[n° ou bulletin] est un bulletin de / Alexandre Lacroix (2011)Titre : | N°153 - Octobre 2021 - Peut-on changer de logique ? | Type de document : | texte imprimé | Année de publication : | 2021 | Importance : | 98 p. | Présentation : | ill. en coul. | Format : | 29 cm | Langues : | Français (fre) | Catégories : | Philosophie
| Tags : | migrants (méditerranée) Platon Lewis Carroll | Index. décimale : | 17 Morale. Éthique. Philosophie pratique | Résumé : | Nous sommes entrés dans une ère de changement, c’est devenu évident depuis la pandémie : la liberté de circulation est limitée, la dynamique de la mondialisation grippée, les gouvernants ont balancé par-dessus bord le dogme de la rigueur budgétaire… Cela signifie-t-il que le monde est moins rigide et structuré qu’on ne le croyait ? Sans doute, encore nous faut-il prendre acte de ces bouleversements et opérer notre propre révolution intérieure. N’est-il pas temps pour nous de changer de manières de vivre et de penser ?
(Philomag) | Note de contenu : | VOS QUESTIONS
Article 3 min
“A-t-on raison de s’indigner ?”
Charles Pépin 23 septembre 2021
Question de Maia Louvet
“A-t-on raison de s’indigner ?”
REPÉRAGES
Article 2 min
Du buzz dans la ruche
Octave Larmagnac-Matheron 23 septembre 2021
Les abeilles vont-elles disparaître ? Entre avril 2020 et avril 2021, les apiculteurs américains ont perdu 45 % de leurs colonies. En cause, notamment, les néonicotinoïdes et autres insecticides déversés chaque année par l’industrie agro-alimentaire. Pour faire face à la possibilit�..
Du buzz dans la ruche
Article 1 min
“Harmonie”
Octave Larmagnac-Matheron 23 septembre 2021
“L’unité n’est pas l’uniformité, mais l’harmonie multiforme” Le pape François, dans un message au Congrès de la vie religieuse en Amérique latine et aux Caraïbes, le 13 août “Ce qui s’oppose coopère, et de ce qui diverge procède la plus b..
Article 1 min
Dogwhistle
Octave Larmagnac-Matheron 23 septembre 2021
Comment séduire les électeurs tentés par les extrêmes sans y laisser sa réputation ni se salir les mains, sans choquer le reste de son public ni appeler directement au ralliement à des idées nauséabondes ? Cette stratégie tient en un mot : dogwhistle (« sifflet à chien ») �..
Dogwhistle
Article 1 min
“541680”
Octave Larmagnac-Matheron 23 septembre 2021
C’est le montant de la prime en euros (brut) que le footballeur Neymar recevra chaque mois de la part de son club, le Paris Saint-Germain, à condition d’être « courtois, ponctuel, sympathique et disponible pour les fans ». Un bonus de bonne conduite, en somme. Mais que vaut une bon..
Article 2 min
La pauvreté, ce n’est pas qu’une question d’argent
Octave Larmagnac-Matheron 23 septembre 2021
13,6 % des Français sont exposés à la pauvreté monétaire 11 % subissent des privations matérielles importantes 13,1 % subissent des privations matérielles et sociales importantes 11,1 % sont pauvres en conditions de vie 67 % de ceux qui subissent des privations so..
PERSPECTIVES
Article 3 min
Témoins pour l’histoire
Nicolas Gastineau 23 septembre 2021
Des parties civiles en grand nombre sont amenées à témoigner au procès des attaques terroristes du 13-Novembre, prévu pour durer neuf mois. Mais quelle est donc la vertu du témoignage ? Moins de réparer ou de guérir que de faire advenir le droit objectif, selon Hegel.
Témoins pour l’histoire
Article 3 min
Un virus, trois stratégies
Alexandre Lacroix 23 septembre 2021
D’autres politiques que celle du gouvernement sont-elles possibles face au Covid-19 ? Voici, imaginés par le philosophe de la médecine David Simard, trois modèles politiques de réponses possibles à l’épidémie. Aucun n’est parfait !
Un virus, trois stratégies
Article 3 min
Pierre Rosanvallon : “L’indignation est une réaction aux épreuves de la vie”
Charles Perragin 23 septembre 2021
Alors que les identités de classe perdent de leur centralité pour expliquer les mouvements sociaux, le sociologue Pierre Rosanvallon propose d’être plus attentif à leur dimension émotionnelle.
Pierre Rosanvallon : “L’indignation est une réaction aux épreuves de la vie”
Article 3 min
Jeu de go en Afghanistan
Octave Larmagnac-Matheron 23 septembre 2021
Peu après le départ des Américains en Afghanistan, la Chine a affiché sa volonté de dialoguer avec les talibans. Mais pour quels enjeux stratégiques ?
Jeu de go en Afghanistan
AU FIL D’UNE IDÉE
Article 3 min
Data yo-yo
Sven Ortoli 23 septembre 2021
En 2019, on estimait à plus de 8 millions le nombre de serveurs dans le monde, contre 500 000 en 2012. La plupart sont regroupés dans 2 589 data centers répartis aux quatre coins de la planète. 809 d’entre eux sont des centres de secours destinés à ..
Data yo-yo
ETHNOMYTHOLOGIES
Article 3 min
Passe sanitaire. Un soupçon de différence
Tobie Nathan 23 septembre 2021
A priori, rien ne distingue ceux qui sont vaccinés de ceux qui ne le sont pas. Sauf ce QR-Code qui attise la discorde et agit comme le lointain descendant d’un antique « sésame » biblique.
Passe sanitaire. Un soupçon de différence
REPORTAGE
Article 19 min
Migrants. Aux frontières de l’humanité
Pierre Terraz 23 septembre 2021
Entre le nord de la Libye et le sud de l’Italie, la mer Méditerranée est la dernière étape à franchir pour les migrants qui rêvent de rallier l’Europe. Cet été, sur cette voie souvent fatale, notre reporter Pierre Terraz a embarqué à bord de l’Ocean Viking, un navire affrété par l’ONG SOS Méditerranée, afin de plonger dans ce drame hélas ! ordinaire qui interroge nos valeurs éthiques et la notion même d’hospitalité.
Migrants. Aux frontières de l’humanité
MOTIFS CACHÉS
Article 3 min
Titanic, l’éternel retour
Isabelle Sorente 23 septembre 2021
Incontournable depuis le film de James Cameron, le navire réputé insubmersible sort des profondeurs dans deux projets aussi titanesques qu’onéreux, qui revisitent une histoire où il y a ceux qui s’en sortent et ceux qui tombent à l’eau.
Titanic, l’éternel retour
DOSSIER
6 articles
Peut-on changer de logique ?
Publié le 23 septembre 2021
Nous sommes entrés dans une ère de changement, c’est devenu évident depuis la pandémie : la liberté de circulation est limitée, la dynamique de la mondialisation grippée, les gouvernants ont balancé par-dessus bord le dogme de la rigueur budgétaire… Cela signifie-t-il que le monde est moins rigide et structuré qu’on ne le croyait ? Sans doute, encore nous faut-il prendre acte de ces bouleversements et opérer notre propre révolution intérieure. N’est-il pas temps pour nous de changer de manières de vivre et de penser ? > Opérer ce changement, c’est d’abord se heurter à des obstacles sociaux. La philosophe Chantal Jaquet, qui a signé un bel essai sur les « transclasses », montre que nous ne sommes pas aussi déterminés que la sociologie le prétend parfois et que notre devenir est aussi affaire de « complexion » personnelle. > En témoignent trois penseurs au parcours hors norme. Après avoir grandi en Corée du Sud et avoir fait des études de métallurgie, Byung-Chul Han est le premier à être parvenu, sans avoir l’allemand pour langue maternelle, à soutenir une thèse de doctorat de philosophie en Allemagne, avant de s’imposer comme une voix contemporaine originale. Jeanne Burgart Goutal, elle, a voyagé en Inde, sur les traces de l’écoféminisme, pour modifier sa vision du monde. Quant à l’anthropologue Emmanuel Grimaud, il réalise des expériences bizarres avec des robots. Leur point commun ? Le goût du moment où tout se décale… > Fréquentant à la fois la pensée américaine contemporaine et les classiques tibétains et indiens, le philosophe Frédéric Nef nous propose une grande histoire critique de la logique occidentale depuis ses origines grecques. Et nous fait une proposition vertigineuse : et si l’on entrait dans le multivers, la métaphysique des mondes possibles ? > La logique est-elle un outil de domination ? Est-ce aussi la grande affaire des hommes, tandis que les femmes ont toujours été ramenées à la sphère de l’émotion et de l’irrationnel, au rôle de « sorcières » ? Une enquête sur nos préjugés qui confronte les points de vue des philosophes Barbara Cassin, Michèle Le Dœuff et Gillian Russell.
Peut-on changer de logique ?
Article 8 min
La tête allant vers…
Michel Eltchaninoff 23 septembre 2021
Tout est en train de bouger dans notre rapport au travail, à l’environnement, à la sexualité et au genre. Des manières radicalement neuves de voir les choses prennent corps. Mais sommes-nous prêts à payer le prix pour changer de perspective, c’est-à-dire à affronter le vertige ?
La tête allant vers…
Article 3 min
Chantal Jaquet. S’affranchir de l’emprise du milieu
Alexandre Lacroix 23 septembre 2021
Passer d’un milieu socio-culturel à un autre oblige à changer radicalement de manières d’être. Chantal Jaquet, qui a connu ce type de parcours, s’est intéressée aux difficultés que rencontrent les transclasses.
Chantal Jaquet. S’affranchir de l’emprise du milieu
Article 6 min
Byung-Chul Han : “L’Allemagne m’a fourni une nouvelle âme”
Alexandre Lacroix 23 septembre 2021
Connu pour sa critique acerbe des sociétés contemporaines, le philosophe Byung-Chul Han revient sur son étonnant parcours, qui l’a amené à quitter sa Corée du Sud natale pour devenir un penseur allemand de premier plan.
Byung-Chul Han : “L’Europe m’a fourni un nouveau corps, une nouvelle âme, un nouveau cœur”
Article 3 min
Jeanne Burgart Goutal : “Il m’a fallu réinitialiser mon cerveau pour appréhender le réel”
Cédric Enjalbert 23 septembre 2021
De son long voyage en Inde sur les pas du mouvement écoféministe, la philosophe retient une expérience formatrice, qui l’a initiée à une autre forme de pensée, plus polyphonique et moins obsédée par le souci de l’unité.
Jeanne Burgart Goutal : “Il m’a fallu réinitialiser mon cerveau pour appréhender le réel”
Article 3 min
Emmanuel Grimaud : “Face à un robot, nous entrons dans la ‘vallée de l’étrange’”
Charles Perragin 23 septembre 2021
Du Japon à l’Inde, l’anthropologue a mené des séries d’expériences pour mesurer à quel point, confrontés aux nouvelles technologies, nos modes de pensée sont plastiques et résilients.
Emmanuel Grimaud : “Face à un robot, nous entrons dans la ‘vallée de l’étrange’”
Article 15 min
Frédéric Nef, l’homme aux mille logiques
Michel Eltchaninoff 23 septembre 2021
Nous sommes allés rendre visite à un spécialiste de logique et de métaphysique qui aime jongler avec des traditions de pensée parfois divergentes. Frédéric Nef nous raconte la grande histoire de la logique et montre qu’en changer n’est pas si sorcier. Entretien.
Frédéric Nef, l’homme aux mille logiques
Article 9 min
La logique ? Pas mon genre !
Ariane Nicolas 23 septembre 2021
Le grand langage universel que prétend être la logique serait-il aussi le lieu où sont reconduits certains schémas patriarcaux ? Le sujet divise au sein des féministes. Nous avons mené l’enquête pour y voir clair auprès de femmes philosophes et de logiciennes.
La logique ? Pas mon genre !
L’ENTRETIEN
Entretien 18 min
Manon Garcia : “Nous sommes des analphabètes du sexe”
Martin Legros 23 septembre 2021
Cette jeune philosophe a décidé d’intégrer pleinement la pensée féministe dans le champ de la philosophie. Elle s’inscrit dans le mouvement de l’éthique « méliorative » qui vise à améliorer les pratiques grâce à la clarification des concepts. Après la question de la soumission, elle explore dans son dernier essai celle du consentement et invite les hommes et les femmes à nouer une nouvelle « conversation sexuelle ».
Manon Garcia : “Nous sommes des analphabètes du sexe”
LE CLASSIQUE SUBJECTIF
3 articles
Platon vu par Dimitri El Murr
Publié le 23 septembre 2021
Philosopher, c’est apprendre à mourir, nous dit Platon. Or cela ne signifie pas nous mortifier. Car, pour nous soucier de notre âme, nous devons prendre soin de notre corps, sans pour autant lui vouer un culte, explique Dimitri El Murr. Spécialiste de l’auteur des dialogues, il en propose une relecture originale, s’attaquant à certains clichés les plus tenaces.
Dimitri El Murr : Platon comme vous ne l’avez jamais lu !
Article 12 min
Dimitri El Murr : “Il n’y a pas de mépris du corps chez Platon”
Victorine de Oliveira 23 septembre 2021
Philosopher, c’est apprendre à mourir, nous dit Platon. Or cela ne signifie pas nous mortifier. Car, pour nous soucier de notre âme, nous devons prendre soin de notre corps, sans pour autant lui vouer un culte, explique Dimitri El Murr. Spécialiste de l’auteur des dialogues, il en propose une relecture originale, s’attaquant à certains clichés les plus tenaces.
Dimitri El Murr : Platon comme vous ne l’avez jamais lu !
Article 2 min
Un extrait de Platon commenté par Dimitri El Murr
Victorine de Oliveira 23 septembre 2021
L’extrait de Platon « PHÈDRE : Qu’il est beau le divertissement dont tu parles, Socrate, en regard de la médiocrité des autres, celui de l’homme capable de se divertir en fabriquant des discours qui racontent des mythes sur la justice et sur toutes les autres choses que tu..
Article 5 min
Platon. Retour aux sources
Victorine de Oliveira 23 septembre 2021
Il est impossible d’envisager l’histoire de la philosophie occidentale sans lui. Les mythes qu’il a inventés irriguent encore notre imaginaire, et ses concepts sont toujours commentés et discutés. À votre tour de prendre part au dialogue !
BOÎTE À OUTILS
Article 2 min
Pourquoi déteste-t-on les boutons ?
Amal Derqaoui 23 septembre 2021
Quatre philosophes percent la répulsion que nous éprouvons à l’égard de ces excroissances disgracieuses.
Pourquoi déteste-t-on les boutons ?
Article 1 min
Geschlecht
Octave Larmagnac-Matheron 23 septembre 2021
Langue d’origine : allemand
Article 2 min
“Honneur”
Antony Chanthanakone 23 septembre 2021
Les philosophes jouent leur réputation pour définir cette notion.
BACKPHILO
Bac philo 6 min
Y a-t-il un plaisir à gouverner ?
Nicolas Tenaillon 23 septembre 2021
Analyse des termes du sujet « Y a-t-il » Existe-t-il ? Peut-on le constater ? « Plaisir » Un état affectif agréable qui satisfait un désir. « Gouverner » Décider des affaires de la Cité, diriger un État, régir.
LIVRES
Article 2 min
Pendant que j’y pense/Octobre 2021
Catherine Portevin 23 septembre 2021
Ces deux-là sont mystérieusement connectés, deux cerveaux en symbiose avec le vivant : l’astrobiologiste Nathalie A. Cabrol et l’écrivain Richard Powers. Je me demande même si mon cerveau n’a pas capté quelques ondes symbiotiques pour que je lise la même semaine leurs deux livres. Dan..
Livre
Charles Stépanoff
L’Animal et la Mort
Publié le 20 septembre 2021
Août 2021. Les animalistes crient victoire. La capture des grives et des merles à la glu, jugée barbare, vient d’être interdite. Victoire en trompe-l’œil, pourtant, note l’anthropologue Charles Stépanoff. Cette pratique traditionnelle est en effet extrêmement marginale. Un vestige de la « chasse paysanne », dont on oublie souvent qu’elle existe tant elle paraît archaïque : chasse largement alimentaire, « mode de vie » et de subsistance plutôt que loisir, qui fait fond sur un voisinage de tous les jours avec la proie – au point que le chasseur s’y attache souvent, parce qu’il apprend à la connaître. La bête est ici dotée d’une personnalité, d’une « âme », comme l’anthropologue l’observait déjà, en un parallèle saisissant, chez les chamans de Sibérie – voir son précédent ouvrage Voyager dans l’invisible (Les Empêcheurs de penser en rond-La Découverte, 2019). Le chasseur la respecte, mais ce respect n’exclut pas – paradoxe aujourd’hui incompréhensible – une violence assumée. La chasse paysanne intègre en son cœur non seulement l’instant de la mise à mort mais tout ce qui l’entoure : la traque, le dépeçage, la conservation de la viande sous forme de pâtés ou de terrines dont on s’échange la recette au détour d’un sentier. Les voisins s’invitent à tour de rôle le dimanche pour déjeuner et arpenter ensemble les terres environnantes « à la billebaude », improvisant au fur et à mesure, sans objectif précis, la suite de l’équipée, avant de répartir entre eux le gibier éventuel. Conviviale, sociale, la chasse paysanne se déploie à la lisière du champ, à la frontière poreuse des mondes. Car le prédateur et sa proie partagent le même milieu. À partir d’une enquête de terrain passionnante, aux allures de roman policier, auprès de « chasseurs paysans » de la Beauce, du Perche et des Yvelines, Stépanoff cherche à comprendre la disparition de ces pratiques giboyeuses au profit d’un tout autre modèle, la « chasse-gestion rationalisée ». Discréditée, la chasse vivrière où « règnent l’improvisation et la liberté » est systématiquement taxée d’irrationalité. La consommation du gibier, en particulier, est perçue comme le signe d’une aliénation dangereuse à l’urgence des instincts : « L’état d’anarchie de la chasse, populeuse, affamée de viande et incontrôlée, expliquerait le déclin de la faune sauvage. » La chasse « industrielle », elle, se présente comme un remède rationnel mais paradoxal : une garantie de préservation des espèces, et même d’accroissement des cheptels, mais toujours plus de gibier et toujours plus de morts simultanément. Telle est la logique de l’« exploitection » (exploitation-protection). Là où le gibier manque, il sera remplacé par le lâcher de faisans, de perdrix ou de chevreuils d’élevage. L’animal n’est plus un « commun » mais une quasi-propriété. La forêt se mue en véritable « élevage en plein air », hermétiquement à l’écart de la vie quotidienne. Ceux qui ont le privilège censitaire d’y chasser n’ont plus aucun lien avec le territoire et sa faune. Ils débarquent une fois l’an, tuent et s’en retournent. La chasse « bourgeoise », véritable « loisir sportif » où l’on « tire pour tirer », suppose une scission des mondes. Cette séparation déplace radicalement la « violence anthropique » que toute société (y compris les plus « primitives », insiste Stépanoff) exerce sur son milieu pour le consommer. La chasse rationalisée marque une mise à l’écart du sang et de la mort, exilés, relégués aux marges du monde. Dans cet interstice, la violence qu’on ne veut plus voir « s’est désocialisée, mécanisée et démultipliée » dans des proportions inédites. Elle ne connaît plus d’« autolimitation ». Réduit à une ressource anonyme, le gibier est abattu sans état d’âme. Cette expulsion de la mise à mort animale est indissociable d’une autre transformation, elle aussi paradoxale : « Nous avons atteint individuellement un degré de sensibilité et d’intolérance à la violence sans précédent. » Ainsi, l’exigence croissante de « protection » n’est-elle, pour Stépanoff, que le double négatif de l’exploitation inhumaine. L’affirmation est aussi dérangeante que convaincante : nous tenons à distance le sauvage pour le protéger, mais ce divorce des mondes rend invisible en même temps la violence toujours plus aveugle et toujours plus insupportable qui se joue entre les deux. Le regard « asymétrique » de « sympathie » du protecteur, qui s’identifie à l’animal depuis le critère générique, hors sol, de la souffrance, atteste cette même absence de relation singulière avec les bêtes qui caractérise notre époque. Le chasseur paysan, lui aussi, affirme « se mettre à la place » de l’animal. Mais cette position de « prédateur empathique » s’inscrit dans un « affrontement symétrisé avec la bête ». Ce corps-à-corps n’est ni un éloignement indifférent ni une identification totale à la souffrance de l’autre. Le chasseur fait l’épreuve d’une altérité singulière, « imprévisible », qui « résiste » sans cesser d’appartenir au même monde. Sans défendre explicitement la chasse, Stépanoff puise tout de même, dans cette immersion au plus près du terrain, une idée déconcertante, exprimée à demi-mot : il y a peut-être d’autres manières de respecter l’animal que de s’en tenir à la révolte monolithique contre sa souffrance.
L’Animal et la Mort
Livre
James Suzman
Travailler. La grande affaire de l’humanité
Publié le 20 septembre 2021
Du biface de l’Homo erectus il y a sept cent cinquante mille ans aux algorithmes des intelligences artificielles dans les mégapoles d’aujourd’hui, en passant par les chasseurs-cueilleurs, les premiers agriculteurs, les esclaves de la Rome antique, les mineurs du XIXe siècle et les ouvriers à la chaîne des usines Ford du XXe siècle : quand l’anthropologue britannique James Suzman s’intéresse au travail, il embrasse toute l’humanité, cette espèce « têtue » qui « trouve satisfaction à donner un travail à faire à [ses] mains oisives et [son] esprit agité ». En ce sens, travailler, c’est « dépenser intentionnellement de l’énergie sur une tâche afin de parvenir à un but », lequel n’est pas qu’utilitaire. Cette définition élargie du travail provient d’une vision de très longue durée, nourrie d’archéologie, de biologie évolutive autant que des penseurs modernes de l’économie. Elle fait toute l’originalité de cet ouvrage qui se lit comme une grande épopée et redonne leur profondeur aux incertitudes auxquelles un avenir automatisé confronte aujourd’hui notre relation au travail et à l’emploi. Suzman pose quatre jalons décisifs dans l’histoire, qui ont à voir avec ce qu’on appellerait aujourd’hui notre empreinte énergétique. Il s’agit de la découverte de nouvelles sources d’énergie ou de nouveaux modes de dépense et de distribution des ressources énergétiques : le feu il y a sans doute un million d’années, l’agriculture il y a quatorze mille ans, la concentration dans les villes depuis environ huit mille ans et les combustibles fossiles qui accompagnent les révolutions industrielles européennes à partir du XVIIIe siècle. L’anthropologue a deux points d’entrée dans son sujet. Le premier est la réflexion de l’économiste John M. Keynes (1883-1946). Dès 1930, celui-ci annonçait une « terre promise » économique à l’orée du XXIe siècle : l’augmentation du capital et de la productivité grâce à la technologie nous permettrait alors de combler nos besoins essentiels au moindre effort, disons avec une quinzaine d’heures de travail hebdomadaire. Ainsi serait réglé ce qu’il appelait « le problème économique » que des générations de spécialistes continuent de traduire par « le problème de la rareté » : rareté des ressources, moyens limités pour des besoins illimités. Nous y sommes, alors pourquoi travaillons-nous encore autant, de plus en plus et avec de moins en moins de satisfaction ? C’est l’interrogation initiale de Suzman : d’où nous vient cette obsession contemporaine du travail ? Il y a quelque chose à chercher du côté d’une certaine idée de la rareté et de l’illimité de nos désirs. La seconde porte d’entrée de Suzman, qui éclaire la précédente, ouvre sur un long détour auprès des Bushmen ju/’hoansi du Kalahari, en Afrique australe – les plus anciens et les derniers chasseurs-cueilleurs de la planète, chez lesquels l’anthropologue a longtemps vécu et travaillé. Or le mode de vie des Ju/’hoansi, qui s’est maintenu avec une remarquable stabilité pendant 95 % des trois cent mille ans de l’histoire d’Homo sapiens, témoigne d’une autre histoire du travail. Pour les Ju’/hoansi, il n’y avait pas de problème économique, parce qu’il n’y avait pas de problème de rareté, du moins le travail qu’ils fournissaient pour subvenir à leurs besoins était-il fondé sur la prémisse de l’abondance de la nature. Résultat : ils ne craignaient pas la famine, ne faisaient pas de stocks de nourriture ni de richesses, avaient des désirs limités et une organisation sociale peu hiérarchisée, et vivaient plus longtemps en consacrant l’essentiel de leur temps au loisir et au repos. Ils pratiquaient une économie à rendement immédiat, quand les premiers agriculteurs ont imposé une économie du rendement différé. Le rapport au temps, à l’oisiveté, aux aléas, à l’effort et à la compensation, à la propriété et à la richesse, au statut social et à la croissance, tout cela, qui façonne notre relation au travail jusqu’à aujourd’hui, nous vient de l’agriculture. James Suzman n’est pas le premier à prendre appui sur le modèle des chasseurs-cueilleurs pour interroger les dérèglements actuels de l’économie capitaliste (voir, par exemple, le travail de James C. Scott). Mais il le sort d’une forme de nostalgie survivaliste : il ne s’agit pas de redevenir des chasseurs-cueilleurs, ce qui ne tient pas à l’échelle d’une humanité de 7,9 milliards d’individus. Dans la dernière partie de son livre, il plaide certes pour un renoncement à la croissance et à une baisse substantielle du temps de travail, mais il s’inquiète surtout de l’effondrement de la triade qui structurait jusqu’alors notre sens du travail, en farouches héritiers des premiers agriculteurs : travail = effort = récompense. Les spectaculaires inégalités entre les revenus du capital et ceux du labeur achèvent de la faire voler en éclats. Voilà pourquoi nous travaillons de plus en plus, avec de moins en moins de satisfaction. Jusqu’où ? Peut-être le changement climatique, une révolution sociale contre les inégalités ou bien… une pandémie virale nous obligeront-elles à redonner au travail sa juste place ?
Travailler. La grande affaire de l’humanité
Livre
Marin de Viry
L’Arche de mésalliance
Publié le 20 septembre 2021
La dalle qui, à Paris, s’étend de l’Esplanade à la Grande Arche de La Défense est un décor de choix, mais rarement exploité par la littérature, pour mettre en intrigue la réalité du travail aujourd’hui : l’univers infernal des grands consortiums d’entreprises de services, « une idée séparée de la vie », écrit le romancier Marin de Viry. Marius, un aristocrate assez réac’, et Priscilla, une jeune Anglaise ambitieuse et féministe, sont mis en concurrence sur le poste de DG d’une organisation internationale de développement durable. Aussi cyniques et prêts à tuer l’un que l’autre, ils vont découvrir, contre leur patron plus cynique encore, les vertus stratégiques de l’alliance plutôt que de la guerre. Cela finit par un mariage, l’achat d’un château à la campagne, où ils créent leur entreprise de vente de produits de la ferme, de stages de déconnexion au vert et de consulting en marketing. Rédemption aussi tragiquement stérile au fond que les cercles de l’enfer à La Défense… La plume grinçante et pleine de morgue de Marin de Viry décrit avec brio l’absurdité brutale de ce que l’anthropologue David Graeber appelait les « bullshit jobs » pour diplômés à haut potentiel.
L’Arche de mésalliance
Livre
Yves Michaud
« L’Art, c’est bien fini »
Publié le 20 septembre 2021
« Belle journée ! » Ce nouveau mantra nous a fait glisser du registre du bien à celui du beau. Ce n’est peut-être pas qu’un effet de mode, à en croire Yves Michaud dans cet ouvrage érudit et vif. Le philosophe s’y intéresse à « l’esthétisation générale de nos milieux de vie », complétant un précédent livre – L’Art à l’état gazeux (Stock, 2003) – qui analysait la « vaporisation » de l’œuvre dans des dispositifs et des installations. Il poursuit sa réflexion en montrant comment, depuis l’introduction de l’esthétique au XVIIIe siècle, ce champ de la connaissance s’est élargi au point d’éclater : « En art, le beau ce n’est plus le problème. En revanche, dès que l’on quitte le “monde de l’art”, il n’est question que de recherche du beau »… qu’il s’agisse de nos sentiments ou du langage, de la forme de nos villes comme de nos objets, et jusqu’à nos corps. La bascule dans l’« hyper-esthétique » ne s’est pas faite en un jour. Collectionneur averti, ancien directeur de l’École des Beaux-Arts de Paris, Yves Michaud s’en explique, faisant appel aux classiques comme à des références méconnues, qui ajoutent au plaisir de la lecture. Il se réfère notamment à Hermann Schmitz (1928-2021) et à sa compréhension des atmosphères comme « demi-choses », entre le sujet et l’objet, des « états flottants où l’âme et l’environnement se fondent ». Yves Michaud retrace ainsi la généalogie de cette sensibilité atmosphérique, plus soucieuse de nos milieux et de nos vécus, pour en saisir les conséquences en termes sociaux, politiques et métaphysiques, « dans la conception que nous nous faisons de “l’ameublement du monde”, de ce dont il est fait ». Quelles sont ces implications ? D’abord, il s’agit de revoir notre conception du sujet qui « s’abandonne au sentir ». Hypersensible mais sans recul critique ni maîtrise, « l’individu contemporain vit sa vie d’idiot sensitif ». Ensuite, à rebours du « mythe » de l’individualisme contemporain, Yves Michaud souligne plutôt le « grégarisme » : « les Narcisses contemporains sont tous uniques et font tous la même chose dans des atmosphères qui les fondent et les mettent à l’unisson ». Cela vaut politiquement. Aussi, au lieu d’incriminer des « citoyens irresponsables et ignorants », le philosophe impute plutôt la crise de nos régimes à une dégradation de « l’atmosphère démocratique », faute d’exemplarité. Enfin, grâce au travail zélé des « esthétiqueurs », ces fabricants d’esthétisation, « c’est le Bien qui passe dans le Beau. Ce qui explique que seules les apparences comptent – pourvu qu’elles soient belles ». Et que reste-t-il de l’Art, maintenant que le beau est partout ? Rien. Il est « mort », conservé comme un placement financier dans des « Zones esthétiques protégées », les ZEP que sont les collections et les musées. Ce qui s’appelle plomber l’atmosphère ?
« L’Art, c’est bien fini »
Livre
Timothy Morton
Être écologique
Publié le 20 septembre 2021
Vous tenez dans vos mains un livre « inutile » – c’est son auteur, Timothy Morton, qui le dit ! « Il ne contient aucun fait. » Un ovni malicieux dans le monde des livres sur l’écologie, où le « dépotoir d’informations confuses » et surabondantes est devenu une figure de style. C’est précisément cette manière d’accumuler les faits jusqu’à l’écœurement pour mieux culpabiliser le quidam que l’auteur interroge. « Nous essayons de créer une bulle de peur anticipatoire […] qui enveloppera le traumatisme brut de terreur. » De l’effondrement à venir, nous voulons tout dire, tout savoir, pour mieux l’apprivoiser. Nous mettons en scène son imminence pour le conjurer. La crise, pourtant, est déjà là : « C’est comme si la fin du monde avait déjà eu lieu. » Nous n’éprouvons pas d’angoisse, nous sommes en proie à un « syndrome de stress post-traumatique ». Être écologique, dans ces conditions, consiste à assumer le trauma, pour le transmuer en libération. « Nous n’avons pas besoin de nous accrocher au fantasme de notre chère vie, au fantasme de l’anthropocentrisme, imprécis et violent. » La crise est l’occasion de renouer avec la simplicité d’une vérité que nous nous sommes efforcés d’occulter pendant des siècles en nous repliant toujours plus sur nous-mêmes : « Vous êtes déjà un être symbiotique enchevêtré avec d’autres êtres symbiotiques. […] Vous respirez de l’air, votre microbiome bactérien bourdonne, l’évolution se déroule silencieusement en arrière-plan. » Nous n’avons pas à devenir écologiques, seulement à réaliser que nous le sommes déjà.
Être écologique
Livre
Mona Cholet
Réinventer l’amour
Publié le 20 septembre 2021
Il y a quelque chose de vicié au royaume de l’hétérosexualité depuis que le féminisme existe. Pour une femme, se mettre en couple avec un homme revient-il nécessairement à coucher avec l’oppresseur ? Ou est-il possible d’inventer de nouvelles modalités de l’amour qui s’affranchiraient du poids de la domination masculine ? C’est le problème que tente de résoudre Mona Chollet dans son nouvel essai. Elle le reconnaît : avoir clamé haut et fort l’indépendance des femmes dans Sorcières (Zones, 2018) la dispose mal à invoquer désormais son aspiration à l’amour pour un membre du sexe opposé. Mais comme ce n’est pas la seule femme à vivre douloureusement ce paradoxe, autant se retrousser les manches et s’y coller. Chollet résume l’arnaque en quelques lignes : « La perversité de nos sociétés est de nous bombarder d’injonctions à l’hétérosexualité tout en éduquant et en socialisant méthodiquement les hommes et les femmes de façon qu’ils soient incapables de s’entendre. » Problème : « Des partenaires qui se conforment à la lettre à leurs scripts de genre respectifs ont toutes les chances de se rendre très malheureux. » Ces scripts fabriquent, d’un côté, des bulldozers qui vivent dans l’illusion de leur autonomie parfaite, tout en reposant sur le travail gratuit de leur compagne, et, de l’autre, de frêles créatures affectivement dépendantes et sujettes à des sautes d’humeur incompréhensibles. Rompre le cou à ces caricatures tout en maintenant la possibilité du couple hétérosexuel suppose de marcher sur une ligne de crête. Car tout parle contre lui : nous évoluons dans un univers où la domination des hommes est sans cesse érotisée, ce qui implique que les femmes « trop » (bien habillées, grandes, visibles, bavardes, intelligentes, créatives, etc.) sont immédiatement exclues du marché de l’amour. Tomber sur un homme que ce too much ne castre pas symboliquement relève du miracle. De même qu’échapper aux violences, symboliques ou réelles, au sein du couple : loin d’être une anomalie, selon Chollet, les violences conjugales sont au contraire la suite logique des jeux de rôle pratiqués sous la chape de plomb du patriarcat. La conclusion logique ne serait-elle pas pour les femmes de suivre les pas de Monique Wittig et de Virginie Despentes en faisant le choix politique du lesbianisme ? C’est une option possible, mais pas celle de Chollet. La réinvention qu’elle espère passe par l’éducation féministe de tant et tant d’hommes, pour la plupart pas franchement enthousiastes, que la trentenaire célibataire hétéro-cis qui écrit ces lignes se demande honnêtement : « À quoi bon ? »
Réinventer l’amour
Livre
François-Henri Désérable
Mon maître et mon vainqueur
Publié le 20 septembre 2021
L’amour, comme la littérature, n’est pas étranger à la réminiscence. Comme les amants, l’auteur et son lecteur partagent parfois une même hantise, au sens propre du terme, c’est-à-dire une présence qui les hante. Dans Mon maître et mon vainqueur, un amour extrême entre en résonance avec la passion qui lia Rimbaud et Verlaine. Ainsi Vasco tombe amoureux de Tina, et pour lui, c’est la foudre. Les Illuminations et les Poèmes saturniens servent de viatique aux amants. Mais la belle est sur le point d’épouser l’homme dont elle a eu des jumeaux. Elle l’aime aussi, du moins le dit-elle. Or, dans une histoire d’amour, le langage produit souvent du réel, c’est-à-dire des sentiments. Là mieux qu’ailleurs, il accomplit son pouvoir performatif. Dès lors, pour une Tina déchirée et un Vasco possédé, une double vie s’engage, archivée sur smartphone, à l’ombre du futur époux trompé. Chaque rencontre et chaque texto accroissent le péril. Face à des preuves aussi tangibles, l’issue n’est-elle pas fatale ? Tout semble déjà accompli chez le juge d’instruction, où le narrateur fait sa déposition devant deux pièces à conviction : un carnet et un pistolet. Tout semble accompli et pourtant rien n’a commencé. Tissée de flash-backs, de digressions drolatiques et de monologues intérieurs, cette histoire à rebours se présente d’emblée comme presque résolue. Le lecteur s’en fait une idée trop simple que l’auteur va s’ingénier à compliquer, à détourner, à piéger. L’intrigue peut se raconter de plusieurs façons ou plutôt sur plusieurs supports : elle se déroule poème par poème, à travers un récit codé dans le carnet de Vasco que le juge d’instruction a sous les yeux. Elle se déploie aussi à travers les objets, car Vasco, pour conquérir sa belle, s’est emparé du cœur embaumé de Voltaire conservé à la Bibliothèque nationale dans le socle de son buste sculpté par Houdon. Puis il a acheté aux enchères le fameux pistolet avec lequel Verlaine tira sur Rimbaud en juillet 1873, « un Lefaucheux à six coups de calibre 7 mm, fabriqué à Liège vers 1870 et portant le numéro de série 14096 ». Dans cette intense histoire d’amour, le fétichisme des textes et des objets trouve sa place. Comme si, dans sa banalité universelle, l’éros devait trouver un point d’ancrage dans une lubie, un objet rare, un fétichisme hors norme, stimulant chez les amants le sentiment d’une singularité absolue.
Mon maître et mon vainqueur
Livre
Francis Wolff
Le Monde à la première personne. Entretiens avec André Comte-Sponville
Publié le 20 septembre 2021
« Le plus grand philosophe français vivant » : c’est ainsi qu’André Comte-Sponville qualifie son ami Francis Wolff, qui fut son condisciple à l’École normale supérieure. En s’effaçant derrière la position de l’intervieweur, le premier partage sa propre notoriété pour mieux faire connaître le second du grand public. Interrogé par Comte-Sponville, Wolff retrace donc sa vie, évoque sa famille modeste dans une banlieue parisienne, ses origines juives et allemandes, son ascension sociale grâce à l’école, sa vocation pour l’enseignement, son engagement de jeune intellectuel bientôt bouleversé par les années passées à l’université de São Paulo qui le font plonger dans « la réalité des rapports politiques » d’une société brésilienne en pleine effervescence au sortir de la dictature militaire. L’échange entre les deux philosophes offre surtout l’occasion de parcourir l’œuvre de Wolff, ancrée dans la philosophie antique – notamment la métaphysique d’Aristote, y compris pour penser la musique, la tauromachie et les utopies contemporaines. « La philosophie, estime en effet Wolff, au contraire de la science, doit tendre à être généraliste sous peine de perdre sa raison d’être. » S’il se compare volontiers à un médecin généraliste qui soigne les personnes quand les spécialistes se concentrent sur les seuls organes, c’est mû par la seule recherche qui lui importe : qu’est-ce que l’Homme ? À distance des modes, il n’a au fond de cesse que de défendre une certaine conception de l’universel, que ce soit dans le domaine de la vérité ou dans ceux de la politique et de l’éthique, au nom de ce qu’il appelle « notre » humanité dont la plus grande vertu est de savoir… dialoguer.
Le Monde à la première personne. Entretiens avec André Comte-Sponville
Livre
George Orwell
La Ferme des animaux
Publié le 20 septembre 2021
Et si les animaux se révoltaient ? Que se passerait-il si les « quatrepattes » prenaient le pouvoir aux dépens des « deuxpattes » et instauraient une république faite de camaraderie et d’égalité ? C’est la situation imaginée dans La Ferme des animaux : une sorte de conte, de fable ou de sotie… mais en version dystopique, puisque de nouveaux rapports de domination ne manqueront pas de se substituer à ceux qui ont été abolis. « Tous les animaux sont égaux, mais certains sont plus égaux que d’autres », écrit Orwell, dont l’humour attaque à mots à peine couverts le communisme soviétique. À la manière de Trotski dénonçant la dérive autoritaire et le dévoiement des idéaux de la révolution bolchevique ? C’est en effet le rapprochement que propose Hervé Le Tellier, prix Goncourt 2020, dans sa présentation de cette nouvelle édition qui reprend la traduction de Jean Queval – oulipien comme lui. Y figure également, en annexe, la traduction inédite de l’unique préface rédigée par Orwell lui-même pour l’édition ukrainienne, dans laquelle il s’en prend à « la corruption de l’idée originelle du socialisme ». Mais au-delà du contexte historique, Le Tellier montre aussi que c’est la puissance de la parole qui est l’autre enjeu du pamphlet : « Une chose fascine et terrifie Orwell. Cette chose, c’est le langage, et sa capacité de manipulation des foules. »
La Ferme des animaux
Livre
Pacôme Thiellement
L’Enquête infinie
Publié le 20 septembre 2021
Plus ça va, et moins on y comprend quelque chose : vous vous contentez de le constater en poursuivant tant bien que mal votre bout de chemin dans ce qu’on appelle de façon commodément uniforme « la vie » ? Pacôme Thiellement en fait le sujet d’un essai où toutes ses obsessions convergent pour tenter de faire néanmoins un peu de lumière. L’enquête dont il est question pourrait se résumer ainsi : « Qu’est-ce que je fiche sur Terre ? Pourquoi m’a-t-on balancé dans cette vallée de larmes sans me demander mon avis ? Quelle issue pas trop déprimante puis-je trouver, inventer ? » Certes, ce questionnement est vieux comme le monde. L’avantage d’ouvrir un livre signé Pacôme Thiellement, c’est que vous ne savez jamais trop à quoi vous attendre. Une fois que vous avez compris, il est trop tard : vous êtes ensorcelé avant même d’avoir atteint la page 12 et embarqué pour les quelque 500 suivantes. C’est que Pacôme Thiellement a l’art des rapprochements à la fois audacieux et évidents. Si la figure du Sphinx antique, qui sert de fil rouge à l’auteur, resurgit à ce point sous la plume des écrivains de la fin du XIXe siècle, c’est bien que quelque chose cloche, frotte, résiste : c’est un moment d’emballement de l’histoire et de l’économie, nos petites mains ont été broyées dans la machine à force de trop jouer avec ses rouages, et nous nous demandons subitement ce qu’elles y font. Pourquoi ne pas regarder du côté d’Edgar Allan Poe, d’André Breton ou d’Otis Redding pour dégager des voies, des possibilités d’exister dans un monde opaque comme les énigmes d’un Sphinx ? « Dans un monde sans énigme, il n’y aurait pas besoin d’enquête. Un monde explicable n’aurait pas besoin d’exégèse. Malheureusement ou heureusement, ce monde n’existe pas » : heureusement pour nous, Pacôme Thiellement écrit des essais suffisamment allumés pour nous aider à y voir plus clair.
L’Enquête infinie
CULTURE
Article 2 min
“Fraternité, conte fantastique”. À nos chers disparus
Cédric Enjalbert 23 septembre 2021
Avec Fraternité, l’autrice et metteuse en scène Caroline Guiela Nguyen imagine un « conte fantastique » sur la perte, qui emprunte autant à la science-fiction qu'au mélodrame et qui interroge la puissance de nos liens. Un spectacle à découvrir du 18 septembre au 17 octobre aux Ateliers Berthier (à Paris), puis en tournée en France et en Europe.
“Fraternité, conte fantastique”. À nos chers disparus
Article 2 min
“Cette musique ne joue pour personne”. Eux, durs ?
Cédric Enjalbert 23 septembre 2021
Sous ses apparences de réjouissante pochade, le nouveau film de Samuel Benchetrit s'offre un casting cinq étoiles pour interroger la nature de l'art… à grands coups de fusil à pompe.
“Cette musique ne joue pour personne”. Eux, durs ?
Article 2 min
“Georgia O’Keeffe”. Georgia, on kiffe !
Cédric Enjalbert 23 septembre 2021
Le Centre Pompidou à Paris présente jusqu'au 6 décembre une rétrospective consacrée à la grande artiste américaine. Une vision proprement mythologique du Nouveau Monde, entre grands espaces et pensée transcendantaliste.
“Georgia O’Keeffe”. Georgia, on kiffe !
OH ! LA BELLE VIE
Article 3 min
Conseil n° 12. N’oubliez pas l’anniversaire de l’oncle Georges
François Morel 23 septembre 2021
La chronique de ce mois-ci est un pense-bête : n’oubliez pas l’oncle Georges ! C’est bientôt son anniversaire. 100 ans, vous avouerez, ça se fête. 100 ans, ça fait déjà pas mal de temps passé qui est toujours joli une fois qu’on a cassé sa pipe. 100 ans, ça fait ..
Conseil n° 12. N’oubliez pas l’anniversaire de l’oncle Georges
JEUX
Article 1 min
Philocroisés #73
Gaëtan Goron 23 septembre 2021
Horizontalement I. ... à sa soumission, un problème philosophique pour Manon Garcia. II. Être à cours de méthode pour ne plus douter. III. Lieu d’élégantes revues. Celui des Phares a vu Sautet philosopher. IV. Prénom féminin. Qui va avoir sous peu un prénom fémini..
Philocroisés #73
QUESTIONNAIRE DE SOCRATE
Article 2 min
Vanessa Wagner. Piano solo
Victorine de Oliveira 23 septembre 2021
Le monde des pianistes se divise en deux catégories : ceux qui tirent dans tous les sens et ceux qui creusent. À se plonger dans la discographie de Vanessa Wagner, qui navigue
(Philomag) |
[n° ou bulletin] est un bulletin de / Alexandre Lacroix (2011)N°153 - Octobre 2021 - Peut-on changer de logique ? [texte imprimé] . - 2021 . - 98 p. : ill. en coul. ; 29 cm. Langues : Français ( fre) Catégories : | Philosophie
| Tags : | migrants (méditerranée) Platon Lewis Carroll | Index. décimale : | 17 Morale. Éthique. Philosophie pratique | Résumé : | Nous sommes entrés dans une ère de changement, c’est devenu évident depuis la pandémie : la liberté de circulation est limitée, la dynamique de la mondialisation grippée, les gouvernants ont balancé par-dessus bord le dogme de la rigueur budgétaire… Cela signifie-t-il que le monde est moins rigide et structuré qu’on ne le croyait ? Sans doute, encore nous faut-il prendre acte de ces bouleversements et opérer notre propre révolution intérieure. N’est-il pas temps pour nous de changer de manières de vivre et de penser ?
(Philomag) | Note de contenu : | VOS QUESTIONS
Article 3 min
“A-t-on raison de s’indigner ?”
Charles Pépin 23 septembre 2021
Question de Maia Louvet
“A-t-on raison de s’indigner ?”
REPÉRAGES
Article 2 min
Du buzz dans la ruche
Octave Larmagnac-Matheron 23 septembre 2021
Les abeilles vont-elles disparaître ? Entre avril 2020 et avril 2021, les apiculteurs américains ont perdu 45 % de leurs colonies. En cause, notamment, les néonicotinoïdes et autres insecticides déversés chaque année par l’industrie agro-alimentaire. Pour faire face à la possibilit�..
Du buzz dans la ruche
Article 1 min
“Harmonie”
Octave Larmagnac-Matheron 23 septembre 2021
“L’unité n’est pas l’uniformité, mais l’harmonie multiforme” Le pape François, dans un message au Congrès de la vie religieuse en Amérique latine et aux Caraïbes, le 13 août “Ce qui s’oppose coopère, et de ce qui diverge procède la plus b..
Article 1 min
Dogwhistle
Octave Larmagnac-Matheron 23 septembre 2021
Comment séduire les électeurs tentés par les extrêmes sans y laisser sa réputation ni se salir les mains, sans choquer le reste de son public ni appeler directement au ralliement à des idées nauséabondes ? Cette stratégie tient en un mot : dogwhistle (« sifflet à chien ») �..
Dogwhistle
Article 1 min
“541680”
Octave Larmagnac-Matheron 23 septembre 2021
C’est le montant de la prime en euros (brut) que le footballeur Neymar recevra chaque mois de la part de son club, le Paris Saint-Germain, à condition d’être « courtois, ponctuel, sympathique et disponible pour les fans ». Un bonus de bonne conduite, en somme. Mais que vaut une bon..
Article 2 min
La pauvreté, ce n’est pas qu’une question d’argent
Octave Larmagnac-Matheron 23 septembre 2021
13,6 % des Français sont exposés à la pauvreté monétaire 11 % subissent des privations matérielles importantes 13,1 % subissent des privations matérielles et sociales importantes 11,1 % sont pauvres en conditions de vie 67 % de ceux qui subissent des privations so..
PERSPECTIVES
Article 3 min
Témoins pour l’histoire
Nicolas Gastineau 23 septembre 2021
Des parties civiles en grand nombre sont amenées à témoigner au procès des attaques terroristes du 13-Novembre, prévu pour durer neuf mois. Mais quelle est donc la vertu du témoignage ? Moins de réparer ou de guérir que de faire advenir le droit objectif, selon Hegel.
Témoins pour l’histoire
Article 3 min
Un virus, trois stratégies
Alexandre Lacroix 23 septembre 2021
D’autres politiques que celle du gouvernement sont-elles possibles face au Covid-19 ? Voici, imaginés par le philosophe de la médecine David Simard, trois modèles politiques de réponses possibles à l’épidémie. Aucun n’est parfait !
Un virus, trois stratégies
Article 3 min
Pierre Rosanvallon : “L’indignation est une réaction aux épreuves de la vie”
Charles Perragin 23 septembre 2021
Alors que les identités de classe perdent de leur centralité pour expliquer les mouvements sociaux, le sociologue Pierre Rosanvallon propose d’être plus attentif à leur dimension émotionnelle.
Pierre Rosanvallon : “L’indignation est une réaction aux épreuves de la vie”
Article 3 min
Jeu de go en Afghanistan
Octave Larmagnac-Matheron 23 septembre 2021
Peu après le départ des Américains en Afghanistan, la Chine a affiché sa volonté de dialoguer avec les talibans. Mais pour quels enjeux stratégiques ?
Jeu de go en Afghanistan
AU FIL D’UNE IDÉE
Article 3 min
Data yo-yo
Sven Ortoli 23 septembre 2021
En 2019, on estimait à plus de 8 millions le nombre de serveurs dans le monde, contre 500 000 en 2012. La plupart sont regroupés dans 2 589 data centers répartis aux quatre coins de la planète. 809 d’entre eux sont des centres de secours destinés à ..
Data yo-yo
ETHNOMYTHOLOGIES
Article 3 min
Passe sanitaire. Un soupçon de différence
Tobie Nathan 23 septembre 2021
A priori, rien ne distingue ceux qui sont vaccinés de ceux qui ne le sont pas. Sauf ce QR-Code qui attise la discorde et agit comme le lointain descendant d’un antique « sésame » biblique.
Passe sanitaire. Un soupçon de différence
REPORTAGE
Article 19 min
Migrants. Aux frontières de l’humanité
Pierre Terraz 23 septembre 2021
Entre le nord de la Libye et le sud de l’Italie, la mer Méditerranée est la dernière étape à franchir pour les migrants qui rêvent de rallier l’Europe. Cet été, sur cette voie souvent fatale, notre reporter Pierre Terraz a embarqué à bord de l’Ocean Viking, un navire affrété par l’ONG SOS Méditerranée, afin de plonger dans ce drame hélas ! ordinaire qui interroge nos valeurs éthiques et la notion même d’hospitalité.
Migrants. Aux frontières de l’humanité
MOTIFS CACHÉS
Article 3 min
Titanic, l’éternel retour
Isabelle Sorente 23 septembre 2021
Incontournable depuis le film de James Cameron, le navire réputé insubmersible sort des profondeurs dans deux projets aussi titanesques qu’onéreux, qui revisitent une histoire où il y a ceux qui s’en sortent et ceux qui tombent à l’eau.
Titanic, l’éternel retour
DOSSIER
6 articles
Peut-on changer de logique ?
Publié le 23 septembre 2021
Nous sommes entrés dans une ère de changement, c’est devenu évident depuis la pandémie : la liberté de circulation est limitée, la dynamique de la mondialisation grippée, les gouvernants ont balancé par-dessus bord le dogme de la rigueur budgétaire… Cela signifie-t-il que le monde est moins rigide et structuré qu’on ne le croyait ? Sans doute, encore nous faut-il prendre acte de ces bouleversements et opérer notre propre révolution intérieure. N’est-il pas temps pour nous de changer de manières de vivre et de penser ? > Opérer ce changement, c’est d’abord se heurter à des obstacles sociaux. La philosophe Chantal Jaquet, qui a signé un bel essai sur les « transclasses », montre que nous ne sommes pas aussi déterminés que la sociologie le prétend parfois et que notre devenir est aussi affaire de « complexion » personnelle. > En témoignent trois penseurs au parcours hors norme. Après avoir grandi en Corée du Sud et avoir fait des études de métallurgie, Byung-Chul Han est le premier à être parvenu, sans avoir l’allemand pour langue maternelle, à soutenir une thèse de doctorat de philosophie en Allemagne, avant de s’imposer comme une voix contemporaine originale. Jeanne Burgart Goutal, elle, a voyagé en Inde, sur les traces de l’écoféminisme, pour modifier sa vision du monde. Quant à l’anthropologue Emmanuel Grimaud, il réalise des expériences bizarres avec des robots. Leur point commun ? Le goût du moment où tout se décale… > Fréquentant à la fois la pensée américaine contemporaine et les classiques tibétains et indiens, le philosophe Frédéric Nef nous propose une grande histoire critique de la logique occidentale depuis ses origines grecques. Et nous fait une proposition vertigineuse : et si l’on entrait dans le multivers, la métaphysique des mondes possibles ? > La logique est-elle un outil de domination ? Est-ce aussi la grande affaire des hommes, tandis que les femmes ont toujours été ramenées à la sphère de l’émotion et de l’irrationnel, au rôle de « sorcières » ? Une enquête sur nos préjugés qui confronte les points de vue des philosophes Barbara Cassin, Michèle Le Dœuff et Gillian Russell.
Peut-on changer de logique ?
Article 8 min
La tête allant vers…
Michel Eltchaninoff 23 septembre 2021
Tout est en train de bouger dans notre rapport au travail, à l’environnement, à la sexualité et au genre. Des manières radicalement neuves de voir les choses prennent corps. Mais sommes-nous prêts à payer le prix pour changer de perspective, c’est-à-dire à affronter le vertige ?
La tête allant vers…
Article 3 min
Chantal Jaquet. S’affranchir de l’emprise du milieu
Alexandre Lacroix 23 septembre 2021
Passer d’un milieu socio-culturel à un autre oblige à changer radicalement de manières d’être. Chantal Jaquet, qui a connu ce type de parcours, s’est intéressée aux difficultés que rencontrent les transclasses.
Chantal Jaquet. S’affranchir de l’emprise du milieu
Article 6 min
Byung-Chul Han : “L’Allemagne m’a fourni une nouvelle âme”
Alexandre Lacroix 23 septembre 2021
Connu pour sa critique acerbe des sociétés contemporaines, le philosophe Byung-Chul Han revient sur son étonnant parcours, qui l’a amené à quitter sa Corée du Sud natale pour devenir un penseur allemand de premier plan.
Byung-Chul Han : “L’Europe m’a fourni un nouveau corps, une nouvelle âme, un nouveau cœur”
Article 3 min
Jeanne Burgart Goutal : “Il m’a fallu réinitialiser mon cerveau pour appréhender le réel”
Cédric Enjalbert 23 septembre 2021
De son long voyage en Inde sur les pas du mouvement écoféministe, la philosophe retient une expérience formatrice, qui l’a initiée à une autre forme de pensée, plus polyphonique et moins obsédée par le souci de l’unité.
Jeanne Burgart Goutal : “Il m’a fallu réinitialiser mon cerveau pour appréhender le réel”
Article 3 min
Emmanuel Grimaud : “Face à un robot, nous entrons dans la ‘vallée de l’étrange’”
Charles Perragin 23 septembre 2021
Du Japon à l’Inde, l’anthropologue a mené des séries d’expériences pour mesurer à quel point, confrontés aux nouvelles technologies, nos modes de pensée sont plastiques et résilients.
Emmanuel Grimaud : “Face à un robot, nous entrons dans la ‘vallée de l’étrange’”
Article 15 min
Frédéric Nef, l’homme aux mille logiques
Michel Eltchaninoff 23 septembre 2021
Nous sommes allés rendre visite à un spécialiste de logique et de métaphysique qui aime jongler avec des traditions de pensée parfois divergentes. Frédéric Nef nous raconte la grande histoire de la logique et montre qu’en changer n’est pas si sorcier. Entretien.
Frédéric Nef, l’homme aux mille logiques
Article 9 min
La logique ? Pas mon genre !
Ariane Nicolas 23 septembre 2021
Le grand langage universel que prétend être la logique serait-il aussi le lieu où sont reconduits certains schémas patriarcaux ? Le sujet divise au sein des féministes. Nous avons mené l’enquête pour y voir clair auprès de femmes philosophes et de logiciennes.
La logique ? Pas mon genre !
L’ENTRETIEN
Entretien 18 min
Manon Garcia : “Nous sommes des analphabètes du sexe”
Martin Legros 23 septembre 2021
Cette jeune philosophe a décidé d’intégrer pleinement la pensée féministe dans le champ de la philosophie. Elle s’inscrit dans le mouvement de l’éthique « méliorative » qui vise à améliorer les pratiques grâce à la clarification des concepts. Après la question de la soumission, elle explore dans son dernier essai celle du consentement et invite les hommes et les femmes à nouer une nouvelle « conversation sexuelle ».
Manon Garcia : “Nous sommes des analphabètes du sexe”
LE CLASSIQUE SUBJECTIF
3 articles
Platon vu par Dimitri El Murr
Publié le 23 septembre 2021
Philosopher, c’est apprendre à mourir, nous dit Platon. Or cela ne signifie pas nous mortifier. Car, pour nous soucier de notre âme, nous devons prendre soin de notre corps, sans pour autant lui vouer un culte, explique Dimitri El Murr. Spécialiste de l’auteur des dialogues, il en propose une relecture originale, s’attaquant à certains clichés les plus tenaces.
Dimitri El Murr : Platon comme vous ne l’avez jamais lu !
Article 12 min
Dimitri El Murr : “Il n’y a pas de mépris du corps chez Platon”
Victorine de Oliveira 23 septembre 2021
Philosopher, c’est apprendre à mourir, nous dit Platon. Or cela ne signifie pas nous mortifier. Car, pour nous soucier de notre âme, nous devons prendre soin de notre corps, sans pour autant lui vouer un culte, explique Dimitri El Murr. Spécialiste de l’auteur des dialogues, il en propose une relecture originale, s’attaquant à certains clichés les plus tenaces.
Dimitri El Murr : Platon comme vous ne l’avez jamais lu !
Article 2 min
Un extrait de Platon commenté par Dimitri El Murr
Victorine de Oliveira 23 septembre 2021
L’extrait de Platon « PHÈDRE : Qu’il est beau le divertissement dont tu parles, Socrate, en regard de la médiocrité des autres, celui de l’homme capable de se divertir en fabriquant des discours qui racontent des mythes sur la justice et sur toutes les autres choses que tu..
Article 5 min
Platon. Retour aux sources
Victorine de Oliveira 23 septembre 2021
Il est impossible d’envisager l’histoire de la philosophie occidentale sans lui. Les mythes qu’il a inventés irriguent encore notre imaginaire, et ses concepts sont toujours commentés et discutés. À votre tour de prendre part au dialogue !
BOÎTE À OUTILS
Article 2 min
Pourquoi déteste-t-on les boutons ?
Amal Derqaoui 23 septembre 2021
Quatre philosophes percent la répulsion que nous éprouvons à l’égard de ces excroissances disgracieuses.
Pourquoi déteste-t-on les boutons ?
Article 1 min
Geschlecht
Octave Larmagnac-Matheron 23 septembre 2021
Langue d’origine : allemand
Article 2 min
“Honneur”
Antony Chanthanakone 23 septembre 2021
Les philosophes jouent leur réputation pour définir cette notion.
BACKPHILO
Bac philo 6 min
Y a-t-il un plaisir à gouverner ?
Nicolas Tenaillon 23 septembre 2021
Analyse des termes du sujet « Y a-t-il » Existe-t-il ? Peut-on le constater ? « Plaisir » Un état affectif agréable qui satisfait un désir. « Gouverner » Décider des affaires de la Cité, diriger un État, régir.
LIVRES
Article 2 min
Pendant que j’y pense/Octobre 2021
Catherine Portevin 23 septembre 2021
Ces deux-là sont mystérieusement connectés, deux cerveaux en symbiose avec le vivant : l’astrobiologiste Nathalie A. Cabrol et l’écrivain Richard Powers. Je me demande même si mon cerveau n’a pas capté quelques ondes symbiotiques pour que je lise la même semaine leurs deux livres. Dan..
Livre
Charles Stépanoff
L’Animal et la Mort
Publié le 20 septembre 2021
Août 2021. Les animalistes crient victoire. La capture des grives et des merles à la glu, jugée barbare, vient d’être interdite. Victoire en trompe-l’œil, pourtant, note l’anthropologue Charles Stépanoff. Cette pratique traditionnelle est en effet extrêmement marginale. Un vestige de la « chasse paysanne », dont on oublie souvent qu’elle existe tant elle paraît archaïque : chasse largement alimentaire, « mode de vie » et de subsistance plutôt que loisir, qui fait fond sur un voisinage de tous les jours avec la proie – au point que le chasseur s’y attache souvent, parce qu’il apprend à la connaître. La bête est ici dotée d’une personnalité, d’une « âme », comme l’anthropologue l’observait déjà, en un parallèle saisissant, chez les chamans de Sibérie – voir son précédent ouvrage Voyager dans l’invisible (Les Empêcheurs de penser en rond-La Découverte, 2019). Le chasseur la respecte, mais ce respect n’exclut pas – paradoxe aujourd’hui incompréhensible – une violence assumée. La chasse paysanne intègre en son cœur non seulement l’instant de la mise à mort mais tout ce qui l’entoure : la traque, le dépeçage, la conservation de la viande sous forme de pâtés ou de terrines dont on s’échange la recette au détour d’un sentier. Les voisins s’invitent à tour de rôle le dimanche pour déjeuner et arpenter ensemble les terres environnantes « à la billebaude », improvisant au fur et à mesure, sans objectif précis, la suite de l’équipée, avant de répartir entre eux le gibier éventuel. Conviviale, sociale, la chasse paysanne se déploie à la lisière du champ, à la frontière poreuse des mondes. Car le prédateur et sa proie partagent le même milieu. À partir d’une enquête de terrain passionnante, aux allures de roman policier, auprès de « chasseurs paysans » de la Beauce, du Perche et des Yvelines, Stépanoff cherche à comprendre la disparition de ces pratiques giboyeuses au profit d’un tout autre modèle, la « chasse-gestion rationalisée ». Discréditée, la chasse vivrière où « règnent l’improvisation et la liberté » est systématiquement taxée d’irrationalité. La consommation du gibier, en particulier, est perçue comme le signe d’une aliénation dangereuse à l’urgence des instincts : « L’état d’anarchie de la chasse, populeuse, affamée de viande et incontrôlée, expliquerait le déclin de la faune sauvage. » La chasse « industrielle », elle, se présente comme un remède rationnel mais paradoxal : une garantie de préservation des espèces, et même d’accroissement des cheptels, mais toujours plus de gibier et toujours plus de morts simultanément. Telle est la logique de l’« exploitection » (exploitation-protection). Là où le gibier manque, il sera remplacé par le lâcher de faisans, de perdrix ou de chevreuils d’élevage. L’animal n’est plus un « commun » mais une quasi-propriété. La forêt se mue en véritable « élevage en plein air », hermétiquement à l’écart de la vie quotidienne. Ceux qui ont le privilège censitaire d’y chasser n’ont plus aucun lien avec le territoire et sa faune. Ils débarquent une fois l’an, tuent et s’en retournent. La chasse « bourgeoise », véritable « loisir sportif » où l’on « tire pour tirer », suppose une scission des mondes. Cette séparation déplace radicalement la « violence anthropique » que toute société (y compris les plus « primitives », insiste Stépanoff) exerce sur son milieu pour le consommer. La chasse rationalisée marque une mise à l’écart du sang et de la mort, exilés, relégués aux marges du monde. Dans cet interstice, la violence qu’on ne veut plus voir « s’est désocialisée, mécanisée et démultipliée » dans des proportions inédites. Elle ne connaît plus d’« autolimitation ». Réduit à une ressource anonyme, le gibier est abattu sans état d’âme. Cette expulsion de la mise à mort animale est indissociable d’une autre transformation, elle aussi paradoxale : « Nous avons atteint individuellement un degré de sensibilité et d’intolérance à la violence sans précédent. » Ainsi, l’exigence croissante de « protection » n’est-elle, pour Stépanoff, que le double négatif de l’exploitation inhumaine. L’affirmation est aussi dérangeante que convaincante : nous tenons à distance le sauvage pour le protéger, mais ce divorce des mondes rend invisible en même temps la violence toujours plus aveugle et toujours plus insupportable qui se joue entre les deux. Le regard « asymétrique » de « sympathie » du protecteur, qui s’identifie à l’animal depuis le critère générique, hors sol, de la souffrance, atteste cette même absence de relation singulière avec les bêtes qui caractérise notre époque. Le chasseur paysan, lui aussi, affirme « se mettre à la place » de l’animal. Mais cette position de « prédateur empathique » s’inscrit dans un « affrontement symétrisé avec la bête ». Ce corps-à-corps n’est ni un éloignement indifférent ni une identification totale à la souffrance de l’autre. Le chasseur fait l’épreuve d’une altérité singulière, « imprévisible », qui « résiste » sans cesser d’appartenir au même monde. Sans défendre explicitement la chasse, Stépanoff puise tout de même, dans cette immersion au plus près du terrain, une idée déconcertante, exprimée à demi-mot : il y a peut-être d’autres manières de respecter l’animal que de s’en tenir à la révolte monolithique contre sa souffrance.
L’Animal et la Mort
Livre
James Suzman
Travailler. La grande affaire de l’humanité
Publié le 20 septembre 2021
Du biface de l’Homo erectus il y a sept cent cinquante mille ans aux algorithmes des intelligences artificielles dans les mégapoles d’aujourd’hui, en passant par les chasseurs-cueilleurs, les premiers agriculteurs, les esclaves de la Rome antique, les mineurs du XIXe siècle et les ouvriers à la chaîne des usines Ford du XXe siècle : quand l’anthropologue britannique James Suzman s’intéresse au travail, il embrasse toute l’humanité, cette espèce « têtue » qui « trouve satisfaction à donner un travail à faire à [ses] mains oisives et [son] esprit agité ». En ce sens, travailler, c’est « dépenser intentionnellement de l’énergie sur une tâche afin de parvenir à un but », lequel n’est pas qu’utilitaire. Cette définition élargie du travail provient d’une vision de très longue durée, nourrie d’archéologie, de biologie évolutive autant que des penseurs modernes de l’économie. Elle fait toute l’originalité de cet ouvrage qui se lit comme une grande épopée et redonne leur profondeur aux incertitudes auxquelles un avenir automatisé confronte aujourd’hui notre relation au travail et à l’emploi. Suzman pose quatre jalons décisifs dans l’histoire, qui ont à voir avec ce qu’on appellerait aujourd’hui notre empreinte énergétique. Il s’agit de la découverte de nouvelles sources d’énergie ou de nouveaux modes de dépense et de distribution des ressources énergétiques : le feu il y a sans doute un million d’années, l’agriculture il y a quatorze mille ans, la concentration dans les villes depuis environ huit mille ans et les combustibles fossiles qui accompagnent les révolutions industrielles européennes à partir du XVIIIe siècle. L’anthropologue a deux points d’entrée dans son sujet. Le premier est la réflexion de l’économiste John M. Keynes (1883-1946). Dès 1930, celui-ci annonçait une « terre promise » économique à l’orée du XXIe siècle : l’augmentation du capital et de la productivité grâce à la technologie nous permettrait alors de combler nos besoins essentiels au moindre effort, disons avec une quinzaine d’heures de travail hebdomadaire. Ainsi serait réglé ce qu’il appelait « le problème économique » que des générations de spécialistes continuent de traduire par « le problème de la rareté » : rareté des ressources, moyens limités pour des besoins illimités. Nous y sommes, alors pourquoi travaillons-nous encore autant, de plus en plus et avec de moins en moins de satisfaction ? C’est l’interrogation initiale de Suzman : d’où nous vient cette obsession contemporaine du travail ? Il y a quelque chose à chercher du côté d’une certaine idée de la rareté et de l’illimité de nos désirs. La seconde porte d’entrée de Suzman, qui éclaire la précédente, ouvre sur un long détour auprès des Bushmen ju/’hoansi du Kalahari, en Afrique australe – les plus anciens et les derniers chasseurs-cueilleurs de la planète, chez lesquels l’anthropologue a longtemps vécu et travaillé. Or le mode de vie des Ju/’hoansi, qui s’est maintenu avec une remarquable stabilité pendant 95 % des trois cent mille ans de l’histoire d’Homo sapiens, témoigne d’une autre histoire du travail. Pour les Ju’/hoansi, il n’y avait pas de problème économique, parce qu’il n’y avait pas de problème de rareté, du moins le travail qu’ils fournissaient pour subvenir à leurs besoins était-il fondé sur la prémisse de l’abondance de la nature. Résultat : ils ne craignaient pas la famine, ne faisaient pas de stocks de nourriture ni de richesses, avaient des désirs limités et une organisation sociale peu hiérarchisée, et vivaient plus longtemps en consacrant l’essentiel de leur temps au loisir et au repos. Ils pratiquaient une économie à rendement immédiat, quand les premiers agriculteurs ont imposé une économie du rendement différé. Le rapport au temps, à l’oisiveté, aux aléas, à l’effort et à la compensation, à la propriété et à la richesse, au statut social et à la croissance, tout cela, qui façonne notre relation au travail jusqu’à aujourd’hui, nous vient de l’agriculture. James Suzman n’est pas le premier à prendre appui sur le modèle des chasseurs-cueilleurs pour interroger les dérèglements actuels de l’économie capitaliste (voir, par exemple, le travail de James C. Scott). Mais il le sort d’une forme de nostalgie survivaliste : il ne s’agit pas de redevenir des chasseurs-cueilleurs, ce qui ne tient pas à l’échelle d’une humanité de 7,9 milliards d’individus. Dans la dernière partie de son livre, il plaide certes pour un renoncement à la croissance et à une baisse substantielle du temps de travail, mais il s’inquiète surtout de l’effondrement de la triade qui structurait jusqu’alors notre sens du travail, en farouches héritiers des premiers agriculteurs : travail = effort = récompense. Les spectaculaires inégalités entre les revenus du capital et ceux du labeur achèvent de la faire voler en éclats. Voilà pourquoi nous travaillons de plus en plus, avec de moins en moins de satisfaction. Jusqu’où ? Peut-être le changement climatique, une révolution sociale contre les inégalités ou bien… une pandémie virale nous obligeront-elles à redonner au travail sa juste place ?
Travailler. La grande affaire de l’humanité
Livre
Marin de Viry
L’Arche de mésalliance
Publié le 20 septembre 2021
La dalle qui, à Paris, s’étend de l’Esplanade à la Grande Arche de La Défense est un décor de choix, mais rarement exploité par la littérature, pour mettre en intrigue la réalité du travail aujourd’hui : l’univers infernal des grands consortiums d’entreprises de services, « une idée séparée de la vie », écrit le romancier Marin de Viry. Marius, un aristocrate assez réac’, et Priscilla, une jeune Anglaise ambitieuse et féministe, sont mis en concurrence sur le poste de DG d’une organisation internationale de développement durable. Aussi cyniques et prêts à tuer l’un que l’autre, ils vont découvrir, contre leur patron plus cynique encore, les vertus stratégiques de l’alliance plutôt que de la guerre. Cela finit par un mariage, l’achat d’un château à la campagne, où ils créent leur entreprise de vente de produits de la ferme, de stages de déconnexion au vert et de consulting en marketing. Rédemption aussi tragiquement stérile au fond que les cercles de l’enfer à La Défense… La plume grinçante et pleine de morgue de Marin de Viry décrit avec brio l’absurdité brutale de ce que l’anthropologue David Graeber appelait les « bullshit jobs » pour diplômés à haut potentiel.
L’Arche de mésalliance
Livre
Yves Michaud
« L’Art, c’est bien fini »
Publié le 20 septembre 2021
« Belle journée ! » Ce nouveau mantra nous a fait glisser du registre du bien à celui du beau. Ce n’est peut-être pas qu’un effet de mode, à en croire Yves Michaud dans cet ouvrage érudit et vif. Le philosophe s’y intéresse à « l’esthétisation générale de nos milieux de vie », complétant un précédent livre – L’Art à l’état gazeux (Stock, 2003) – qui analysait la « vaporisation » de l’œuvre dans des dispositifs et des installations. Il poursuit sa réflexion en montrant comment, depuis l’introduction de l’esthétique au XVIIIe siècle, ce champ de la connaissance s’est élargi au point d’éclater : « En art, le beau ce n’est plus le problème. En revanche, dès que l’on quitte le “monde de l’art”, il n’est question que de recherche du beau »… qu’il s’agisse de nos sentiments ou du langage, de la forme de nos villes comme de nos objets, et jusqu’à nos corps. La bascule dans l’« hyper-esthétique » ne s’est pas faite en un jour. Collectionneur averti, ancien directeur de l’École des Beaux-Arts de Paris, Yves Michaud s’en explique, faisant appel aux classiques comme à des références méconnues, qui ajoutent au plaisir de la lecture. Il se réfère notamment à Hermann Schmitz (1928-2021) et à sa compréhension des atmosphères comme « demi-choses », entre le sujet et l’objet, des « états flottants où l’âme et l’environnement se fondent ». Yves Michaud retrace ainsi la généalogie de cette sensibilité atmosphérique, plus soucieuse de nos milieux et de nos vécus, pour en saisir les conséquences en termes sociaux, politiques et métaphysiques, « dans la conception que nous nous faisons de “l’ameublement du monde”, de ce dont il est fait ». Quelles sont ces implications ? D’abord, il s’agit de revoir notre conception du sujet qui « s’abandonne au sentir ». Hypersensible mais sans recul critique ni maîtrise, « l’individu contemporain vit sa vie d’idiot sensitif ». Ensuite, à rebours du « mythe » de l’individualisme contemporain, Yves Michaud souligne plutôt le « grégarisme » : « les Narcisses contemporains sont tous uniques et font tous la même chose dans des atmosphères qui les fondent et les mettent à l’unisson ». Cela vaut politiquement. Aussi, au lieu d’incriminer des « citoyens irresponsables et ignorants », le philosophe impute plutôt la crise de nos régimes à une dégradation de « l’atmosphère démocratique », faute d’exemplarité. Enfin, grâce au travail zélé des « esthétiqueurs », ces fabricants d’esthétisation, « c’est le Bien qui passe dans le Beau. Ce qui explique que seules les apparences comptent – pourvu qu’elles soient belles ». Et que reste-t-il de l’Art, maintenant que le beau est partout ? Rien. Il est « mort », conservé comme un placement financier dans des « Zones esthétiques protégées », les ZEP que sont les collections et les musées. Ce qui s’appelle plomber l’atmosphère ?
« L’Art, c’est bien fini »
Livre
Timothy Morton
Être écologique
Publié le 20 septembre 2021
Vous tenez dans vos mains un livre « inutile » – c’est son auteur, Timothy Morton, qui le dit ! « Il ne contient aucun fait. » Un ovni malicieux dans le monde des livres sur l’écologie, où le « dépotoir d’informations confuses » et surabondantes est devenu une figure de style. C’est précisément cette manière d’accumuler les faits jusqu’à l’écœurement pour mieux culpabiliser le quidam que l’auteur interroge. « Nous essayons de créer une bulle de peur anticipatoire […] qui enveloppera le traumatisme brut de terreur. » De l’effondrement à venir, nous voulons tout dire, tout savoir, pour mieux l’apprivoiser. Nous mettons en scène son imminence pour le conjurer. La crise, pourtant, est déjà là : « C’est comme si la fin du monde avait déjà eu lieu. » Nous n’éprouvons pas d’angoisse, nous sommes en proie à un « syndrome de stress post-traumatique ». Être écologique, dans ces conditions, consiste à assumer le trauma, pour le transmuer en libération. « Nous n’avons pas besoin de nous accrocher au fantasme de notre chère vie, au fantasme de l’anthropocentrisme, imprécis et violent. » La crise est l’occasion de renouer avec la simplicité d’une vérité que nous nous sommes efforcés d’occulter pendant des siècles en nous repliant toujours plus sur nous-mêmes : « Vous êtes déjà un être symbiotique enchevêtré avec d’autres êtres symbiotiques. […] Vous respirez de l’air, votre microbiome bactérien bourdonne, l’évolution se déroule silencieusement en arrière-plan. » Nous n’avons pas à devenir écologiques, seulement à réaliser que nous le sommes déjà.
Être écologique
Livre
Mona Cholet
Réinventer l’amour
Publié le 20 septembre 2021
Il y a quelque chose de vicié au royaume de l’hétérosexualité depuis que le féminisme existe. Pour une femme, se mettre en couple avec un homme revient-il nécessairement à coucher avec l’oppresseur ? Ou est-il possible d’inventer de nouvelles modalités de l’amour qui s’affranchiraient du poids de la domination masculine ? C’est le problème que tente de résoudre Mona Chollet dans son nouvel essai. Elle le reconnaît : avoir clamé haut et fort l’indépendance des femmes dans Sorcières (Zones, 2018) la dispose mal à invoquer désormais son aspiration à l’amour pour un membre du sexe opposé. Mais comme ce n’est pas la seule femme à vivre douloureusement ce paradoxe, autant se retrousser les manches et s’y coller. Chollet résume l’arnaque en quelques lignes : « La perversité de nos sociétés est de nous bombarder d’injonctions à l’hétérosexualité tout en éduquant et en socialisant méthodiquement les hommes et les femmes de façon qu’ils soient incapables de s’entendre. » Problème : « Des partenaires qui se conforment à la lettre à leurs scripts de genre respectifs ont toutes les chances de se rendre très malheureux. » Ces scripts fabriquent, d’un côté, des bulldozers qui vivent dans l’illusion de leur autonomie parfaite, tout en reposant sur le travail gratuit de leur compagne, et, de l’autre, de frêles créatures affectivement dépendantes et sujettes à des sautes d’humeur incompréhensibles. Rompre le cou à ces caricatures tout en maintenant la possibilité du couple hétérosexuel suppose de marcher sur une ligne de crête. Car tout parle contre lui : nous évoluons dans un univers où la domination des hommes est sans cesse érotisée, ce qui implique que les femmes « trop » (bien habillées, grandes, visibles, bavardes, intelligentes, créatives, etc.) sont immédiatement exclues du marché de l’amour. Tomber sur un homme que ce too much ne castre pas symboliquement relève du miracle. De même qu’échapper aux violences, symboliques ou réelles, au sein du couple : loin d’être une anomalie, selon Chollet, les violences conjugales sont au contraire la suite logique des jeux de rôle pratiqués sous la chape de plomb du patriarcat. La conclusion logique ne serait-elle pas pour les femmes de suivre les pas de Monique Wittig et de Virginie Despentes en faisant le choix politique du lesbianisme ? C’est une option possible, mais pas celle de Chollet. La réinvention qu’elle espère passe par l’éducation féministe de tant et tant d’hommes, pour la plupart pas franchement enthousiastes, que la trentenaire célibataire hétéro-cis qui écrit ces lignes se demande honnêtement : « À quoi bon ? »
Réinventer l’amour
Livre
François-Henri Désérable
Mon maître et mon vainqueur
Publié le 20 septembre 2021
L’amour, comme la littérature, n’est pas étranger à la réminiscence. Comme les amants, l’auteur et son lecteur partagent parfois une même hantise, au sens propre du terme, c’est-à-dire une présence qui les hante. Dans Mon maître et mon vainqueur, un amour extrême entre en résonance avec la passion qui lia Rimbaud et Verlaine. Ainsi Vasco tombe amoureux de Tina, et pour lui, c’est la foudre. Les Illuminations et les Poèmes saturniens servent de viatique aux amants. Mais la belle est sur le point d’épouser l’homme dont elle a eu des jumeaux. Elle l’aime aussi, du moins le dit-elle. Or, dans une histoire d’amour, le langage produit souvent du réel, c’est-à-dire des sentiments. Là mieux qu’ailleurs, il accomplit son pouvoir performatif. Dès lors, pour une Tina déchirée et un Vasco possédé, une double vie s’engage, archivée sur smartphone, à l’ombre du futur époux trompé. Chaque rencontre et chaque texto accroissent le péril. Face à des preuves aussi tangibles, l’issue n’est-elle pas fatale ? Tout semble déjà accompli chez le juge d’instruction, où le narrateur fait sa déposition devant deux pièces à conviction : un carnet et un pistolet. Tout semble accompli et pourtant rien n’a commencé. Tissée de flash-backs, de digressions drolatiques et de monologues intérieurs, cette histoire à rebours se présente d’emblée comme presque résolue. Le lecteur s’en fait une idée trop simple que l’auteur va s’ingénier à compliquer, à détourner, à piéger. L’intrigue peut se raconter de plusieurs façons ou plutôt sur plusieurs supports : elle se déroule poème par poème, à travers un récit codé dans le carnet de Vasco que le juge d’instruction a sous les yeux. Elle se déploie aussi à travers les objets, car Vasco, pour conquérir sa belle, s’est emparé du cœur embaumé de Voltaire conservé à la Bibliothèque nationale dans le socle de son buste sculpté par Houdon. Puis il a acheté aux enchères le fameux pistolet avec lequel Verlaine tira sur Rimbaud en juillet 1873, « un Lefaucheux à six coups de calibre 7 mm, fabriqué à Liège vers 1870 et portant le numéro de série 14096 ». Dans cette intense histoire d’amour, le fétichisme des textes et des objets trouve sa place. Comme si, dans sa banalité universelle, l’éros devait trouver un point d’ancrage dans une lubie, un objet rare, un fétichisme hors norme, stimulant chez les amants le sentiment d’une singularité absolue.
Mon maître et mon vainqueur
Livre
Francis Wolff
Le Monde à la première personne. Entretiens avec André Comte-Sponville
Publié le 20 septembre 2021
« Le plus grand philosophe français vivant » : c’est ainsi qu’André Comte-Sponville qualifie son ami Francis Wolff, qui fut son condisciple à l’École normale supérieure. En s’effaçant derrière la position de l’intervieweur, le premier partage sa propre notoriété pour mieux faire connaître le second du grand public. Interrogé par Comte-Sponville, Wolff retrace donc sa vie, évoque sa famille modeste dans une banlieue parisienne, ses origines juives et allemandes, son ascension sociale grâce à l’école, sa vocation pour l’enseignement, son engagement de jeune intellectuel bientôt bouleversé par les années passées à l’université de São Paulo qui le font plonger dans « la réalité des rapports politiques » d’une société brésilienne en pleine effervescence au sortir de la dictature militaire. L’échange entre les deux philosophes offre surtout l’occasion de parcourir l’œuvre de Wolff, ancrée dans la philosophie antique – notamment la métaphysique d’Aristote, y compris pour penser la musique, la tauromachie et les utopies contemporaines. « La philosophie, estime en effet Wolff, au contraire de la science, doit tendre à être généraliste sous peine de perdre sa raison d’être. » S’il se compare volontiers à un médecin généraliste qui soigne les personnes quand les spécialistes se concentrent sur les seuls organes, c’est mû par la seule recherche qui lui importe : qu’est-ce que l’Homme ? À distance des modes, il n’a au fond de cesse que de défendre une certaine conception de l’universel, que ce soit dans le domaine de la vérité ou dans ceux de la politique et de l’éthique, au nom de ce qu’il appelle « notre » humanité dont la plus grande vertu est de savoir… dialoguer.
Le Monde à la première personne. Entretiens avec André Comte-Sponville
Livre
George Orwell
La Ferme des animaux
Publié le 20 septembre 2021
Et si les animaux se révoltaient ? Que se passerait-il si les « quatrepattes » prenaient le pouvoir aux dépens des « deuxpattes » et instauraient une république faite de camaraderie et d’égalité ? C’est la situation imaginée dans La Ferme des animaux : une sorte de conte, de fable ou de sotie… mais en version dystopique, puisque de nouveaux rapports de domination ne manqueront pas de se substituer à ceux qui ont été abolis. « Tous les animaux sont égaux, mais certains sont plus égaux que d’autres », écrit Orwell, dont l’humour attaque à mots à peine couverts le communisme soviétique. À la manière de Trotski dénonçant la dérive autoritaire et le dévoiement des idéaux de la révolution bolchevique ? C’est en effet le rapprochement que propose Hervé Le Tellier, prix Goncourt 2020, dans sa présentation de cette nouvelle édition qui reprend la traduction de Jean Queval – oulipien comme lui. Y figure également, en annexe, la traduction inédite de l’unique préface rédigée par Orwell lui-même pour l’édition ukrainienne, dans laquelle il s’en prend à « la corruption de l’idée originelle du socialisme ». Mais au-delà du contexte historique, Le Tellier montre aussi que c’est la puissance de la parole qui est l’autre enjeu du pamphlet : « Une chose fascine et terrifie Orwell. Cette chose, c’est le langage, et sa capacité de manipulation des foules. »
La Ferme des animaux
Livre
Pacôme Thiellement
L’Enquête infinie
Publié le 20 septembre 2021
Plus ça va, et moins on y comprend quelque chose : vous vous contentez de le constater en poursuivant tant bien que mal votre bout de chemin dans ce qu’on appelle de façon commodément uniforme « la vie » ? Pacôme Thiellement en fait le sujet d’un essai où toutes ses obsessions convergent pour tenter de faire néanmoins un peu de lumière. L’enquête dont il est question pourrait se résumer ainsi : « Qu’est-ce que je fiche sur Terre ? Pourquoi m’a-t-on balancé dans cette vallée de larmes sans me demander mon avis ? Quelle issue pas trop déprimante puis-je trouver, inventer ? » Certes, ce questionnement est vieux comme le monde. L’avantage d’ouvrir un livre signé Pacôme Thiellement, c’est que vous ne savez jamais trop à quoi vous attendre. Une fois que vous avez compris, il est trop tard : vous êtes ensorcelé avant même d’avoir atteint la page 12 et embarqué pour les quelque 500 suivantes. C’est que Pacôme Thiellement a l’art des rapprochements à la fois audacieux et évidents. Si la figure du Sphinx antique, qui sert de fil rouge à l’auteur, resurgit à ce point sous la plume des écrivains de la fin du XIXe siècle, c’est bien que quelque chose cloche, frotte, résiste : c’est un moment d’emballement de l’histoire et de l’économie, nos petites mains ont été broyées dans la machine à force de trop jouer avec ses rouages, et nous nous demandons subitement ce qu’elles y font. Pourquoi ne pas regarder du côté d’Edgar Allan Poe, d’André Breton ou d’Otis Redding pour dégager des voies, des possibilités d’exister dans un monde opaque comme les énigmes d’un Sphinx ? « Dans un monde sans énigme, il n’y aurait pas besoin d’enquête. Un monde explicable n’aurait pas besoin d’exégèse. Malheureusement ou heureusement, ce monde n’existe pas » : heureusement pour nous, Pacôme Thiellement écrit des essais suffisamment allumés pour nous aider à y voir plus clair.
L’Enquête infinie
CULTURE
Article 2 min
“Fraternité, conte fantastique”. À nos chers disparus
Cédric Enjalbert 23 septembre 2021
Avec Fraternité, l’autrice et metteuse en scène Caroline Guiela Nguyen imagine un « conte fantastique » sur la perte, qui emprunte autant à la science-fiction qu'au mélodrame et qui interroge la puissance de nos liens. Un spectacle à découvrir du 18 septembre au 17 octobre aux Ateliers Berthier (à Paris), puis en tournée en France et en Europe.
“Fraternité, conte fantastique”. À nos chers disparus
Article 2 min
“Cette musique ne joue pour personne”. Eux, durs ?
Cédric Enjalbert 23 septembre 2021
Sous ses apparences de réjouissante pochade, le nouveau film de Samuel Benchetrit s'offre un casting cinq étoiles pour interroger la nature de l'art… à grands coups de fusil à pompe.
“Cette musique ne joue pour personne”. Eux, durs ?
Article 2 min
“Georgia O’Keeffe”. Georgia, on kiffe !
Cédric Enjalbert 23 septembre 2021
Le Centre Pompidou à Paris présente jusqu'au 6 décembre une rétrospective consacrée à la grande artiste américaine. Une vision proprement mythologique du Nouveau Monde, entre grands espaces et pensée transcendantaliste.
“Georgia O’Keeffe”. Georgia, on kiffe !
OH ! LA BELLE VIE
Article 3 min
Conseil n° 12. N’oubliez pas l’anniversaire de l’oncle Georges
François Morel 23 septembre 2021
La chronique de ce mois-ci est un pense-bête : n’oubliez pas l’oncle Georges ! C’est bientôt son anniversaire. 100 ans, vous avouerez, ça se fête. 100 ans, ça fait déjà pas mal de temps passé qui est toujours joli une fois qu’on a cassé sa pipe. 100 ans, ça fait ..
Conseil n° 12. N’oubliez pas l’anniversaire de l’oncle Georges
JEUX
Article 1 min
Philocroisés #73
Gaëtan Goron 23 septembre 2021
Horizontalement I. ... à sa soumission, un problème philosophique pour Manon Garcia. II. Être à cours de méthode pour ne plus douter. III. Lieu d’élégantes revues. Celui des Phares a vu Sautet philosopher. IV. Prénom féminin. Qui va avoir sous peu un prénom fémini..
Philocroisés #73
QUESTIONNAIRE DE SOCRATE
Article 2 min
Vanessa Wagner. Piano solo
Victorine de Oliveira 23 septembre 2021
Le monde des pianistes se divise en deux catégories : ceux qui tirent dans tous les sens et ceux qui creusent. À se plonger dans la discographie de Vanessa Wagner, qui navigue
(Philomag) |
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