[n° ou bulletin] est un bulletin de / Alexandre Lacroix (2011)Titre : | N°158 - Avril 2022 - La guerre. Alors qu'on n'y pensait plus | Type de document : | texte imprimé | Année de publication : | 2022 | Importance : | 98 p. | Présentation : | ill. en coul. | Format : | 29 cm | Langues : | Français (fre) | Catégories : | Philosophe
| Tags : | Ukraine (guerre) Russie Hobbes forêt ville démocratie Chine | Index. décimale : | 17 Morale. Éthique. Philosophie pratique | Résumé : | Nous autres Européens avions cessé de penser la guerre comme une possibilité réelle sur notre continent, comme un événement pouvant faire effraction et modifier le cours de nos existences. D’une part, nous avons vécu plusieurs générations de paix depuis 1945, et le conflit en ex-Yougoslavie a été interprété comme un contrecoup de la chute du mur de Berlin et non comme une guerre de conquête, comparable aux assauts de Napoléon ou de Hitler. D’autre part, nous avons eu tendance à adopter la perspective d’Emmanuel Kant sur l’histoire, selon laquelle la paix est l’état normal, l’horizon vers lequel tendent les régimes démocratiques, tandis que la guerre est un état d’exception momentané. Et si cette vision était remise en cause avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie ?(Philomag) | Note de contenu : | ÉDITO
Article 3 min
Poutine et son double
Alexandre Lacroix 19 March 2022
À 4h33 du matin, le 24 février, tandis que retentissaient les premiers bombardements à Kiev, Melinda Simmons, ambassadrice du Royaume-Uni en Ukraine, tweetait : « Une attaque entièrement injustifiée d’un pays paisible a commencé. Ce n’est pas parce que vous vous êtes prépar�..
VOS QUESTIONS
Article 3 min
“Peut-on mentir à quelqu’un pour son bien ?”
Charles Pépin 19 March 2022
Question de Jérôme Poulet
“Peut-on mentir à quelqu’un pour son bien ?”
HOMMAGE
Article 5 min
Adieu à Marcel Conche, un sage contemporain
André Comte-Sponville 19 March 2022
Le philosophe Marcel Conche s’est éteint à l’âge de 99 ans le dimanche 27 février dans sa maison de Treffort-Cuisiat (Ain). André Comte-Sponville a vécu un long compagnonnage avec ce penseur matérialiste et épicurien, inspiré par l’Antiquité, indifférent aux modes intellectuelles mais résolument moderne. Il lui rend hommage.
Adieu à Marcel Conche, un sage contemporain
REPÉRAGES
Article 1 min
Un poisson nommé Bergson ?
Octave Larmagnac-Matheron 18 March 2022
De drôles de poissons nagent dans le laboratoire de Kit Parker, professeur en bio-ingénierie de l’université Harvard et chercheur en cardiologie à l’hôpital pour enfants de Boston. Ils sont en effet constitués de cardiomyocytes, des cellules de cœur humain réagencées pour former un orga..
Un poisson nommé Bergson ?
Article 1 min
“Sacrifice”
Octave Larmagnac-Matheron 18 March 2022
« Je vous parle des citoyens ukrainiens qui défendent leur pays en faisant le sacrifice ultime » Volodymyr Zelensky face au Parlement européen, le 1er mars. « La nation, comme l’individu, est l’aboutissant d’un long passé d’efforts, de sacrifices et de d..
Article 1 min
“Cyberpsychologie”
Octave Larmagnac-Matheron 18 March 2022
Addiction au jeu vidéo, attachement affectif à des agents artificiels de discussion, empathie pour des robots, dédoublement de la vie dans le métavers, acquisitions de nouvelles facultés et de nouvelles compétences… C’est pour penser d’un même bloc les métamorphoses virtuelles de nos f..
“Cyberpsychologie”
Article 1 min
7 %
Octave Larmagnac-Matheron 18 March 2022
C’est la hausse de la mortalité infantile en France entre 2012 et 2019, qui est passée de 3,32 à 3,56 décès pour 1 000 naissances, selon une étude de l’Inserm parue récemment dans The Lancet Regional Health Europe. L’évolution est jugée « très inquiétante ..
Article 2 min
Le secret du bonheur
Octave Larmagnac-Matheron 18 March 2022
Note moyenne de satisfaction des Français > 7,3/10 en 2010 > 7,6/10 en 2012 > 7,2/10 en 2013 > 7,4/10 en 2019 Écart de satisfaction par rapport à la moyenne nationale : > en région parisienne -1 point > dans le Gard +0,4 point > dans le Cher -0,2 point Écart d..
PERSPECTIVES
Article 3 min
Emmanuel Macron a-t-il déjà gagné ?
Marius Chambrun 19 March 2022
L’élection présidentielle va-t-elle se résumer à une reconduction du président sortant ? En apparence, la crise ukrainienne renforce sa stature de chef d’État et facilite sa réélection, l’incitant à faire une campagne minimale. En réalité, cette situation pourrait affaiblir son deuxième quinquennat. Explications.
Emmanuel Macron a-t-il déjà gagné ?
Article 3 min
L’abstention, stop ou encore ?
Charles Perragin 19 March 2022
Les observateurs redoutent qu’un nombre important de Français n’aillent pas voter aux présidentielles, puis aux législatives. Quelles sont les causes et les conséquences de ce désaveu démocratique ? Réponses de la sociologue Céline Braconnier, spécialiste de la participation électorale.
L’abstention, stop ou encore ?
Article 3 min
Gaspard Kœnig : “Faire de la politique oblige le philosophe à préciser ses idées”
Alexandre Lacroix 19 March 2022
À l’initiative du mouvement politique Simple, le philosophe Gaspard Kœnig a été candidat à l’élection présidentielle, avant de devoir renoncer, n’ayant obtenu que 107 signatures de parrainage. Nous l’avons interrogé sur le projet qu’il a tenté de porter durant cette campagne, celui de la « simplicité ».
Gaspard Kœnig : “Faire de la politique oblige le philosophe à préciser ses idées”
Article 4 min
Giec, un rapport passé sous silence ?
Samuel Lacroix 19 March 2022
Paru fin février, le second volet du sixième rapport du Giec ne semble pas avoir eu beaucoup d’échos politiques ou médiatiques. Peut-être parce qu’il est, malgré lui, considéré comme décrivant des catastrophes à venir et non comme une tragédie en cours.
Giec, un rapport passé sous silence ?
AU FIL D’UNE IDÉE
Article 2 min
MMORPG, le grand jeu
Sven Ortoli 19 March 2022
Sur les 3 milliards de joueurs de jeux vidéo (tous types confondus) en 2021 dans le monde, 20 millions sont des adeptes quotidiens des MMORPG (jeux de rôle en ligne massivement multijoueurs). 68 % des Français jouent à des jeux vidéo et, parmi eux, 10 % à ..
MMORPG, le grand jeu
ETHNOMYTHOLOGIES
Article 3 min
Cocktail Molotov. Feu magique
Tobie Nathan 18 March 2022
Cette arme est massivement fabriquée par le peuple ukrainien pour résister à l’agression russe. Si sa recette s’échange aujourd’hui sur Internet, elle a longtemps été un secret ésotérique.
Cocktail Molotov. Feu magique
REPORTAGE
Article 16 min
Le peuple chinois, et moi et moi et moi…
Alexis Lavis 19 March 2022
Avec la crise sanitaire, la Chine semble s’être isolée du reste du monde. Les médias occidentaux insistent sur la montée du nationalisme dans le pays et blâment la mise en place d’un système de surveillance numérique qui rappellerait 1984. Mais qu’en est-il pour quelqu’un qui vit sur place ? Alexis Lavis, philosophe français qui enseigne à l’université Renmin de Pékin, livre sa perception en immersion de la société et de la politique chinoises actuelles, ce qui lui donne l’occasion d’une réflexion originale sur le sens du « peuple ».
Le peuple chinois, et moi et moi et moi…
L’ŒIL DE LA SORCIÈRE
Article 3 min
Des becs qui s’allongent
Isabelle Sorente 19 March 2022
Plusieurs espèces animales se transforment physiquement sous l’effet du réchauffement climatique. Et nous, quelle sera notre stratégie d’adaptation ?
Des becs qui s’allongent
DOSSIER
6 articles
La guerre, alors qu’on n’y pensait plus
Publié le 19 March 2022
Nous autres Européens avions cessé de penser la guerre comme une possibilité réelle sur notre continent, comme un événement pouvant faire effraction et modifier le cours de nos existences. D’une part, nous avons vécu plusieurs générations de paix depuis 1945, et le conflit en ex-Yougoslavie a été interprété comme un contrecoup de la chute du mur de Berlin et non comme une guerre de conquête, comparable aux assauts de Napoléon ou de Hitler. D’autre part, nous avons eu tendance à adopter la perspective d’Emmanuel Kant sur l’histoire, selon laquelle la paix est l’état normal, l’horizon vers lequel tendent les régimes démocratiques, tandis que la guerre est un état d’exception momentané. Et si cette vision était remise en cause avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie ? > Pour tenter de répondre, nous avons imaginé un dialogue entre Kant, Hegel et Nietzsche, parce qu’il est peut-être temps de changer de philosophie de l’histoire. > Notre rédacteur en chef Michel Eltchaninoff, auteur de Dans la tête de Vladimir Poutine, met en garde depuis des années contre la doctrine nationaliste et l’eurasisme de Vladimir Poutine, pointant sa volonté de reconstituer l’empire soviétique perdu. Il reprend ici sa thèse à la lumière des événements. > La politologue Alexandra Goujon, spécialiste de l’Ukraine, nous explique les racines profondes du courage des Ukrainiens face au rouleau compresseur de l’armée russe. > Michel Eltchaninoff a interrogé deux philosophes ukrainiens, Constantin Sigov et Volodymyr Yermolenko, ainsi qu’un penseur russe qui a préféré conserver l’anonymat, toute critique de l’invasion étant désormais passible d’une peine de prison en Russie. > De l’Antiquité à nos jours, trois âges de la guerre se sont succédé : les cités antiques craignaient la division interne et la guerre civile ; la Modernité fut dominée par des conflits entre États-nations ; et le XXe siècle, avec les totalitarismes, la Shoah et l’usage de la bombe atomique, fut marqué par un passage aux extrêmes. Est-il à craindre que ces trois âges fusionnent ? > Ce qui est certain, c’est qu’au XXIe siècle, les guerres ne commencent pas par une déclaration officielle en bonne et due forme et ne se terminent pas par des armistices ni des traités redessinant les frontières. C’est l’enseignement des spécialistes des conflits armés Jean-Vincent Holeindre, Ninon Grangé et Élie Baranets.
La guerre, alors qu’on n’y pensait plus
Article 11 min
La guerre est-elle le moteur caché de l’histoire ?
Alexandre Lacroix 19 March 2022
Tandis que la bataille de Kiev fait rage, l’oblast de Kaliningrad, petit territoire russe enclavé entre la Lituanie et la Pologne, est comme détaché du monde, pris dans une torpeur irréelle. Les routes sont coupées et la plupart des commerces fermés dans cette ville qui appartenait autrefois à la Prusse, s’appelait Kœnigsberg et où le plus grand des philosophes des Lumières, Emmanuel Kant, coula des jours paisibles. Pourtant, en se donnant la peine de regarder à travers la vitre d’un café éteint, l’on croirait distinguer trois ombres accoudées au comptoir en train de discuter.
La guerre est-elle le moteur caché de l’histoire ?
Article 10 min
Dans la tête de Poutine en Ukraine
Michel Eltchaninoff 19 March 2022
Tout le monde se demande pourquoi Vladimir Poutine s’est lancé dans une aventure sanglante – et potentiellement auto-destructrice – en envahissant l’Ukraine. Mais si on lit soigneusement ses déclarations depuis les années 2000, on comprend qu’il a mis en place une idéologie fondée sur les idées d’empire, de confrontation avec l’Occident et de guerre. Il semble désormais enfermé dans sa logique fictionnelle. Analyse.
Dans la tête de Poutine en Ukraine
Article 6 min
Ukraine, une identité en situation
Cédric Enjalbert 19 March 2022
Spécialiste de l’Ukraine et de la Biélorussie, la politologue Alexandra Goujon, qui vient de publier L’Ukraine. De l’indépendance à la guerre, retrace pour nous l’histoire contrastée de cette nation indépendante depuis trente ans.
Ukraine, une identité en situation
Article 6 min
Des voix dans le conflit
Michel Eltchaninoff 19 March 2022
Dès le premier jour de l’invasion russe, le 24 février, nous nous sommes entretenus au téléphone avec des philosophes ukrainiens et russes. Ils posent des mots sur ce qui leur arrive.
Des voix dans le conflit
Article 17 min
Les trois âges de la guerre
Martin Legros 19 March 2022
Si la guerre en Ukraine marque un événement sans précédent dans l’histoire, c’est parce que, loin de se réduire à l’attaque d’un pays souverain par une armée étrangère, elle condense sur un seul théâtre les trois âges et les trois formes de la guerre qu’anthropologues, philosophes et théoriciens ont distinguées dans la longue histoire des conflits armés.
Les trois âges de la guerre
Article 8 min
Peut-on encore gagner une guerre ?
Cédric Enjalbert 19 March 2022
Échappant aux règles classiques qui régissent la confrontation armée, les conflits contemporains rendent difficile la définition d’un vainqueur. Trois spécialistes expliquent cette dilution de la guerre et de la paix.
Peut-on encore gagner une guerre ?
ENTRETIEN
Entretien 17 min
Joëlle Zask : “Gouverner n’est pas gérer”
Cédric Enjalbert 19 March 2022
S’intéressant à des sujets concrets, tant esthétiques et architecturaux qu’écologiques et politiques, la philosophe, figure de proue du courant pragmatiste en France, a développé une méthode d’élucidation des problèmes toute personnelle, fondée sur l’expérience.
Joëlle Zask : “Gouverner n’est pas gérer”
L’AVENTURE D’UN CLASSIQUE
5 articles
“Léviathan”. Acte de naissance de l’État
Publié le 21 March 2022
Guérir la peur par la peur ? C’est le pari de Hobbes (1588-1679), qui propose comme remède à la guerre de chacun contre tous le Léviathan, soit un État dont le pouvoir s’apparente à la terreur inspirée par le monstre biblique. De cet équilibre paradoxal naît l’État moderne.
“Léviathan”. Acte de naissance de l’État
Article 11 min
“Léviathan” : à l’origine de la philosophie politique moderne
Victorine de Oliveira 19 March 2022
Pour Hobbes, l’État n’est pas plus le cadre naturel de la vie en commun qu’il ne se fonde sur un quelconque droit divin. Il est une construction humaine définie par un contrat : les individus renoncent à une partie de leur liberté au profit d’un souverain qui établit la paix civile et les conditions d’une vie stable en communauté. Cette pensée développée dans le Léviathan est l’une des premières théories rationnelles de l’État.
“Léviathan”. Acte de naissance de l’État
Article 2 min
“Léviathan”. Colosse aux pieds d’argile
Victorine de Oliveira 19 March 2022
Le Léviathan est un ouvrage ambitieux, traversé par la nécessité de fournir des fondations solides à ce que Hobbes entend faire de l’État moderne. En quatre parties, il pose les conditions de la stabilité et de la sécurité pour les citoyens – toutes choses absentes de l’Angleterre de son temps.
Article 3 min
Hobbes et Rousseau croqués par Diderot
19 March 2022
Dans le Léviathan, Hobbes bouleverse la philosophie politique, notamment en introduisant la fiction d’un état de nature apocalyptique. Rousseau y opposera une vision bien différente : s’il reprend la théorie du contrat, le philosophe des Lumières fait le pari de la bonté originelle de l’homme. Dans l’Encyclopédie, Diderot place les deux philosophes dos à dos en un match qui a toujours cours. Et vous, quel est votre camp ?
Article 5 min
Céline Spector : “Avec Hobbes, on ne sort jamais de la peur”
Victorine de Oliveira 19 March 2022
Pour la philosophe Céline Spector, si Hobbes s'appuie sur la peur que doit inspirer l’État pour mettre fin à la guerre de chacun contre chacun, il n'en garantit pas moins garantit des conditions de réciprocité et de protection qui nous préviennent de la violence d’autrui. Une leçon que devraient, selon elle, méditer tous ceux qui se réclament aujourd'hui de son héritage.
“Léviathan”. Acte de naissance de l’État
Article 17 min
“Léviathan”. Les extraits
19 March 2022
Nous reproduisons des extraits du Léviathan de Thomas Hobbes, traduits par Raoul Anthony.
BOÎTE À OUTILS
Article 2 min
Pourquoi portons-nous du parfum ?
Joséphine Robert 18 March 2022
Est-ce seulement pour « sentir bon » que nous nous parons de ces essences fleuries, fruitées, boisées ou épicées ? Réponses avec quatre philosophes bien… nez.
Pourquoi portons-nous du parfum ?
Article 1 min
Jayus
Octave Larmagnac-Matheron 18 March 2022
Langue d’origine : indonésien
Article 2 min
Imitation
Marius Chambrun 18 March 2022
Parmi ces cinq philosophes, qui a copié qui ?
BACK PHILO
Bac philo 6 min
Sommes-nous maîtres de la technique ?
Aïda N’Diaye 16 March 2022
Analyse des termes du sujet « Sommes-nous » Individuellement ? Collectivement ? « maîtres de  » Contrôler les effets, savoir s’en servir, en être le possesseur ou le propriétaire. « technique » Un outil ou une machine, une technologie, un savoir-faire.
LIVRES
Article 2 min
J’y pense et puis je lis/Avril 2022
Jean-Marie Durand 19 March 2022
« En présentiel » ou « en distanciel » ? Depuis deux ans, nos réunions et conversations expriment le dilemme de leur organisation technique à travers une forme détournée de la langue ; plutôt que de s’en tenir à la simplicité des mots « en présence » et ..
Livre
Alice Carabédian
Utopie radicale
Publié le 16 March 2022
Vivre dans des ruines, des cabanes, des espaces parallèles à l’ordre dominant : le chaos du présent y invite. Se déployant à partir de ce paysage bricolé dans les marges, les utopies contemporaines se prétendent ainsi « concrètes », « réelles », voire « réalistes » Mais ne pourrait-on pas imaginer plus (plus loin, plus haut, plus grand) que ce que les ruines nous laissent ? Et s’il était temps d’aller « au-delà des cabanes » et de « penser les fusées », soit puiser dans la science-fiction des ressources pour décloisonner nos imaginaires politiques ? C’est cette hypothèse que soulève la philosophe Alice Carabédian dans cet essai magistral. Rappelant que tout ce qui est possible a d’abord été impossible (que la Terre tourne autour du Soleil, que l’humain descende du singe…), elle observe que, si les pires choses adviennent dans la réalité, comme l’illustrent les fictions dystopiques en vogue – de Black Mirror à The Handmaid’s Tale –, nous ne savons plus penser la sérénité, la joie, l’égalité, l’attention à l’autre, la liberté, la pluralité… Or la science-fiction qu’explore Carabédian – des Dépossédés d’Ursula Le Guin à Apprendre, si par bonheur de Becky Chambers, en passant par la série Star Trek: Discovery – permet de penser l’altérité, l’hospitalité, le nomadisme, la responsabilité… sous une forme excentrique mais féconde. C’est bien dans les étoiles que « s’échappent sans frein les torrents effervescents de nos désirs politiques », que se dessine « une utopie radicale, toujours en excès, sauvage et indomptable ». Cette science-fiction repolitise notre attention à un monde commun et invite à conceptualiser des pratiques langagières et théoriques qui défient les normes, les ordres. Par son étrangeté même, la science-fiction propose une manière « d’imaginer d’autres façons de penser les savoirs ». La radicalité que défend ici Alice Carabédian est celle d’une ouverture sensible à des possibles inexplorés, donnant raison à Fredric Jameson, théoricien du postmodernisme, qui rappelait « qu’on ne peut imaginer de changement fondamental dans notre existence sociale qui n’ait d’abord projeté des visions utopiques comme une comète des étincelles ».
Utopie radicale
Livre
Yves Citton
Altermodernités des Lumières
Publié le 16 March 2022
Parce qu’il a revêtu une peau d’ours et qu’il se voit dans le miroir, un bourgeois de province croit être devenu un loup-garou et terrorise la ville (Monsieur Oufle, de Laurent Bordelon, 1710). Éconduit par sa dulcinée, un jeune homme s’invente un métier : il cherche à faire fortune en vendant des excréments (Le Marchand de merde, de Thomas-Simon Gueullette, 1720). Insolites, bizarres ou merveilleuses, ces histoires ne font pas prévaloir la toute-puissance de la raison. Elles appartiennent cependant à un corpus oublié : celui des auteurs mineurs – ou considérés tels – du XVIIIe siècle. De Boulainvilliers à Potocki, en passant par Tiphaigne de La Roche, Yves Citton explore l’envers de la pensée des Lumières. Sans être antimodernes, ces œuvres se déploient dans une dimension parallèle à celle de la raison scientifique, de la claire conscience de soi et du contrat social. Où se situe leur différence ? « Les altermodernes savent qu’ils ne peuvent ni savoir ni agir sans croire. Les modernes ne le savent pas », relève Citton. Ainsi, parmi beaucoup d’autres, l’histoire du loup-garou imaginaire et celle du marchand de merde mettent en œuvre le ressort secret de la croyance. Du même coup, elles deviennent un apport précieux pour déchiffrer notre monde, où rien ne semble plus fonctionner selon la rationalité des Lumières. En résonance avec des penseurs actuels, comme Bruno Latour, mais aussi des auteurs décoloniaux, ces « altermodernités des Lumières » nous aideront peut-être à réinventer une modernité en crise.
Altermodernités des Lumières
Livre
Sophie Galabru
Le Visage de nos colères
Publié le 16 March 2022
La colère a mauvaise presse : elle serait une marque de faiblesse, voire d’impuissance. Depuis l’Antiquité, les philosophes, à l’instar de Sénèque dans De la colère, se chargent de dénigrer « cette passion, de toutes la plus ignoble et la plus effrénée ». Au point que s’énerver aujourd’hui, c’est passer pour un dangereux sécessionniste des conventions sociales, un réfractaire au bon sens du développement personnel, un allergique grincheux à la « positive attitude ». Globalement, la colère, ou plutôt « nos colères » (le collectif a son importance), sont empêchées. Dans cet essai, Sophie Galabru enquête sur les raisons d’un tel enfouissement, non sans une certaine passion, justement, palpable dès une introduction au ton personnel. C’est à une forme de généalogie que l’autrice s’attelle, repérant que tout se joue dès l’enfance. Assimilée au caprice, la colère infantile se doit d’être domestiquée, matée. Le respect dû aux parents est difficilement questionnable. Pourtant, l’autorité parentale peut aussi être abusive : « La violence se génère d’abord en famille, remarque-t-elle : en raison de la dépendance biologique, d’autres dépendances semblent dériver – affective et économique, juridique et sociale. » Ce qui s’exprime alors dans la colère est un élan vital pour la survie, accompagné du sentiment d’une injustice profonde : en position de dominé, l’enfant n’a pour s’exprimer que ses pleurs et ses cris. De cette colère salvatrice, Sophie Galabru souhaiterait que l’on se souvienne, lorsque l’entreprise joue avec nos nerfs, en niant les rapports de pouvoir à coups de management du cool et d’ateliers comportementaux. Autant de façons de renvoyer les salariés à leur enfance. Si la colère est une émotion d’abord individuelle, elle ouvre néanmoins à l’action collective – sa valeur principale. Qu’elle s’empare des foules ou des peuples, il serait temps de prendre son souffle au sérieux.
Le Visage de nos colères
Livre
Julia Kerninon
Toucher la terre ferme
Publié le 16 March 2022
La sincérité en littérature est souvent le terreau de la médiocrité. « Un livre sincère », peut-on lire en quatrième de couverture de telle ou telle confession grimée en roman, ou de tel ou tel témoignage qui « pose des mots sur les maux ». Le livre sincère est toujours « poignant », ou « personnel et touchant », ou « cathartique et émouvant », ou « profondément humain ». Il convient de le lire en tenant sa garde : qu’on se le dise, le livre sincère est aussi un livre « coup de poing », on n’en sort « pas indemne ». Bien. Mais l’on oublie trop souvent de mentionner que le livre sincère est la plupart du temps aussi dépourvu de littérature que le yaourt 0 % de matière grasse. Littéra-quoi ? semblent se demander ceux qui font profession d’écrire des livres sincères et d’en publier. Littérature, c’est-à-dire style, c’est-à-dire timbre et intensité d’une voix si singulière qu’elle impose, en quelques lignes, une présence reconnaissable entre toutes. Si l’on ne connaissait pas Julia Kerninon, on pourrait s’inquiéter à la lecture de la quatrième de couverture de Toucher la terre ferme, « récit intime » où l’autrice « plonge au cœur des sentiments ambigus de la maternité » et « confie ses tempêtes intérieures ». Mais on connaît Julia Kerninon, de Buvard à Liv Maria on a lu ses romans, et l’on a lu, il y a cinq ans, Une activité respectable, magnifique récit d’une soixantaine de pages dans lequel elle décortiquait d’une plume revigorante la genèse de sa vocation d’écrivain. Or voici qu’elle revient avec un récit du même acabit, où elle nous entretient cette fois-ci non pas de ses livres, qui comme chacun sait sont pour les écrivains des enfants, mais de ses enfants – ceux qu’elle a eus avec un homme auquel elle consacre des pages étincelantes, véritable éloge de l’amour conjugal. Avec des mots toujours justes, elle nous raconte la maternité, ce « cercle de feu » dans lequel avant d’avoir son deuxième enfant elle ne parvenait pas à se tenir, et nous dit toute l’ambivalence d’une jeune mère qui aime ses enfants, mais qui aime aussi se souvenir « de la jeune moi marchant défoncée sur les trottoirs de Maybachufer à cinq heures du matin pour aller racheter des cigarettes au cinquième jour d’un marathon de lecture dans mon lit ». Un livre sincère, oui. Mais qui nous réconcilie avec la sincérité en littérature.
Toucher la terre ferme
Livre
Bruce Bégout
Obsolescence des ruines
Publié le 18 March 2022
Notre architecture contemporaine est atteinte de « vieillissement accéléré » : tel est le constat sur lequel s’ouvre l’essai de Bruce Bégout. « Nos édifices durent de moins en moins longtemps. […] Les constructions de la modernité tardive ne sont pas beaucoup plus solides que leur maquette. » Le philosophe y voit un renversement profond des rythmes : là où la « première règle » de l’architecture, celle de la « solidité », exigeait pendant des siècles « une production plus solide et plus durable que le corps humain qui la produit », nos demeures sont devenues « plus fragiles que les corps humains qui les ont édifiées ». À peine inaugurés, les voilà déjà lézardés de fissures et autres failles. « La création [est] en même temps altération. » Le neuf est déjà vieux. Même si ces édifices sont préservés coûte que coûte pendant un bref instant, par une sorte d’obsession de « l’intégrité des créations », le premier signe de dégradation est déjà l’annonce des « décombres », de l’anéantissement. La construction disparaîtra bientôt ou sera démolie, et remplacée, sans passer par une case essentielle : la ruine. Nous vivrons bientôt dans un « monde sans ruine », qui bouleverse notre rapport au temps. En effet, la ruine donne à voir le « flux dissolvant du temps » qui s’inscrit, « lentement », dans la pierre – flux stabilisé dans un équilibre précaire par la « résistance obstinée de la forme et de la matière ». Le temps long de son érosion est aussi le temps d’émergence de nouveaux ensembles. La ruine nous met en contact avec « une sorte d’éternité des forces productrices et destructrices et de leur jeu continuel d’opposition », qui est comme le symbole de notre humaine condition.
Obsolescence des ruines
Livre
Georges Didi-Huberman
Le Témoin jusqu’au bout
Publié le 16 March 2022
« Je veux témoigner jusqu’au bout », avouait dans son Journal de 1942-1945 Victor Klemperer, l’auteur du livre LTI, la langue du IIIe Reich, monument littéraire décrivant la structure du langage nazi. Que faut-il entendre par ce « jusqu’au bout », se demande Georges Didi-Huberman, ému par la beauté de la langue de Klemperer ? Témoigner jusqu’au bout, « c’est ne pas éviter de s’inclure soi-même dans ce dont on témoigne » ; c’est mettre au jour une « certaine vérité des émotions », clivée entre terreur et désir d’y résister. Si Klemperer témoigne des événements et des faits de langage du IIIe Reich, ceux-ci ne sont jamais « disjoints des affects qu’ils ont fait surgir chez celui qui les a subis ». Témoigner pour les autres et écrire ce que l’on éprouve soi-même procède d’une même volonté : ne pas céder à la brutalisation du totalitarisme qui ne vise qu’à rendre apathique, privé de son temps et de ses subjectivations. Se déployant comme une écriture pure de la détresse, son journal laisse étrangement place à l’énergie de comprendre, à une « façon de retrouver le sens du partage ». Face au mal, le témoin sensible persiste dans l’écriture, malgré tout ce qui s’oppose à l’idée même d’une espérance. « Une grande part de son endurance lui est venue de la possibilité éthique qu’il lui fallait, à chaque fois, coûte que coûte, ouvrir dans l’espace du malheur », souligne le philosophe ; « cela passait par une extrême sensibilité au temps, une façon de savoir attendre ; s’obliger à voir que les choses peuvent devenir ». C’est cette possibilité d’un devenir, enchâssée à l’expression « malgré tout », qu’offre la lecture de Klemperer par Didi-Huberman à des lecteurs, affectés et ressourcés.
Le Témoin jusqu’au bout
Livre
Enzo Traverso
Révolution. Une histoire culturelle
Publié le 16 March 2022
En dépit de leurs impasses répétées, les révolutions ne s’en laissent pas compter. Leur force tient à ce qu’on ne peut jamais les programmer, puisqu’elles « arrivent toujours inattendues ». Plutôt que de s’en tenir à une position rigide, conduisant à une idéalisation naïve ou à une condamnation intransigeante, Enzo Traverso s’attache à la révolution comme à un pur objet historique – et même comme à un « concept clé d’interprétation de l’histoire moderne ». Assumant l’héritage de Karl Marx et de Walter Benjamin, qui envisageaient la révolution comme une interruption soudaine d’un continuum historique, Traverso traverse l’histoire de la révolution sous l’influence secrète de Max Weber. Dans la mesure où l’étude de la révolution mérite, selon lui, une « compréhension critique », qui contourne la nécessité morale de choisir les bonnes et les mauvaises. Ce qui l’intéresse, c’est de saisir en quoi les révolutions « expriment la respiration de l’histoire ». « Leur propension à susciter des souvenirs lyriques ou des représentations iconiques n’empêche pas le regard critique d’en saisir, au-delà de leurs potentialités libératrices, les hésitations, les ambiguïtés, les impasses et les limites, toutes inhérentes à leur nature plurielle et contradictoire, toutes inséparables de leur intensité ontologique », écrit Traverso. La part émotionnelle de toute révolution l’intéressant au premier chef, il la sonde dans les traces visibles de ses effusions. Pour ce faire, il collecte des fragments intellectuels et matériels d’un passé révolutionnaire éclaté, en accordant la même importance aux sources théoriques, historiographiques et iconographiques (pensées, statues, affiches, chansons, barricades, peintures…). Cet assemblage nourrit le livre d’un feu contagieux, qui, prenant acte de la violence comme dimension de la structure ontologique de toute révolution, n’en porte pas moins une croyance appuyée dans l’idée de la libération elle-même. Ne cédant pas au discours dominant selon lequel vouloir changer le monde revient à construire le totalitarisme, Traverso laisse vibrer en lui, et en nous, la foi dans un basculement libérateur toujours possible, dont la résignation actuelle et le tragique de l’histoire n’ont pas définitivement effacé le désir.
Révolution. Une histoire culturelle
Livre
Rachel Bespaloff
De la compréhension musicale à la métaphysique de l’instant
Publié le 16 March 2022
« En tout métaphysicien d’un certain type – poète, philosophe ou romancier – il y a un compositeur », écrivait Rachel Bespaloff dans Cheminement et Carrefours (1938). Cette conviction d’une intime liaison de la musique et de la pensée est un fil directeur de la trajectoire de la philosophe née en Bulgarie, qui commença d’ailleurs par enseigner la danse avant d’entrer en dialogue avec Gabriel Marcel, Jean Wahl ou encore Henri Bergson. C’est tout l’intérêt de ce recueil d’articles jusqu’ici introuvables édité et richement documenté par Olivier Salazar-Ferrer que de donner à entendre cette trame mélodique et de la réinscrire dans les discussions sur la musique qui essaiment au sein du champ philosophique dans la première moitié du XXe siècle. « De quels sortilèges dispose donc la musique pour évoquer les phénomènes les plus subtils et les plus complets de notre vie intérieure ? » interroge Bespaloff. À ses yeux, la musique arrache l’homme à la fragmentation géométrique du temps en une succession d’instants hétérogènes. « La courbe d’une mélodie, le dessein d’une formule rythmique nous donnent une idée adéquate des figures […] qu’assume notre durée » intérieure. « C’est de cet arrachement au temps que naît l’instant où l’éternel n’apparaît nullement comme l’immuable, mais comme l’éternellement neuf. » Un instant « métaphysique » radicalement distinct de l’instant géométrique, une note « indécomposable » où passé, présent et avenir se rejoignent et sont reconduits à leur commune source vive : le « jaillissement capté de la primordialité sauvegardée », la création éternellement jeune de la conscience. « La musique […] extrait du passé son essence impérissable et dispute ainsi notre être à la mort ; mais elle ne se borne pas à libérer le potentiel d’énergie intacte que contient ce passé, elle projette jusque dans l’avenir la dynamique de notre existence. » À l’homme écartelé entre le poids d’un passé mort et l’annonce d’un futur évanescent, la musique substitue une dilatation de l’instant, qui est aussi réconciliation de l’homme avec lui-même, résorption de son éclatement. « L’art musical transcende à la fois la subjectivité du Moi et l’objectivité du non-Moi. Le dualisme du sujet et de l’objet dont la pensée n’arrive jamais à triompher entièrement, il le supprime par un acte de création synthétique. En lui, le Moi parvient à se connaître sans se diviser, et à reconstruire selon une dimension nouvelle la courbe de son unité recouvrée.
De la compréhension musicale à la métaphysique de l’instant
Livre
Karol Beffa
L’Autre XXe Siècle musical
Publié le 16 March 2022
Que ne s’est-on imposé à nous-mêmes des goûts en fonction de l’idée d’un « bon goût » indépassable, socialement construit ? S’il est difficile d’échapper totalement à cette norme, certains s’autorisent heureusement à désobéir aux règles que leur éducation fait peser sur leurs affects. C’est cette expérience transgressive dont témoigne le pianiste, compositeur et musicologue Karol Beffa dans un récit enlevé sur l’histoire de sa formation au Conservatoire puis à l’Ircam, et sur l’écart de sa relation intime à la musique du XXe siècle d’avec les normes en vigueur. « On avait beau me seriner qu’il fallait suivre la ligne droite qui menait de Bach à Stockhausen via Beethoven, Wagner, Schoenberg et Webern, je me sentais plus moi-même à flâner, quitte à m’y égarer, dans les voies de traverse et les sentiers broussailleux » qu’exploraient Janáček, Strauss, Puccini, Poulenc, Satie ou Britten, chacun à sa manière. S’autorisant « un con-tact direct, personnel, immédiat avec les œuvres », Karol Beffa expose la liste de ses épanchements (Ligeti, Górecki, Pärt, les répétitifs américains Steve Reich, John Adams…) en donnant raison à Jules Renard qui invitait à se détacher de « ce vice littéraire qui consiste à se forcer à aimer ce qu’on se croit obligé d’admirer ». En démontrant qu’il est possible de s’arracher au goût dominant, à force de persévérance et de confiance en sa propre sensibilité, l’auteur défend un paysage musical composite, marqué par un entrelacement du savant et du populaire, à l’image de Ravel ou même de Vladimir Cosma, dont la musique du Grand Blond, riche d’une simplicité délicate, dans un déséquilibre tenu, égale largement celle des génies consacrés du XXe siècle.
L’Autre XXe Siècle musical
Livre
Emma Carenini
Soleil. Mythes, histoire et sociétés
Publié le 16 March 2022
La longue séquence de l’hiver passé, et le déficit de lumière qu’elle a provoqué dans nos existences assombries, nous invitent à prendre aujourd’hui le soleil au sérieux, tant il nous a manqué. Grâce à lui, ne sommes-nous pas étrangement augmentés ? La structure sensorielle du corps ne change-t-elle sous son influence ? C’est l’hypothèse que soulève Emma Carenini dans une réflexion lumineuse sur ce que le soleil fait aux individus et à la pensée elle-même. Rappelant que le soleil n’a cessé d’inspirer les philosophes – de la théorie des idées de Platon jusqu’à la pensée du Midi de Nietzsche –, elle soutient qu’il existe une pensée « faite au soleil, qui n’est pas la même qu’ailleurs ». La philosophie occidentale a une dette envers la lumière de la Méditerranée, estimait Paul Valéry, en ce sens qu’elle est directement née d’un environnement de perceptions. Ce n’est que par la lumière que le monde devient accessible. Si l’esprit du Sud a irrigué la pensée antique et moderne, c’est parce que « l’éclat du soleil nous rend à l’extériorité du monde, tandis que la nuit nous tourne vers une parole intérieure ». Mais aurions-nous aujourd’hui oublié la sagesse des Grecs anciens qui s’émerveillaient chaque jour du soleil ? Serions-nous devenus indifférents à la lumière ? Emma Carenini pose la question sans nier les dangers du réchauffement climatique entretenu par les rayons du soleil, qui est à la fois « principe de vie et cause de mort ». Ce qu’elle démontre avec éclat, ce sont les bienfaits de l’énergie solaire, l’une des plus prometteuses des énergies renouvelables. Capter directement l’énergie du soleil, comme on a en volé le feu, c’est ce que promet une véritable « civilisation solaire à venir ». Croisant les philosophies et les sciences qui n’ont cessé de progresser en observant le soleil (depuis Archimède), l’autrice invite à faire collectivement place au soleil plutôt qu’à pousser chacun à se faire une place au soleil. Plus que l’aveu d’une impatience pour la pleine lumière des jours d’été, elle dessine les contours d’un outil conceptuel, physique, énergétique et sensuel. Non, Nicoletta, il n’est pas mort le soleil !
Soleil. Mythes, histoire et sociétés
Livre
François Dosse
Macron ou les illusions perdues
Publié le 16 March 2022
Est-ce un portrait d’Emmanuel Macron en Lucien de Rubempré ? Oui, mais c’est surtout un bilan (très) critique du quinquennat qui s’achève. Il faut dire que la déception de l’historien des idées François Dosse est à la hauteur des espoirs qu’il avait placés en celui qu’il a connu jeune, bien avant qu’il ne devienne président de la République. En 2017, Dosse avait d’ailleurs signé Le Philosophe et le Président. Ricœur & Macron (Stock, 2017) pour le défendre contre ceux qui criaient à l’imposture et attester la réalité des affinités intellectuelles qui le liait à Paul Ricœur : oui, il avait existé entre le vieux philosophe et son jeune assistant, plus qu’une collaboration, une complicité et une proximité dans leur vision du monde. Dosse croyait même reconnaître « un parallèle entre la pensée ricœurienne et la politique préconisée par le candidat Macron », avec une exigence de justice sociale, un « attachement à une laïcité ouverte et bienveillante » ou « un souci de redynamiser la démocratie en pluralisant les responsabilités » notamment. Jürgen Habermas n’avait-il pas célébré le président français fraîchement élu comme un héros de la construction européenne, en louant sa « personnalité fascinante » et son « courage » ? Quelques années au pouvoir plus tard, la rupture était consommée… Et François Dosse de signer dès 2019 dans Le Monde une tribune fustigeant celui pour lequel il avait eu tant d’estime. Sans doute le sujet de l’immigration a-t-il fait naître ce désaveu. Mais, de manière plus générale, c’est la politique macronienne dans son ensemble que condamne Dosse en détaillant aujourd’hui les motifs de son mécontentement. Pratique verticale d’un pouvoir jupitérien, politique économique néolibérale, relégation de l’enjeu écologique au second plan, lois liberticides pendant la pandémie, caporalisation de l’Éducation nationale… Les griefs ne manquent pas dans ce véritable réquisitoire contre l’actuel locataire de l’Élysée et candidat à sa réélection. Et l’on en vient à se demander envers qui Emmanuel Macron président s’est montré le plus infidèle : l’héritage de Ricœur, les illusions de Dosse (et de quelques autres de ses électeurs) ou envers lui-même ? Mais peut-on gouverner sans trahir ses idéaux au contact de la réalité et du pouvoir ?
Macron ou les illusions perdues
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Jean-Gabriel Ganascia
Servitudes virtuelles
Publié le 16 March 2022
Généralisation de la reconnaissance faciale en Chine, volonté affichée de Mark Zuckerberg d’utiliser des « interfaces cerveau-ordinateur » pour deviner nos pensées, délires d’Elon Musk voulant stocker des informations dans notre cerveau via la création d’implants, impact des techniques de l’intelligence artificielle dans nos vies quotidiennes, mainmise par les géants Amazon, Google ou Apple sur nos données personnelles… Comment se comporter face aux transformations numériques qui affectent nos existences et nos libertés ? « Le cyber-espace accède au statut d’espace public, ce qui modifie profondément notre condition humaine qui devient de plus en plus numérique. Existe-t-il une alternative ? » À cette question vertigineuse, Jean-Gabriel Ganascia répond en cartographiant nos vies en ligne et les servitudes qu’elles induisent. Appréhendant le caractère révoltant de certaines applications de l’intelligence artificielle, il esquisse surtout des voies pratiques possibles pour échapper aux rets du numérique dont nous sommes captifs. Cette « vie en ligne mode d’emploi » guide pas à pas le lecteur dans les « méandres du cyberespace », en s’accrochant à quelques principes fondamentaux, inspirés notamment d’Albert Camus, qui, en tant que jeune journaliste au Soir républicain plongé dans le chaos de la guerre en septembre 1939, prônait quatre voies pour rester digne dans la servitude : « lucidité, refus, ironie et obstination ». Lucidité devant les enjeux de pouvoir, refus de relayer de fausses informations, jouer de l’ironie comme arme contre les fausses évidences, aller jusqu’au bout de ses convictions : si la mise au jour par Ganascia de la sophistication technique de nos servitudes virtuelles se méfie des postures simplistes défendues par les comités d’éthique dans les entreprises privées, elle n’oublie pas de rattacher l’enjeu de l’émancipation numérique à un cadre politique et moral plus général, juste, précis, efficace.
Servitudes virtuelles
Livre
Antonia Grunenberg
Walter & Asja. Une histoire de passions
Publié le 16 March 2022
Walter, ici, c’est Walter Benjamin, philosophe et théoricien de l’art allemand, auteur de L’Œuvre d’art à l’ère de sa reproduction technique et de bien d’autres ouvrages, consacré à Baudelaire notamment. Asja, elle, c’est Asja Lacis, actrice et metteuse en scène, célèbre pour son travail sur le théâtre politique – et plus précisément prolétarien, qu’elle promouvait comme son ami Bertolt Brecht. Très rapidement après leur rencontre à Capri en 1924, naquit entre eux deux une relation passionnée. Femme mariée mais libre, femme flamboyante surtout, celle que Walter Benjamin avait d’abord qualifiée de « Lettone bolcheviste » parvint à subjuguer le jeune homme introverti et bouleversa le cours de sa vie en élargissant ses perspectives qui se limitaient alors au seul horizon d’une carrière universitaire incertaine : « En termes enflammés, bruyants, prononcés en staccato, explique la politologue Antonia Grunenberg dans l’essai qu’elle consacre à cette liaison, [Asja Lacis] proclamait le rôle que jouait la vie réelle pour le théâtre et la manière dont le théâtre de la révolution agissait sur la vie. » Bousculant celui qu’elle prenait alors pour un intellectuel bourgeois coupé du monde réel, Lacis sensibilisa Benjamin au marxisme, à l’engagement politique et à la lutte des classes. Au point d’en faire « un partisan loyal du parti communiste » ? C’est ce qu’elle crut, même si la réalité est sans doute plus nuancée du côté d’un philosophe peu enclin à faire totalement sien l’espoir d’une révolution prolétarienne. Mais l’évocation des parcours croisés des deux amants est aussi l’occasion d’une passionnante plongée dans l’Europe de l’entre-deux-guerres entre Naples, Paris, Berlin, Moscou et Riga, alors que le nazisme monte et que l’Union soviétique de Staline connaît famines et purges. Arrêtée, emprisonnée puis condamnée, Asja Lacis est elle-même envoyée dans un camp de travail. Walter Benjamin, lui, réfugié en France, très affaibli physiquement et moralement, se suicide à Portbou par crainte d’être pris par la Gestapo. Fin tragique qu’elle n’apprendra que des années plus tard, comme un symbole de la désunion de leurs destinées respectives.
Walter & Asja. Une histoire de passions
Livre
Sinziana Ravini
Les Psychonautes
Publié le 16 March 2022
Tenir embrassées des réalités disparates : tel est le tour de force de cet essai de Sinziana Ravini, qui propose au lecteur un voyage à travers l’art contemporain, la psychanalyse et la littérature. « Ces réflexions, annonce l’autrice, ont été écrites comme des associations libres sur un divan. » De fait, si la thèse centrale n’est pas très nouvelle – l’art explore le trouble, la part maudite –, ce sont ses associations d’idées souvent insolites et inédites qui valent le détour. Par exemple, Ravini compare malicieusement le métavers que Facebook s’apprête à construire aux techniques de lavage du cerveau chères à Mao Zedong. Elle évoque la communauté en ligne des incels, ou « célibataires involontaires », ces hommes convaincus d’être incapables de plaire aux femmes – de nombreux auteurs de tueries en sont issus. Puis elle fait le lien avec les prisonniers de la caverne, dans le mythe de Platon, qui, lorsque l’un d’eux s’est libéré de ses chaînes et cherche à les détromper, ont envie de le tuer. Elle oppose, encore, l’artiste allemand Gregor Schneider, qui souhaitait en 2008 trouver un malade en phase terminale volontaire pour passer ses derniers jours dans une salle de musée, et les cadavres « plastinés » de l’anatomiste allemand Gunther von Hagens, dont les expositions suscitent la polémique. Le projet de Schneider n’a pas eu l’aval des autorités. Mais son geste n’aurait-il pas été plus pertinent que celui, très kitsch, de Gunther von Hagens, en tant qu’il aurait permis de montrer la mort que notre société cache ? Ce qui est le plus réel est aussi ce qui nous paraît le plus fou, explique Ravini, car loin d’être rassurant et positif, « le réel fait trou ».
Les Psychonautes
CULTURE
Article 2 min
“Vortex”. Vertiges de la mort
Cédric Enjalbert
Véritable memento mori, le dernier film de Gaspar Noé explore nos fragilités et creuse un abîme sur la question sans cesse renouvelée du sens de la vie.
“Vortex”. Vertiges de la mort
Article 2 min
“Tartuffe”. Serment d’hypocrite
Cédric Enjalbert 19 March 2022
En redonnant à la pièce de Molière son sens original, Ivo Van Hove et la troupe de la Comédie-Française livrent une magnifique mise en abîme de l’art de la scène, entre jeu, mensonge et vérité. Quand il s'agit de porter un masque pour mieux les faire tomber !
“Tartuffe”. Serment d’hypocrite
Article 2 min
“Toyen. L’écart absolu”. Toyen d’honneur
Cédric Enjalbert 19 March 2022
Le musée d'Art moderne de la Ville de Paris consacre une rétrospective à cette grande figure de l’avant-garde, proche des surréalistes et d’Annie Le Brun, qui donne forme à ce qui n'en a pas. Visionnaire !
“Toyen. L’écart absolu”. Toyen d’honneur
OH ! LA BELLE VIE
Article 2 min
Conseil n° 17. N’abandonnons pas la connerie aux seuls automobilistes !
François Morel 18 March 2022
Jadis, le con voyageait dans sa voiture. Il utilisait la puissance de son moteur pour pallier son insuffisance, sa lâcheté, sa médiocrité. Le con était humilié par sa femme, ses enfants, son chef de service. Il était ratiboisé par son percepteur, ses commerçants, ses maîtresses. Il était ..
Conseil n° 17. N’abandonnons pas la connerie aux seuls automobilistes !
JEU
Article 1 min
Philocroisés #79
Gaëtan Goron 18 March 2022
Horizontalement I. Avec Hegel et Nietzsche, il refait l’actualité dans un rade. Stade freudien. II. Dans son n° 102, Philosophie magazine a mis en Lumières ce philosophe oublié. Accord d’alliances. III. Monstre biblique et philosophique. IV. Comme un monde en pai..
Philocroisés #79
QUESTIONNAIRE DE SOCRATE
Article 2 min
MC Solaar. Éternel retour
Sylvain Fesson 19 March 2022
« J’ai dû disparaître… pour réapparaître… », rappait-il sur le titre qui l’a révélé il y a plus de trente ans et, ironie de l’histoire, l’auteur de « Bouge de là » s’est bel et bien éclipsé. Ou plutôt, ses quatre premiers albums sont devenus indisponibles après un différend avec sa maison de disques. Ayant enfin trouvé un arrangement, Qui sème le vent récolte le tempo, Prose combat, Paradisiaque et MC Solaar refont donc surface, réédités (Polydor Universal). Des séquelles ? « J’ai fait l’éloge de la fuite, comme dit Henri Laborit », « Il y a un mur ? Ne reste pas dessus, contourne, continue ». Le 29 juin, il ouvrira le festival Jazz à Vienne (Isère).
MC Solaar. Éternel retour
Philosophie magazine n°158 - March 2022
Numéro 158 - Avril 2022
FILS D'ARIANE
(Philomag) |
[n° ou bulletin] est un bulletin de / Alexandre Lacroix (2011)N°158 - Avril 2022 - La guerre. Alors qu'on n'y pensait plus [texte imprimé] . - 2022 . - 98 p. : ill. en coul. ; 29 cm. Langues : Français ( fre) Catégories : | Philosophe
| Tags : | Ukraine (guerre) Russie Hobbes forêt ville démocratie Chine | Index. décimale : | 17 Morale. Éthique. Philosophie pratique | Résumé : | Nous autres Européens avions cessé de penser la guerre comme une possibilité réelle sur notre continent, comme un événement pouvant faire effraction et modifier le cours de nos existences. D’une part, nous avons vécu plusieurs générations de paix depuis 1945, et le conflit en ex-Yougoslavie a été interprété comme un contrecoup de la chute du mur de Berlin et non comme une guerre de conquête, comparable aux assauts de Napoléon ou de Hitler. D’autre part, nous avons eu tendance à adopter la perspective d’Emmanuel Kant sur l’histoire, selon laquelle la paix est l’état normal, l’horizon vers lequel tendent les régimes démocratiques, tandis que la guerre est un état d’exception momentané. Et si cette vision était remise en cause avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie ?(Philomag) | Note de contenu : | ÉDITO
Article 3 min
Poutine et son double
Alexandre Lacroix 19 March 2022
À 4h33 du matin, le 24 février, tandis que retentissaient les premiers bombardements à Kiev, Melinda Simmons, ambassadrice du Royaume-Uni en Ukraine, tweetait : « Une attaque entièrement injustifiée d’un pays paisible a commencé. Ce n’est pas parce que vous vous êtes prépar�..
VOS QUESTIONS
Article 3 min
“Peut-on mentir à quelqu’un pour son bien ?”
Charles Pépin 19 March 2022
Question de Jérôme Poulet
“Peut-on mentir à quelqu’un pour son bien ?”
HOMMAGE
Article 5 min
Adieu à Marcel Conche, un sage contemporain
André Comte-Sponville 19 March 2022
Le philosophe Marcel Conche s’est éteint à l’âge de 99 ans le dimanche 27 février dans sa maison de Treffort-Cuisiat (Ain). André Comte-Sponville a vécu un long compagnonnage avec ce penseur matérialiste et épicurien, inspiré par l’Antiquité, indifférent aux modes intellectuelles mais résolument moderne. Il lui rend hommage.
Adieu à Marcel Conche, un sage contemporain
REPÉRAGES
Article 1 min
Un poisson nommé Bergson ?
Octave Larmagnac-Matheron 18 March 2022
De drôles de poissons nagent dans le laboratoire de Kit Parker, professeur en bio-ingénierie de l’université Harvard et chercheur en cardiologie à l’hôpital pour enfants de Boston. Ils sont en effet constitués de cardiomyocytes, des cellules de cœur humain réagencées pour former un orga..
Un poisson nommé Bergson ?
Article 1 min
“Sacrifice”
Octave Larmagnac-Matheron 18 March 2022
« Je vous parle des citoyens ukrainiens qui défendent leur pays en faisant le sacrifice ultime » Volodymyr Zelensky face au Parlement européen, le 1er mars. « La nation, comme l’individu, est l’aboutissant d’un long passé d’efforts, de sacrifices et de d..
Article 1 min
“Cyberpsychologie”
Octave Larmagnac-Matheron 18 March 2022
Addiction au jeu vidéo, attachement affectif à des agents artificiels de discussion, empathie pour des robots, dédoublement de la vie dans le métavers, acquisitions de nouvelles facultés et de nouvelles compétences… C’est pour penser d’un même bloc les métamorphoses virtuelles de nos f..
“Cyberpsychologie”
Article 1 min
7 %
Octave Larmagnac-Matheron 18 March 2022
C’est la hausse de la mortalité infantile en France entre 2012 et 2019, qui est passée de 3,32 à 3,56 décès pour 1 000 naissances, selon une étude de l’Inserm parue récemment dans The Lancet Regional Health Europe. L’évolution est jugée « très inquiétante ..
Article 2 min
Le secret du bonheur
Octave Larmagnac-Matheron 18 March 2022
Note moyenne de satisfaction des Français > 7,3/10 en 2010 > 7,6/10 en 2012 > 7,2/10 en 2013 > 7,4/10 en 2019 Écart de satisfaction par rapport à la moyenne nationale : > en région parisienne -1 point > dans le Gard +0,4 point > dans le Cher -0,2 point Écart d..
PERSPECTIVES
Article 3 min
Emmanuel Macron a-t-il déjà gagné ?
Marius Chambrun 19 March 2022
L’élection présidentielle va-t-elle se résumer à une reconduction du président sortant ? En apparence, la crise ukrainienne renforce sa stature de chef d’État et facilite sa réélection, l’incitant à faire une campagne minimale. En réalité, cette situation pourrait affaiblir son deuxième quinquennat. Explications.
Emmanuel Macron a-t-il déjà gagné ?
Article 3 min
L’abstention, stop ou encore ?
Charles Perragin 19 March 2022
Les observateurs redoutent qu’un nombre important de Français n’aillent pas voter aux présidentielles, puis aux législatives. Quelles sont les causes et les conséquences de ce désaveu démocratique ? Réponses de la sociologue Céline Braconnier, spécialiste de la participation électorale.
L’abstention, stop ou encore ?
Article 3 min
Gaspard Kœnig : “Faire de la politique oblige le philosophe à préciser ses idées”
Alexandre Lacroix 19 March 2022
À l’initiative du mouvement politique Simple, le philosophe Gaspard Kœnig a été candidat à l’élection présidentielle, avant de devoir renoncer, n’ayant obtenu que 107 signatures de parrainage. Nous l’avons interrogé sur le projet qu’il a tenté de porter durant cette campagne, celui de la « simplicité ».
Gaspard Kœnig : “Faire de la politique oblige le philosophe à préciser ses idées”
Article 4 min
Giec, un rapport passé sous silence ?
Samuel Lacroix 19 March 2022
Paru fin février, le second volet du sixième rapport du Giec ne semble pas avoir eu beaucoup d’échos politiques ou médiatiques. Peut-être parce qu’il est, malgré lui, considéré comme décrivant des catastrophes à venir et non comme une tragédie en cours.
Giec, un rapport passé sous silence ?
AU FIL D’UNE IDÉE
Article 2 min
MMORPG, le grand jeu
Sven Ortoli 19 March 2022
Sur les 3 milliards de joueurs de jeux vidéo (tous types confondus) en 2021 dans le monde, 20 millions sont des adeptes quotidiens des MMORPG (jeux de rôle en ligne massivement multijoueurs). 68 % des Français jouent à des jeux vidéo et, parmi eux, 10 % à ..
MMORPG, le grand jeu
ETHNOMYTHOLOGIES
Article 3 min
Cocktail Molotov. Feu magique
Tobie Nathan 18 March 2022
Cette arme est massivement fabriquée par le peuple ukrainien pour résister à l’agression russe. Si sa recette s’échange aujourd’hui sur Internet, elle a longtemps été un secret ésotérique.
Cocktail Molotov. Feu magique
REPORTAGE
Article 16 min
Le peuple chinois, et moi et moi et moi…
Alexis Lavis 19 March 2022
Avec la crise sanitaire, la Chine semble s’être isolée du reste du monde. Les médias occidentaux insistent sur la montée du nationalisme dans le pays et blâment la mise en place d’un système de surveillance numérique qui rappellerait 1984. Mais qu’en est-il pour quelqu’un qui vit sur place ? Alexis Lavis, philosophe français qui enseigne à l’université Renmin de Pékin, livre sa perception en immersion de la société et de la politique chinoises actuelles, ce qui lui donne l’occasion d’une réflexion originale sur le sens du « peuple ».
Le peuple chinois, et moi et moi et moi…
L’ŒIL DE LA SORCIÈRE
Article 3 min
Des becs qui s’allongent
Isabelle Sorente 19 March 2022
Plusieurs espèces animales se transforment physiquement sous l’effet du réchauffement climatique. Et nous, quelle sera notre stratégie d’adaptation ?
Des becs qui s’allongent
DOSSIER
6 articles
La guerre, alors qu’on n’y pensait plus
Publié le 19 March 2022
Nous autres Européens avions cessé de penser la guerre comme une possibilité réelle sur notre continent, comme un événement pouvant faire effraction et modifier le cours de nos existences. D’une part, nous avons vécu plusieurs générations de paix depuis 1945, et le conflit en ex-Yougoslavie a été interprété comme un contrecoup de la chute du mur de Berlin et non comme une guerre de conquête, comparable aux assauts de Napoléon ou de Hitler. D’autre part, nous avons eu tendance à adopter la perspective d’Emmanuel Kant sur l’histoire, selon laquelle la paix est l’état normal, l’horizon vers lequel tendent les régimes démocratiques, tandis que la guerre est un état d’exception momentané. Et si cette vision était remise en cause avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie ? > Pour tenter de répondre, nous avons imaginé un dialogue entre Kant, Hegel et Nietzsche, parce qu’il est peut-être temps de changer de philosophie de l’histoire. > Notre rédacteur en chef Michel Eltchaninoff, auteur de Dans la tête de Vladimir Poutine, met en garde depuis des années contre la doctrine nationaliste et l’eurasisme de Vladimir Poutine, pointant sa volonté de reconstituer l’empire soviétique perdu. Il reprend ici sa thèse à la lumière des événements. > La politologue Alexandra Goujon, spécialiste de l’Ukraine, nous explique les racines profondes du courage des Ukrainiens face au rouleau compresseur de l’armée russe. > Michel Eltchaninoff a interrogé deux philosophes ukrainiens, Constantin Sigov et Volodymyr Yermolenko, ainsi qu’un penseur russe qui a préféré conserver l’anonymat, toute critique de l’invasion étant désormais passible d’une peine de prison en Russie. > De l’Antiquité à nos jours, trois âges de la guerre se sont succédé : les cités antiques craignaient la division interne et la guerre civile ; la Modernité fut dominée par des conflits entre États-nations ; et le XXe siècle, avec les totalitarismes, la Shoah et l’usage de la bombe atomique, fut marqué par un passage aux extrêmes. Est-il à craindre que ces trois âges fusionnent ? > Ce qui est certain, c’est qu’au XXIe siècle, les guerres ne commencent pas par une déclaration officielle en bonne et due forme et ne se terminent pas par des armistices ni des traités redessinant les frontières. C’est l’enseignement des spécialistes des conflits armés Jean-Vincent Holeindre, Ninon Grangé et Élie Baranets.
La guerre, alors qu’on n’y pensait plus
Article 11 min
La guerre est-elle le moteur caché de l’histoire ?
Alexandre Lacroix 19 March 2022
Tandis que la bataille de Kiev fait rage, l’oblast de Kaliningrad, petit territoire russe enclavé entre la Lituanie et la Pologne, est comme détaché du monde, pris dans une torpeur irréelle. Les routes sont coupées et la plupart des commerces fermés dans cette ville qui appartenait autrefois à la Prusse, s’appelait Kœnigsberg et où le plus grand des philosophes des Lumières, Emmanuel Kant, coula des jours paisibles. Pourtant, en se donnant la peine de regarder à travers la vitre d’un café éteint, l’on croirait distinguer trois ombres accoudées au comptoir en train de discuter.
La guerre est-elle le moteur caché de l’histoire ?
Article 10 min
Dans la tête de Poutine en Ukraine
Michel Eltchaninoff 19 March 2022
Tout le monde se demande pourquoi Vladimir Poutine s’est lancé dans une aventure sanglante – et potentiellement auto-destructrice – en envahissant l’Ukraine. Mais si on lit soigneusement ses déclarations depuis les années 2000, on comprend qu’il a mis en place une idéologie fondée sur les idées d’empire, de confrontation avec l’Occident et de guerre. Il semble désormais enfermé dans sa logique fictionnelle. Analyse.
Dans la tête de Poutine en Ukraine
Article 6 min
Ukraine, une identité en situation
Cédric Enjalbert 19 March 2022
Spécialiste de l’Ukraine et de la Biélorussie, la politologue Alexandra Goujon, qui vient de publier L’Ukraine. De l’indépendance à la guerre, retrace pour nous l’histoire contrastée de cette nation indépendante depuis trente ans.
Ukraine, une identité en situation
Article 6 min
Des voix dans le conflit
Michel Eltchaninoff 19 March 2022
Dès le premier jour de l’invasion russe, le 24 février, nous nous sommes entretenus au téléphone avec des philosophes ukrainiens et russes. Ils posent des mots sur ce qui leur arrive.
Des voix dans le conflit
Article 17 min
Les trois âges de la guerre
Martin Legros 19 March 2022
Si la guerre en Ukraine marque un événement sans précédent dans l’histoire, c’est parce que, loin de se réduire à l’attaque d’un pays souverain par une armée étrangère, elle condense sur un seul théâtre les trois âges et les trois formes de la guerre qu’anthropologues, philosophes et théoriciens ont distinguées dans la longue histoire des conflits armés.
Les trois âges de la guerre
Article 8 min
Peut-on encore gagner une guerre ?
Cédric Enjalbert 19 March 2022
Échappant aux règles classiques qui régissent la confrontation armée, les conflits contemporains rendent difficile la définition d’un vainqueur. Trois spécialistes expliquent cette dilution de la guerre et de la paix.
Peut-on encore gagner une guerre ?
ENTRETIEN
Entretien 17 min
Joëlle Zask : “Gouverner n’est pas gérer”
Cédric Enjalbert 19 March 2022
S’intéressant à des sujets concrets, tant esthétiques et architecturaux qu’écologiques et politiques, la philosophe, figure de proue du courant pragmatiste en France, a développé une méthode d’élucidation des problèmes toute personnelle, fondée sur l’expérience.
Joëlle Zask : “Gouverner n’est pas gérer”
L’AVENTURE D’UN CLASSIQUE
5 articles
“Léviathan”. Acte de naissance de l’État
Publié le 21 March 2022
Guérir la peur par la peur ? C’est le pari de Hobbes (1588-1679), qui propose comme remède à la guerre de chacun contre tous le Léviathan, soit un État dont le pouvoir s’apparente à la terreur inspirée par le monstre biblique. De cet équilibre paradoxal naît l’État moderne.
“Léviathan”. Acte de naissance de l’État
Article 11 min
“Léviathan” : à l’origine de la philosophie politique moderne
Victorine de Oliveira 19 March 2022
Pour Hobbes, l’État n’est pas plus le cadre naturel de la vie en commun qu’il ne se fonde sur un quelconque droit divin. Il est une construction humaine définie par un contrat : les individus renoncent à une partie de leur liberté au profit d’un souverain qui établit la paix civile et les conditions d’une vie stable en communauté. Cette pensée développée dans le Léviathan est l’une des premières théories rationnelles de l’État.
“Léviathan”. Acte de naissance de l’État
Article 2 min
“Léviathan”. Colosse aux pieds d’argile
Victorine de Oliveira 19 March 2022
Le Léviathan est un ouvrage ambitieux, traversé par la nécessité de fournir des fondations solides à ce que Hobbes entend faire de l’État moderne. En quatre parties, il pose les conditions de la stabilité et de la sécurité pour les citoyens – toutes choses absentes de l’Angleterre de son temps.
Article 3 min
Hobbes et Rousseau croqués par Diderot
19 March 2022
Dans le Léviathan, Hobbes bouleverse la philosophie politique, notamment en introduisant la fiction d’un état de nature apocalyptique. Rousseau y opposera une vision bien différente : s’il reprend la théorie du contrat, le philosophe des Lumières fait le pari de la bonté originelle de l’homme. Dans l’Encyclopédie, Diderot place les deux philosophes dos à dos en un match qui a toujours cours. Et vous, quel est votre camp ?
Article 5 min
Céline Spector : “Avec Hobbes, on ne sort jamais de la peur”
Victorine de Oliveira 19 March 2022
Pour la philosophe Céline Spector, si Hobbes s'appuie sur la peur que doit inspirer l’État pour mettre fin à la guerre de chacun contre chacun, il n'en garantit pas moins garantit des conditions de réciprocité et de protection qui nous préviennent de la violence d’autrui. Une leçon que devraient, selon elle, méditer tous ceux qui se réclament aujourd'hui de son héritage.
“Léviathan”. Acte de naissance de l’État
Article 17 min
“Léviathan”. Les extraits
19 March 2022
Nous reproduisons des extraits du Léviathan de Thomas Hobbes, traduits par Raoul Anthony.
BOÎTE À OUTILS
Article 2 min
Pourquoi portons-nous du parfum ?
Joséphine Robert 18 March 2022
Est-ce seulement pour « sentir bon » que nous nous parons de ces essences fleuries, fruitées, boisées ou épicées ? Réponses avec quatre philosophes bien… nez.
Pourquoi portons-nous du parfum ?
Article 1 min
Jayus
Octave Larmagnac-Matheron 18 March 2022
Langue d’origine : indonésien
Article 2 min
Imitation
Marius Chambrun 18 March 2022
Parmi ces cinq philosophes, qui a copié qui ?
BACK PHILO
Bac philo 6 min
Sommes-nous maîtres de la technique ?
Aïda N’Diaye 16 March 2022
Analyse des termes du sujet « Sommes-nous » Individuellement ? Collectivement ? « maîtres de  » Contrôler les effets, savoir s’en servir, en être le possesseur ou le propriétaire. « technique » Un outil ou une machine, une technologie, un savoir-faire.
LIVRES
Article 2 min
J’y pense et puis je lis/Avril 2022
Jean-Marie Durand 19 March 2022
« En présentiel » ou « en distanciel » ? Depuis deux ans, nos réunions et conversations expriment le dilemme de leur organisation technique à travers une forme détournée de la langue ; plutôt que de s’en tenir à la simplicité des mots « en présence » et ..
Livre
Alice Carabédian
Utopie radicale
Publié le 16 March 2022
Vivre dans des ruines, des cabanes, des espaces parallèles à l’ordre dominant : le chaos du présent y invite. Se déployant à partir de ce paysage bricolé dans les marges, les utopies contemporaines se prétendent ainsi « concrètes », « réelles », voire « réalistes » Mais ne pourrait-on pas imaginer plus (plus loin, plus haut, plus grand) que ce que les ruines nous laissent ? Et s’il était temps d’aller « au-delà des cabanes » et de « penser les fusées », soit puiser dans la science-fiction des ressources pour décloisonner nos imaginaires politiques ? C’est cette hypothèse que soulève la philosophe Alice Carabédian dans cet essai magistral. Rappelant que tout ce qui est possible a d’abord été impossible (que la Terre tourne autour du Soleil, que l’humain descende du singe…), elle observe que, si les pires choses adviennent dans la réalité, comme l’illustrent les fictions dystopiques en vogue – de Black Mirror à The Handmaid’s Tale –, nous ne savons plus penser la sérénité, la joie, l’égalité, l’attention à l’autre, la liberté, la pluralité… Or la science-fiction qu’explore Carabédian – des Dépossédés d’Ursula Le Guin à Apprendre, si par bonheur de Becky Chambers, en passant par la série Star Trek: Discovery – permet de penser l’altérité, l’hospitalité, le nomadisme, la responsabilité… sous une forme excentrique mais féconde. C’est bien dans les étoiles que « s’échappent sans frein les torrents effervescents de nos désirs politiques », que se dessine « une utopie radicale, toujours en excès, sauvage et indomptable ». Cette science-fiction repolitise notre attention à un monde commun et invite à conceptualiser des pratiques langagières et théoriques qui défient les normes, les ordres. Par son étrangeté même, la science-fiction propose une manière « d’imaginer d’autres façons de penser les savoirs ». La radicalité que défend ici Alice Carabédian est celle d’une ouverture sensible à des possibles inexplorés, donnant raison à Fredric Jameson, théoricien du postmodernisme, qui rappelait « qu’on ne peut imaginer de changement fondamental dans notre existence sociale qui n’ait d’abord projeté des visions utopiques comme une comète des étincelles ».
Utopie radicale
Livre
Yves Citton
Altermodernités des Lumières
Publié le 16 March 2022
Parce qu’il a revêtu une peau d’ours et qu’il se voit dans le miroir, un bourgeois de province croit être devenu un loup-garou et terrorise la ville (Monsieur Oufle, de Laurent Bordelon, 1710). Éconduit par sa dulcinée, un jeune homme s’invente un métier : il cherche à faire fortune en vendant des excréments (Le Marchand de merde, de Thomas-Simon Gueullette, 1720). Insolites, bizarres ou merveilleuses, ces histoires ne font pas prévaloir la toute-puissance de la raison. Elles appartiennent cependant à un corpus oublié : celui des auteurs mineurs – ou considérés tels – du XVIIIe siècle. De Boulainvilliers à Potocki, en passant par Tiphaigne de La Roche, Yves Citton explore l’envers de la pensée des Lumières. Sans être antimodernes, ces œuvres se déploient dans une dimension parallèle à celle de la raison scientifique, de la claire conscience de soi et du contrat social. Où se situe leur différence ? « Les altermodernes savent qu’ils ne peuvent ni savoir ni agir sans croire. Les modernes ne le savent pas », relève Citton. Ainsi, parmi beaucoup d’autres, l’histoire du loup-garou imaginaire et celle du marchand de merde mettent en œuvre le ressort secret de la croyance. Du même coup, elles deviennent un apport précieux pour déchiffrer notre monde, où rien ne semble plus fonctionner selon la rationalité des Lumières. En résonance avec des penseurs actuels, comme Bruno Latour, mais aussi des auteurs décoloniaux, ces « altermodernités des Lumières » nous aideront peut-être à réinventer une modernité en crise.
Altermodernités des Lumières
Livre
Sophie Galabru
Le Visage de nos colères
Publié le 16 March 2022
La colère a mauvaise presse : elle serait une marque de faiblesse, voire d’impuissance. Depuis l’Antiquité, les philosophes, à l’instar de Sénèque dans De la colère, se chargent de dénigrer « cette passion, de toutes la plus ignoble et la plus effrénée ». Au point que s’énerver aujourd’hui, c’est passer pour un dangereux sécessionniste des conventions sociales, un réfractaire au bon sens du développement personnel, un allergique grincheux à la « positive attitude ». Globalement, la colère, ou plutôt « nos colères » (le collectif a son importance), sont empêchées. Dans cet essai, Sophie Galabru enquête sur les raisons d’un tel enfouissement, non sans une certaine passion, justement, palpable dès une introduction au ton personnel. C’est à une forme de généalogie que l’autrice s’attelle, repérant que tout se joue dès l’enfance. Assimilée au caprice, la colère infantile se doit d’être domestiquée, matée. Le respect dû aux parents est difficilement questionnable. Pourtant, l’autorité parentale peut aussi être abusive : « La violence se génère d’abord en famille, remarque-t-elle : en raison de la dépendance biologique, d’autres dépendances semblent dériver – affective et économique, juridique et sociale. » Ce qui s’exprime alors dans la colère est un élan vital pour la survie, accompagné du sentiment d’une injustice profonde : en position de dominé, l’enfant n’a pour s’exprimer que ses pleurs et ses cris. De cette colère salvatrice, Sophie Galabru souhaiterait que l’on se souvienne, lorsque l’entreprise joue avec nos nerfs, en niant les rapports de pouvoir à coups de management du cool et d’ateliers comportementaux. Autant de façons de renvoyer les salariés à leur enfance. Si la colère est une émotion d’abord individuelle, elle ouvre néanmoins à l’action collective – sa valeur principale. Qu’elle s’empare des foules ou des peuples, il serait temps de prendre son souffle au sérieux.
Le Visage de nos colères
Livre
Julia Kerninon
Toucher la terre ferme
Publié le 16 March 2022
La sincérité en littérature est souvent le terreau de la médiocrité. « Un livre sincère », peut-on lire en quatrième de couverture de telle ou telle confession grimée en roman, ou de tel ou tel témoignage qui « pose des mots sur les maux ». Le livre sincère est toujours « poignant », ou « personnel et touchant », ou « cathartique et émouvant », ou « profondément humain ». Il convient de le lire en tenant sa garde : qu’on se le dise, le livre sincère est aussi un livre « coup de poing », on n’en sort « pas indemne ». Bien. Mais l’on oublie trop souvent de mentionner que le livre sincère est la plupart du temps aussi dépourvu de littérature que le yaourt 0 % de matière grasse. Littéra-quoi ? semblent se demander ceux qui font profession d’écrire des livres sincères et d’en publier. Littérature, c’est-à-dire style, c’est-à-dire timbre et intensité d’une voix si singulière qu’elle impose, en quelques lignes, une présence reconnaissable entre toutes. Si l’on ne connaissait pas Julia Kerninon, on pourrait s’inquiéter à la lecture de la quatrième de couverture de Toucher la terre ferme, « récit intime » où l’autrice « plonge au cœur des sentiments ambigus de la maternité » et « confie ses tempêtes intérieures ». Mais on connaît Julia Kerninon, de Buvard à Liv Maria on a lu ses romans, et l’on a lu, il y a cinq ans, Une activité respectable, magnifique récit d’une soixantaine de pages dans lequel elle décortiquait d’une plume revigorante la genèse de sa vocation d’écrivain. Or voici qu’elle revient avec un récit du même acabit, où elle nous entretient cette fois-ci non pas de ses livres, qui comme chacun sait sont pour les écrivains des enfants, mais de ses enfants – ceux qu’elle a eus avec un homme auquel elle consacre des pages étincelantes, véritable éloge de l’amour conjugal. Avec des mots toujours justes, elle nous raconte la maternité, ce « cercle de feu » dans lequel avant d’avoir son deuxième enfant elle ne parvenait pas à se tenir, et nous dit toute l’ambivalence d’une jeune mère qui aime ses enfants, mais qui aime aussi se souvenir « de la jeune moi marchant défoncée sur les trottoirs de Maybachufer à cinq heures du matin pour aller racheter des cigarettes au cinquième jour d’un marathon de lecture dans mon lit ». Un livre sincère, oui. Mais qui nous réconcilie avec la sincérité en littérature.
Toucher la terre ferme
Livre
Bruce Bégout
Obsolescence des ruines
Publié le 18 March 2022
Notre architecture contemporaine est atteinte de « vieillissement accéléré » : tel est le constat sur lequel s’ouvre l’essai de Bruce Bégout. « Nos édifices durent de moins en moins longtemps. […] Les constructions de la modernité tardive ne sont pas beaucoup plus solides que leur maquette. » Le philosophe y voit un renversement profond des rythmes : là où la « première règle » de l’architecture, celle de la « solidité », exigeait pendant des siècles « une production plus solide et plus durable que le corps humain qui la produit », nos demeures sont devenues « plus fragiles que les corps humains qui les ont édifiées ». À peine inaugurés, les voilà déjà lézardés de fissures et autres failles. « La création [est] en même temps altération. » Le neuf est déjà vieux. Même si ces édifices sont préservés coûte que coûte pendant un bref instant, par une sorte d’obsession de « l’intégrité des créations », le premier signe de dégradation est déjà l’annonce des « décombres », de l’anéantissement. La construction disparaîtra bientôt ou sera démolie, et remplacée, sans passer par une case essentielle : la ruine. Nous vivrons bientôt dans un « monde sans ruine », qui bouleverse notre rapport au temps. En effet, la ruine donne à voir le « flux dissolvant du temps » qui s’inscrit, « lentement », dans la pierre – flux stabilisé dans un équilibre précaire par la « résistance obstinée de la forme et de la matière ». Le temps long de son érosion est aussi le temps d’émergence de nouveaux ensembles. La ruine nous met en contact avec « une sorte d’éternité des forces productrices et destructrices et de leur jeu continuel d’opposition », qui est comme le symbole de notre humaine condition.
Obsolescence des ruines
Livre
Georges Didi-Huberman
Le Témoin jusqu’au bout
Publié le 16 March 2022
« Je veux témoigner jusqu’au bout », avouait dans son Journal de 1942-1945 Victor Klemperer, l’auteur du livre LTI, la langue du IIIe Reich, monument littéraire décrivant la structure du langage nazi. Que faut-il entendre par ce « jusqu’au bout », se demande Georges Didi-Huberman, ému par la beauté de la langue de Klemperer ? Témoigner jusqu’au bout, « c’est ne pas éviter de s’inclure soi-même dans ce dont on témoigne » ; c’est mettre au jour une « certaine vérité des émotions », clivée entre terreur et désir d’y résister. Si Klemperer témoigne des événements et des faits de langage du IIIe Reich, ceux-ci ne sont jamais « disjoints des affects qu’ils ont fait surgir chez celui qui les a subis ». Témoigner pour les autres et écrire ce que l’on éprouve soi-même procède d’une même volonté : ne pas céder à la brutalisation du totalitarisme qui ne vise qu’à rendre apathique, privé de son temps et de ses subjectivations. Se déployant comme une écriture pure de la détresse, son journal laisse étrangement place à l’énergie de comprendre, à une « façon de retrouver le sens du partage ». Face au mal, le témoin sensible persiste dans l’écriture, malgré tout ce qui s’oppose à l’idée même d’une espérance. « Une grande part de son endurance lui est venue de la possibilité éthique qu’il lui fallait, à chaque fois, coûte que coûte, ouvrir dans l’espace du malheur », souligne le philosophe ; « cela passait par une extrême sensibilité au temps, une façon de savoir attendre ; s’obliger à voir que les choses peuvent devenir ». C’est cette possibilité d’un devenir, enchâssée à l’expression « malgré tout », qu’offre la lecture de Klemperer par Didi-Huberman à des lecteurs, affectés et ressourcés.
Le Témoin jusqu’au bout
Livre
Enzo Traverso
Révolution. Une histoire culturelle
Publié le 16 March 2022
En dépit de leurs impasses répétées, les révolutions ne s’en laissent pas compter. Leur force tient à ce qu’on ne peut jamais les programmer, puisqu’elles « arrivent toujours inattendues ». Plutôt que de s’en tenir à une position rigide, conduisant à une idéalisation naïve ou à une condamnation intransigeante, Enzo Traverso s’attache à la révolution comme à un pur objet historique – et même comme à un « concept clé d’interprétation de l’histoire moderne ». Assumant l’héritage de Karl Marx et de Walter Benjamin, qui envisageaient la révolution comme une interruption soudaine d’un continuum historique, Traverso traverse l’histoire de la révolution sous l’influence secrète de Max Weber. Dans la mesure où l’étude de la révolution mérite, selon lui, une « compréhension critique », qui contourne la nécessité morale de choisir les bonnes et les mauvaises. Ce qui l’intéresse, c’est de saisir en quoi les révolutions « expriment la respiration de l’histoire ». « Leur propension à susciter des souvenirs lyriques ou des représentations iconiques n’empêche pas le regard critique d’en saisir, au-delà de leurs potentialités libératrices, les hésitations, les ambiguïtés, les impasses et les limites, toutes inhérentes à leur nature plurielle et contradictoire, toutes inséparables de leur intensité ontologique », écrit Traverso. La part émotionnelle de toute révolution l’intéressant au premier chef, il la sonde dans les traces visibles de ses effusions. Pour ce faire, il collecte des fragments intellectuels et matériels d’un passé révolutionnaire éclaté, en accordant la même importance aux sources théoriques, historiographiques et iconographiques (pensées, statues, affiches, chansons, barricades, peintures…). Cet assemblage nourrit le livre d’un feu contagieux, qui, prenant acte de la violence comme dimension de la structure ontologique de toute révolution, n’en porte pas moins une croyance appuyée dans l’idée de la libération elle-même. Ne cédant pas au discours dominant selon lequel vouloir changer le monde revient à construire le totalitarisme, Traverso laisse vibrer en lui, et en nous, la foi dans un basculement libérateur toujours possible, dont la résignation actuelle et le tragique de l’histoire n’ont pas définitivement effacé le désir.
Révolution. Une histoire culturelle
Livre
Rachel Bespaloff
De la compréhension musicale à la métaphysique de l’instant
Publié le 16 March 2022
« En tout métaphysicien d’un certain type – poète, philosophe ou romancier – il y a un compositeur », écrivait Rachel Bespaloff dans Cheminement et Carrefours (1938). Cette conviction d’une intime liaison de la musique et de la pensée est un fil directeur de la trajectoire de la philosophe née en Bulgarie, qui commença d’ailleurs par enseigner la danse avant d’entrer en dialogue avec Gabriel Marcel, Jean Wahl ou encore Henri Bergson. C’est tout l’intérêt de ce recueil d’articles jusqu’ici introuvables édité et richement documenté par Olivier Salazar-Ferrer que de donner à entendre cette trame mélodique et de la réinscrire dans les discussions sur la musique qui essaiment au sein du champ philosophique dans la première moitié du XXe siècle. « De quels sortilèges dispose donc la musique pour évoquer les phénomènes les plus subtils et les plus complets de notre vie intérieure ? » interroge Bespaloff. À ses yeux, la musique arrache l’homme à la fragmentation géométrique du temps en une succession d’instants hétérogènes. « La courbe d’une mélodie, le dessein d’une formule rythmique nous donnent une idée adéquate des figures […] qu’assume notre durée » intérieure. « C’est de cet arrachement au temps que naît l’instant où l’éternel n’apparaît nullement comme l’immuable, mais comme l’éternellement neuf. » Un instant « métaphysique » radicalement distinct de l’instant géométrique, une note « indécomposable » où passé, présent et avenir se rejoignent et sont reconduits à leur commune source vive : le « jaillissement capté de la primordialité sauvegardée », la création éternellement jeune de la conscience. « La musique […] extrait du passé son essence impérissable et dispute ainsi notre être à la mort ; mais elle ne se borne pas à libérer le potentiel d’énergie intacte que contient ce passé, elle projette jusque dans l’avenir la dynamique de notre existence. » À l’homme écartelé entre le poids d’un passé mort et l’annonce d’un futur évanescent, la musique substitue une dilatation de l’instant, qui est aussi réconciliation de l’homme avec lui-même, résorption de son éclatement. « L’art musical transcende à la fois la subjectivité du Moi et l’objectivité du non-Moi. Le dualisme du sujet et de l’objet dont la pensée n’arrive jamais à triompher entièrement, il le supprime par un acte de création synthétique. En lui, le Moi parvient à se connaître sans se diviser, et à reconstruire selon une dimension nouvelle la courbe de son unité recouvrée.
De la compréhension musicale à la métaphysique de l’instant
Livre
Karol Beffa
L’Autre XXe Siècle musical
Publié le 16 March 2022
Que ne s’est-on imposé à nous-mêmes des goûts en fonction de l’idée d’un « bon goût » indépassable, socialement construit ? S’il est difficile d’échapper totalement à cette norme, certains s’autorisent heureusement à désobéir aux règles que leur éducation fait peser sur leurs affects. C’est cette expérience transgressive dont témoigne le pianiste, compositeur et musicologue Karol Beffa dans un récit enlevé sur l’histoire de sa formation au Conservatoire puis à l’Ircam, et sur l’écart de sa relation intime à la musique du XXe siècle d’avec les normes en vigueur. « On avait beau me seriner qu’il fallait suivre la ligne droite qui menait de Bach à Stockhausen via Beethoven, Wagner, Schoenberg et Webern, je me sentais plus moi-même à flâner, quitte à m’y égarer, dans les voies de traverse et les sentiers broussailleux » qu’exploraient Janáček, Strauss, Puccini, Poulenc, Satie ou Britten, chacun à sa manière. S’autorisant « un con-tact direct, personnel, immédiat avec les œuvres », Karol Beffa expose la liste de ses épanchements (Ligeti, Górecki, Pärt, les répétitifs américains Steve Reich, John Adams…) en donnant raison à Jules Renard qui invitait à se détacher de « ce vice littéraire qui consiste à se forcer à aimer ce qu’on se croit obligé d’admirer ». En démontrant qu’il est possible de s’arracher au goût dominant, à force de persévérance et de confiance en sa propre sensibilité, l’auteur défend un paysage musical composite, marqué par un entrelacement du savant et du populaire, à l’image de Ravel ou même de Vladimir Cosma, dont la musique du Grand Blond, riche d’une simplicité délicate, dans un déséquilibre tenu, égale largement celle des génies consacrés du XXe siècle.
L’Autre XXe Siècle musical
Livre
Emma Carenini
Soleil. Mythes, histoire et sociétés
Publié le 16 March 2022
La longue séquence de l’hiver passé, et le déficit de lumière qu’elle a provoqué dans nos existences assombries, nous invitent à prendre aujourd’hui le soleil au sérieux, tant il nous a manqué. Grâce à lui, ne sommes-nous pas étrangement augmentés ? La structure sensorielle du corps ne change-t-elle sous son influence ? C’est l’hypothèse que soulève Emma Carenini dans une réflexion lumineuse sur ce que le soleil fait aux individus et à la pensée elle-même. Rappelant que le soleil n’a cessé d’inspirer les philosophes – de la théorie des idées de Platon jusqu’à la pensée du Midi de Nietzsche –, elle soutient qu’il existe une pensée « faite au soleil, qui n’est pas la même qu’ailleurs ». La philosophie occidentale a une dette envers la lumière de la Méditerranée, estimait Paul Valéry, en ce sens qu’elle est directement née d’un environnement de perceptions. Ce n’est que par la lumière que le monde devient accessible. Si l’esprit du Sud a irrigué la pensée antique et moderne, c’est parce que « l’éclat du soleil nous rend à l’extériorité du monde, tandis que la nuit nous tourne vers une parole intérieure ». Mais aurions-nous aujourd’hui oublié la sagesse des Grecs anciens qui s’émerveillaient chaque jour du soleil ? Serions-nous devenus indifférents à la lumière ? Emma Carenini pose la question sans nier les dangers du réchauffement climatique entretenu par les rayons du soleil, qui est à la fois « principe de vie et cause de mort ». Ce qu’elle démontre avec éclat, ce sont les bienfaits de l’énergie solaire, l’une des plus prometteuses des énergies renouvelables. Capter directement l’énergie du soleil, comme on a en volé le feu, c’est ce que promet une véritable « civilisation solaire à venir ». Croisant les philosophies et les sciences qui n’ont cessé de progresser en observant le soleil (depuis Archimède), l’autrice invite à faire collectivement place au soleil plutôt qu’à pousser chacun à se faire une place au soleil. Plus que l’aveu d’une impatience pour la pleine lumière des jours d’été, elle dessine les contours d’un outil conceptuel, physique, énergétique et sensuel. Non, Nicoletta, il n’est pas mort le soleil !
Soleil. Mythes, histoire et sociétés
Livre
François Dosse
Macron ou les illusions perdues
Publié le 16 March 2022
Est-ce un portrait d’Emmanuel Macron en Lucien de Rubempré ? Oui, mais c’est surtout un bilan (très) critique du quinquennat qui s’achève. Il faut dire que la déception de l’historien des idées François Dosse est à la hauteur des espoirs qu’il avait placés en celui qu’il a connu jeune, bien avant qu’il ne devienne président de la République. En 2017, Dosse avait d’ailleurs signé Le Philosophe et le Président. Ricœur & Macron (Stock, 2017) pour le défendre contre ceux qui criaient à l’imposture et attester la réalité des affinités intellectuelles qui le liait à Paul Ricœur : oui, il avait existé entre le vieux philosophe et son jeune assistant, plus qu’une collaboration, une complicité et une proximité dans leur vision du monde. Dosse croyait même reconnaître « un parallèle entre la pensée ricœurienne et la politique préconisée par le candidat Macron », avec une exigence de justice sociale, un « attachement à une laïcité ouverte et bienveillante » ou « un souci de redynamiser la démocratie en pluralisant les responsabilités » notamment. Jürgen Habermas n’avait-il pas célébré le président français fraîchement élu comme un héros de la construction européenne, en louant sa « personnalité fascinante » et son « courage » ? Quelques années au pouvoir plus tard, la rupture était consommée… Et François Dosse de signer dès 2019 dans Le Monde une tribune fustigeant celui pour lequel il avait eu tant d’estime. Sans doute le sujet de l’immigration a-t-il fait naître ce désaveu. Mais, de manière plus générale, c’est la politique macronienne dans son ensemble que condamne Dosse en détaillant aujourd’hui les motifs de son mécontentement. Pratique verticale d’un pouvoir jupitérien, politique économique néolibérale, relégation de l’enjeu écologique au second plan, lois liberticides pendant la pandémie, caporalisation de l’Éducation nationale… Les griefs ne manquent pas dans ce véritable réquisitoire contre l’actuel locataire de l’Élysée et candidat à sa réélection. Et l’on en vient à se demander envers qui Emmanuel Macron président s’est montré le plus infidèle : l’héritage de Ricœur, les illusions de Dosse (et de quelques autres de ses électeurs) ou envers lui-même ? Mais peut-on gouverner sans trahir ses idéaux au contact de la réalité et du pouvoir ?
Macron ou les illusions perdues
Livre
Jean-Gabriel Ganascia
Servitudes virtuelles
Publié le 16 March 2022
Généralisation de la reconnaissance faciale en Chine, volonté affichée de Mark Zuckerberg d’utiliser des « interfaces cerveau-ordinateur » pour deviner nos pensées, délires d’Elon Musk voulant stocker des informations dans notre cerveau via la création d’implants, impact des techniques de l’intelligence artificielle dans nos vies quotidiennes, mainmise par les géants Amazon, Google ou Apple sur nos données personnelles… Comment se comporter face aux transformations numériques qui affectent nos existences et nos libertés ? « Le cyber-espace accède au statut d’espace public, ce qui modifie profondément notre condition humaine qui devient de plus en plus numérique. Existe-t-il une alternative ? » À cette question vertigineuse, Jean-Gabriel Ganascia répond en cartographiant nos vies en ligne et les servitudes qu’elles induisent. Appréhendant le caractère révoltant de certaines applications de l’intelligence artificielle, il esquisse surtout des voies pratiques possibles pour échapper aux rets du numérique dont nous sommes captifs. Cette « vie en ligne mode d’emploi » guide pas à pas le lecteur dans les « méandres du cyberespace », en s’accrochant à quelques principes fondamentaux, inspirés notamment d’Albert Camus, qui, en tant que jeune journaliste au Soir républicain plongé dans le chaos de la guerre en septembre 1939, prônait quatre voies pour rester digne dans la servitude : « lucidité, refus, ironie et obstination ». Lucidité devant les enjeux de pouvoir, refus de relayer de fausses informations, jouer de l’ironie comme arme contre les fausses évidences, aller jusqu’au bout de ses convictions : si la mise au jour par Ganascia de la sophistication technique de nos servitudes virtuelles se méfie des postures simplistes défendues par les comités d’éthique dans les entreprises privées, elle n’oublie pas de rattacher l’enjeu de l’émancipation numérique à un cadre politique et moral plus général, juste, précis, efficace.
Servitudes virtuelles
Livre
Antonia Grunenberg
Walter & Asja. Une histoire de passions
Publié le 16 March 2022
Walter, ici, c’est Walter Benjamin, philosophe et théoricien de l’art allemand, auteur de L’Œuvre d’art à l’ère de sa reproduction technique et de bien d’autres ouvrages, consacré à Baudelaire notamment. Asja, elle, c’est Asja Lacis, actrice et metteuse en scène, célèbre pour son travail sur le théâtre politique – et plus précisément prolétarien, qu’elle promouvait comme son ami Bertolt Brecht. Très rapidement après leur rencontre à Capri en 1924, naquit entre eux deux une relation passionnée. Femme mariée mais libre, femme flamboyante surtout, celle que Walter Benjamin avait d’abord qualifiée de « Lettone bolcheviste » parvint à subjuguer le jeune homme introverti et bouleversa le cours de sa vie en élargissant ses perspectives qui se limitaient alors au seul horizon d’une carrière universitaire incertaine : « En termes enflammés, bruyants, prononcés en staccato, explique la politologue Antonia Grunenberg dans l’essai qu’elle consacre à cette liaison, [Asja Lacis] proclamait le rôle que jouait la vie réelle pour le théâtre et la manière dont le théâtre de la révolution agissait sur la vie. » Bousculant celui qu’elle prenait alors pour un intellectuel bourgeois coupé du monde réel, Lacis sensibilisa Benjamin au marxisme, à l’engagement politique et à la lutte des classes. Au point d’en faire « un partisan loyal du parti communiste » ? C’est ce qu’elle crut, même si la réalité est sans doute plus nuancée du côté d’un philosophe peu enclin à faire totalement sien l’espoir d’une révolution prolétarienne. Mais l’évocation des parcours croisés des deux amants est aussi l’occasion d’une passionnante plongée dans l’Europe de l’entre-deux-guerres entre Naples, Paris, Berlin, Moscou et Riga, alors que le nazisme monte et que l’Union soviétique de Staline connaît famines et purges. Arrêtée, emprisonnée puis condamnée, Asja Lacis est elle-même envoyée dans un camp de travail. Walter Benjamin, lui, réfugié en France, très affaibli physiquement et moralement, se suicide à Portbou par crainte d’être pris par la Gestapo. Fin tragique qu’elle n’apprendra que des années plus tard, comme un symbole de la désunion de leurs destinées respectives.
Walter & Asja. Une histoire de passions
Livre
Sinziana Ravini
Les Psychonautes
Publié le 16 March 2022
Tenir embrassées des réalités disparates : tel est le tour de force de cet essai de Sinziana Ravini, qui propose au lecteur un voyage à travers l’art contemporain, la psychanalyse et la littérature. « Ces réflexions, annonce l’autrice, ont été écrites comme des associations libres sur un divan. » De fait, si la thèse centrale n’est pas très nouvelle – l’art explore le trouble, la part maudite –, ce sont ses associations d’idées souvent insolites et inédites qui valent le détour. Par exemple, Ravini compare malicieusement le métavers que Facebook s’apprête à construire aux techniques de lavage du cerveau chères à Mao Zedong. Elle évoque la communauté en ligne des incels, ou « célibataires involontaires », ces hommes convaincus d’être incapables de plaire aux femmes – de nombreux auteurs de tueries en sont issus. Puis elle fait le lien avec les prisonniers de la caverne, dans le mythe de Platon, qui, lorsque l’un d’eux s’est libéré de ses chaînes et cherche à les détromper, ont envie de le tuer. Elle oppose, encore, l’artiste allemand Gregor Schneider, qui souhaitait en 2008 trouver un malade en phase terminale volontaire pour passer ses derniers jours dans une salle de musée, et les cadavres « plastinés » de l’anatomiste allemand Gunther von Hagens, dont les expositions suscitent la polémique. Le projet de Schneider n’a pas eu l’aval des autorités. Mais son geste n’aurait-il pas été plus pertinent que celui, très kitsch, de Gunther von Hagens, en tant qu’il aurait permis de montrer la mort que notre société cache ? Ce qui est le plus réel est aussi ce qui nous paraît le plus fou, explique Ravini, car loin d’être rassurant et positif, « le réel fait trou ».
Les Psychonautes
CULTURE
Article 2 min
“Vortex”. Vertiges de la mort
Cédric Enjalbert
Véritable memento mori, le dernier film de Gaspar Noé explore nos fragilités et creuse un abîme sur la question sans cesse renouvelée du sens de la vie.
“Vortex”. Vertiges de la mort
Article 2 min
“Tartuffe”. Serment d’hypocrite
Cédric Enjalbert 19 March 2022
En redonnant à la pièce de Molière son sens original, Ivo Van Hove et la troupe de la Comédie-Française livrent une magnifique mise en abîme de l’art de la scène, entre jeu, mensonge et vérité. Quand il s'agit de porter un masque pour mieux les faire tomber !
“Tartuffe”. Serment d’hypocrite
Article 2 min
“Toyen. L’écart absolu”. Toyen d’honneur
Cédric Enjalbert 19 March 2022
Le musée d'Art moderne de la Ville de Paris consacre une rétrospective à cette grande figure de l’avant-garde, proche des surréalistes et d’Annie Le Brun, qui donne forme à ce qui n'en a pas. Visionnaire !
“Toyen. L’écart absolu”. Toyen d’honneur
OH ! LA BELLE VIE
Article 2 min
Conseil n° 17. N’abandonnons pas la connerie aux seuls automobilistes !
François Morel 18 March 2022
Jadis, le con voyageait dans sa voiture. Il utilisait la puissance de son moteur pour pallier son insuffisance, sa lâcheté, sa médiocrité. Le con était humilié par sa femme, ses enfants, son chef de service. Il était ratiboisé par son percepteur, ses commerçants, ses maîtresses. Il était ..
Conseil n° 17. N’abandonnons pas la connerie aux seuls automobilistes !
JEU
Article 1 min
Philocroisés #79
Gaëtan Goron 18 March 2022
Horizontalement I. Avec Hegel et Nietzsche, il refait l’actualité dans un rade. Stade freudien. II. Dans son n° 102, Philosophie magazine a mis en Lumières ce philosophe oublié. Accord d’alliances. III. Monstre biblique et philosophique. IV. Comme un monde en pai..
Philocroisés #79
QUESTIONNAIRE DE SOCRATE
Article 2 min
MC Solaar. Éternel retour
Sylvain Fesson 19 March 2022
« J’ai dû disparaître… pour réapparaître… », rappait-il sur le titre qui l’a révélé il y a plus de trente ans et, ironie de l’histoire, l’auteur de « Bouge de là » s’est bel et bien éclipsé. Ou plutôt, ses quatre premiers albums sont devenus indisponibles après un différend avec sa maison de disques. Ayant enfin trouvé un arrangement, Qui sème le vent récolte le tempo, Prose combat, Paradisiaque et MC Solaar refont donc surface, réédités (Polydor Universal). Des séquelles ? « J’ai fait l’éloge de la fuite, comme dit Henri Laborit », « Il y a un mur ? Ne reste pas dessus, contourne, continue ». Le 29 juin, il ouvrira le festival Jazz à Vienne (Isère).
MC Solaar. Éternel retour
Philosophie magazine n°158 - March 2022
Numéro 158 - Avril 2022
FILS D'ARIANE
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