
OH ! LA BELLE VIE
Article 2 min
Conseil n° 10 : optez pour les télévacances
François Morel 08 juillet 2021
Voici les vacances et leur cohorte de désagréments, dont je n’ai pas besoin de vous dresser la liste (mais je vais le faire quand même, parce que, c’est pas tout ça, mon papier est censé s’étirer jusqu’au bas de la page…). Voici donc les vacances d’été et leur cortège d..
Conseil n° 10 : optez pour les télévacances
JEU
Article 1 min
Philocroisés #71
Gaëtan Goron 08 juillet 2021
Horizontalement I. Puisque pour résoudre une grille de mots croisés, il faut de la méthode… II. Il s’est fait un nom avec celui de la rose. Pied-à-terre entouré d’eau de Sollers. Neptunium. III. Philosophie magazine vous décrit la galaxie autour de cet hum..
Philocroisés #72
QUESTIONNAIRE DE SOCRATE
Article 2 min
Phia Ménard. Les élans du corps
Cédric Enjalbert 08 juillet 2021
Sa discipline ? Un « art de la jonglabilité des éléments ».La chorégraphe Phia Ménard a fait de la transformation de la matière, et de sa résistance, un sujet spectaculaire, intime et émouvant. Invitée au Festival d’Avignon, elle y présente du 19 au 25 juillet La Trilogie des Contes Immoraux (pour Europe). Cette commande initiée par le philosophe Paul B. Preciado est l’aboutissement d’une réflexion politique engagée sur les conditions de possibilité d’une vie en commun. Avec sa figure de guerrière aux prises avec le monde, cette allégorie dansée met en scène nos échecs et nos insoumissions, ainsi que notre rapport contrarié à l’altérité.
(Philomag) |
[n° ou bulletin] est un bulletin de / Alexandre Lacroix (2011)N°151 - Juillet-Août 2021 - L'étrange gravité du sexe [texte imprimé] . - 2021 . - 98 p. : ill. en coul. ; 29 cm. Langues : Français ( fre) Catégories : | Philosophie
| Tags : | sexe Vercors Montaigne Edgar Morin | Index. décimale : | 17 Morale. Éthique. Philosophie pratique | Résumé : | Nous vivons une drôle d’époque du point de vue des mœurs. D’un côté, avec les applications de rencontre, la mode des sex friends et des plans cul, le succès des conseils des sexperts, nous n’avons jamais été aussi près d’une démystification de l’érotisme qui facilite sa consommation effrénée. De l’autre, avec le phénomène #metoo mais aussi la publication de livres comme La Familia Grande de Camille Kouchner, une prise de conscience de la violence de la domination masculine est en cours, qui empêche de prendre l’acte sexuel à la légère. Alors, voulons-nous tout à la fois plus de liberté et plus d’éthique au lit ? Est-ce seulement possible ? (Philomag) | Note de contenu : | ÉDITO
Article 3 min
Les carnés du sous-sol
Alexandre Lacroix 08 juillet 2021
Il y a quelques années, une jeune fille de ma famille éloignée est devenue attachée de presse chez Marc Dorcel (pour ceux qui ne connaissent pas, je renvoie aux paroles d’un autre classique contemporain, le rappeur La Fouine : « Le bonheur s’fait rare comme une vierge dans un film de..
ENTRETIEN
Entretien 25 min
Edgar Morin : “100 ans, ce n’est pas un chiffre normal”
Martin Legros 08 juillet 2021
Acteur engagé dans les grands événements de ce siècle, Edgar Morin a connu la Résistance, la désillusion communiste, l’effervescence de Mai-68 et de la contre-culture californienne, et il a anticipé l’actuelle urgence écologique. Pour nous, ce « philosophe sauvage », désormais centenaire, revient sur une vie de combats.
Edgar Morin : “100 ans, ce n’est pas un chiffre normal”
VOS QUESTIONS
Article 3 min
“L’indépendance est-elle vraiment possible ?”
Charles Pépin 08 juillet 2021
Question de Romain Coste
“L’indépendance est-elle vraiment possible ?”
REPÉRAGES
Article 2 min
Un coup de pouce en plus
Octave Larmagnac-Matheron 08 juillet 2021
Et si vous vous dotiez d’un pouce supplémentaire ? C’est ce que propose le designer anglais Dani Clode. Les prothèses transhumanistes de son Third Thumb Project ne sont pas à destination des amputés mais visent à augmenter les capacités « normales » de l’homme – j..
Un coup de pouce en plus
Article 1 min
“Promesse”
Octave Larmagnac-Matheron 08 juillet 2021
“Nous ne pouvons pas nous reposer jusqu'à ce que la promesse d’égalité soit remplie pour chacun de nous dans chaque partie de cette nation” Joe Biden, le 16 juin 2021, sur Twitter “Une promesse indéterminée ajournant son échéance à un jour en général..
Article 1 min
“Brésilianisation”
Octave Larmagnac-Matheron 08 juillet 2021
Depuis le début des années 2000, un certain nombre de politologues soulignent combien la trajectoire économique mondiale rejoint celle du géant d’Amérique du Sud : explosion des inégalités, constitution d’oligarchies, privatisation des richesses… La brésilianisation ne peut pourtant ..
“Brésilianisation”
Article 1 min
“4320”
Octave Larmagnac-Matheron 08 juillet 2021
C’est la superficie en km2 du plus grand iceberg du monde, qui s’est détaché de l’Antarctique fin mai. Baptisé A-76, le bloc de glace s’est ensuite divisé en trois morceaux aux allures de monstres marins, qui continuent leur périple dans la mer de Weddell. L’image n’est pas gratuite..
Article 2 min
Relations de bon voisinage
Octave Larmagnac-Matheron 08 juillet 2021
Parmi les Français, 94 % discutent avec leurs voisins 77 % échangent des services 69 % font des visites de convivialité Ils se rendent chez leurs voisins 56 % des ouvriers non qualifiés 79 % des cadres du secteur culturel Ils tissent des relations avec des p..
PERSPECTIVES
Article 3 min
La gifle est-elle royaliste ?
Pierre Terraz 08 juillet 2021
Lors d’un déplacement dans la Drôme le 8 juin, le président de la République Emmanuel Macron s’est fait gifler par un homme lors d'un bain de foule. Un simple « pétage de plomb »… ou un geste plus engagé qu’il n’y paraît.
La gifle est-elle royaliste ?
Article 3 min
Faut-il avoir lu Confucius pour devenir taïkonaute ?
Océane Gustave 08 juillet 2021
Le projet de la science occidentale est de découvrir les lois qui régissent l’Univers, et les conquêtes spatiales américaine, russe ou européenne en sont le bras armé. Dès lors, quel système de représentation se cache derrière la ruée de la Chine contemporaine vers l’espace ?
Faut-il avoir lu Confucius pour devenir taïkonaute ?
Article 3 min
Armes acoustiques : l’injustice au-delà du mur du son ?
Alexandre Lacroix 08 juillet 2021
Dans le débat démocratique, les canons à son ne font guère de bruit. Ils viennent pourtant d’être déployés à la frontière entre la Grèce et la Turquie, dans le cadre de nouvelles mesures contre l’immigration qui posent des questions éthiques inédites.
Armes acoustiques : l’injustice au-delà du mur du son ?
Article 3 min
Avishai Margalit : “Il y a beaucoup de mauvais compromis dans cette coalition mais pas de ‘compromis pourris’”
Pierre Terraz 08 juillet 2021
Une coalition politique hétéroclite vient de chasser Benyamin Netanyahou de la tête du gouvernement israélien qu’il occupait depuis douze ans. Mais comment cette alliance fragile parviendra-t-elle à diriger le pays ? Éclairage avec Avishai Margalit, professeur émérite à l’Université hébraïque de Jérusalem et penseur du compromis.
Avishai Margalit : “Il y a beaucoup de mauvais compromis dans cette coalition, mais pas de ‘compromis pourris’”
AU FIL D’UNE IDÉE
Article 2 min
Tout un fromage
Sven Ortoli 08 juillet 2021
Les premières traces de fromage ont été retrouvées en Pologne dans quelques interstices de poteries cassées : elles datent de 7 500 ans. En 2019, 26 millions de tonnes de fromage ont été produites à travers le monde. Avec 25 kg/an, les..
Tout un fromage
ETHNOMYTHOLOGIES
Article 3 min
Thomas Pesquet. Nouvelles de l’invisible
Tobie Nathan 08 juillet 2021
Le spationaute français actuellement en mission dans l’espace est adulé. Avec ses photos de la Terre vue du ciel, il témoigne, à la manière d’un chaman, de ce que nous ne pouvons – ou préférons ne pas – voir.
Thomas Pesquet. Nouvelles de l’invisible
REPORTAGE
Article 33 min
Les nouvelles graines de la résistance
Alexandre Lacroix 08 juillet 2021
L’avant-garde des « humanités écologiques » a élu résidence entre le Vercors et les Alpes. Pour ce reportage en plein air, nous sommes allés à la rencontre d’une nouvelle génération de penseurs, en demandant à chacun de nous recevoir dans un lieu chargé de sens. Et nous les avons invités à déployer un rapport inédit et revigorant au vivant et à la Terre.
Les nouvelles graines de la résistance
MOTIFS CACHÉS
Article 3 min
Proctorio, le pion sans visage
Isabelle Sorente 08 juillet 2021
Ce logiciel de surveillance d’examens à distance a été acquis par plusieurs grandes universités américaines. Mais son inflexibilité toute mécanique l’autorise à exclure bien d’autres candidats que de simples tricheurs. Malheur à celui ou celle qui lève les yeux de sa copie !
Proctorio, le pion sans visage
DOSSIER
5 articles
L’étrange gravité du sexe
Publié le 08 juillet 2021
Nous vivons une drôle d’époque du point de vue des mœurs. D’un côté, avec les applications de rencontre, la mode des sex friends et des plans cul, le succès des conseils des sexperts, nous n’avons jamais été aussi près d’une démystification de l’érotisme qui facilite sa consommation effrénée. De l’autre, avec le phénomène #metoo mais aussi la publication de livres comme La Familia Grande de Camille Kouchner, une prise de conscience de la violence de la domination masculine est en cours, qui empêche de prendre l’acte sexuel à la légère. Alors, voulons-nous tout à la fois plus de liberté et plus d’éthique au lit ? Est-ce seulement possible ? > Pour le comprendre, rien de tel que d’écouter quelques histoires vraies d’hommes et de femmes, gay ou hétéro, dont la vie a été profondément modifiée par certains rapports sexuels. La philosophe et psychanalyste Clotilde Leguil, autrice de Céder n’est pas consentir, en donne sa lecture. > Dans les universités américaines, l’éthique sexuelle est devenue une discipline à part entière. Nous avons interrogé l’un de ses représentants, Raja Halwani, dont les travaux portent sur le mariage et sur les coups d’un soir. > Si l’on est attentif aux avancées et aux publications féministes, qu’est-ce qu’on fait dans l’intimité ? Les gestes et les paroles qui miment la domination ou la soumission sont-ils à proscrire ? Un article en forme de plaidoyer inquiet, par notre journaliste Ariane Nicolas. > Ces deux écrivains ont en commun d’avoir mené des expériences extrêmes et de les avoir racontées dans un roman. Emma Becker s’est prostituée dans un bordel de Berlin, Arthur Dreyfus est tombé dans l’addiction sexuelle. Leur dialogue tourne autour de la curieuse fragilité du plaisir.
L’étrange gravité du sexe
Article 5 min
Le jeu de la vérité
Martin Legros 08 juillet 2021
Plus qu’un moment de plaisir, plus qu’un passe-temps ludique, l’acte sexuel ne révélerait-il pas à chacun son être intime, sa part de lumière et sa zone grise ?
Le jeu de la vérité
Article 17 min
Mises à nu
Cédric Enjalbert 08 juillet 2021
Amoureuses ou passagères, fusionnelles ou traumatisantes : cinq témoins, hommes et femmes, gay et hétéros, nous livrent leurs aventures sexuelles les plus marquantes. La philosophe et psychanalyste Clotilde Leguil commente ces récits, convaincue d’y trouver des expériences fondatrices.
Mises à nu
Article 9 min
Raja Halwani : “Le consentement ne suffit pas à qualifier l’acte sexuel d’éthique”
Victorine de Oliveira 08 juillet 2021
Le consentement est-il suffisant pour qu’une relation sexuelle soit équilibrée ? N’est-il pas une entrave au désir et au plaisir ? Comment, dès lors, des partenaires peuvent-ils établir une véritable égalité sexuelle entre eux ? Professeur de philosophie à la School of the Art Institute de Chicago et spécialiste d’éthique sexuelle, Raja Halwani esquisse les conditions d’un rapport sexuel éthique.
Raja Halwani : “Le consentement ne suffit pas à qualifier l’acte sexuel d’éthique”
Article 5 min
Peut-on encore jouir sans entraves ?
Ariane Nicolas 08 juillet 2021
Prise de conscience salutaire, l’actuelle vague féministe a également engendré de nouvelles normes, parfois contraignantes. Peut-on être vraiment libérée sexuellement après #metoo ? Réponse de notre journaliste Ariane Nicolas dans ce texte engagé.
Peut-on encore jouir sans entraves ?
Dialogue 9 min
Emma Becker-Arthur Dreyfus. Au-dessous du volcan
Cédric Enjalbert 08 juillet 2021
Elle s’est immergée dans un bordel berlinois pour décrire dans La Maison cette « ombre claire » de la sexualité tarifée, explorant ses obscurités sans moraline ni caricature. Il a publié son monumental Journal sexuel d’un garçon d’aujourd’hui, enregistrant crûment chaque nouvelle expérience. Emma Becker et Arthur Dreyfus parlent du désir, de la jouissance, de la mort, et témoignent d’une quête de vérité.
Emma Becker-Arthur Dreyfus. Au-dessous du volcan
LE CLASSIQUE SUBJECTIF
3 articles
Michel de Montaigne vu par Claude Romano
Publié le 08 juillet 2021
Montaigne a voulu ses Essais comme un laboratoire, nous dit le philosophe Claude Romano. Non pour se connaître mais pour forger sa vie en écrivant. Cheminer avec Montaigne, c’est la promesse de renouer avec le naturel et l’authenticité, d’approcher, sans la rechercher, sa vérité.
Claude Romano : “Lire Montaigne est une expérience de liberté”
Article 12 min
Claude Romano : “Lire Montaigne est une expérience de liberté”
Victorine de Oliveira 08 juillet 2021
Montaigne a voulu ses Essais comme un laboratoire, nous dit le philosophe Claude Romano. Non pour se connaître mais pour forger sa vie en écrivant. Cheminer avec Montaigne, c’est la promesse de renouer avec le naturel et l’authenticité, d’approcher, sans la rechercher, sa vérité.
Claude Romano : “Lire Montaigne est une expérience de liberté”
Article 2 min
Un extrait de Montaigne commenté par Claude Romano
Victorine de Oliveira 08 juillet 2021
L’extrait de Michel de Montaigne « Or, de moy, j’ayme mieux estre importun et indiscret que flateur et dissimulé. J’advoue qu’il se peut mesler quelque pointe de fierté et d’opiniastreté à se tenir ainsin entier et descouvert sans consideration d’autruy ; et me semble qu..
Article 5 min
Montaigne, décidément moderne
Victorine de Oliveira 08 juillet 2021
Auteur inclassable mû par son insatiable curiosité, Montaigne ne cessera de prendre des positions très singulières, en faveur des animaux, contre le mariage ou l’éducation classique.
BOÎTE À OUTILS
Article 2 min
Pourquoi visitons-nous les musées en silence ?
Nicolas Tenaillon 08 juillet 2021
Ce n’est pas interdit, mais il est rare de parler à voix haute dans les musées. D’où vient cette loi du silence ? Quatre philosophes vous passent l’audioguide.
Pourquoi visitons-nous les musées en silence ?
Article 1 min
Kombinować
Octave Larmagnac-Matheron 08 juillet 2021
Et si vous en rajoutiez auprès de votre médecin pour que votre rhume se transforme en arrêt-maladie ? Pas très moral, mais l’ambiance étant délétère au travail, vous n’auriez pas volé votre pause… Vous voilà sur le point de kombinować, remarquerait un Polonais. De ruser, quitte à..
Article 2 min
Attente
Océane Gustave 08 juillet 2021
Sénèque (v. 4 av. J.-C.-65 apr. J.-C.) Les hommes, parce qu’ils sont toujours en quête d’un avenir meilleur, se privent paradoxalement de tout bonheur. En effet, pour le philosophe stoïcien, « ce qui nous empêche le plus de vivre, c’est l’attente qui se fie au lendemain&n..
LIVRES/NOTRE SÉLECTION D’ÉTÉ
Livre
Gavin Francis
Rêver des îles. Le voyage comme respiration philosophique
Publié le 06 juillet 2021
Et si votre prochaine destination était une île ? À vrai dire, pas même besoin de réserver un billet d’avion : les cartes anciennes qui illustrent cet essai suffisent à l’évasion et à la rêverie. Pour le médecin et écrivain écossais Gavin Francis, les Hébrides, les Baléares ou les Féroé exercent un attrait onirique et philosophique, au point qu’il s’échappe du continent dès qu’il le peut – la Grande-Bretagne est sans doute une île trop étendue pour pouvoir exercer son charme sur l’auteur. Ce désir étrange est le point de départ de son essai. En clinicien, Gavin Francis s’interroge : « Se pourrait-il que l’amour des îles relève moins d’une prédilection que d’un diagnostic ? » Il se souvient du psychanalyste et pédiatre Donald Winnicott, pour qui l’adolescent ne peut parvenir à l’âge adulte qu’à condition de trouver des espaces d’isolement nécessaires à la construction de sa propre identité. S’isoler est vital. Gare toutefois à la rupture pathologique. Rallier une île, c’est aussi se donner l’occasion de « simplifier », selon le mot d’ordre de Henry David Thoreau, dont l’étang de Walden n’est au fond qu’une « île en négatif ». Là-bas, les sons se réduisent au vent, aux vagues et aux cris des oiseaux marins. La difficulté d’accès fait qu’on ne s’encombre que du nécessaire – Gavin Francis évoque souvent sa tente pour seul habitat. S’embarquer pour une île reculée, c’est faire une expérience philosophique : celle de la rupture avec la communauté des êtres humains, de la rencontre avec une nature indifférente et préservée, et de la possibilité de s’épanouir dans la solitude. Mais si les îles fascinent à ce point l’auteur, c’est qu’elles recèlent toujours la possibilité de la fuite, du retour à l’activité du continent et de la ville. Certes, il existe des îles-prisons au haut potentiel imaginaire : Alcatraz, Rikers Island, If ou encore l’île sur laquelle échoua Robinson Crusoé… Mais la condition sine qua non de l’isolement réussi réside dans la possibilité du retour. Gavin Francis convoque Rousseau, Stevenson, Woolf ou Darwin dans son sac à dos d’arpenteur des îles du monde entier. En résulte un essai écrit comme on naviguerait à l’envi entre les différents points d’une carte dont on dessinerait soi-même les contours.
Rêver des îles. Le voyage comme respiration philosophique
Livre
Patrick Chamoiseau
Le Conteur, la Nuit et le Panier
Publié le 06 juillet 2021
Le conteur, la nuit : ayant grandi aux Petites Antilles, ces mots résonnent en moi comme si les contes créoles étaient restés enfouis dans ma mémoire de petite fille, sans que je les aie vraiment entendus. Patrick Chamoiseau, lui, ne cesse de déchiffrer leur signification pour aujourd’hui. Dans ce dernier livre, encore plus que dans les précédents, il fait du conteur une figure de résistance. Le vieux « Maître-de-la-Parole » du XVIIe siècle, au cœur de la plantation, résistait à l’ordre colonial et esclavagiste. Quand on parle de résistance des esclaves, on pense immédiatement au marronnage : des esclaves trouvaient la force de fuir la propriété du maître esclavagiste et n’hésitaient pas à s’enfoncer dans la végétation hostile pour mieux organiser la libération de leurs pairs restés prisonniers. Le conteur, lui, est un prisonnier a priori comme les autres, mais il est celui qui ouvre le champ des possibles dans l’espace avilissant de la plantation. C’est que le conteur s’exprime toujours la nuit : cette nuit qui efface les ombres menaçantes de la colonie, gomme ce soleil impitoyable sous lequel on a dû courber l’échine des heures durant. Contre toute attente, le conteur fait jaillir un espace de rêverie au sein même de l’aliénation. Sa performance est alors totale, poétique : elle restructure l’espace et, surtout, elle est une réappropriation du corps et de la voix. Patrick Chamoiseau interprète sa pratique littéraire à la lumière de cette expression émancipatrice primordiale et, ce faisant, il la réintègre dans la longue histoire de l’humanité. Quant au « panier », dernier terme du titre de son ouvrage, il est l’énigme : pourquoi le conteur, s’il parle en plein jour, risque-t-il d’être transformé en panier ?
Le Conteur, la Nuit et le Panier
Livre
Milo Rau
Vers un réalisme global
Publié le 06 juillet 2021
« Il ne s’agit plus seulement de représenter le monde. Il s’agit de le changer. » Voici le premier principe du manifeste rédigé par l’artiste Milo Rau, directeur du Théâtre national de Gand. Son but ? Réformer les règles de création : révision du statut de l’auteur, refus d’adapter littéralement les classiques, modestie de moyens… Avec son ambition d’inspiration marxienne, il affirme une démarche « réaliste ». Ce volume composite en témoigne, qui réunit trois conférences qu’il a données ainsi que des entretiens. S’inspirant d’Aristote autant que de Bourdieu, Milo Rau fait un sort à la déconstruction. Il n’entend plus se contenter d’interroger le monde ou de le critiquer, il veut apporter des réponses, quitte à se tromper. Certains disent sa démarche documentaire, parce qu’il met en scène des sujets comme le procès de Ceauseșcu ou le génocide des Tutsi par les Hutu. Or il ne restitue jamais scrupuleusement l’histoire, il la rejoue, au sens qu’attribue Søren Kierkegaard à la reprise : un second commencement, un « ressouvenir en avant » qui crée du sens. L’art dramatique selon Rau repose ainsi sur trois piliers. D’abord, la pratique de « l’anthropologie d’investigation », un art de la mimêsis répétant donc le passé pour en retrouver la « forme émotionnelle » ; ensuite, un art de « l’apparaître », ou le « théâtre comme médium de présence », interpellant le regard du spectateur jusqu’à provoquer la catharsis ; enfin, un art de la « propagande », exposant la réalité dans « toutes ses conséquences », espérant en changer concrètement « l’ordre symbolique ». Cette réflexion stimulante nourrie par l’expérience fait du théâtre plus qu’un simple passe-temps : une manière « d’élargir et de politiser la perception du monde ». Décidément essentiel ?
Vers un réalisme global
Livre
Charles Baudelaire
La Passion des images. Œuvres choisies
Publié le 06 juillet 2021
Baudelaire poète ou Baudelaire critique d’art ? Plus besoin de choisir ! Forte de la conviction que l’imaginaire poétique propre à Baudelaire est intimement lié à la « passion des images » qui l’animait, cette édition propose 310 illustrations en couleurs pour illuminer ce volume : des tableaux de Courbet et de Manet, des eaux-fortes de Goya, des encres et lavis de Constantin Guys – « le peintre de la vie moderne » –, des crayonnés des caricaturistes, des dessins à la plume de la main même de Baudelaire, des portraits de Nadar… Ici, il s’agit d’illustrer un poème, comme lorsque fait face à Danse macabre la statuette du même nom ayant appartenu au poète. Ailleurs, comme dans le cas de ses commentaires sur les Delacroix de l’église Saint-Sulpice ou de ses Salons (expositions d’art contemporain), les reproductions donnent une dimension supplémentaire à ses jugements. Partout, ces images réunies rendent à la sensibilité de Baudelaire son unité, nous font pénétrer dans l’univers visuel d’une esthétique faite de force et de sensualité, où la noirceur côtoie un rêve de beauté. Mieux : le lecteur, en l’occurrence le lecteur-spectateur, est amené à imaginer lui-même des Correspondances pour faire dialoguer les couleurs qu’il voit et la musique des mots qu’il lit ou déclame. Nous rendre un peu baudelairiens à notre tour, il n’y a pas de plus belle manière de célébrer cette année le bicentenaire de la naissance de l’écrivain.
La Passion des images. Œuvres choisies
Livre
David Abram
Comment la terre s’est tue. Pour une écologie des sens
Publié le 06 juillet 2021
L’écologie politique se présente souvent comme une complainte culpabilisante. Elle nous livrerait au constat d’une catastrophe annoncée dont nos modes de vie et de pensée prédateurs seraient responsables. L’intérêt de la démarche de David Abram, qui a été prestidigitateur itinérant avant de devenir une figure de l’écologie contemporaine, titulaire de la chaire Arne-Næss à l’Université d’Oslo, est de nous faire sortir de ce cadre « humaniste larmoyant » – au sens où l’humanité y décide, pour le pire, de la forme de son environnement –, pour adopter un point de vue « métaphysique inspiré ». Il s’agit de creuser plus profond tout en adoptant la position d’un joyeux enquêteur. Si la terre s’est tue, écrit Abram, si nous n’entendons plus les esprits du vent et des éléments, ce n’est pas seulement que nous les avons fait disparaître, c’est que, sous le coup d’une histoire longue, où la Bible autant que la philosophie ont leur part, le monde lui-même a peu à peu cessé de nous parler. Selon lui, nous avons transposé dans l’expérience de la lecture cette « interaction animée » que les humanités archaïques entretenaient avec la Terre : « De même que jadis les animaux non humains, les plantes et même les rivières “inanimées” parlaient à nos ancêtres tribaux, aujourd’hui les lettres “inertes” sur la page nous parlent. C’est une forme d’animisme que nous considérons comme allant de soi, mais ce n’en est pas moins de l’animisme – aussi mystérieux qu’une pierre qui parle. » Est-ce à dire que nous ne pouvons plus entrer en résonance avec la Terre ? Loin s’en faut. À travers une relecture fine de Merleau-Ponty et de Heidegger, Abram nous convainc qu’en dépit du fait que nous ne croyons plus aux esprits des lieux, nous continuons, via la perception sensible du bleu d’un ciel, par exemple, d’entretenir un rapport participatif d’envoûtement avec le visible. Dans un monde de plus en plus technique, c’est même, dit-il, la dernière pierre de touche dont nous disposons : « Sans l’oxygène et le souffle des forêts, sans l’étreinte de la pesanteur, sans la magie tumultueuse des rivières, nous n’avons aucune distance par rapport à nos technologies, aucune possibilité d’évaluer leurs limites, aucune manière d’éviter leur emprise. » La force de cette pensée et de la prose magnifique d’Abram est de faire parler à nouveau le mystère des rivières, des arbres et du vent… avec des mots !
Comment la terre s’est tue. Pour une écologie des sens
Livre
Mélanie Traversier
L’Harmonica de verre et miss Davies. Essai sur la mécanique du succès au siècle des Lumières
Publié le 06 juillet 2021
L’harmonie est-elle angélique ou démoniaque ? La pureté absolue d’un son touche-t-elle le ciel de la douceur ou bien l’enfer de la folie ? C’est cette tension – électrique ? – qui traverse le récit de Mélanie Traversier sur l’histoire d’un instrument inouï, l’harmonica de verre. De cloches de cristal de diamètres croissants, enchâssées sur un axe tournant, l’on tire des harmonies « célestes » en les frottant avec des doigts mouillés. L’instrument a été mis au point en 1761 par le « génie de l’électricité », Benjamin Franklin, artisan de l’indépendance américaine et personnage clé des Lumières. Sa notoriété éclipsera celle de Mary Ann Davies, première interprète de cet harmonica et dont l’historienne documente le destin tragique. L’émotion musicale s’allie ici aux sciences. Nous passons du cosmos, avec l’harmonie des sphères de Pythagore, au corps, avec la mécanique des fluides : les expériences de magnétisme de Mesmer dans les années 1780 au son de l’harmonica de verre exacerbent la réputation sulfureuse de l’instrument. L’harmonica va ainsi s’accorder à la nervosité des Lumières, puis s’abîmer dans la mélancolie des romantiques pour finir disqualifié par la rationalité de la révolution industrielle à partir de 1830. Et cette rationalité peut aller jusqu’à une « mélophobie », une haine de la musique. Tantôt érotique ou suspectée de provoquer les maladies des nerfs (l’ennui et la mélancolie, prisées dans l’imaginaire romantique), tantôt au contraire soignant l’épilepsie et l’hystérie, la recherche de l’harmonie absolue est toujours un clair-obscur, comme l’héritage des Lumières lui-même.
L’Harmonica de verre et miss Davies. Essai sur la mécanique du succès au siècle des Lumières
Livre
Textes réunis par Quentin Hiernaux
Philosophie du végétal. Botanique, épistémologie, ontologie
Publié le 06 juillet 2021
Quoique je goûte peu les après-midi à la plage, je me réjouis d’aller, d’ici quelques semaines, en Vendée. Moins pour la mer que pour les grandes forêts de pins et de chênes biscornus qui la bordent. M’y promener suscite toujours chez moi une joie vive, qui ne va pas cependant sans une légère appréhension devant ce spectacle étourdissant de la vie, entremêlant ses innombrables formes dans les taillis confus. « Foyer sans éclat ni chaleur qui brûle sans autre signification que dévorer et croître », le végétal « perturbe l’ordre de notre système de pensée », analyse Quentin Hiernaux en ouverture de ce recueil. Peut-être est-ce la raison pour laquelle nous avons chassé les plantes de nos villes comme de notre tradition philosophique : parce qu’elles nous inquiètent. Nous ne savons pas vraiment ce qu’elles manigancent ; nous commençons tout juste à saisir ce dont elles sont capables : mémorisation, apprentissage, comme le montre le travail pionnier d’Helena Lipavskà, de Fatima Cvrčková et de Victor Zárský, chercheurs tchèques jamais traduits jusqu’ici. C’est le cas aussi de bon nombre de textes sélectionnés par Hiernaux qui, du philosophe de la Renaissance Andrea Cesalpino à la réflexion du Britannique Anthony Trewavas sur l’activité des plantes, invitent à redécouvrir tout un pan du réel resté longtemps dans l’ombre. Oubli paradoxal, car même si nous ne lui prêtons pas attention, le végétal enserre nos existences : il « nous est familier avant tout par son omniprésence. Nous partageons avec lui, partout et depuis toujours, presque tous nos milieux de vie ». Pas d’atmosphère sans arbres, pas d’agriculture sans céréales. Nous entretenons avec les plantes un lien vital et « réconfortant » qu’il est urgent de penser. En vous abandonnant à la douceur de l’été, demandez-vous sans fin ce qui se trame dans les brins d’herbe d’une pelouse, dans la fleur d’un jardin ou dans l’arbre centenaire d’une forêt !
Philosophie du végétal. Botanique, épistémologie, ontologie
Livre
Louise Glück
L’Iris sauvage
Publié le 06 juillet 2021
Souvent, la poésie américaine est spatiale. La poésie européenne est plutôt temporelle, elle évoque des drames vécus par un sujet (le poète) plongé dans le temps. Mais la poésie américaine essaie de prendre la mesure d’un espace et tisse différentes voix pour le déployer dans toutes ses dimensions. Difficile, lorsqu’on ouvre le recueil L’Iris sauvage de Louise Glück, lauréate du prix Nobel de littérature 2020, de ne pas penser à l’un des plus célèbres poèmes de la tradition américaine, Asphodèle de William Carlos Williams, qui avait connu un accueil dithyrambique à sa parution en 1954 et qui est une déclaration d’amour à sa femme, Flossie. Le renouvellement des champs d’asphodèles représente chez Williams les transformations de l’amour conjugal (il avait épousée Flossie en 1912). Pour L’Iris sauvage, Louise Glück se donne comme espace d’exploration poétique un jardin. De nombreux poèmes portent le nom d’une fleur (« Perce-Neige », « Violettes », « La Rose blanche »…) et démarrent comme des prosopopées, c’est-à-dire que ce sont les plantes qui s’expriment. Mais il y a deux autres voix importantes dans ce jardin, dont l’alternance est de plus en plus marquée : celle d’un jardinier qui, le regard tourné vers la terre, est matérialiste, concret, et celle d’une divinité créatrice. L’Iris sauvage est également un recueil sur l’amour conjugal, et l’on voit souvent passer dans ce jardin deux silhouettes, celles de John et de Noah, prénoms du mari et du fils de Louise Glück. Évidemment, cette construction est hyperintellectuelle, très abstraite, et pourtant, et c’est le tour de force de Glück, la langue est d’une extrême simplicité : « Les êtres humains laissent des traces de sentiments partout, fleurs éparpillées sur un chemin de terre, toutes blanches et dorées, certaines d’entre elles à peine soulevées par le vent du soir. » L’édition Gallimard est bilingue, et c’est une bonne idée, car l’on peut regretter que la traduction française vise quelquefois à rendre le texte plus soutenu, plus nobélisable qu’il ne l’est dans l’original (fallait-il rendre « dark birds » par « sinistres freux », « white fire » par « feu opalin », ou encore rétablir la ponctuation souvent élidée à dessein ?). On l’a compris, L’Iris sauvage est imprégné d’un lyrisme très cérébral, mais c’est une haute réalisation artistique, un peu comme les Concertos brandebourgeois de Bach.
L’Iris sauvage
Livre
Mark Fisher
Spectres de ma vie
Publié le 06 juillet 2021
À l’origine de ce livre, il y a un mot de Jacques Derrida : « hantologie ». L’hantologie, c’est la poursuite des phénomènes du passé disparus dans le présent. Ils vivent dans « l’espace entre l’être et le rien », ils ont la texture du spectre : invisibles parce qu’ils ne sont plus, visibles parce que leur souvenir continue de mouvoir les vivants. Mark Fisher (1968-2017) a passé sa vie de philosophe et de critique musical à se débattre avec les spectres des rêves de son époque : l’émancipation punk, la liberté des raves des années 1990 et surtout l’horizon communiste auquel il aspirait. À chaque fois, ces espoirs ont été balayés par « le réalisme capitaliste » et le mot martial prêté à Margaret Thatcher : « Il n’y a pas d’alternative. » Mais grâce à l’hantologie, Mark Fisher a pu au moins en retrouver les fantômes, dans le cinéma de Christopher Nolan, dans la musique de Joy Division ou de Burial. Autant de traces de ces futurs perdus mais encore là, quelque part, réfugiés entre une basse dubstep et la voix sépulcrale de Ian Curtis. La musique, dit Fisher, est particulièrement adaptée aux spectres, parce qu’elle « donne à entendre ce qui n’est pas là, la voix enregistrée, la voix qui ne garantit plus la présence ». Comme un souvenir de Hegel, qui écrivait que « le son est une extériorisation qui, à peine née, se trouve abolie par le fait même de son être là, et disparaît d’elle-même ». Oui, l’évanescence de la musique épouse l’être disparu de l’hantologie. Alors si vous voulez lire Fisher, un conseil : branchez votre casque.
Spectres de ma vie
Livre
Vladimir Jankélévitch
Philosophie morale
Publié le 06 juillet 2021
Pourquoi les meilleures choses sont-elles toujours à consommer « avec modération » ? Et « pourquoi faut-il que ce qui a bon goût soit nuisible, que ce qui est doux [et] suave […] n’annonce pourtant rien de bon pour moi ? » C’est ce genre de questions que Jankélévitch affronte dans cette somme de six ouvrages de philosophie morale, établie et préfacée par Françoise Schwab. « La Mauvaise Conscience », premier essai, s’attaque au remords, « ce remurmure » lancinant de la culpabilité qui a le mauvais goût « d’arriver toujours en retard », une fois que l’on a fini le paquet de bonbons. L’âme, que le philosophe désigne comme un « milieu infiniment excitable », n’a pas fini de se soumettre aux tentations… Et de s’en mordre les doigts ! Sous la plume de l’auteur, les corrupteurs ressemblent à des personnages de contes de fées : « ogres », « nains » et autres « demi-sorciers » sont capables, en un clin d’œil, de nous faire enfler d’orgueil ou de nous réduire à la mesquinerie la plus ridicule. « Les monstres de la conscience » ont des adversaires de taille : la modestie, le charme ou encore l’humour nous permettent de renouer, l’espace d’un instant, avec « le ciel de mai de l’innocence ». Certes, « la pureté » ne dure jamais, et les obstacles sont infinis. Mais c’est la force de cette philosophie : faire de notre vie morale une véritable odyssée, avec ses embûches et ses moments de grâce. Loin d’être un chemin de croix, cette aventure débordante « déblaye en plein réel des oasis de ferveur et d’intensité », tout en exaltant « le délicieux décousu de l’existence ». Cet été, plongez-vous donc dans Jankélévitch, moraliste virtuose et rafraîchissant qui, sans faire la morale… réussit même à nous redonner le moral !
Philosophie morale
Livre
Vassili Grossman
Années de guerre
Publié le 06 juillet 2021
Steppes jaunies de la toundra, gares comme des oasis, métropoles industrielles cerclées d’infinis sapins : cette Russie « immortelle » est le principal décor des Années de guerre de Vassili Grossman, collection d’articles parus pendant la Seconde Guerre mondiale dans L’Étoile rouge, le magazine de l’armée soviétique pour qui il fut correspondant de guerre. Suivant la chronologie des combats, ces neuf textes relatent l’invasion de l’Ukraine, la bataille de Stalingrad, puis la progression de l’URSS vers l’Allemagne. Partout, « l’atmosphère est en folie » : la terre, le ciel, la Volga, tout rougeoie et part en cendres. Les Juifs sont assassinés par milliers, les Slaves brûlés vifs dans leurs isbas, les « Sibériens » en armes tombent en masse. « Il est courant d’appeler ça enfer. » Face à ce spectacle de mort, le sang-froid de l’écrivain impressionne. Sa sensibilité aussi : dans le regard apeuré d’un cheval ou le bleu d’un chardon fleurissant, il témoigne du tragique de la guerre, tout en capturant des étincelles de vie, parvenant malgré tout à la transfigurer. Ce matériau se retrouvera dans son grand œuvre Vie et Destin, qu’il commence à écrire peu après la fin du conflit. Dans sa préface, Mathias Enard (prix Goncourt 2015) raconte le parcours étonnant de ce recueil d’articles, traduit anonymement en 1946, puis resté circonscrit aux bouquinistes. Il bénéficie donc, enfin, d’une large exposition. Ce qui étonne dans ces textes, c’est leur registre d’écriture, qui oscille entre journalisme, roman et propagande. Grossman était-il alors un stalinien convaincu ? En tout cas, l’admiration qu’il éprouve pour « la magnifique fraternité des prolétaires opprimés » ou leur « noble moralité » semble sincère (rappelons toutefois que Vie et Destin, achevé en 1962, est une charge violente contre le stalinisme, qui sera confisqué par le KGB et échappera de peu à la destruction). Saisissant, le livre devient vraiment déchirant avec l’évocation de Treblinka. Grossman est l’un des premiers à avoir découvert le camp d’extermination : il en décrit le fonctionnement à l’aide de dizaines de témoignages. Et même dans ce travail d’historien, l’écrivain reprend le dessus : « On sema du lupin sur l’emplacement du camp, et un certain Streben s’y construisit une maisonnette. Aujourd’hui, elle n’existe plus : elle a été brûlée, elle aussi. »
Années de guerre
Livre
Jean Genet
Romans et poèmes
Publié le 06 juillet 2021
Dans Saint Genet, comédien et martyr paru en 1952, Sartre écrit : « Le génie n’est pas un don mais l’issue qu’on invente dans les cas désespérés. » De fait, en 1948, au bout de six ans seulement, Jean Genet achève un prodigieux cycle romanesque. Ouverte en 1942 par Notre-Dame-des-Fleurs, cette fulgurance se poursuit avec Miracle de la rose, puis Pompes funèbres, Querelle de Brest et enfin Journal du voleur. Rassemblés en un volume dans La Pléiade, ces romans et récits servent d’écrin à un personnage-roi, un prince des ténèbres. On y retrouve Divine, la créature sulfureuse de Notre-Dame-des-Fleurs, on y contemple Harcamone, le condamné à mort de Miracle de la rose. On s’y confronte à la violence de Georges Querelle, le marin meurtrier de Querelle de Brest, ou à celle, plus trouble encore, d’Erik Seiler, l’officier nazi de Pompes funèbres. Ces personnages sont de vivantes condamnations d’une bienséance morale, politique et sexuelle dont la force de nuisance l’emporte toujours sur la leur. « Il existe un étroit rapport des fleurs et des bagnards, écrit Genet dans Journal du voleur. La fragilité, la délicatesse des premières sont de même nature que la brutale insensibilité des autres. » Ces textes, où l’argot et le classicisme se fécondent l’un l’autre, porte en eux une logique d’inversion très puissante. Le brutal y devient délicat, le vil s’y anoblit, le criminel s’y sanctifie. La rage destructrice y côtoie l’émerveillement, comme si la démolition était un préalable à la poésie. Réceptacle hypersensible de la barbarie du XXe siècle, l’œuvre de Genet n’en cherche pas l’antidote, elle joue le jeu périlleux de sa transfiguration.
Romans et poèmes
Livre
David Graeber
L’Anarchie - pour ainsi dire
Publié le 06 juillet 2021
La mort de David Graeber, en septembre dernier, m’a marqué. Sans l’avoir lu in extenso, j’étais et demeure convaincu que nous perdions un grand penseur. C’est un réconfort que de pouvoir lire, quelques mois plus tard, ces conversations que l’anthropologue anarchiste et figure de proue du mouvement Occupy Wall Street a tenues avec Mehdi Belhaj Kacem, Nika Dubrovsky et Assia Turquier-Zauberman. Le ton y est libre, enlevé, stimulant. On a l’impression d’écouter quatre amis occupés à refaire le monde pendant des heures, un soir d’été. J’ai sans doute trouvé dans ce livre plus que ce que j’étais venu chercher : la possibilité de croire à une conciliation entre le socialisme et l’anarchisme, en dépit de l’aspect potentiellement disciplinaire et liberticide du premier, désordonné et inégalitaire du second. Car voilà : Graeber est un anarchiste qui a une acception tout à fait singulière de la liberté, ce qui le préserve de ne jamais s’enferrer dans une chapelle sectaire – Dieu sait, et Graeber aussi, qu’elles sont (re ?) devenues nombreuses ces derniers temps. Pour lui, la liberté est d’abord « cette capacité à faire des promesses », à entrer volontairement dans des relations de contrainte en se ménageant toujours la possibilité d’en sortir. Un véritable tremplin aussi bien moral que politique, qui permet notamment de faire du Rojava kurde, au nord de la Syrie, le modèle d’une prometteuse « double souveraineté », à la fois descendante et ascendante – étatique, d’un côté ; municipale et libertaire, de l’autre. « Nous n’allons pas avoir un moment insurrectionnel où l’État s’effondre », assène sans détour l’anthropologue. Mieux vaut construire des hybridations politiques plutôt que de développer des principes moraux rigides. Promettons-nous d’essayer la liberté : ce sont les mots que je retiens de cette discussion posthume.
L’Anarchie - pour ainsi dire
CULTURE
Article 2 min
“Moriyama-Tōmatsu : Tokyo”, urbain révélateur
Cédric Enjalbert 08 juillet 2021
La Maison européenne de la photographie (à Paris) présente jusqu'au mois d'octobre le travail de deux photographes japonais, Daidō Moriyama et Shōmei Tōmatsu. Les deux artistes dressent une cartographie labyrinthique de Tokyo, à rebours de tous les clichés.
“Moriyama-Tōmatsu : Tokyo”, urbain révélateur
Article 2 min
“Hamlet à l’impératif !”. Qui est là ?
Cédric Enjalbert 08 juillet 2021
Olivier Py se frotte à un monument à l’occasion de l'édition 2021 du Festival d'Avignon : Hamlet, sans doute la pièce la plus philosophique de Shakespeare, que le metteur en scène conjugue « à l’impératif ». Un travail prolongé d'un livre qui vient de paraître chez Actes Sud.
“Hamlet à l’impératif !”. Qui est là ?
Article 2 min
“Annette”. Chantons sous la nuit
Cédric Enjalbert 08 juillet 2021
Avec son dernier film qui vient d’être présenté à Cannes, Leos Carax surprend une nouvelle fois. Le cinéaste met en scène Marion Cotillard et Adam Driver dans une comédie musicale noire où, sur les pas de Nietzsche, la « volonté de vérité » se confronte à la « volonté de puissance ».
“Annette”. Chantons sous la nuit
OH ! LA BELLE VIE
Article 2 min
Conseil n° 10 : optez pour les télévacances
François Morel 08 juillet 2021
Voici les vacances et leur cohorte de désagréments, dont je n’ai pas besoin de vous dresser la liste (mais je vais le faire quand même, parce que, c’est pas tout ça, mon papier est censé s’étirer jusqu’au bas de la page…). Voici donc les vacances d’été et leur cortège d..
Conseil n° 10 : optez pour les télévacances
JEU
Article 1 min
Philocroisés #71
Gaëtan Goron 08 juillet 2021
Horizontalement I. Puisque pour résoudre une grille de mots croisés, il faut de la méthode… II. Il s’est fait un nom avec celui de la rose. Pied-à-terre entouré d’eau de Sollers. Neptunium. III. Philosophie magazine vous décrit la galaxie autour de cet hum..
Philocroisés #72
QUESTIONNAIRE DE SOCRATE
Article 2 min
Phia Ménard. Les élans du corps
Cédric Enjalbert 08 juillet 2021
Sa discipline ? Un « art de la jonglabilité des éléments ».La chorégraphe Phia Ménard a fait de la transformation de la matière, et de sa résistance, un sujet spectaculaire, intime et émouvant. Invitée au Festival d’Avignon, elle y présente du 19 au 25 juillet La Trilogie des Contes Immoraux (pour Europe). Cette commande initiée par le philosophe Paul B. Preciado est l’aboutissement d’une réflexion politique engagée sur les conditions de possibilité d’une vie en commun. Avec sa figure de guerrière aux prises avec le monde, cette allégorie dansée met en scène nos échecs et nos insoumissions, ainsi que notre rapport contrarié à l’altérité.
(Philomag) |
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