[n° ou bulletin] est un bulletin de / Alexandre Lacroix (2011)Titre : | N°152 - Septembre 2021 - Sommes-nous si fragiles ? | Type de document : | texte imprimé | Année de publication : | 2021 | Importance : | 98 p. | Présentation : | ill. en coul. | Format : | 29 cm | Langues : | Français (fre) | Catégories : | Philosophie
| Tags : | Fragilité humaine Philippe Descola grossesse Sénèque Pascal | Index. décimale : | 17 Morale. Éthique. Philosophie pratique | Résumé : | C’est peut-être le grand paradoxe des sociétés développées du XXIe siècle : nous n’avons de cesse d’évoquer notre fragilité et nos lignes de faille, nous nous savons environnés de risques multiples qui vont du krach financier à l’incident nucléaire… Et pourtant, l’expérience de la pandémie nous a montré que nos organisations complexes ont tenu le coup, qu’il n’y a pas eu d’effondrement systémique et que la plupart d’entre nous ont su se réinventer dans cette situation inédite. Du coup, serions-nous d’autant plus solides que nous nous savons fragiles ? (Philomag) | Note de contenu : | ÉDITO
Article 2 min
Si près de l’impossible
Alexandre Lacroix 26 août 2021
Voilà l’enseignement philosophique majeur du jeu de Kapla : c’est au moment où une construction, une tentative humaine va vraiment atteindre son maximum de perfection et d’harmonie qu’elle s’écroule. Et elle ne dégringole pas d’elle-même, mais parce que, quand l’ouvrage présent..
VOS QUESTIONS
Article 3 min
“D’où vient cette énergie quand je danse ?”
Charles Pépin 26 août 2021
Question de Samuel Habibi
“D’où vient cette énergie quand je danse ?”
REPÉRAGES
Article 1 min
Arles monte dans les tours
Octave Larmagnac-Matheron 26 août 2021
Spirale déstructurée de verre et de métal, la tour imaginée par Frank Gehry, étoile nord-américaine de l’architecture, contraste avec l’allure de la cité romaine d’Arles. Inauguré le 26 juin, l’édifice est le cœur battant du complexe artistique Luma, dont la mécène suisse Ma..
Arles monte dans les tours
Article 1 min
“Monstruosité”
Octave Larmagnac-Matheron 26 août 2021
« La monstruosité qui fait peur à certains et qui traverse mon travail, c’est une arme et c’est une force pour repousser les murs de la normativité » Julia Ducournau, le 17 juillet, lors de la réception de sa Palme d’or au Festival de Cannes &..
Article 1 min
Pathocène
Octave Larmagnac-Matheron 26 août 2021
Après l’Anthropocène, le Capitalocène, le Plantationocène, place au Pathocène ! La notion a été imaginée par l’historien Gil Bartholeyns dans son récent essai Le Hantement du monde. Zoonoses et Pathocène (Éditions Dehors, 2021). « Ce n’est peut-être pas une dénomination tr..
Pathocène
Article 1 min
“319”
Octave Larmagnac-Matheron 26 août 2021
C’est le record, en térabits par seconde (tb/s), de transmission de données sur Internet, permis par la nouvelle fibre optique développée par l’Institut national japonais des technologies de l’information et des communications. Le précédent, établi l’an dernier, était de 178 tb/..
Article 2 min
Un problème de poids
Octave Larmagnac-Matheron 26 août 2021
L’obésité touche… 8,5 millions de Français 17 % de la population en moyenne 22,1 % des habitants des Hauts-de-France 14,2 % des habitants d’Île-de-France 19,2 % des plus de 65 ans 16,7 % des 35-44 ans 9,2 % des 18-24 ans 14,4 % des professions int..
PERSPECTIVES
Article 3 min
Passe sanitaire : Macron a-t-il inventé la quasi-obligation ?
Octave Larmagnac-Matheron 26 août 2021
Certains souhaitent que la vaccination devienne obligatoire, quand d’autres dénoncent le passe sanitaire comme une entrave insupportable aux libertés. Le problème vient-il d’avoir voulu concilier des valeurs contradictoires ?
Passe sanitaire : Macron a-t-il inventé la quasi-obligation ?
Article 3 min
Extension du domaine de la ZOP
Cédric Enjalbert 26 août 2021
De nombreuses mesures adoptées temporairement durant la crise sanitaire se trouvent désormais normalisées. Faut-il craindre que cette « zone d’ossification du provisoire » aille contre l’élan vital, comme le pressentait Bergson ?
Extension du domaine de la ZOP
Article 3 min
Quentin Hiernaux : “Dans notre tradition, la plante est placée tout en bas de l’échelle des êtres vivants”
Octave Larmagnac-Matheron 26 août 2021
Une équipe de chercheurs singapouriens s’est lancée dans un projet un peu fou : créer des « robots-plantes ». Une démarche que critique le philosophe spécialiste de la question végétale Quentin Hiernaux.
Quentin Hiernaux : “Dans notre tradition, la plante est placée tout en bas de l’échelle des êtres vivants”
Article 3 min
Musk-Bezos : la guerre des étoiles
Sven Ortoli 26 août 2021
Enjeu d’une concurrence entre États durant la guerre froide, la conquête spatiale est aujourd’hui l’objet d’une rivalité entre les plus riches, Jeff Bezos et Elon Musk en tête. Mais avec deux visions opposées de cet impérialisme extraterrestre.
Musk-Bezos : la guerre des étoiles
AU FIL D’UNE IDÉE
Article 2 min
Tattoo compris
Sven Ortoli 26 août 2021
Ötzi, le chasseur de l’âge du cuivre prisonnier des glaces pendant 5 300 ans avant sa découverte dans les Alpes en 1991, arborait 61 tatouages. Le Néo-Zélandais Lucky Diamond Rich, de son vrai nom Gregory Paul McLaren, est l’homme le plus tatoué au monde avec 10..
Tattoo compris
ETHNOMYTHOLOGIES
Article 3 min
Boxe en plein air. Le punch des amazones
Tobie Nathan 26 août 2021
De plus en plus d’amateurs revêtent les gants pour s’entraîner dans les parcs et jardins. Et parmi eux, nombre de femmes. Culte du corps, féminisme en action ou prophétie de Platon enfin réalisée ?
Boxe en plein air. Le punch des amazones
RENCONTRE
Article 15 min
Déni de grossesse
Octave Larmagnac-Matheron 26 août 2021
La philosophie s’intéresse très peu à la naissance, et encore moins à la gestation. Elselijn Kingma a choisi d’en faire son objet d’étude. À la croisée des sciences, de la phénoménologie et de sa propre expérience, sa pensée définit le fœtus comme partie biologique de la mère.
Déni de grossesse
LE MÉTIER DE VIVRE
Article 8 min
François Galichet. La liberté et la mort
Nicolas Gastineau 26 août 2021
Ce professeur émérite de philosophie à l’université de Strasbourg est aussi un homme d’engagement. Depuis presque dix ans, il milite pour le droit à mourir dans la dignité, aidant ceux qui le souhaitent à se procurer la substance fatale en toute illégalité. Un choix qui lui vaut aujourd’hui d’être mis en examen mais qu’il fonde sur des convictions éthiques.
François Galichet. La liberté et la mort
MOTIFS CACHÉS
Article 3 min
Chatbots, gardiens des enfers numériques
Isabelle Sorente 26 août 2021
Hybrides d’aujourd’hui, ces programmes de dialogue sont d’un abord moins terrifiant que leurs devanciers légendaires – Sphinx ou sirènes… Mais cela ne les empêche pas de nous mettre à rude épreuve.
Chatbots, gardiens des enfers numériques
DOSSIER
6 articles
Sommes-nous si fragiles ?
Publié le 25 août 2021
C’est peut-être le grand paradoxe des sociétés développées du XXIe siècle : nous n’avons de cesse d’évoquer notre fragilité et nos lignes de faille, nous nous savons environnés de risques multiples qui vont du krach financier à l’incident nucléaire… Et pourtant, l’expérience de la pandémie nous a montré que nos organisations complexes ont tenu le coup, qu’il n’y a pas eu d’effondrement systémique et que la plupart d’entre nous ont su se réinventer dans cette situation inédite. Du coup, serions-nous d’autant plus solides que nous nous savons fragiles ? > Des larmes de Pline l’Ancien à l’écume de Peter Sloterdijk, en passant par le cristal de Sigmund Freud, de l’Antiquité à nos jours, les penseurs ont toujours trouvé des images matérielles de la fragilité, tout à la fois pour la magnifier et la conjurer. > Car, bien plus qu’une disposition psychologique, la fragilité est peut-être la condition métaphysique première de l’être humain : c’est ce que nous explique le jeune philosophe et charpentier Arthur Lochmann dans un texte inspiré sur le ciel étoilé. > Mais pour revenir à l’échelle de nos sociétés, leur résistance au choc pandémique ne peut être vraiment comprise et analysée qu’en faisant un peu de théorie de la complexité : c’est ce que nous proposent la macroéconomiste Anne-Laure Delatte, le mathématicien David Chavalarias, l’expert en agronomie Marc Dufumier et la psychologue Florence Sordes. > Voici une intervention qui prend la thèse centrale de notre dossier à revers : partant d’une lecture originale de Friedrich Nietzsche comme promoteur (involontaire) de la pleurnicherie, le philosophe allemand Wolfram Eilenberger dénonce l’étalage contemporain des petites blessures personnelles. > Si elle donne un fil rouge à ce dossier, la pensée de Jean-Louis Chrétien (disparu en 2019), qui a consacré de beaux essais à la fatigue, aux larmes ou encore à la voix, réunit dans ce dialogue conclusif deux interlocuteurs de choix : elle continue d’inspirer le philosophe Camille Riquier et la romancière Maylis de Kerangal, qui posent des mots justes sur la sensibilité humaine.
Sommes-nous si fragiles ?
Article 6 min
Ni fort ni faible !
Cédric Enjalbert 25 juillet 2021
Parente de la faiblesse et de la vulnérabilité, la fragilité a sa propre dignité conceptuelle. Cette disposition humaine, redécouverte à l’occasion de la crise sanitaire, dessine une troisième voie, un chemin de liberté entre la résistance aux chocs et l’adaptation aux événements.
Ni fort ni faible !
Article 10 min
À manier avec précaution
Cédric Enjalbert 26 août 2021
Depuis l’Antiquité, les penseurs rivalisent de métaphores pour décrire la condition de l’homme, aussi grand que misérable, et chacun offre sa stratégie pour faire avec ses failles. Tour d’horizon, de Sénèque à Sloterdijk.
À manier avec précaution
Article 6 min
Vertige d’une nuit d’été
Arthur Lochmann 26 août 2021
Philosophe et charpentier, Arthur Lochmann pratique aussi la randonnée en montagne. Dans son nouveau livre Toucher le vertige, il relate à l’occasion de son ascension du massif du Mont-Blanc une expérience physique et métaphysique : la perte des repères et la peur du vide. L’écrivain expose ici ce que la contemplation des sommets révèle de notre rapport fragile à soi et au monde.
Vertige d’une nuit d’été
Article 10 min
Lignes de faille
Charles Perragin 26 août 2021
Le choc du Covid faisait craindre un effondrement – sanitaire, économique, logistique. Pourtant, et pour l’essentiel, nous avons tenu. Comment ? Réponses avec une macroéconomiste, un mathématicien spécialiste des systèmes complexes, un ingénieur agronome et une chercheuse en psychologie.
Lignes de faille
Article 6 min
Wolfram Eilenberger : “Le courage est une vertu démocratique”
Alexandre Lacroix 26 août 2021
Et si, à force d’étaler notre fragilité, nous étions en train de nous couper du monde et des autres, de nous refermer sur nous-mêmes et de vider de sa substance la vie démocratique ? Tel est le constat à contre-courant du philosophe allemand Wolfram Eilenberger.
Wolfram Eilenberger : “Le courage est une vertu démocratique”
Dialogue 15 min
Maylis de Kerangal-Camille Riquier. À voix nues
Catherine Portevin 26 août 2021
La fêlure est au cœur du travail et des réflexions de Maylis de Kerangal et de Camille Riquier. Pour la romancière comme pour le philosophe, elle est un révélateur de notre humanité.
Maylis de Kerangal-Camille Riquier. À voix nues
L’ENTRETIEN
Entretien 19 min
Philippe Descola. “Rendre visibles des choses invisibles”
Alexandre Lacroix 26 août 2021
Quinze ans après Par-delà nature et culture, le grand anthropologue français, élève de Claude Lévi-Strauss, fait paraître Les Formes du visible, un essai fondamental qui éclaire d’une lumière nouvelle toutes les « images » produites par les humains, depuis les grottes de Lascaux jusqu’aux masques des Indiens d’Amazonie, en passant par l’art occidental.
Philippe Descola. “Rendre visibles des choses invisibles”
LE CLASSIQUE SUBJECTIF
3 articles
Blaise Pascal vu par Elsa Godart
Publié le 26 août 2021
Pascal, un génie, « créateur en toute chose » ? Oui, mais pas seulement, répond la philosophe et psychanalyste Elsa Godart, pour qui il est un compagnon précieux dans les épreuves du quotidien. Elle partage avec l’auteur des Pensées une éthique de la sincérité qu’elle expose ici avec passion.
Blaise Pascal, révéler les ombres
Article 12 min
Elsa Godart : “Pour Pascal, la vérité ne peut passer que par le cœur”
Victorine de Oliveira 26 août 2021
Pascal, un génie, « créateur en toute chose » ? Oui, mais pas seulement, répond la philosophe et psychanalyste Elsa Godart, pour qui il est un compagnon précieux dans les épreuves du quotidien. Elle partage avec l’auteur des Pensées une éthique de la sincérité qu’elle expose ici avec passion.
Blaise Pascal, révéler les ombres
Article 2 min
Un extrait de Blaise Pascal commenté par Elsa Godart
Victorine de Oliveira 05 septembre 2021
L’extrait de Blaise Pascal « Qu’est-ce que le moi ? Un homme qui se met à la fenêtre pour voir les passants, si je passe par là, puis-je dire qu’il s’est mis là pour me voir ? Non, car il ne pense pas à moi en particulier. Mais celui qui aime quelqu’un à cause..
Blaise Pascal, révéler les ombres
Article 4 min
Blaise Pascal, révéler les ombres
Victorine de Oliveira 05 septembre 2021
Quelle posture adopter face à l’infini qui nous enveloppe ? Pascal est tout entier pris dans ce questionnement métaphysique qui souligne aussi bien la finitude de l’être humain que la force de sa pensée.
Blaise Pascal, révéler les ombres
BOÎTE À OUTILS
Article 3 min
Pourquoi aimons-nous faire des puzzles ?
Océane Gustave 26 août 2021
Il en traîne, plus ou moins complets, dans tous les placards. Mais qu’est-ce qui nous attire dans ce jeu de patience très sage ? Quatre philosophes nous aident à recoller les morceaux.
Pourquoi aimons-nous faire des puzzles ?
Article 1 min
Meraki (μεράκι)
Octave Larmagnac-Matheron 26 août 2021
Langue d’origine : grec
Article 2 min
“Sécurité”
Margot Monteils 26 août 2021
Cinq philosophes lèvent l’incertitude sur cette notion.
BACK PHILO
Bac philo 6 min
Que peuvent les mots ?
Aïda N’Diaye 26 août 2021
Analyse des termes du sujet « Pouvoir » Pouvoir matériel, capacité à produire des effets, à agir, à faire, à transformer ou à fabriquer des choses, puissance, force. « Mots » Signes arbitraires, symboles, écrits ou parlés.
LIVRES
Article 2 min
Pendant que j’y pense/Septembre 2021
Catherine Portevin 26 août 2021
Est-ce bien le moment, en pleine rentrée, de parler de nuits sans sommeil ? Parmi tous les livres captivants qui s’annoncent en librairie et méritent bien quelques heures de veille, il en est un qui, sur une table de nuit, narguera la plus résolue des marmottes. Son titre : Pas dormir (P..
Livre
Susan Neiman
Grandir
Publié le 25 août 2021
La jeunesse est-elle autant qu’on le croit le plus bel âge de la vie ? C’est contre cette idée qu’écrit Susan Neiman (photo) : dire aux jeunes de profiter de leurs meilleures années peut sembler bienveillant. Pourtant, estime-t-elle, le conseil « comprend un message désolant : après c’est pire ». La philosophe interroge ainsi une époque qui présente l’âge adulte comme le moment de la désillusion, voire de la trahison. Quant à la vieillesse, elle ne peut être qu’un naufrage ! Dès lors, rien d’étonnant à ce que nous soyons tous, à des degrés et sous des formes diverses, saisis par le syndrome de Peter Pan : si la maturité consiste à « renoncer à ses espoirs et à ses rêves, [à] accepter les limites de la réalité et [à] se résigner à une vie […] beaucoup plus insignifiante que ce qu’on avait imaginé », à quoi bon grandir ? L’idéalisation de la jeunesse va de pair avec cette capitulation : « En interprétant la vie comme une longue chute, nous préparons les jeunes à en attendre – et à en revendiquer – très peu. » Susan Neiman n’est pas la première à s’emparer de la question de l’éducation. En spécialiste de Hannah Arendt, cette philosophe américaine, née en 1955 et vivant à Berlin, a de qui tenir ! Mais, dans cet essai au ton libre et personnel, elle semble moins préoccupée de la crise de l’autorité que son illustre prédécesseur dans La Crise de la culture. Neiman déplore davantage l’abandon des idéaux. Or, dit-elle, prétendre affronter la dureté de la réalité est souvent une lâcheté : « Elle ne requiert rien d’autre qu’un air snob et un peu dégagé. » Et si, suggère-t-elle, nous vivions en réalité dans une culture « qui ne veut pas d’adultes, car les sujets infantiles et obsédés par eux-mêmes sont plus faciles à diriger ? » « Est-ce que la philosophie peut nous aider à grandir ? » reste la question principale de ce livre. Susan Neiman la situe historiquement dans l’héritage des Lumières, le moment où il s’agit de penser l’individu et la condition humaine hors des dogmes de la religion. Elle cherche ainsi assez classiquement un « modèle de maturité qui ne soit pas celui de la résignation » et trace un chemin de crête entre les sagesses de l’acceptation du monde tel qu’il est (le stoïcisme) et les sceptiques (Hume, chez qui elle décèle une forme de froideur rarement appliquée à son empirisme), qui passe par une subtile relecture de l’Émile du « passionnant mais exaspérant » Rousseau et s’accroche au socle de Kant. Susan Neiman parvient même à nous rendre séduisante sa Critique de la raison pure, le livre « le plus important et le plus mal écrit de l’histoire de la philosophie moderne ». En se défiant du dogmatisme de la raison comme du désespoir que procure l’expérience, dans un juste milieu entre agir pour le monde tel qu’il devrait être et le voir tel qu’il est, le message de Kant demeure le meilleur accès à la maturité. Susan Neiman le traduit pour aujourd’hui en trois actes : apprendre, voyager, travailler.
Grandir
Livre
Pierre Darkanian
Le Rapport chinois
Publié le 26 août 2021
« Un bullshit job, écrivait l’anthropologue américain David Graeber, est une forme d’emploi rémunéré si totalement inutile, superflue ou néfaste que même le salarié ne parvient pas à justifier son existence, bien qu’il se sente obligé, pour honorer les termes de son contrat, de croire qu’il n’en est rien. » Dans leur immense majorité, ces emplois sont sous-rémunérés, mais il en existe quelques-uns, d’autant plus énigmatiques, que l’on pourrait appeler des « bullshit jobs de luxe ». C’est sur l’une de ces sinécures mystérieuses qu’est tombé le personnage principal de ce roman. Embauché pour un haut salaire dans un cabinet de consultants, Tugdual Laugier traverse d’abord trois ans d’oisiveté absolue où, dans la pénombre calfeutrée de son bureau, il passe maître dans l’art de rouler et de dérouler sa cravate. Sa seule contrainte est la confidentialité : nul ne doit être au courant du néant de sa mission. Astreints à la plus extrême discrétion, les salariés du cabinet en viennent à psalmodier une sorte de mantra autopersuasif. « Ça bosse chez Laugier ! » ne cesse de murmurer pour lui-même le jeune consultant, lorsqu’on lui confie enfin la tâche tant espérée : rédiger, pour le compte d’un client chinois, un rapport de mille pages sur le marché français des mini-viennoiseries. Dès lors, tout bascule, la mégalomanie et le vide vont s’engendrer l’un l’autre. Fatras indigeste rémunéré une fortune par un certain M. Dong, le « rapport chinois » intrigue une commissaire de la police des stupéfiants. Peu à peu se dévoilent une énorme machine à blanchir des fonds obscurs, puis un système complexe d’escroqueries en cascade. Par touches successives, dans un crescendo aux allures de vaudeville, la comédie du travail se mue en épopée de la finance opaque. Dans ce surprenant roman – qui restitue avec une jubilation ventriloque les langues de bois, jargons et tics de langage de l’entreprise –, l’énergie burlesque est le moteur de l’exploration d’un capitalisme en décomposition.
Le Rapport chinois
Livre
Camille Froidevaux-Metterie
Un corps à soi
Publié le 26 août 2021
Camille Froidevaux-Metterie creuse un sillon tout personnel dans le champ de la théorie féministe. Depuis la parution en 2015 de La Révolution du féminin (Gallimard), où elle interroge la disparition du corps féminin à travers la lutte pour l’égalité des droits, la question de la corporéité féminine traverse son œuvre. Qu’est-ce que vivre avec un corps de femme ? Quelles sont les implications sociales, politiques, phénoménologiques, d’une paire de seins, des règles, d’une jupe, de talons hauts ou de tout autre attribut perçu comme féminin ? En s’intéressant plus particulièrement aux Seins (Anamosa, 2020) et en interrogeant et photographiant des femmes de tout âge, Camille Froidevaux-Metterie a découvert une chose intéressante : l’identité féminine se construit selon un mouvement dialectique d’« objectivation-aliénation », d’une part, et de « libération-réappropriation », d’autre part. Les seins sont ce par quoi les femmes sont exclusivement identifiées à leur corps – la femme-objet –, mais aussi ce par quoi elles entretiennent un rapport au monde qui leur est propre, puisqu’il passe par un corps dont elles tirent parfois fierté – la femme-sujet. C’est ce rapport spécifique au monde qu’elle explore désormais dans Un corps à soi. À l’heure où les féministes se déchirent pour savoir qui a le droit de se déclarer « femme » – les débats se focalisant autour des transgenres –, son opposition féminin vs. féminité a le grand mérite de clarifier le débat. Le féminin est « un rapport à soi, aux autres et au monde qui passe nécessairement par le corps et qui se trouve de ce fait déterminé par lui », quand la féminité correspond aux clichés associés aux femmes : douceur, fragilité, frivolité. « Parce qu’elles n’ont longtemps été que des corps, tout entières assimilées à leurs fonctions sexuelle et maternelle, les femmes ne peuvent faire comme si elles n’avaient pas de corps, et plus encore, comme si elles n’avaient pas de corps sexué » : cela signifie que le féminin se construit sur la réappropriation de ce corps sexué dès la sortie de l’enfance par le regard masculin, quand le masculin ne se soucie pas du regard de l’autre sexe. Cette urgence de remettre le corps féminin au centre du projet féministe, Camille Froidevaux-Metterie la doit à la philosophe américaine Iris Marion Young (1949-2006). Depuis Le Corps des femmes (Philosophie magazine Éditeur, 2018), elle s’emploie à faire découvrir ses travaux, encore peu connus en France. Si Young revient à « ces expériences ordinaires du corps par lesquelles la plupart des femmes s’identifient spécifiquement en tant que femmes », elle critique également le « féminisme humaniste » et son « aspiration à l’universalité abstraite ». Pas étonnant que Camille Froidevaux-Metterie prenne autant de précautions et lui consacre un chapitre entier, afin de désamorcer un débat d’avance miné. Le féminisme de Camille Froidevaux-Metterie revêt la forme d’un « projet révolutionnaire, au sens rigoureux d’un renversement de l’ordre patriarcal et de son remplacement par un monde foncièrement nouveau ». La fin du patriarcat ne semble pas pour demain, mais rêvons un peu : une fois débarrassée de l’objectification, quelle serait l’expérience singulière de la corporéité féminine ? Ce suspens excite autant qu’il donne le vertige.
Un corps à soi
Livre
François Noudelmann
Les Enfants de Cadillac
Publié le 26 août 2021
C’est l’histoire d’un homme qui se met à s’interroger sur ses origines et son patronyme. Et d’un professeur de philosophie qui, après avoir beaucoup écrit sur les autres – Sartre ou Beckett –, revient sur lui-même en signant un premier roman autobiographique. Un peu par le hasard des circonstances, un peu à la suite de son installation aux États-Unis qui lui a donné un angle de vue nouveau, François Noudelmann (photo) s’est surpris à voir cette quête de soi s’imposer à lui : explorer son identité française telle qu’elle s’est construite à travers trois générations. Trois portraits d’hommes plus précisément – les femmes sont à peine évoquées –, qui résonnent comme les trois actes d’une pièce de théâtre aux accents parfois tragiques. Le premier retrace l’épopée de Chaïm, son grand-père qu’il n’a pas connu, fuyant les persécutions contre les Juifs en Lituanie pour prendre part à la Grande Guerre dans l’armée française et obtenir sa naturalisation ; mais après avoir inhalé du gaz allemand, il est déclaré « fou de guerre » et interné à Sainte-Anne. Vient ensuite son père, Albert, « titi parisien, avec l’accent et la gouaille d’un poulbot de Montmartre », pour lequel le récit passe au tutoiement. On sent beaucoup de sympathie de Noudelmann fils pour ce personnage qui, après avoir été fait prisonnier pendant la Seconde Guerre mondiale et avant d’échapper à l’exécution, séduit une cheffe nazie qui lui enseigne le vocabulaire amoureux allemand… « Entre Chaïm et Albert, un récit a bégayé, celui de l’assimilation des Juifs, le fils oubliant son père et poursuivant un même désir de fuir ses origines et de s’incorporer à la France, quitte à recevoir son passé en pleine face », constate le narrateur dans la troisième partie où le « je » assume de porter le poids et l’héritage du passé. « J’ai l’intuition qu’être français doit à leurs souffrances et désillusions », écrit François Noudelmann sans prétendre pour autant revendiquer ce qu’il appelle leur « prestige victimaire », puisqu’il a conscience de n’avoir pas connu personnellement les mêmes épreuves. Évitant les écueils de la complaisance et du nombrilisme, son roman mêle réflexions sur la judéité – « pour se faire aimer, quand on est juif, il faut savoir être un peu antisémite » –, récits de vies, d’engagements politiques et d’espoirs parfois insensés. Il nous rappelle surtout combien nos existences sont toujours nourries d’une mémoire qui se décline aux trois personnes du singulier.
Les Enfants de Cadillac
Livre
Gaspard Kœnig
Notre vagabonde liberté
Publié le 26 août 2021
Nous sommes le 22 juin 2020 : la France se déconfine timidement – et provisoirement –, et Gaspard Kœnig, quittant tout, entreprend de la traverser à cheval. Le voilà, lui qui défend la philosophie libérale classique avec son think-tank GénérationLibre, parti sur les pas de Montaigne entre le Périgord et Rome, avec de longs détours par « le Berry et ses chaumes sans ombre », « la Sologne et ses étangs » ou encore « la Meuse et ses reflets fluorescents ». Un voyage flamboyant et anachronique… qui commence pour Kœnig par un faux départ. Il n’a pas fait 500 mètres que sa route est barrée par « un épais tronc d’arbre », puis par « une barre de fer ». Une manière de rappeler que nos chemins ne sont plus adaptés à « la circulation hippomobile ». Défi un peu fou, donc, que celui de parcourir 2 500 kilomètres à cheval en 2020. Rêne cassée, attaques perpétuelles de « petites mouches plates », sentiers bouchés sont le pain quotidien du cavalier moderne. Au cours de son périple, le philosophe renonce donc souvent à ce qu’il avait planifié pour bidouiller, contourner, bifurquer… Mais c’est sur ces chemins de traverse qu’il est le plus fidèle à Montaigne pour qui « rien de noble ne se fait sans hasard ». Le libéral en lui a ainsi trouvé dans ce voyage une ultime manière d’expérimenter une liberté vibrante et solaire, pleine d’imprévus poétiques et d’heureuses rencontres. Tant pis, donc, pour le faux départ, les détours… et même pour l’arrivée ratée à Rome où il est rabroué par des policiers. Car, selon lui, ce n’est pas sur les routes officielles mais loin des sentiers battus, et même « hors des normes », dans les « interstices » et « à la marge des lois », que s’exerce pleinement la « vagabonde liberté » si chère au cœur de Montaigne.
Notre vagabonde liberté
Livre
Isabelle Sorente
La Femme et l’Oiseau
Publié le 26 août 2021
Il y a des malédictions qui traversent plusieurs générations. Celle de Thomas remonte à la Seconde Guerre mondiale et à son enrôlement de force dans l’armée allemande, puis à sa détention dans un camp de prisonniers en URSS, celui de Tambov (au sud-est de Moscou). On a surnommé ces soldats français, pour la plupart originaires de l’Alsace et de la Moselle annexées, les « Malgré-nous ». Ils n’avaient pas le choix – ou alors celui d’exposer leur famille à des représailles, voire de mourir eux-mêmes, sans que cela ne change grand-chose au cours de l’histoire. Les décennies suivantes ont peut-être porté des enjeux moins lourds pour leurs descendants. Il n’en demeure pas moins qu’il leur arrive encore d’être pris « malgré eux » dans ce qui ressemble tout autant à un enrôlement de force, peut-être plus insidieux. Élisabeth, la petite-nièce de Thomas, peine par exemple à se dépêtrer d’un travail qui exige d’elle un engagement total, week-end compris. Sa fille Vina est elle aussi confrontée à la douleur des choix : que fait-on librement ou par contrainte, du fait de son milieu social, de son éducation ou des opportunités ? Le thème de l’entrave hante le roman d’Isabelle Sorente. Elle y répond par la puissance de l’imaginaire d’un esprit, celui de Thomas, légèrement chamane sur les bords, capable de sortir de son corps pour se mettre à la place d’un oiseau ou d’un arbre, afin d’opérer un décentrement salvateur. Manière de dire que toute bête traquée que l’on puisse se sentir, on n’est jamais tout à fait pris au piège.
La Femme et l’Oiseau
Livre
Arthur Lochmann
Toucher le vertige
Publié le 26 août 2021
« J’aimais l’altitude, mais j’avais le vertige. » Parole de philosophe et de charpentier, car Arthur Lochmann ne manie pas seulement les concepts, il travaille aussi le bois et grimpe sur les toits. Il en a témoigné dans un précédent livre, La Vie solide. La charpente comme éthique du faire (Payot, 2019), et revient dans celui-ci sur une expérience physique et métaphysique : celle de « ces moments informes et sauvages » où le monde semble se dérober sous les pieds, « de ces sueurs froides et chaudes qui […] remontent au creux du dos » en altitude. Il s’agit moins d’un essai que du récit, écrit avec style, d’une excursion dans le massif du Mont-Blanc en quatre étapes qui structurent le livre – la montée, le bivouac, le sommet, la descente. Chemin faisant, le philosophe décrypte le sentiment de beauté mêlé d’effroi qui le saisit devant plus grand que soi, devant l’immensité incommensurable des montagnes, ce que Kant appelle le sublime. « Il n’y a de vertigineux que ce qui dépasse nos capacités de mesurer » pour Arthur Lochmann. Cela vaut quand on vacille aux sommets autant que face à l’absurdité de l’existence. Mais dans la contemplation du précipice, nous éprouvons aussi notre liberté : « Je crois d’ailleurs ne pas connaître de meilleur moyen pour intensifier la relation au monde, et m’y sentir plus vivant, que de la mettre ainsi sur la sellette », note-t-il. Pour apprivoiser ce vertige sans s’y abîmer, le philosophe invite à rompre avec la vision dualiste du monde que l’on doit à Descartes. Car en instaurant une distance avec le monde sensible, gagnés par un idéal trompeur de maîtrise, nous aurions perdu le sens de notre fragilité… ce qui nous aurait rendus paradoxalement plus vulnérables. Contre ce « désengagement », favorisé par une longue tradition philosophique pensant « notre rapport au monde sensible sur l’unique modèle de la vue », le grimpeur réévalue « une philosophie du toucher ». Dans ce modèle de perception active, celui qui perçoit est « inscrit dans le monde et non installé devant lui ». Pour lui, « ce n’est pas un œil, une oreille ou une main qui reçoit passivement le monde, mais l’activité d’un regard, d’une écoute ou d’un toucher » qui embrasse le réel. Ce qu’on appelle prendre de la hauteur !
Toucher le vertige
Livre
Miguel de Beistegui
L’Élan du désir
Publié le 26 août 2021
« Comment vivre son désir ? Comme une épreuve ou comme une célébration ? Comme une malédiction ou comme une chance ? » Une malédiction, répond la tradition philosophique de concert. Car, à l’exception de Spinoza et de Nietzsche, elle fait bloc autour d’un même présupposé : « une vie pleine et épanouie [consiste] à surmonter ou neutraliser son désir », à atteindre un état statique de plénitude – le bonheur – que le manque rendrait impossible. Contre ses éminents prédécesseurs, le spécialiste anglais de Heidegger Miguel de Beistegui affirme au contraire : « Le désir n’est pas l’indice d’un défaut. » S’il ne s’éteint jamais, c’est parce qu’il ne manque de rien, et non parce que rien ne pourrait le combler. Pure positivité « vitale », le désir exprime la « tendance profonde de la vie à se dépasser » – une « surabondance », un « excès » irréductible de la vie sur elle-même, qui jaillit d’une « béance originelle et [d’une] division inaugurale du sujet ». Le désir est l’élan premier par lequel nous sortons de nous-mêmes et nous engageons dans le monde, tout en prenant part à son « déploiement » : il « se loge précisément dans l’interstice qui sépare l’état actuel du monde de son horizon […] fait tout entier de potentiels inouïs, de virtualités aussi mystérieuses qu’inépuisables ». Il manifeste en ce sens une « inquiétude première, [un] vacillement ou déséquilibre intarissable ». Assumer cette intranquillité indépassable suppose d’« en aggraver l’entaille, afin qu’une multiplicité, un fourmillement de rencontres, d’événements et d’intensités viennent le peupler ». Rien de plus difficile, sans doute. Rien de plus exaltant, pourtant, que de se risquer sur cette voie de « l’immanence et de la joie ».
L’Élan du désir
Livre
Frédéric Gros
La honte est un sentiment révolutionnaire
Publié le 26 août 2021
« How dare you ? – Comment osez-vous ? », lançait Greta Thunberg il y a deux ans devant l’assemblée de l’ONU à New York à l’adresse des principaux dirigeants de la planète. Le moyen que la jeune activiste avait choisi pour se faire entendre d’eux – et provoquer une prise de conscience mondiale – était, littéralement, de les couvrir de honte. C’est que, comme l’explique Frédéric Gros, « la honte est un sentiment révolutionnaire ». Avec cette formule empruntée à Marx, il insiste sur l’énergie que donne ce « cri de rage » devenu le moteur de toutes les révoltes, et d’abord des combats politiques. Selon lui, en effet, « la honte est l’affect majeur de notre temps, le signifiant des luttes nouvelles. On ne crie plus à l’injustice, à l’arbitraire, à l’inégalité. On hurle à la honte. » Avec la honte, Frédéric Gros a donc trouvé ce qu’il cherchait dans son précédent livre, Désobéir (Albin Michel, 2017), à savoir une raison suffisante pour nous donner envie de transformer le monde. Loin d’être seulement cette souffrance intime qui pousse au repli sur soi, « la honte, explique-t-il, oscillation douloureuse entre tristesse et colère, connaît un double destin : le destin sombre et froid, qui défigure, conduit à la résignation solitaire ; le destin lumineux et brûlant, qui transfigure, anime les colères collectives ». La honte n’est donc pas honteuse mais utile, quand on se met à avoir honte pour quelqu’un, comme pour le rappeler à sa moralité oubliée : ce « faire-honte » n’était-il pas ce que faisait Socrate à sa manière, quand il humiliait l’ignorance ? Pour faire de la honte une arme, encore faut-il qu’elle concerne les bonnes personnes. C’est le sens du combat des victimes (de viol ou d’inceste notamment) qui libèrent leur parole pour que la honte « change de camp » et passe du côté des bourreaux. Le propre de la honte est en effet que son sentiment peut être en décalage avec la « situation objective » qui lui correspond : certains devraient avoir honte, alors qu’ils n’éprouvent rien de tel, tandis qu’inversement, d’autres ont honte pour un drame qui leur arrive mais dont ils ne sont pas responsables. On peut même avoir honte d’avoir honte, analyse Frédéric Gros en prenant appui sur Camus qui, dans Le Premier Homme, n’ose d’abord pas dire publiquement que sa mère fait des ménages… avant de comprendre qu’il la trahit en intériorisant le regard du mépris social. Sous toutes ses formes, directement ou de façon plus ambiguë, la honte nous alerte ainsi sur la dignité humaine que nous avons tous en commun.
La honte est un sentiment révolutionnaire
Livre
Pierre Rosanvallon
Les Épreuves de la vie
Publié le 26 août 2021
Nous ne comprenons plus le monde social. L’incapacité de la sociologie et des médias à caractériser un mouvement aussi hétérogène que les « gilets jaunes » l’a confirmé. Le sociologue et historien Pierre Rosanvallon voit là un tournant historique : le concept de classe a perdu de sa centralité pour penser les phénomènes sociaux. Les critères sociodémographiques usuels sont devenus incertains pour décrire les expériences communes qui structurent la société. L’auteur fait une proposition : plus que les intérêts ou les identités de classe, ce sont aujourd’hui les affects partagés dans ce qu’il nomme des « communautés d’épreuve » qui produisent des « communautés d’expérience » et, in fine, d’action. Il détaille quatre types d’épreuve – ainsi que l’évolution de leur conception dans l’histoire – en autant de chapitres : le mépris, l’injustice, la discrimination et l’incertitude. Les « gilets jaunes » sont hétérogènes socialement, mais ils partagent le ressentiment et la colère typiques de l’épreuve quotidienne du mépris (du voisin, de l’employeur, de l’agent d’État). Les sentiments d’anxiété ou de défiance, eux, renvoient à l’épreuve de l’incertitude exprimée, par exemple, dans les marches pour le climat ou les protestations contre la réforme des retraites. Dans La Société des égaux (Seuil, 2011), Rosanvallon avait repéré que l’indignation est moins affaire de statistiques que de sentiment d’être inconsidéré dans son existence. Ici, l’essai généralise une théorie des épreuves balisant un « paysage émotionnel du pays », une distribution des affects « qui guident les comportements et déterminent les rapports à autrui et aux institutions », comme le faisait hier l’ordre des classes représentées par des partis ou des syndicats en lutte. Les « communautés d’expérience », elles, ouvrent une ère nouvelle des mouvements sociaux sans représentation et sans tête.
Les Épreuves de la vie
Livre
Claude Lefort
Lectures politiques. De Dante à Soljenitsyne
Publié le 26 août 2021
Penseur de la démocratie et du totalitarisme, Claude Lefort, mort en 2010, a élaboré une œuvre hétéroclite parfois difficile à cartographier, entre essais, livres collectifs, revues et notes imposantes. Ces Lectures politiques en facilitent l’accès, puisque l’ouvrage regroupe dix préfaces rédigées par le philosophe, alors qu’il était à la fin de sa vie directeur de collection chez Belin. Le cofondateur du mouvement Socialisme ou Barbarie y commente Dante, La Boétie, Tocqueville et Merleau-Ponty (ses auteurs phares, ne manque que Machiavel), mais aussi Michelet, Guizot, ainsi que des récits du XXe siècle sur l’univers concentrationnaire. Ces analyses nous plongent avec passion dans des textes souvent méconnus : par exemple, « La monarchie de Dante », où Lefort voit la première conceptualisation moderne de la souveraineté et de la sécularité ; ou bien les « Souvenirs de Tocqueville », dont « l’indépendance d’esprit » séduit celui qui dénonça toute sa vie le suivisme des philosophes marxistes. L’éclectisme de ces choix d’auteurs n’en demeure pas moins cohérent, puisqu’il s’articule autour d’une question : « Quel est le fondement du pouvoir d’un seul ? » La réponse de Lefort est simple : il n’y en a pas. À travers une relecture éclatante du Discours de la servitude volontaire de La Boétie, le philosophe étaie sa conception de la démocratie comme « lieu vide du pouvoir » où toute idée d’unité doit être rejetée – « Le nom “d’un” assourdit les sujets et les rend muets ». Contre le fantasme d’une société qui serait une totalité non fragmentée, faisant corps avec un souverain, il fait sienne une « exigence de vérité » qui dénote au fond une inquiétude très contemporaine : voir le « désir de liberté » s’éteindre et avec lui la démocratie sombrer.
Lectures politiques. De Dante à Soljenitsyne
Livre
André Comte-Sponville
Dictionnaire philosophique (3e édition)
Publié le 26 août 2021
De tous les ouvrages qu’il a écrits, c’est celui qui est le plus cher au cœur d’André Comte-Sponville. C’est aussi le plus monumental, avec près de 1 500 pages qui couvrent pas moins de 2 267 entrées. Et il s’agit bien d’un « dictionnaire philosophique » et non d’un dictionnaire de philosophie, puisque l’auteur entend s’impliquer personnellement dans les définitions qu’il propose : « Mon propos, explique-t-il, n’était pas de faire œuvre historienne ou érudite, mais au contraire d’exposer ma pensée. » Parmi les 600 nouvelles entrées de cette édition enrichie, on en retrouve donc certaines qui montrent sa sensibilité pour la philosophie orientale avec les définitions de l’« ainsité » (le silence qu’impose l’expérience du réel) ou du « ren » (la vertu d’humanité selon le confucianisme). D’autres correspondent aux dernières tendances de la philosophie contemporaine, comme celles qui concernent l’« Anthropocène », le « soin » ou la « démocrature ». Des entrées inattendues surgissent également, par exemple lorsque Comte-Sponville dit du « fantôme » qu’il « n'existe que pour ceux qui y croient, qui sont punis, le cas échéant, par la peur qu'ils en ont », ou quand il écrit à propos du « savoir-vivre » : « On peut bien “apprendre à vivre”, comme disent Montaigne et Aragon, mais cet apprentissage, toujours personnel et inachevé, ne se transmue jamais en un savoir, que l'on pourrait transmettre. » Comme ce dictionnaire en quelque sorte, qui cherche moins à transmettre un savoir qu’à multiplier les occasions de penser.
Dictionnaire philosophique (3e édition)
CULTURE
Article 2 min
“Serre-moi fort” : à perte de vie
Cédric Enjalbert 26 août 2021
Dans Serre-moi fort, son nouveau film en tant que réalisateur, Mathieu Amalric plonge avec brio dans les affres de l'abandon.
“Serre-moi fort” : à perte de vie
Article 2 min
“Le Surréalisme dans l’art américain”. Art-west
Cédric Enjalbert 26 août 2021
Refermé sur lui-même, l'art américain ? C’est cette idée reçue que bat en brèche cette exposition visible jusqu'à fin septembre à La Vieille Charité à Marseille. Prenant appui sur le mouvement surréaliste, elle présente les influences croisées que le Vieux et le Nouveau Monde ont exercé l'un sur l'autre.
“Le Surréalisme dans l’art américain”. Art-west
Article 2 min
“Leurs enfants après eux”. À l’Est, rien de nouveau ?
Cédric Enjalbert 26 août 2021
Sur la magnifique scène du Théâtre du Peuple, à Bussang dans les Vosges, le metteur en scène Simon Delétang et les jeunes acteurs de l’École nationale supérieure des arts et techniques du théâtre donnent chair au roman du prix Goncourt 2018 – et lui-même vosgien – Nicolas Mathieu.
“Leurs enfants après eux”. À l’Est, rien de nouveau ?
OH ! LA BELLE VIE
Article 3 min
Conseil n° 11. Arrêtez de vous tâter !
François Morel 26 août 2021
Ça va arriver vite maintenant. Il n’y a plus de temps à perdre. On est déjà en septembre. Autant dire que dans un an, l’état de grâce pour le (ou la) nouveau (ou nouvelle) président(e) sera terminé depuis déjà un bon bout de temps. Vous avez remarqué : le temps s’accélère. Le ty..
Conseil n° 11. Arrêtez de vous tâter !
JEUX
Article 1 min
Philocroisés #72
Gaëtan Goron 26 août 2021
Horizontalement I. Titre d’ouvrages de Chrétien et de Benasayag. II. En l’État, elle n’est toujours pas satisfaite. Ville d’une Belle d’opérette. III. À la mode. Démonstratif. IV. Parole sacrée. V. Fait mal. Il dame le pion au roi. VI. P..
Philocroisés #71
QUESTIONNAIRE DE SOCRATE
Article 2 min
Céline Minard. Sur l’elle du désir
Léa Cuenin 26 août 2021
Après Le Dernier monde (2007) et Le Grand Jeu (2016), la romancière revient en cette rentrée littéraire avec Plasmas (Rivages), un texte inclassable qui nous expose à la fluidité de la langue, des frontières et des genres. Si ce livre est rangé dans la catégorie « science-fiction », Céline Minard, comme à son habitude, y dynamite les codes et invente une matière organique en perpétuelle métamorphose. C’est une histoire qui n’a ni début ni fin, comme suspendue entre deux mondes. Sa force réside dans sa manière de saisir le mouvement et de nous placer en air-time, cette sensation d’allégement et de perte d’équilibre ressentie au point culminant d’un saut, juste avant d’entamer la chute.
(Philomag) |
[n° ou bulletin] est un bulletin de / Alexandre Lacroix (2011)N°152 - Septembre 2021 - Sommes-nous si fragiles ? [texte imprimé] . - 2021 . - 98 p. : ill. en coul. ; 29 cm. Langues : Français ( fre) Catégories : | Philosophie
| Tags : | Fragilité humaine Philippe Descola grossesse Sénèque Pascal | Index. décimale : | 17 Morale. Éthique. Philosophie pratique | Résumé : | C’est peut-être le grand paradoxe des sociétés développées du XXIe siècle : nous n’avons de cesse d’évoquer notre fragilité et nos lignes de faille, nous nous savons environnés de risques multiples qui vont du krach financier à l’incident nucléaire… Et pourtant, l’expérience de la pandémie nous a montré que nos organisations complexes ont tenu le coup, qu’il n’y a pas eu d’effondrement systémique et que la plupart d’entre nous ont su se réinventer dans cette situation inédite. Du coup, serions-nous d’autant plus solides que nous nous savons fragiles ? (Philomag) | Note de contenu : | ÉDITO
Article 2 min
Si près de l’impossible
Alexandre Lacroix 26 août 2021
Voilà l’enseignement philosophique majeur du jeu de Kapla : c’est au moment où une construction, une tentative humaine va vraiment atteindre son maximum de perfection et d’harmonie qu’elle s’écroule. Et elle ne dégringole pas d’elle-même, mais parce que, quand l’ouvrage présent..
VOS QUESTIONS
Article 3 min
“D’où vient cette énergie quand je danse ?”
Charles Pépin 26 août 2021
Question de Samuel Habibi
“D’où vient cette énergie quand je danse ?”
REPÉRAGES
Article 1 min
Arles monte dans les tours
Octave Larmagnac-Matheron 26 août 2021
Spirale déstructurée de verre et de métal, la tour imaginée par Frank Gehry, étoile nord-américaine de l’architecture, contraste avec l’allure de la cité romaine d’Arles. Inauguré le 26 juin, l’édifice est le cœur battant du complexe artistique Luma, dont la mécène suisse Ma..
Arles monte dans les tours
Article 1 min
“Monstruosité”
Octave Larmagnac-Matheron 26 août 2021
« La monstruosité qui fait peur à certains et qui traverse mon travail, c’est une arme et c’est une force pour repousser les murs de la normativité » Julia Ducournau, le 17 juillet, lors de la réception de sa Palme d’or au Festival de Cannes &..
Article 1 min
Pathocène
Octave Larmagnac-Matheron 26 août 2021
Après l’Anthropocène, le Capitalocène, le Plantationocène, place au Pathocène ! La notion a été imaginée par l’historien Gil Bartholeyns dans son récent essai Le Hantement du monde. Zoonoses et Pathocène (Éditions Dehors, 2021). « Ce n’est peut-être pas une dénomination tr..
Pathocène
Article 1 min
“319”
Octave Larmagnac-Matheron 26 août 2021
C’est le record, en térabits par seconde (tb/s), de transmission de données sur Internet, permis par la nouvelle fibre optique développée par l’Institut national japonais des technologies de l’information et des communications. Le précédent, établi l’an dernier, était de 178 tb/..
Article 2 min
Un problème de poids
Octave Larmagnac-Matheron 26 août 2021
L’obésité touche… 8,5 millions de Français 17 % de la population en moyenne 22,1 % des habitants des Hauts-de-France 14,2 % des habitants d’Île-de-France 19,2 % des plus de 65 ans 16,7 % des 35-44 ans 9,2 % des 18-24 ans 14,4 % des professions int..
PERSPECTIVES
Article 3 min
Passe sanitaire : Macron a-t-il inventé la quasi-obligation ?
Octave Larmagnac-Matheron 26 août 2021
Certains souhaitent que la vaccination devienne obligatoire, quand d’autres dénoncent le passe sanitaire comme une entrave insupportable aux libertés. Le problème vient-il d’avoir voulu concilier des valeurs contradictoires ?
Passe sanitaire : Macron a-t-il inventé la quasi-obligation ?
Article 3 min
Extension du domaine de la ZOP
Cédric Enjalbert 26 août 2021
De nombreuses mesures adoptées temporairement durant la crise sanitaire se trouvent désormais normalisées. Faut-il craindre que cette « zone d’ossification du provisoire » aille contre l’élan vital, comme le pressentait Bergson ?
Extension du domaine de la ZOP
Article 3 min
Quentin Hiernaux : “Dans notre tradition, la plante est placée tout en bas de l’échelle des êtres vivants”
Octave Larmagnac-Matheron 26 août 2021
Une équipe de chercheurs singapouriens s’est lancée dans un projet un peu fou : créer des « robots-plantes ». Une démarche que critique le philosophe spécialiste de la question végétale Quentin Hiernaux.
Quentin Hiernaux : “Dans notre tradition, la plante est placée tout en bas de l’échelle des êtres vivants”
Article 3 min
Musk-Bezos : la guerre des étoiles
Sven Ortoli 26 août 2021
Enjeu d’une concurrence entre États durant la guerre froide, la conquête spatiale est aujourd’hui l’objet d’une rivalité entre les plus riches, Jeff Bezos et Elon Musk en tête. Mais avec deux visions opposées de cet impérialisme extraterrestre.
Musk-Bezos : la guerre des étoiles
AU FIL D’UNE IDÉE
Article 2 min
Tattoo compris
Sven Ortoli 26 août 2021
Ötzi, le chasseur de l’âge du cuivre prisonnier des glaces pendant 5 300 ans avant sa découverte dans les Alpes en 1991, arborait 61 tatouages. Le Néo-Zélandais Lucky Diamond Rich, de son vrai nom Gregory Paul McLaren, est l’homme le plus tatoué au monde avec 10..
Tattoo compris
ETHNOMYTHOLOGIES
Article 3 min
Boxe en plein air. Le punch des amazones
Tobie Nathan 26 août 2021
De plus en plus d’amateurs revêtent les gants pour s’entraîner dans les parcs et jardins. Et parmi eux, nombre de femmes. Culte du corps, féminisme en action ou prophétie de Platon enfin réalisée ?
Boxe en plein air. Le punch des amazones
RENCONTRE
Article 15 min
Déni de grossesse
Octave Larmagnac-Matheron 26 août 2021
La philosophie s’intéresse très peu à la naissance, et encore moins à la gestation. Elselijn Kingma a choisi d’en faire son objet d’étude. À la croisée des sciences, de la phénoménologie et de sa propre expérience, sa pensée définit le fœtus comme partie biologique de la mère.
Déni de grossesse
LE MÉTIER DE VIVRE
Article 8 min
François Galichet. La liberté et la mort
Nicolas Gastineau 26 août 2021
Ce professeur émérite de philosophie à l’université de Strasbourg est aussi un homme d’engagement. Depuis presque dix ans, il milite pour le droit à mourir dans la dignité, aidant ceux qui le souhaitent à se procurer la substance fatale en toute illégalité. Un choix qui lui vaut aujourd’hui d’être mis en examen mais qu’il fonde sur des convictions éthiques.
François Galichet. La liberté et la mort
MOTIFS CACHÉS
Article 3 min
Chatbots, gardiens des enfers numériques
Isabelle Sorente 26 août 2021
Hybrides d’aujourd’hui, ces programmes de dialogue sont d’un abord moins terrifiant que leurs devanciers légendaires – Sphinx ou sirènes… Mais cela ne les empêche pas de nous mettre à rude épreuve.
Chatbots, gardiens des enfers numériques
DOSSIER
6 articles
Sommes-nous si fragiles ?
Publié le 25 août 2021
C’est peut-être le grand paradoxe des sociétés développées du XXIe siècle : nous n’avons de cesse d’évoquer notre fragilité et nos lignes de faille, nous nous savons environnés de risques multiples qui vont du krach financier à l’incident nucléaire… Et pourtant, l’expérience de la pandémie nous a montré que nos organisations complexes ont tenu le coup, qu’il n’y a pas eu d’effondrement systémique et que la plupart d’entre nous ont su se réinventer dans cette situation inédite. Du coup, serions-nous d’autant plus solides que nous nous savons fragiles ? > Des larmes de Pline l’Ancien à l’écume de Peter Sloterdijk, en passant par le cristal de Sigmund Freud, de l’Antiquité à nos jours, les penseurs ont toujours trouvé des images matérielles de la fragilité, tout à la fois pour la magnifier et la conjurer. > Car, bien plus qu’une disposition psychologique, la fragilité est peut-être la condition métaphysique première de l’être humain : c’est ce que nous explique le jeune philosophe et charpentier Arthur Lochmann dans un texte inspiré sur le ciel étoilé. > Mais pour revenir à l’échelle de nos sociétés, leur résistance au choc pandémique ne peut être vraiment comprise et analysée qu’en faisant un peu de théorie de la complexité : c’est ce que nous proposent la macroéconomiste Anne-Laure Delatte, le mathématicien David Chavalarias, l’expert en agronomie Marc Dufumier et la psychologue Florence Sordes. > Voici une intervention qui prend la thèse centrale de notre dossier à revers : partant d’une lecture originale de Friedrich Nietzsche comme promoteur (involontaire) de la pleurnicherie, le philosophe allemand Wolfram Eilenberger dénonce l’étalage contemporain des petites blessures personnelles. > Si elle donne un fil rouge à ce dossier, la pensée de Jean-Louis Chrétien (disparu en 2019), qui a consacré de beaux essais à la fatigue, aux larmes ou encore à la voix, réunit dans ce dialogue conclusif deux interlocuteurs de choix : elle continue d’inspirer le philosophe Camille Riquier et la romancière Maylis de Kerangal, qui posent des mots justes sur la sensibilité humaine.
Sommes-nous si fragiles ?
Article 6 min
Ni fort ni faible !
Cédric Enjalbert 25 juillet 2021
Parente de la faiblesse et de la vulnérabilité, la fragilité a sa propre dignité conceptuelle. Cette disposition humaine, redécouverte à l’occasion de la crise sanitaire, dessine une troisième voie, un chemin de liberté entre la résistance aux chocs et l’adaptation aux événements.
Ni fort ni faible !
Article 10 min
À manier avec précaution
Cédric Enjalbert 26 août 2021
Depuis l’Antiquité, les penseurs rivalisent de métaphores pour décrire la condition de l’homme, aussi grand que misérable, et chacun offre sa stratégie pour faire avec ses failles. Tour d’horizon, de Sénèque à Sloterdijk.
À manier avec précaution
Article 6 min
Vertige d’une nuit d’été
Arthur Lochmann 26 août 2021
Philosophe et charpentier, Arthur Lochmann pratique aussi la randonnée en montagne. Dans son nouveau livre Toucher le vertige, il relate à l’occasion de son ascension du massif du Mont-Blanc une expérience physique et métaphysique : la perte des repères et la peur du vide. L’écrivain expose ici ce que la contemplation des sommets révèle de notre rapport fragile à soi et au monde.
Vertige d’une nuit d’été
Article 10 min
Lignes de faille
Charles Perragin 26 août 2021
Le choc du Covid faisait craindre un effondrement – sanitaire, économique, logistique. Pourtant, et pour l’essentiel, nous avons tenu. Comment ? Réponses avec une macroéconomiste, un mathématicien spécialiste des systèmes complexes, un ingénieur agronome et une chercheuse en psychologie.
Lignes de faille
Article 6 min
Wolfram Eilenberger : “Le courage est une vertu démocratique”
Alexandre Lacroix 26 août 2021
Et si, à force d’étaler notre fragilité, nous étions en train de nous couper du monde et des autres, de nous refermer sur nous-mêmes et de vider de sa substance la vie démocratique ? Tel est le constat à contre-courant du philosophe allemand Wolfram Eilenberger.
Wolfram Eilenberger : “Le courage est une vertu démocratique”
Dialogue 15 min
Maylis de Kerangal-Camille Riquier. À voix nues
Catherine Portevin 26 août 2021
La fêlure est au cœur du travail et des réflexions de Maylis de Kerangal et de Camille Riquier. Pour la romancière comme pour le philosophe, elle est un révélateur de notre humanité.
Maylis de Kerangal-Camille Riquier. À voix nues
L’ENTRETIEN
Entretien 19 min
Philippe Descola. “Rendre visibles des choses invisibles”
Alexandre Lacroix 26 août 2021
Quinze ans après Par-delà nature et culture, le grand anthropologue français, élève de Claude Lévi-Strauss, fait paraître Les Formes du visible, un essai fondamental qui éclaire d’une lumière nouvelle toutes les « images » produites par les humains, depuis les grottes de Lascaux jusqu’aux masques des Indiens d’Amazonie, en passant par l’art occidental.
Philippe Descola. “Rendre visibles des choses invisibles”
LE CLASSIQUE SUBJECTIF
3 articles
Blaise Pascal vu par Elsa Godart
Publié le 26 août 2021
Pascal, un génie, « créateur en toute chose » ? Oui, mais pas seulement, répond la philosophe et psychanalyste Elsa Godart, pour qui il est un compagnon précieux dans les épreuves du quotidien. Elle partage avec l’auteur des Pensées une éthique de la sincérité qu’elle expose ici avec passion.
Blaise Pascal, révéler les ombres
Article 12 min
Elsa Godart : “Pour Pascal, la vérité ne peut passer que par le cœur”
Victorine de Oliveira 26 août 2021
Pascal, un génie, « créateur en toute chose » ? Oui, mais pas seulement, répond la philosophe et psychanalyste Elsa Godart, pour qui il est un compagnon précieux dans les épreuves du quotidien. Elle partage avec l’auteur des Pensées une éthique de la sincérité qu’elle expose ici avec passion.
Blaise Pascal, révéler les ombres
Article 2 min
Un extrait de Blaise Pascal commenté par Elsa Godart
Victorine de Oliveira 05 septembre 2021
L’extrait de Blaise Pascal « Qu’est-ce que le moi ? Un homme qui se met à la fenêtre pour voir les passants, si je passe par là, puis-je dire qu’il s’est mis là pour me voir ? Non, car il ne pense pas à moi en particulier. Mais celui qui aime quelqu’un à cause..
Blaise Pascal, révéler les ombres
Article 4 min
Blaise Pascal, révéler les ombres
Victorine de Oliveira 05 septembre 2021
Quelle posture adopter face à l’infini qui nous enveloppe ? Pascal est tout entier pris dans ce questionnement métaphysique qui souligne aussi bien la finitude de l’être humain que la force de sa pensée.
Blaise Pascal, révéler les ombres
BOÎTE À OUTILS
Article 3 min
Pourquoi aimons-nous faire des puzzles ?
Océane Gustave 26 août 2021
Il en traîne, plus ou moins complets, dans tous les placards. Mais qu’est-ce qui nous attire dans ce jeu de patience très sage ? Quatre philosophes nous aident à recoller les morceaux.
Pourquoi aimons-nous faire des puzzles ?
Article 1 min
Meraki (μεράκι)
Octave Larmagnac-Matheron 26 août 2021
Langue d’origine : grec
Article 2 min
“Sécurité”
Margot Monteils 26 août 2021
Cinq philosophes lèvent l’incertitude sur cette notion.
BACK PHILO
Bac philo 6 min
Que peuvent les mots ?
Aïda N’Diaye 26 août 2021
Analyse des termes du sujet « Pouvoir » Pouvoir matériel, capacité à produire des effets, à agir, à faire, à transformer ou à fabriquer des choses, puissance, force. « Mots » Signes arbitraires, symboles, écrits ou parlés.
LIVRES
Article 2 min
Pendant que j’y pense/Septembre 2021
Catherine Portevin 26 août 2021
Est-ce bien le moment, en pleine rentrée, de parler de nuits sans sommeil ? Parmi tous les livres captivants qui s’annoncent en librairie et méritent bien quelques heures de veille, il en est un qui, sur une table de nuit, narguera la plus résolue des marmottes. Son titre : Pas dormir (P..
Livre
Susan Neiman
Grandir
Publié le 25 août 2021
La jeunesse est-elle autant qu’on le croit le plus bel âge de la vie ? C’est contre cette idée qu’écrit Susan Neiman (photo) : dire aux jeunes de profiter de leurs meilleures années peut sembler bienveillant. Pourtant, estime-t-elle, le conseil « comprend un message désolant : après c’est pire ». La philosophe interroge ainsi une époque qui présente l’âge adulte comme le moment de la désillusion, voire de la trahison. Quant à la vieillesse, elle ne peut être qu’un naufrage ! Dès lors, rien d’étonnant à ce que nous soyons tous, à des degrés et sous des formes diverses, saisis par le syndrome de Peter Pan : si la maturité consiste à « renoncer à ses espoirs et à ses rêves, [à] accepter les limites de la réalité et [à] se résigner à une vie […] beaucoup plus insignifiante que ce qu’on avait imaginé », à quoi bon grandir ? L’idéalisation de la jeunesse va de pair avec cette capitulation : « En interprétant la vie comme une longue chute, nous préparons les jeunes à en attendre – et à en revendiquer – très peu. » Susan Neiman n’est pas la première à s’emparer de la question de l’éducation. En spécialiste de Hannah Arendt, cette philosophe américaine, née en 1955 et vivant à Berlin, a de qui tenir ! Mais, dans cet essai au ton libre et personnel, elle semble moins préoccupée de la crise de l’autorité que son illustre prédécesseur dans La Crise de la culture. Neiman déplore davantage l’abandon des idéaux. Or, dit-elle, prétendre affronter la dureté de la réalité est souvent une lâcheté : « Elle ne requiert rien d’autre qu’un air snob et un peu dégagé. » Et si, suggère-t-elle, nous vivions en réalité dans une culture « qui ne veut pas d’adultes, car les sujets infantiles et obsédés par eux-mêmes sont plus faciles à diriger ? » « Est-ce que la philosophie peut nous aider à grandir ? » reste la question principale de ce livre. Susan Neiman la situe historiquement dans l’héritage des Lumières, le moment où il s’agit de penser l’individu et la condition humaine hors des dogmes de la religion. Elle cherche ainsi assez classiquement un « modèle de maturité qui ne soit pas celui de la résignation » et trace un chemin de crête entre les sagesses de l’acceptation du monde tel qu’il est (le stoïcisme) et les sceptiques (Hume, chez qui elle décèle une forme de froideur rarement appliquée à son empirisme), qui passe par une subtile relecture de l’Émile du « passionnant mais exaspérant » Rousseau et s’accroche au socle de Kant. Susan Neiman parvient même à nous rendre séduisante sa Critique de la raison pure, le livre « le plus important et le plus mal écrit de l’histoire de la philosophie moderne ». En se défiant du dogmatisme de la raison comme du désespoir que procure l’expérience, dans un juste milieu entre agir pour le monde tel qu’il devrait être et le voir tel qu’il est, le message de Kant demeure le meilleur accès à la maturité. Susan Neiman le traduit pour aujourd’hui en trois actes : apprendre, voyager, travailler.
Grandir
Livre
Pierre Darkanian
Le Rapport chinois
Publié le 26 août 2021
« Un bullshit job, écrivait l’anthropologue américain David Graeber, est une forme d’emploi rémunéré si totalement inutile, superflue ou néfaste que même le salarié ne parvient pas à justifier son existence, bien qu’il se sente obligé, pour honorer les termes de son contrat, de croire qu’il n’en est rien. » Dans leur immense majorité, ces emplois sont sous-rémunérés, mais il en existe quelques-uns, d’autant plus énigmatiques, que l’on pourrait appeler des « bullshit jobs de luxe ». C’est sur l’une de ces sinécures mystérieuses qu’est tombé le personnage principal de ce roman. Embauché pour un haut salaire dans un cabinet de consultants, Tugdual Laugier traverse d’abord trois ans d’oisiveté absolue où, dans la pénombre calfeutrée de son bureau, il passe maître dans l’art de rouler et de dérouler sa cravate. Sa seule contrainte est la confidentialité : nul ne doit être au courant du néant de sa mission. Astreints à la plus extrême discrétion, les salariés du cabinet en viennent à psalmodier une sorte de mantra autopersuasif. « Ça bosse chez Laugier ! » ne cesse de murmurer pour lui-même le jeune consultant, lorsqu’on lui confie enfin la tâche tant espérée : rédiger, pour le compte d’un client chinois, un rapport de mille pages sur le marché français des mini-viennoiseries. Dès lors, tout bascule, la mégalomanie et le vide vont s’engendrer l’un l’autre. Fatras indigeste rémunéré une fortune par un certain M. Dong, le « rapport chinois » intrigue une commissaire de la police des stupéfiants. Peu à peu se dévoilent une énorme machine à blanchir des fonds obscurs, puis un système complexe d’escroqueries en cascade. Par touches successives, dans un crescendo aux allures de vaudeville, la comédie du travail se mue en épopée de la finance opaque. Dans ce surprenant roman – qui restitue avec une jubilation ventriloque les langues de bois, jargons et tics de langage de l’entreprise –, l’énergie burlesque est le moteur de l’exploration d’un capitalisme en décomposition.
Le Rapport chinois
Livre
Camille Froidevaux-Metterie
Un corps à soi
Publié le 26 août 2021
Camille Froidevaux-Metterie creuse un sillon tout personnel dans le champ de la théorie féministe. Depuis la parution en 2015 de La Révolution du féminin (Gallimard), où elle interroge la disparition du corps féminin à travers la lutte pour l’égalité des droits, la question de la corporéité féminine traverse son œuvre. Qu’est-ce que vivre avec un corps de femme ? Quelles sont les implications sociales, politiques, phénoménologiques, d’une paire de seins, des règles, d’une jupe, de talons hauts ou de tout autre attribut perçu comme féminin ? En s’intéressant plus particulièrement aux Seins (Anamosa, 2020) et en interrogeant et photographiant des femmes de tout âge, Camille Froidevaux-Metterie a découvert une chose intéressante : l’identité féminine se construit selon un mouvement dialectique d’« objectivation-aliénation », d’une part, et de « libération-réappropriation », d’autre part. Les seins sont ce par quoi les femmes sont exclusivement identifiées à leur corps – la femme-objet –, mais aussi ce par quoi elles entretiennent un rapport au monde qui leur est propre, puisqu’il passe par un corps dont elles tirent parfois fierté – la femme-sujet. C’est ce rapport spécifique au monde qu’elle explore désormais dans Un corps à soi. À l’heure où les féministes se déchirent pour savoir qui a le droit de se déclarer « femme » – les débats se focalisant autour des transgenres –, son opposition féminin vs. féminité a le grand mérite de clarifier le débat. Le féminin est « un rapport à soi, aux autres et au monde qui passe nécessairement par le corps et qui se trouve de ce fait déterminé par lui », quand la féminité correspond aux clichés associés aux femmes : douceur, fragilité, frivolité. « Parce qu’elles n’ont longtemps été que des corps, tout entières assimilées à leurs fonctions sexuelle et maternelle, les femmes ne peuvent faire comme si elles n’avaient pas de corps, et plus encore, comme si elles n’avaient pas de corps sexué » : cela signifie que le féminin se construit sur la réappropriation de ce corps sexué dès la sortie de l’enfance par le regard masculin, quand le masculin ne se soucie pas du regard de l’autre sexe. Cette urgence de remettre le corps féminin au centre du projet féministe, Camille Froidevaux-Metterie la doit à la philosophe américaine Iris Marion Young (1949-2006). Depuis Le Corps des femmes (Philosophie magazine Éditeur, 2018), elle s’emploie à faire découvrir ses travaux, encore peu connus en France. Si Young revient à « ces expériences ordinaires du corps par lesquelles la plupart des femmes s’identifient spécifiquement en tant que femmes », elle critique également le « féminisme humaniste » et son « aspiration à l’universalité abstraite ». Pas étonnant que Camille Froidevaux-Metterie prenne autant de précautions et lui consacre un chapitre entier, afin de désamorcer un débat d’avance miné. Le féminisme de Camille Froidevaux-Metterie revêt la forme d’un « projet révolutionnaire, au sens rigoureux d’un renversement de l’ordre patriarcal et de son remplacement par un monde foncièrement nouveau ». La fin du patriarcat ne semble pas pour demain, mais rêvons un peu : une fois débarrassée de l’objectification, quelle serait l’expérience singulière de la corporéité féminine ? Ce suspens excite autant qu’il donne le vertige.
Un corps à soi
Livre
François Noudelmann
Les Enfants de Cadillac
Publié le 26 août 2021
C’est l’histoire d’un homme qui se met à s’interroger sur ses origines et son patronyme. Et d’un professeur de philosophie qui, après avoir beaucoup écrit sur les autres – Sartre ou Beckett –, revient sur lui-même en signant un premier roman autobiographique. Un peu par le hasard des circonstances, un peu à la suite de son installation aux États-Unis qui lui a donné un angle de vue nouveau, François Noudelmann (photo) s’est surpris à voir cette quête de soi s’imposer à lui : explorer son identité française telle qu’elle s’est construite à travers trois générations. Trois portraits d’hommes plus précisément – les femmes sont à peine évoquées –, qui résonnent comme les trois actes d’une pièce de théâtre aux accents parfois tragiques. Le premier retrace l’épopée de Chaïm, son grand-père qu’il n’a pas connu, fuyant les persécutions contre les Juifs en Lituanie pour prendre part à la Grande Guerre dans l’armée française et obtenir sa naturalisation ; mais après avoir inhalé du gaz allemand, il est déclaré « fou de guerre » et interné à Sainte-Anne. Vient ensuite son père, Albert, « titi parisien, avec l’accent et la gouaille d’un poulbot de Montmartre », pour lequel le récit passe au tutoiement. On sent beaucoup de sympathie de Noudelmann fils pour ce personnage qui, après avoir été fait prisonnier pendant la Seconde Guerre mondiale et avant d’échapper à l’exécution, séduit une cheffe nazie qui lui enseigne le vocabulaire amoureux allemand… « Entre Chaïm et Albert, un récit a bégayé, celui de l’assimilation des Juifs, le fils oubliant son père et poursuivant un même désir de fuir ses origines et de s’incorporer à la France, quitte à recevoir son passé en pleine face », constate le narrateur dans la troisième partie où le « je » assume de porter le poids et l’héritage du passé. « J’ai l’intuition qu’être français doit à leurs souffrances et désillusions », écrit François Noudelmann sans prétendre pour autant revendiquer ce qu’il appelle leur « prestige victimaire », puisqu’il a conscience de n’avoir pas connu personnellement les mêmes épreuves. Évitant les écueils de la complaisance et du nombrilisme, son roman mêle réflexions sur la judéité – « pour se faire aimer, quand on est juif, il faut savoir être un peu antisémite » –, récits de vies, d’engagements politiques et d’espoirs parfois insensés. Il nous rappelle surtout combien nos existences sont toujours nourries d’une mémoire qui se décline aux trois personnes du singulier.
Les Enfants de Cadillac
Livre
Gaspard Kœnig
Notre vagabonde liberté
Publié le 26 août 2021
Nous sommes le 22 juin 2020 : la France se déconfine timidement – et provisoirement –, et Gaspard Kœnig, quittant tout, entreprend de la traverser à cheval. Le voilà, lui qui défend la philosophie libérale classique avec son think-tank GénérationLibre, parti sur les pas de Montaigne entre le Périgord et Rome, avec de longs détours par « le Berry et ses chaumes sans ombre », « la Sologne et ses étangs » ou encore « la Meuse et ses reflets fluorescents ». Un voyage flamboyant et anachronique… qui commence pour Kœnig par un faux départ. Il n’a pas fait 500 mètres que sa route est barrée par « un épais tronc d’arbre », puis par « une barre de fer ». Une manière de rappeler que nos chemins ne sont plus adaptés à « la circulation hippomobile ». Défi un peu fou, donc, que celui de parcourir 2 500 kilomètres à cheval en 2020. Rêne cassée, attaques perpétuelles de « petites mouches plates », sentiers bouchés sont le pain quotidien du cavalier moderne. Au cours de son périple, le philosophe renonce donc souvent à ce qu’il avait planifié pour bidouiller, contourner, bifurquer… Mais c’est sur ces chemins de traverse qu’il est le plus fidèle à Montaigne pour qui « rien de noble ne se fait sans hasard ». Le libéral en lui a ainsi trouvé dans ce voyage une ultime manière d’expérimenter une liberté vibrante et solaire, pleine d’imprévus poétiques et d’heureuses rencontres. Tant pis, donc, pour le faux départ, les détours… et même pour l’arrivée ratée à Rome où il est rabroué par des policiers. Car, selon lui, ce n’est pas sur les routes officielles mais loin des sentiers battus, et même « hors des normes », dans les « interstices » et « à la marge des lois », que s’exerce pleinement la « vagabonde liberté » si chère au cœur de Montaigne.
Notre vagabonde liberté
Livre
Isabelle Sorente
La Femme et l’Oiseau
Publié le 26 août 2021
Il y a des malédictions qui traversent plusieurs générations. Celle de Thomas remonte à la Seconde Guerre mondiale et à son enrôlement de force dans l’armée allemande, puis à sa détention dans un camp de prisonniers en URSS, celui de Tambov (au sud-est de Moscou). On a surnommé ces soldats français, pour la plupart originaires de l’Alsace et de la Moselle annexées, les « Malgré-nous ». Ils n’avaient pas le choix – ou alors celui d’exposer leur famille à des représailles, voire de mourir eux-mêmes, sans que cela ne change grand-chose au cours de l’histoire. Les décennies suivantes ont peut-être porté des enjeux moins lourds pour leurs descendants. Il n’en demeure pas moins qu’il leur arrive encore d’être pris « malgré eux » dans ce qui ressemble tout autant à un enrôlement de force, peut-être plus insidieux. Élisabeth, la petite-nièce de Thomas, peine par exemple à se dépêtrer d’un travail qui exige d’elle un engagement total, week-end compris. Sa fille Vina est elle aussi confrontée à la douleur des choix : que fait-on librement ou par contrainte, du fait de son milieu social, de son éducation ou des opportunités ? Le thème de l’entrave hante le roman d’Isabelle Sorente. Elle y répond par la puissance de l’imaginaire d’un esprit, celui de Thomas, légèrement chamane sur les bords, capable de sortir de son corps pour se mettre à la place d’un oiseau ou d’un arbre, afin d’opérer un décentrement salvateur. Manière de dire que toute bête traquée que l’on puisse se sentir, on n’est jamais tout à fait pris au piège.
La Femme et l’Oiseau
Livre
Arthur Lochmann
Toucher le vertige
Publié le 26 août 2021
« J’aimais l’altitude, mais j’avais le vertige. » Parole de philosophe et de charpentier, car Arthur Lochmann ne manie pas seulement les concepts, il travaille aussi le bois et grimpe sur les toits. Il en a témoigné dans un précédent livre, La Vie solide. La charpente comme éthique du faire (Payot, 2019), et revient dans celui-ci sur une expérience physique et métaphysique : celle de « ces moments informes et sauvages » où le monde semble se dérober sous les pieds, « de ces sueurs froides et chaudes qui […] remontent au creux du dos » en altitude. Il s’agit moins d’un essai que du récit, écrit avec style, d’une excursion dans le massif du Mont-Blanc en quatre étapes qui structurent le livre – la montée, le bivouac, le sommet, la descente. Chemin faisant, le philosophe décrypte le sentiment de beauté mêlé d’effroi qui le saisit devant plus grand que soi, devant l’immensité incommensurable des montagnes, ce que Kant appelle le sublime. « Il n’y a de vertigineux que ce qui dépasse nos capacités de mesurer » pour Arthur Lochmann. Cela vaut quand on vacille aux sommets autant que face à l’absurdité de l’existence. Mais dans la contemplation du précipice, nous éprouvons aussi notre liberté : « Je crois d’ailleurs ne pas connaître de meilleur moyen pour intensifier la relation au monde, et m’y sentir plus vivant, que de la mettre ainsi sur la sellette », note-t-il. Pour apprivoiser ce vertige sans s’y abîmer, le philosophe invite à rompre avec la vision dualiste du monde que l’on doit à Descartes. Car en instaurant une distance avec le monde sensible, gagnés par un idéal trompeur de maîtrise, nous aurions perdu le sens de notre fragilité… ce qui nous aurait rendus paradoxalement plus vulnérables. Contre ce « désengagement », favorisé par une longue tradition philosophique pensant « notre rapport au monde sensible sur l’unique modèle de la vue », le grimpeur réévalue « une philosophie du toucher ». Dans ce modèle de perception active, celui qui perçoit est « inscrit dans le monde et non installé devant lui ». Pour lui, « ce n’est pas un œil, une oreille ou une main qui reçoit passivement le monde, mais l’activité d’un regard, d’une écoute ou d’un toucher » qui embrasse le réel. Ce qu’on appelle prendre de la hauteur !
Toucher le vertige
Livre
Miguel de Beistegui
L’Élan du désir
Publié le 26 août 2021
« Comment vivre son désir ? Comme une épreuve ou comme une célébration ? Comme une malédiction ou comme une chance ? » Une malédiction, répond la tradition philosophique de concert. Car, à l’exception de Spinoza et de Nietzsche, elle fait bloc autour d’un même présupposé : « une vie pleine et épanouie [consiste] à surmonter ou neutraliser son désir », à atteindre un état statique de plénitude – le bonheur – que le manque rendrait impossible. Contre ses éminents prédécesseurs, le spécialiste anglais de Heidegger Miguel de Beistegui affirme au contraire : « Le désir n’est pas l’indice d’un défaut. » S’il ne s’éteint jamais, c’est parce qu’il ne manque de rien, et non parce que rien ne pourrait le combler. Pure positivité « vitale », le désir exprime la « tendance profonde de la vie à se dépasser » – une « surabondance », un « excès » irréductible de la vie sur elle-même, qui jaillit d’une « béance originelle et [d’une] division inaugurale du sujet ». Le désir est l’élan premier par lequel nous sortons de nous-mêmes et nous engageons dans le monde, tout en prenant part à son « déploiement » : il « se loge précisément dans l’interstice qui sépare l’état actuel du monde de son horizon […] fait tout entier de potentiels inouïs, de virtualités aussi mystérieuses qu’inépuisables ». Il manifeste en ce sens une « inquiétude première, [un] vacillement ou déséquilibre intarissable ». Assumer cette intranquillité indépassable suppose d’« en aggraver l’entaille, afin qu’une multiplicité, un fourmillement de rencontres, d’événements et d’intensités viennent le peupler ». Rien de plus difficile, sans doute. Rien de plus exaltant, pourtant, que de se risquer sur cette voie de « l’immanence et de la joie ».
L’Élan du désir
Livre
Frédéric Gros
La honte est un sentiment révolutionnaire
Publié le 26 août 2021
« How dare you ? – Comment osez-vous ? », lançait Greta Thunberg il y a deux ans devant l’assemblée de l’ONU à New York à l’adresse des principaux dirigeants de la planète. Le moyen que la jeune activiste avait choisi pour se faire entendre d’eux – et provoquer une prise de conscience mondiale – était, littéralement, de les couvrir de honte. C’est que, comme l’explique Frédéric Gros, « la honte est un sentiment révolutionnaire ». Avec cette formule empruntée à Marx, il insiste sur l’énergie que donne ce « cri de rage » devenu le moteur de toutes les révoltes, et d’abord des combats politiques. Selon lui, en effet, « la honte est l’affect majeur de notre temps, le signifiant des luttes nouvelles. On ne crie plus à l’injustice, à l’arbitraire, à l’inégalité. On hurle à la honte. » Avec la honte, Frédéric Gros a donc trouvé ce qu’il cherchait dans son précédent livre, Désobéir (Albin Michel, 2017), à savoir une raison suffisante pour nous donner envie de transformer le monde. Loin d’être seulement cette souffrance intime qui pousse au repli sur soi, « la honte, explique-t-il, oscillation douloureuse entre tristesse et colère, connaît un double destin : le destin sombre et froid, qui défigure, conduit à la résignation solitaire ; le destin lumineux et brûlant, qui transfigure, anime les colères collectives ». La honte n’est donc pas honteuse mais utile, quand on se met à avoir honte pour quelqu’un, comme pour le rappeler à sa moralité oubliée : ce « faire-honte » n’était-il pas ce que faisait Socrate à sa manière, quand il humiliait l’ignorance ? Pour faire de la honte une arme, encore faut-il qu’elle concerne les bonnes personnes. C’est le sens du combat des victimes (de viol ou d’inceste notamment) qui libèrent leur parole pour que la honte « change de camp » et passe du côté des bourreaux. Le propre de la honte est en effet que son sentiment peut être en décalage avec la « situation objective » qui lui correspond : certains devraient avoir honte, alors qu’ils n’éprouvent rien de tel, tandis qu’inversement, d’autres ont honte pour un drame qui leur arrive mais dont ils ne sont pas responsables. On peut même avoir honte d’avoir honte, analyse Frédéric Gros en prenant appui sur Camus qui, dans Le Premier Homme, n’ose d’abord pas dire publiquement que sa mère fait des ménages… avant de comprendre qu’il la trahit en intériorisant le regard du mépris social. Sous toutes ses formes, directement ou de façon plus ambiguë, la honte nous alerte ainsi sur la dignité humaine que nous avons tous en commun.
La honte est un sentiment révolutionnaire
Livre
Pierre Rosanvallon
Les Épreuves de la vie
Publié le 26 août 2021
Nous ne comprenons plus le monde social. L’incapacité de la sociologie et des médias à caractériser un mouvement aussi hétérogène que les « gilets jaunes » l’a confirmé. Le sociologue et historien Pierre Rosanvallon voit là un tournant historique : le concept de classe a perdu de sa centralité pour penser les phénomènes sociaux. Les critères sociodémographiques usuels sont devenus incertains pour décrire les expériences communes qui structurent la société. L’auteur fait une proposition : plus que les intérêts ou les identités de classe, ce sont aujourd’hui les affects partagés dans ce qu’il nomme des « communautés d’épreuve » qui produisent des « communautés d’expérience » et, in fine, d’action. Il détaille quatre types d’épreuve – ainsi que l’évolution de leur conception dans l’histoire – en autant de chapitres : le mépris, l’injustice, la discrimination et l’incertitude. Les « gilets jaunes » sont hétérogènes socialement, mais ils partagent le ressentiment et la colère typiques de l’épreuve quotidienne du mépris (du voisin, de l’employeur, de l’agent d’État). Les sentiments d’anxiété ou de défiance, eux, renvoient à l’épreuve de l’incertitude exprimée, par exemple, dans les marches pour le climat ou les protestations contre la réforme des retraites. Dans La Société des égaux (Seuil, 2011), Rosanvallon avait repéré que l’indignation est moins affaire de statistiques que de sentiment d’être inconsidéré dans son existence. Ici, l’essai généralise une théorie des épreuves balisant un « paysage émotionnel du pays », une distribution des affects « qui guident les comportements et déterminent les rapports à autrui et aux institutions », comme le faisait hier l’ordre des classes représentées par des partis ou des syndicats en lutte. Les « communautés d’expérience », elles, ouvrent une ère nouvelle des mouvements sociaux sans représentation et sans tête.
Les Épreuves de la vie
Livre
Claude Lefort
Lectures politiques. De Dante à Soljenitsyne
Publié le 26 août 2021
Penseur de la démocratie et du totalitarisme, Claude Lefort, mort en 2010, a élaboré une œuvre hétéroclite parfois difficile à cartographier, entre essais, livres collectifs, revues et notes imposantes. Ces Lectures politiques en facilitent l’accès, puisque l’ouvrage regroupe dix préfaces rédigées par le philosophe, alors qu’il était à la fin de sa vie directeur de collection chez Belin. Le cofondateur du mouvement Socialisme ou Barbarie y commente Dante, La Boétie, Tocqueville et Merleau-Ponty (ses auteurs phares, ne manque que Machiavel), mais aussi Michelet, Guizot, ainsi que des récits du XXe siècle sur l’univers concentrationnaire. Ces analyses nous plongent avec passion dans des textes souvent méconnus : par exemple, « La monarchie de Dante », où Lefort voit la première conceptualisation moderne de la souveraineté et de la sécularité ; ou bien les « Souvenirs de Tocqueville », dont « l’indépendance d’esprit » séduit celui qui dénonça toute sa vie le suivisme des philosophes marxistes. L’éclectisme de ces choix d’auteurs n’en demeure pas moins cohérent, puisqu’il s’articule autour d’une question : « Quel est le fondement du pouvoir d’un seul ? » La réponse de Lefort est simple : il n’y en a pas. À travers une relecture éclatante du Discours de la servitude volontaire de La Boétie, le philosophe étaie sa conception de la démocratie comme « lieu vide du pouvoir » où toute idée d’unité doit être rejetée – « Le nom “d’un” assourdit les sujets et les rend muets ». Contre le fantasme d’une société qui serait une totalité non fragmentée, faisant corps avec un souverain, il fait sienne une « exigence de vérité » qui dénote au fond une inquiétude très contemporaine : voir le « désir de liberté » s’éteindre et avec lui la démocratie sombrer.
Lectures politiques. De Dante à Soljenitsyne
Livre
André Comte-Sponville
Dictionnaire philosophique (3e édition)
Publié le 26 août 2021
De tous les ouvrages qu’il a écrits, c’est celui qui est le plus cher au cœur d’André Comte-Sponville. C’est aussi le plus monumental, avec près de 1 500 pages qui couvrent pas moins de 2 267 entrées. Et il s’agit bien d’un « dictionnaire philosophique » et non d’un dictionnaire de philosophie, puisque l’auteur entend s’impliquer personnellement dans les définitions qu’il propose : « Mon propos, explique-t-il, n’était pas de faire œuvre historienne ou érudite, mais au contraire d’exposer ma pensée. » Parmi les 600 nouvelles entrées de cette édition enrichie, on en retrouve donc certaines qui montrent sa sensibilité pour la philosophie orientale avec les définitions de l’« ainsité » (le silence qu’impose l’expérience du réel) ou du « ren » (la vertu d’humanité selon le confucianisme). D’autres correspondent aux dernières tendances de la philosophie contemporaine, comme celles qui concernent l’« Anthropocène », le « soin » ou la « démocrature ». Des entrées inattendues surgissent également, par exemple lorsque Comte-Sponville dit du « fantôme » qu’il « n'existe que pour ceux qui y croient, qui sont punis, le cas échéant, par la peur qu'ils en ont », ou quand il écrit à propos du « savoir-vivre » : « On peut bien “apprendre à vivre”, comme disent Montaigne et Aragon, mais cet apprentissage, toujours personnel et inachevé, ne se transmue jamais en un savoir, que l'on pourrait transmettre. » Comme ce dictionnaire en quelque sorte, qui cherche moins à transmettre un savoir qu’à multiplier les occasions de penser.
Dictionnaire philosophique (3e édition)
CULTURE
Article 2 min
“Serre-moi fort” : à perte de vie
Cédric Enjalbert 26 août 2021
Dans Serre-moi fort, son nouveau film en tant que réalisateur, Mathieu Amalric plonge avec brio dans les affres de l'abandon.
“Serre-moi fort” : à perte de vie
Article 2 min
“Le Surréalisme dans l’art américain”. Art-west
Cédric Enjalbert 26 août 2021
Refermé sur lui-même, l'art américain ? C’est cette idée reçue que bat en brèche cette exposition visible jusqu'à fin septembre à La Vieille Charité à Marseille. Prenant appui sur le mouvement surréaliste, elle présente les influences croisées que le Vieux et le Nouveau Monde ont exercé l'un sur l'autre.
“Le Surréalisme dans l’art américain”. Art-west
Article 2 min
“Leurs enfants après eux”. À l’Est, rien de nouveau ?
Cédric Enjalbert 26 août 2021
Sur la magnifique scène du Théâtre du Peuple, à Bussang dans les Vosges, le metteur en scène Simon Delétang et les jeunes acteurs de l’École nationale supérieure des arts et techniques du théâtre donnent chair au roman du prix Goncourt 2018 – et lui-même vosgien – Nicolas Mathieu.
“Leurs enfants après eux”. À l’Est, rien de nouveau ?
OH ! LA BELLE VIE
Article 3 min
Conseil n° 11. Arrêtez de vous tâter !
François Morel 26 août 2021
Ça va arriver vite maintenant. Il n’y a plus de temps à perdre. On est déjà en septembre. Autant dire que dans un an, l’état de grâce pour le (ou la) nouveau (ou nouvelle) président(e) sera terminé depuis déjà un bon bout de temps. Vous avez remarqué : le temps s’accélère. Le ty..
Conseil n° 11. Arrêtez de vous tâter !
JEUX
Article 1 min
Philocroisés #72
Gaëtan Goron 26 août 2021
Horizontalement I. Titre d’ouvrages de Chrétien et de Benasayag. II. En l’État, elle n’est toujours pas satisfaite. Ville d’une Belle d’opérette. III. À la mode. Démonstratif. IV. Parole sacrée. V. Fait mal. Il dame le pion au roi. VI. P..
Philocroisés #71
QUESTIONNAIRE DE SOCRATE
Article 2 min
Céline Minard. Sur l’elle du désir
Léa Cuenin 26 août 2021
Après Le Dernier monde (2007) et Le Grand Jeu (2016), la romancière revient en cette rentrée littéraire avec Plasmas (Rivages), un texte inclassable qui nous expose à la fluidité de la langue, des frontières et des genres. Si ce livre est rangé dans la catégorie « science-fiction », Céline Minard, comme à son habitude, y dynamite les codes et invente une matière organique en perpétuelle métamorphose. C’est une histoire qui n’a ni début ni fin, comme suspendue entre deux mondes. Sa force réside dans sa manière de saisir le mouvement et de nous placer en air-time, cette sensation d’allégement et de perte d’équilibre ressentie au point culminant d’un saut, juste avant d’entamer la chute.
(Philomag) |
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