[n° ou bulletin] est un bulletin de / Alexandre Lacroix (2011)Titre : | N°159 - Mai 2022 - Qu'est-ce qui nous rend courageux ? | Type de document : | texte imprimé | Année de publication : | 2022 | Importance : | 98 p. | Présentation : | ill. en coul. | Format : | 29 cm | Langues : | Français (fre) | Catégories : | Philosophie
| Tags : | courage endométriose école de parfumerie Bergson | Index. décimale : | 17 Morale. Éthique. Philosophie pratique | Résumé : | Qu’est-ce qui nous rend courageux ?
Chacun s’est demandé, un jour ou l’autre, ce qu’il aurait fait sous l’Occupation, durant la Seconde Guerre mondiale. Aurais-je eu le courage d’entrer dans la Résistance ? Serais-je resté inactif face à l’horreur nazie ? Ces questions n’appartiennent pas uniquement à l’histoire passée, et le retour de la guerre sur le sol européen, l’invasion de l’Ukraine par la Russie leur donnent une portée nouvelle : que ferais-je, si mon pays était envahi ? Aurais-je le courage des Ukrainiens ? Peut-être la question n’est-elle pas à poser à la première personne du singulier, car le courage est moins une vertu individuelle qu’une disposition collective, un élan imprévu qui naît des situations elles-mêmes.(Philomag) | Note de contenu : | ÉDITO
Article 3 min
Ce qu’on ne peut pas dire, il faut le faire
Alexandre Lacroix 05 mai 2022
Je n’ai jamais pratiqué les arts martiaux et ne suis nullement spécialiste du domaine de la lutte, mais voilà un enseignement que j’ai tiré des inévitables bagarres de jeunesse : si l’on va se battre, il ne faut pas parler. Celui des adversaires qui se répand en imprécations, en me..
VOS QUESTIONS
Article 3 min
“Existe-t-il des guerres justes ?”
Charles Pépin 05 mai 2022
Question de Pierre Laffont
“Existe-t-il des guerres justes ?”
REPÉRAGES
Article 1 min
Machine molle
Octave Larmagnac-Matheron 05 mai 2022
Vous imaginiez les robots comme un assemblage rigide de circuits et d’engrenages ? Détrompez-vous ! Une équipe de l’université de Hong Kong a récemment mis au point un prototype de robot mou. À vrai dire, l’idée n’est pas complètement nouvelle. La robotique molle suscite l�..
Machine molle
Article 1 min
“Haine”
Octave Larmagnac-Matheron 05 mai 2022
« Je sais que la haine subsiste […]. je vous demande aujourd’hui de me détester avec modération » Salah Abdeslam, lors du procès des attentats du 13-Novembre, le 15 avril 2022 « Si la haine n’était pas dans le monde, toutes choses n’en feraient..
Article 1 min
“Écofascisme”
Octave Larmagnac-Matheron 05 mai 2022
« La politique climatique de Marine Le Pen a un parfum d’écofascisme », affirmait peu avant l’élection présidentielle l’essayiste américaine Kate Aronoff dans le magazine The New Republic. En cause : un programme écologique – que d’aucuns diront ténu ! ..
“Écofascisme”
Article 1 min
102 jours
Octave Larmagnac-Matheron 05 mai 2022
C’est le temps qu’il faudrait, à raison de dix heures par jour, pour lire l’ensemble des textes de loi, décrets et nouveaux règlements instaurés en 2021. Une « inflation normative » record. Serions-nous atteints, comme le pense le philosophe Gaspard Kœnig, d’un véritable «..
Article 2 min
Vote : un silence éloquent
Octave Larmagnac-Matheron 05 mai 2022
Ont voté blanc ou nul au second tour de l’élection présidentielle En 2017 : 4,1 millions, soit 11,5 % des inscrits En 2022 : 3 millions, soit 8,8 % des inscrits La part des Français qui se sont abstenus En 2017 : 25,5 % En 2022 : 28 % Si..
PERSPECTIVES
Article 3 min
“L’extrême centre” du président Macron : politique de la vertu ou posture autoritaire ?
Clément Filippi 05 mai 2022
Une contradiction se loge au cœur du macronisme : comment s’affirmer « au centre » et néanmoins « en marche » ? Le centre n’est-il pas par définition immobile ? La solution envisagée par le chef de l’État consiste en l’introduction d’une notion insolite : celle d’« extrême centre ».
“L’extrême centre” du président Macron : politique de la vertu ou posture autoritaire ?
Article 3 min
Xi Jinping ou la politique du “vrai macho”
Charles Perragin 05 mai 2022
Le président chinois a fait de sa politique brutale « zéro Covid » le signe de la supériorité de son socialisme et la justification d’un troisième mandat. Le sinologue Jean-Philippe Béja, auteur d’À la recherche d’une ombre chinoise (Seuil, 2004), nous livre ici son analyse.
Xi Jinping ou la politique du “vrai macho”
Article 3 min
Éric Thiers : “L’egodémocrate est un Narcisse qui se prend pour Antigone”
Jean-Marie Pottier 05 mai 2022
La quasi-disparition des partis traditionnels témoigne d’un éclatement de l’espace politique. Le chercheur Éric Thiers propose un concept, la « pulvérisation démocratique », qui met selon lui en lumière l’émergence d’un nouveau citoyen, l’« égodémocrate ».
Éric Thiers : “Lutter valeurs contre valeurs, c'est rendre tout compromis impossible”
Article 3 min
“Considerant” l’invention de la proportionnelle
Nicolas Gastineau 05 mai 2022
L’idée revient à chaque élection législative : la proportionnelle. Ce mode scrutin a été imaginé au XIXe siècle par le philosophe français Victor Considerant, qui aspirait à trouver une exacte arithmétique démocratique.
“Considerant” l’invention de la proportionnelle
AU FIL D’UNE IDÉE
Article 2 min
Du pétrole et des idées
Sven Ortoli 05 mai 2022
Plus de la moitié du pétrole exploité aujourd’hui s’est formée au temps des dinosaures, il y a 100 à 200 millions d’années. L’Épopée de Gilgamesh (écrite vers le XVIIe siècle av. J.-C.) relate que Uta-Napishtim, le Noé sumérien, utilise 18 000 lit..
Du pétrole et des idées
ETHNOMYTHOLOGIES
Article 3 min
CBD. Épicure au compte-gouttes
Tobie Nathan 03 mai 2022
Les échoppes et autres bars vendant ce dérivé de cannabis sans effet toxique fleurissent partout. Un succès proprement philosophique ?
CBD. Épicure au compte-gouttes
REPORTAGE
Article 14 min
Et si on apprenait à sentir le monde ?
Clara Degiovanni 05 mai 2022
Nous sommes des analphabètes du nez ! Nous pouvons sentir mais nous ne savons pas nommer et encore moins expliquer les odeurs. Ce savoir ouvre pourtant un rapport sensoriel, intime et créateur à ce qui nous entoure. Est-il possible d’« ouvrir son nez » comme on aiguise son regard ? Nous nous sommes immergés dans le monde des parfumeurs.
Et si on apprenait à sentir le monde ?
ENQUÊTE
Article 11 min
Endométriose : douleur et tabou
Victorine de Oliveira 05 mai 2022
L’endométriose touche de 1,5 à 2 millions de femmes en France. Cette pathologie occasionne des souffrances aiguës qui invalident la vie sociale, professionnelle et affective. Pourtant, elle demeure mal connue, difficilement identifiée, voire niée par le corps médical. Peut-être parce qu’elle est liée au cycle menstruel qui reste encore aujourd’hui frappé d’indignité.
Endométriose : douleur et tabou
L’ŒIL DE LA SORCIÈRE
Article 3 min
Avant qu’il ne soit trop tard
Isabelle Sorente 05 mai 2022
Notre maison brûle, et nous accueillons cette nouvelle avec une relative indifférence. Plutôt que d’en appeler à la raison, il vaudrait peut-être mieux mobiliser des récits propres à nous faire dresser les cheveux sur la tête.
Avant qu’il ne soit trop tard
DOSSIER
5 articles
Qu'est-ce qui nous rend courageux ?
Publié le 05 avril 2022
Chacun s’est demandé, un jour ou l’autre, ce qu’il aurait fait sous l’Occupation, durant la Seconde Guerre mondiale. Aurais-je eu le courage d’entrer dans la Résistance ? Serais-je resté inactif face à l’horreur nazie ? Ces questions n’appartiennent pas uniquement à l’histoire passée, et le retour de la guerre sur le sol européen, l’invasion de l’Ukraine par la Russie leur donnent une portée nouvelle : que ferais-je, si mon pays était envahi ? Aurais-je le courage des Ukrainiens ? Peut-être la question n’est-elle pas à poser à la première personne du singulier, car le courage est moins une vertu individuelle qu’une disposition collective, un élan imprévu qui naît des situations elles-mêmes. > Et si le courage était moins la vertu guerrière et personnelle louée par le récit des grandes actions qu’une disposition collective liée à un contexte, la révélation fortuite d’un sujet au contact d’une situation ? Une hypothèse confirmée par des exemples récents, où l’héroïsme consiste d’abord à sauver une certaine idée de ce que nous sommes. > Notre reporter Pierre Terraz s’est rendu en Ukraine, où il a interrogé des personnes qui ont fait le choix de rester chez elles, dans la banlieue de Kiev, et de supporter l’occupation russe, ou de s’engager dans le combat militaire, ou encore de tout abandonner pour s’exiler… Quand on leur dit qu’elles font preuve d’héroïsme, elles semblent surprises elles-mêmes et répondent qu’elles n’imaginaient pas se comporter autrement. > Dans le choc entre la Russie et l’Ukraine, ce sont deux conceptions de l’héroïsme qui entrent en jeu : dans une logique héritée de l’ère soviétique, Vladimir Poutine semble être prêt à tout pour atteindre ses objectifs, quel que soit le bilan humain ; quant au courage des Ukrainiens, il paraît beaucoup plus populaire, car produit par la société civile et non dicté par un appareil. L’analyse de notre rédacteur en chef et auteur de Dans la tête de Vladimir Poutine, Michel Eltchaninoff. > Peut-on s’entraîner à être courageux ? Le décider ? Sommes-nous ramollis par le confort démocratique ? Sur ces questions, les classiques, d’Aristote à Jankélévitch, de Platon à Jean-Paul Sartre, s’opposent. > La philosophe et psychanalyste Cynthia Fleury a ouvert son œuvre avec une réflexion sur La Fin du courage, qui a rencontré à sa parution en 2011 un vaste écho, à une époque où le thème paraissait presque désuet. Le directeur de l’Assistance publique-Hôpitaux de Marseille François Crémieux, autrefois engagé en tant que « casque bleu » en ex-Yougoslavie, a dû prendre des décisions délicates en temps de crise sanitaire. Ils débattent de la place du courage dans nos sociétés démocratiques.
Qu'est-ce qui nous rend courageux ?
Article 6 min
Révélez-vous !
Cédric Enjalbert 05 mai 2022
Et si le courage était moins la vertu guerrière et personnelle louée par le récit des grandes actions qu’une disposition collective liée à un contexte, la révélation fortuite d’un sujet au contact d’une situation ? Une hypothèse confirmée par des exemples récents, où l’héroïsme consiste d’abord à sauver une certaine idée de ce que nous sommes.
Révélez-vous !
Article 15 min
Reportage en Ukraine : l’étoffe des héros
Pierre Terraz 05 mai 2022
Comment les Ukrainiens font-ils pour résister ainsi à leur envahisseur ? C’est avec cette question, que nous sommes nombreux à nous poser, que notre reporter Pierre Terraz s’est rendu dans le pays dévasté. Pendant dix jours, entre Lviv et Kiev, il a partagé le quotidien de soldats, mais aussi de civils, hommes, femmes et enfants aux vies bouleversées par la guerre, afin de comprendre ce qui fait tenir un peuple face au déferlement soudain de la violence.
Reportage en Ukraine : l’étoffe des héros
Article 6 min
L’Empire contre les cosaques
Michel Eltchaninoff 05 mai 2022
La guerre entre la Russie et l’Ukraine met en lumière deux conceptions très différentes du courage. D’un côté, une vertu sacrificielle, disciplinée, hantée par la mort et la figure de l’État. De l’autre, une force vitale populaire et libertaire, ancrée dans la culture ukrainienne, des cosaques aux anarchistes.
L’Empire contre les cosaques
Article 10 min
Que ferez-vous face au lion ?
Marius Chambrun 05 mai 2022
Le courage n’est pas aisé à anticiper : vient-il d’une disposition innée ou d’un apprentissage ? Peut-on décider d’être courageux ? Est-ce une vertu aristocratique ou guerrière ? Six philosophes classiques vous proposent leur éclairage.
Que ferez-vous face au lion ?
Dialogue 13 min
François Crémieux-Cynthia Fleury : à l’épreuve du réel
Cédric Enjalbert 05 mai 2022
Tous les deux sont familiers des situations d’urgence. François Crémieux, directeur de l’Assistance publique-Hôpitaux de Marseille et ancien « casque bleu » en Bosnie, a connu les terrains de guerre avant de devoir prendre des décisions délicates en temps de crise sanitaire. Cynthia Fleury, philosophe et psychanalyste, autrice de La Fin du courage, n’a cessé de s’interroger sur les maux de nos sociétés et le soin à y apporter. Ensemble, ils cernent la forme que prend le courage en démocratie.
François Crémieux-Cynthia Fleury : à l’épreuve du réel
ENTRETIEN
Entretien 17 min
Bruce Bégout : “Nous sommes la dernière génération à pouvoir célébrer les ruines”
Victorine de Oliveira 05 mai 2022
Bruce Bégout a écrit sur le vide de Las Vegas comme sur la phénoménologie de Husserl. Dans son nouvel essai, Obsolescence des ruines, le philosophe s’inquiète de l’impossibilité pour le monde contemporain d’inscrire la mémoire dans le paysage. Rencontre avec un inlassable collectionneur d’expériences.
Bruce Bégout : “Nous sommes la dernière génération à pouvoir célébrer les ruines”
L’AVENTURE D’UN CLASSIQUE
5 articles
“L’Évolution créatrice” : l'élan vital d’Henri Bergson
Publié le 05 mai 2022
Dans ce livre fondateur, Henri Bergson fait le pari que l’Univers est en devenir et que chaque forme de vie est une création originale, dont l’apparition n’était pas prévisible. Pour comprendre cette pensée fulgurante, il nous faut recourir à l’intuition, seule à même de nous faire sentir la véritable essence des choses et des événements.
“L’Évolution créatrice” : l'élan vital d’Henri Bergson
Article 11 min
“L’Évolution créatrice” : passeport pour la vie
Alexandre Lacroix 05 mai 2022
Dans ce livre fondateur, Henri Bergson fait le pari que l’Univers est en devenir et que chaque forme de vie est une création originale, dont l’apparition n’était pas prévisible. Pour comprendre cette pensée fulgurante, il nous faut recourir à l’intuition, seule à même de nous faire sentir la véritable essence des choses et des événements.
“L’Évolution créatrice” : l'élan vital d’Henri Bergson
Article 3 min
Henri Bergson, le sens de l’image
Alexandre Lacroix 05 mai 2022
La marque de fabrique de Bergson, ce sont les images qu’il propose tout au long de ses textes pour faire comprendre ses idées. Voici quelques-uns des exemples frappants qui jalonnent le parcours de L’Évolution créatrice.
Article 3 min
William James, un pragmatiste disciple de Bergson
Alexandre Lacroix 05 mai 2022
Frère du romancier Henry James, le philosophe américain William James lance un nouveau courant de pensée, auquel il consacre son cours de 1905 à Harvard : le pragmatisme. Il s’y dresse contre presque toute la tradition philosophique, qui va de Platon à Hegel, en passant par Locke ou Kant. Pour lui, il ne faut pas se tourner vers la transcendance ni vers des catégories abstraites, mais juger des théories selon leurs conséquences pratiques dans le courant de la vie. L’année où il publie son premier ouvrage, Le Pragmatisme, en 1907, est aussi celle où il lit L’Évolution créatrice. Voici comment il compare les deux démarches, qui lui paraissent convergentes.
Article 6 min
Frédéric Worms : “L’ambition de ‘L’Évolution créatrice’ de Bergson est inédite et immense !”
Alexandre Lacroix 05 mai 2022
Pour Frédéric Worms, qui a dirigé la première édition critique de l’œuvre d’Henri Bergson, l’auteur de L’Évolution créatrice voit une force agissante à l’œuvre dans la création ou dans l’esprit. Loin des certitudes de la science de son temps autant que du mysticisme, cet élan vital reste cependant saisissable par l’intuition.
Frédéric Worms : “L’ambition de ‘L’Évolution créatrice’ de Bergson est inédite et immense !”
Article 18 min
“L’Évolution créatrice”, d'Henri Bergson : les extraits
Alexandre Lacroix 05 mai 2022
Avec L’Évolution créatrice (1907), Henri Bergson (1859-1941) réconcilie de façon étonnante et harmonieuse ce que nous a appris la science moderne au sujet de l’Univers, la théorie de l’évolution des espèces de Charles Darwin, mais aussi l’ouverture au spirituel qui est en l’homme. Son hypothèse est la suivante : l’univers physique, matériel, tend vers le refroidissement et la mort, mais il est secrètement animé par l’esprit, traversé par un élan vital qui pourrait le réchauffer !
Frédéric Worms : “L’ambition de ‘L’Évolution créatrice’ de Bergson est inédite et immense !”
BOÎTE À OUTILS
Article 3 min
Pourquoi sommes-nous friands de ragots ?
Marius Chambrun 03 mai 2022
Entre amis ou au bureau, avouons-le, nous raffolons des potins ! Qu’est-ce que ces commérages disent de nous ? Venez jaser avec quatre philosophes.
Pourquoi sommes-nous friands de ragots ?
Article 2 min
Jeu
Joséphine Robert 03 mai 2022
Rabat-joie ou ludions, les philosophes ?
BACK PHILO
Bac philo 6 min
Peut-on choisir ses désirs ?
Nicolas Tenaillon 29 avril 2022
Analyse des termes du sujet « Peut-on ? » Est-ce possible ou souhaitable ? « choisir » Préférer une chose plutôt qu’une autre. « ses désirs » Ensemble des tendances spontanées de l’individu, expression de ses manques.
LIVRES
Article 2 min
J’y pense et puis je lis / Mai 2022
Jean-Marie Durand 05 mai 2022
Outre la finesse de son écriture et de sa direction d’acteurs, la série En thérapie doit-elle son succès à un attrait diffus, et paradoxal, pour la psychanalyse ? Contestée par la psychologie cognitive et les neurosciences, figée sur des positions conservatrices face aux troubles du ge..
Livre
Pierre Cassou-Noguès
La Bienveillance des machines
Publié le 29 avril 2022
Imaginez un homme qui aime tant les thermomètres qu’il en a installé dans chaque pièce de sa maison. Il a si bien pris l’habitude de s’y référer pour connaître la température que si vous lui demandez s’il a chaud ou froid, son premier réflexe sera de se tourner vers le thermomètre le plus proche, au lieu de se sonder intérieurement. Cet homme, dont le philosophe Pierre Cassou-Noguès fait le point de départ de son dernier essai, La Bienveillance des machines, c’est nous. Avoir chaud ou froid, être en forme ou fatigué, heureux ou malheureux… Autant de questions dont nous déléguons la réponse à nos écrans 4K, à nos montres connectées, à nos téléphones intelligents ou à nos performances sur les réseaux sociaux. Vieux rêve gravé à l’entrée du temple de Delphes, le « connais-toi toi-même 2.0 » se projette désormais en courbes et en signaux numériques. Mais si, suggère Cassou-Noguès, soutenu par Wittgenstein d’un côté et Freud de l’autre, l’esprit est impénétrable, comment l’exprimer sur un écran autrement que par sa simplification, sa caricature, son « aplatissement » ? Ce que nous espérons d’une telle réduction, c’est chasser « le vague, l’incertain de l’expérience de soi, et l’angoisse qui va avec ». Tant que l’écran affiche la température de notre âme, nous sommes sauvés. Mais si nous nous en séparons ou que l’écran tombe en panne, avertit Cassou-Noguès, c’est alors de nous-mêmes que nous serons séparés, « seul[s] dans un monde qui ne donne plus aucun signe, un monde dépourvu de sens donc, et sans même pouvoir rentrer en soi ». Écrit par un philosophe soucieux de comprendre les transformations de nos subjectivités et de nos formes de vie induites par la technologie contemporaine, cet essai a une qualité singulière : ne pas prendre le numérique de haut, dans tous les sens de l’expression. D’abord, parce qu’il affronte la technologie comme un processus significatif, et non comme un gadget frivole ou accidentel. Le numérique, souligne Cassou-Noguès, pose des questions fondamentales aux propositions de la philosophie : par exemple, le cogito de Descartes, dont « la formule suppose que l’esprit tout entier est occupé d’une seule pensée », quand le numérique disperse notre conscience en autant de fenêtres ouvertes sur notre navigateur, en autant de flux de pensée divergents et asynchrones. « Le sujet cartésien, si l’on veut, est un monomaniaque, alors qu’Internet nous donne des troubles de l’attention. » Le philosophe interroge aussi les données élémentaires de la phénoménologie, comme le principe selon lequel le corps qui touche est touché en même temps, ce qui l’engage vis-à-vis du monde et d’autrui dans une relation de réciprocité. Or le numérique, par la commande à distance et la possibilité de ne pas laisser de traces, ouvre la voie à un toucher que rien ne touche en retour. De là l’idée que « les technologies contemporaines ouvrent un sens nouveau », le sixième sens d’Homo numericus, le « synhaptique », qui agit à distance, permet de toucher sans l’être soi-même, de recevoir en même temps des multitudes d’impressions visuelles, sonores et tactiles. Finalement, la raison pour laquelle cet essai ne prend pas le numérique de haut se trouve dans le sens littéral de l’expression : plutôt que se placer au sommet d’un promontoire pour décrire une architecture technologique, modèle panoptique de Michel Foucault ou Big Brother de George Orwell, l’ouvrage s’installe à hauteur du sujet, il nous parle par la bouche d’un « je » – celui-là même, justement, que la machine entend diffracter et diviser.
La Bienveillance des machines
Livre
Alain Corbin
Histoire du repos
Publié le 29 avril 2022
« Au septième jour, Dieu se reposa… » lit-on dans la Genèse. Si Dieu suspend son activité créatrice, est-ce parce qu’il est fatigué ? Cette fatigue traduit-elle une imperfection ? De façon plus terrestre et quotidienne, le repos est apparu au fil des siècles comme une notion ambivalente : relève-t-il d’une faiblesse et d’une déchéance ? Ou apporte-t-il une jouissance autonome et souveraine ? Historien des représentations et de la vie sensorielle, Alain Corbin saisit les tensions inhérentes à cet état très ordinaire. Ainsi, à l’âge classique, le repos est signe de finitude. Dans le Sermon sur la mort (1662) de Bossuet, il est la tentation qui guette le mortel, qui le détourne de la quête du salut. Mais rien n’est simple, car la mystique chrétienne l’associe aussi à un état de grâce célébré par François de Sales ou Thérèse d’Avila. Au fil des siècles, les paradoxes s’accumulent. Si la mort est un « repos en Dieu » et si l’éloignement des affaires du monde peut rapprocher du salut, l’oisiveté forcée, en particulier celle de la vieillesse – notre « retraite » –, n’est parée d’aucun prestige. Seul Montaigne en fait le temps d’un « contentement en soi-même », tandis que Rousseau, dans Les Rêveries du promeneur solitaire, donne une épaisseur enchantée aux instants d’inaction. Avec le monde industriel et le culte de l’effort productif, le repos prend un sens différent. Il s’oppose à la fatigue plus qu’à l’agitation. La notion de détente nécessaire se substitue à celle de quiétude. Dans les classes possédantes, on passe du prie-Dieu à la chaise longue en quelques décennies. Dans le monde ouvrier, face aux machines qui ne s’arrêtent jamais, la main-d’œuvre doit reprendre des forces. Selon Marx, le repos est alors « incorporé au procès même de la production ». Aux yeux d’Alain Corbin, il en résulte un certain désenchantement théorique : « La fatigue, le surmenage et leurs conséquences sur l’état cérébral, ont en quelque sorte asséché, aplani, simplifié l’histoire du repos. » On peut regretter que ce court livre érudit ne s’aventure pas plus loin dans ce qui, aujourd’hui, relève du fonctionnement ininterrompu du cerveau face aux écrans. Dans cette annexion ultime, le temps de loisir alimente désormais, aux dépens du sommeil et d’une authentique paresse, la fièvre du marché numérique.
Histoire du repos
Livre
Nina Leger
Antipolis
Publié le 29 avril 2022
Dans Mise en pièces, Nina Leger explorait la construction du désir sexuel. Cinq ans plus tard, briques et parpaings ont remplacé orifices et muqueuses – du moins en apparence, car tout démarre par une histoire d’amour. Celle unissant Pierre Laffitte, géologue habité par un projet de bâti prophétique, et Sofia Glikman-Toumarkine, femme de lettres russe, juive, ayant survécu aux pogroms et à l’Occupation avant de s’établir à Paris. Elle est sa professeure, de vingt ans son aînée, mariée. Mais des histoires utopiques naissent les plus grands projets. Et quoi de plus vaste qu’une ville née de rien, poussant son premier cri entre les arbres ? En hommage à son épouse et au premier nom d’Antibes – « la ville d’en face » –, Laffitte la baptisera Sophia-Antipolis. Mais déjà l’urbanisme prend le pas sur l’intime : c’est la réussite de Leger de mêler l’un et l’autre, échafaudant ses récits comme une tour mentale, à la faveur d’un style faussement neutre, aérien, plus précis qu’un plan d’architecte mais jamais départi de cette poésie qu’un Le Corbusier parvint à insuffler au béton. Sa plume sait dire l’envol des rêveurs : « Elle est là, visible de lui seulement, blanche, rose, secrète comme un futur endormi. » Jusqu’à l’éboulement de l’espoir quand l’amour est rattrapé par les lois de la physique. Sophia naît en 1969. Sofia meurt d’un cancer en 1979 : « La ville advient, la femme s’en va. La ville échappe, la femme aussi. Est-ce une harmonie, est-ce une cruauté ? » Là s’esquisse le pan plus idéel du roman. Faisant écho à Octavio Paz (« L’architecture est le témoin incorruptible de l’histoire »), Leger change d’époque pour sillonner un chapitre moins connu de sa chronique : sur ce terrain réputé vierge, la mémoire de harkis placés là au retour d’Algérie. Des familles que nul ne voulait voir, recelées en pleine nature dans des préfabriqués précaires. Aux yeux de l’administration, un « hameau de forestage ». Aux yeux des harkis, un camp, comme celui de Rivesaltes. Un vestige grippe l’avenir de la ville où le futur a trouvé ses racines. L’âme des lieux scrute celle de ses démiurges. Un oublieux s’écrie : « Arrêter de construire parce qu’en dessous il y a des trucs qui racontent des trucs ? C’est le destin de l’Humanité de se recouvrir progressivement ! » On songe à Valéry, faisant dialoguer Phèdre et Socrate : « Je conçois maintenant comme tu as pu hésiter entre le construire et le connaître. » La dernière page d’Antipolis laisse la question ouverte, et le lecteur ému.
Antipolis
Livre
Gaston Bachelard
La Dialectique de la durée
Publié le 29 avril 2022
L’idée du temps renvoie secrètement à l’image d’un fil. Comme l’indique le titre du film de Wim Wenders Au fil du temps (1976), l’épreuve de son écoulement dit tout de lui. À cette conception de la durée continue, défendue par Henri Bergson, Gaston Bachelard opposait pourtant, dans La Dialectique de la durée (1936), une idée à contre-courant, sinon à contretemps : le temps n’a pas de fil du tout. Se distinguant d’une métaphysique du plein, propre à Bergson, Bachelard réhabilitait l’instant et faisait de la durée une illusion : « Il n’y a vraiment que le néant qui soit continu. » Il assume là un « bergsonisme discontinu », selon le mot du philosophe Élie During, qui a dirigé et commenté la ressortie de ce livre majeur – dans le cadre de la réédition de l’œuvre de Bachelard lancée par les PUF en 2020. Pour savoir ce qu’est vraiment le temps, il faut se demander « ce qu’il fait » plutôt que de « s’en remettre au sentiment confus de son écoulement ». Le temps est un vrai « écheveau » : il est à la fois diffus, feuilleté, ondulant, récurrent. « Or, son opération fondamentale est de rendre possibles des commencements, et surtout des recommencements », précise During. « Tout ce qui dure est soumis à un principe d’intermittence ; une dialectique des interruptions et des reprises fait onduler l’existence entre l’activité et le repos. » Cette question de la hiérarchie des rythmes et du temps vibré défendue par Bachelard s’inspire grandement du penseur portugais Lúcio Alberto Pinheiro dos Santos, inventeur en 1931 de la « rythmanalyse », censée protéger du danger de vivre à contretemps. Attentif aux mouvements de la pensée de Bachelard, During dévoile le mystère de cette œuvre – de longue durée –, véritable viatique pour une vie mieux rythmée, sagesse pratique qui n’a cessé d’influencer des philosophes du quotidien (dont Henri Lefebvre, soucieux dès les années 1960 de travailler au rééquilibrage des rythmes des espaces-temps, détraqués par les règles de la vie moderne) mais aussi les urbanistes, les spécialistes de l’attention multitâches, de la chronobiologie ou du temps « granulaire ». Au lieu de prêcher les vertus de la lenteur, Bachelard invitait déjà en son temps à pratiquer un « pluralisme temporel en composant, sur les différents plans de l’existence, des rythmes plus subtils et mieux maîtrisés ». En cela, il est plus que jamais notre contemporain, capable de réconcilier oisifs et accélérationnistes, dans une appréhension plus juste de la multitude des rythmes qui donnent le vertige. En le (re)lisant, les individus soumis au régime oppressant de l’accélération comprendront que le secret du vrai repos est dans une existence bien rythmée et que la vie n’est jamais aussi intense que quand elle se livre à l’art d’associer ses rythmes discordants. Le XXIe siècle sera-t-il bachelardien ?
La Dialectique de la durée
Livre
Aharon Appelfeld
L’Héritage nu
Publié le 29 avril 2022
L’Héritage nu rassemble trois conférences prononcées en 1985 à l’université Columbia par le romancier et poète Aharon Appelfeld. Il s’agit, écrit-il, « des réflexions et des impressions ancrées dans la tourmente d’une enfance prise dans la Shoah ». Trois conférences, trois étapes, trois épreuves, comme dans un conte terrible pour questionner le rôle de la mémoire et de la littérature au sortir du génocide. En 1942, le jeune Aharon est orphelin. Son père est mort en déportation, sa mère a été assassinée par un SS. Il a 10 ans et erre dans les forêts ukrainiennes travaillant quand il peut chez un fermier. Quatre ans plus tard, amnésique et mutique, il parvient en Israël avec pour souhait « dormir, dormir pendant des années ». Appelfeld raconte, de l’oubli au réveil, comment progressivement il a affronté sa mémoire, d’abord quand elle voulait se taire, ensuite quand elle voulut se faire entendre. Il raconte cette forteresse du silence dont les souvenirs finissent par s’échapper, « habillés de mots » qui paraissent fragiles et impuissants, le laissant honteux et craintif de ne pas se rappeler parfaitement combien « la facilité avec laquelle les mots deviennent des faussaires pour habiller la vraie vie est stupéfiante ». Il témoigne de « l’offense faite à l’enfance » et du choix qui a été le sien d’écrire après la Shoah. L’horreur et l’art peuvent-ils cohabiter ? La réponse est sans équivoque : « Du début à la fin de ce texte, remarque Frédéric Worms dans une belle postface, la littérature maintient une lueur ou une issue. » Et c’est l’héritage que nous laisse Appelfeld.
L’Héritage nu
Livre
Quinn Slobodian
Les Globalistes. Une histoire intellectuelle du néolibéralisme
Publié le 29 avril 2022
En dépit des dégâts sociaux et des contestations qu’il suscite, mais aussi de la pensée critique qui les accompagne, le néolibéralisme continue d’orchestrer l’ordre économique mondial. Avec l’enquête documentée de l’historien canadien Quinn Slobodian sur ses origines intellectuelles, la réflexion s’arrime à un point crucial de son existence, inaugurée par le colloque Walter Lippmann de 1938 et la création de la Société du Mont-Pèlerin par Friedrich A. Hayek en 1947 – soit l’organisation échevelée d’un cadre institutionnel qui conditionne sa marche et vise autant à encadrer et à « engainer » les marchés qu’à les libérer. Au fil des années, les néolibéraux ont imposé, dans le dos des peuples, un règlement continu des rapports entre le monde économique du « dominium » et le monde politique de « l’imperium ». « Le monde normatif néolibéral n’est pas un marché sans frontières et sans États, mais un monde double, protégé par les gardiens de la constitution économique des demandes des masses en faveur de la justice sociale et de l’égalité redistributive », écrit l’auteur. Au cœur de cette édifiante histoire d’une domination intellectuelle ancrée dans les pratiques politiques et juridiques, une école de pensée, tout aussi libérale mais plus discrète que celle de Chicago, se distingue par l’attention qu’elle accorde à la théorie du droit et de l’État : l’École de Genève, qui regroupe dans les années 1950 des intellectuels comme Wilhelm Röpke. L’analyse fouillée qu’en fait Slobodian enrichit le dossier déjà bien chargé de ce néolibéralisme, dont les critiques appuyées dans le monde entier n’entravent malheureusement en rien le triomphe funeste.
Les Globalistes. Une histoire intellectuelle du néolibéralisme
Livre
Juliette Volcler
L’Orchestration du quotidien
Publié le 29 avril 2022
Quoi de commun entre le vrombissement des sabres laser dans la saga Star Wars, le crépitement d’un message sur l’écran d’un téléphone portable et l’indicatif de la SNCF ? Tous ces sons participent d’une ambiance qui définit notre quotidien et façonnent notre appréhension de l’espace, de la ville et des autres. Familiers au point qu’on ne les entend presque plus, ils relèvent pourtant d’une fabrication et de calculs d’une précision inversement proportionnelle à leur durée. Jamais innocents, ils sont le produit d’une discipline fascinante – à la fois technique et enfantine –, tant elle s’apparente à des bricolages ludiques : le design sonore. Autant l’avouer immédiatement, il n’en existe pas de définition satisfaisante. Il se confond régulièrement avec ses confrères, le design acoustique, le sound design (non, ce n’est pas qu’une question de traduction) ou le design musical. Disons qu’il s’agit de la conception de sons liés aux appareils et aux espaces que nous pratiquons. S’adaptant à un sujet fait de bric et de broc, Juliette Volcler signe un essai qui explore les dimensions historiques, sociales et politiques du design sonore, et questionne notre écoute. Qu’entendons-nous lorsque les assistants vocaux de Google, de Microsoft ou d’Apple utilisent par défaut des voix féminines ? Une petite musique de soumission incarnée par Alexa, Cortana et Siri, que l’on peut lancer à l’envi d’un simple « OK ». Si notre environnement sonore transpire les biais sexistes, il véhicule également un concentré de stratégie marketing. Avant le fameux « taa dam tâ-dâm » qui signale toute entrée en gare, l’information était donnée par un cheminot à l’accent différent selon les régions. Depuis les années 1980, c’est la comédienne Simone Hérault qui a pris la relève sur tout le territoire. Sa voix a été synthétisée pour qu’elle lui survive sous le nom d’E-Mone, manière de « réfuter la façon dont sonnent réellement les gares, […] ce fouillis industriel, cet entremêlement de mille voix, de sonneries d’autres marques, de bruits lointains ». Mais un train en retard, lui, fait toujours le même bruit : « Et m****… »
L’Orchestration du quotidien
Livre
Ilaria Gaspari
Petit Manuel philosophique à l’intention des grands émotifs
Publié le 29 avril 2022
Comme beaucoup de grands émotifs, Ilaria Gaspari pleure devant les films, s’excuse sans cesse, a peur de paraître vulnérable aux yeux d’autrui, a honte de laisser affleurer ce qui la consume, souffre de ne jamais se fâcher… La liste de ses imperfections traverse son livre dédié à tous « les paumés, les assoiffés, les agités, les imparfaits ». Mais plutôt qu’un précis de savoir-vivre désincarné ou de développement personnel délesté de toute expérience sensible, son manuel vibre par l’intelligence vive d’un retour sur soi, nourri et soutenu par ses lectures philosophiques. Sa lucidité critique autant que le récit proustien de ses souvenirs d’enfance offrent en partage la matière d’une réflexion subtile sur l’émotivité – une façon de rester vivant, ouvert et vulnérable face à l’expérience du monde. « Pour connaître les émotions sans nous laisser dominer par elles, pour ne pas les subir, ni les réprimer, mais les vivre, il nous faudra avant tout éduquer à leur langage », souligne-t-elle en s’attardant sur certaines (la nostalgie, l’angoisse, le remords, la jalousie, la colère, l’émerveillement…). Invitant à nous fier à ce qu’elles disent de nous-mêmes et des autres, Ilaria Gaspari décèle dans les émotions la puissance contagieuse d’un lien. Les émotions des uns se reflètent dans celles des autres, c’est en cela que, tout en nous distinguant, elles nous rapprochent. « Nous nous ressemblons dans nos blessures, dans nos points faibles ; c’est à l’endroit où nous sommes les plus fragiles que nous sommes les plus semblables », défend la jeune philosophe, émouvante.
Petit Manuel philosophique à l’intention des grands émotifs
Livre
Lucius Burckhardt
Promenadologie
Publié le 29 avril 2022
« Promenadologie » est le nom d’une discipline inventée par le sociologue suisse Lucius Burckhardt (1925-2003). Il en développe les grandes lignes dans ce recueil d’articles qui baladent le lecteur de Tahiti à Fontainebleau. « La promenade ne mène pas à un seul but précis, un endroit spectaculaire puis retour. » Elle analyse la « suite de mouvements où un observateur prend conscience de son environnement », un « collier de perles qui nous permet de réussir à fabriquer une image globale : la création du paysage typique », toujours un peu fantasmé. La pratique elle-même est une invention récente, précise Burckhardt : « Le paysage est une invention du citadin. […] Ce citadin quitte les portes de sa ville pour faire une promenade, regarde la campagne – d’un œil esthétique […] : il n’a pas de participation directe à la production », là où, en ville, tout est un peu trop homogène, utile, signifiant aussi. La promenade implique une hétérogénéité des espaces. « L’opposition ville-campagne est donc esthétiquement comme économiquement le schéma initial de la perception classique de la promenade. » Cette hétérogénéité est cependant mise en péril. « Nous sommes dans un “continuum” que nous qualifions de métropole : nous appelons ainsi un mélange de constructions et d’espaces verts qui recouvrent désormais la ville et la campagne d’autrefois. »La promenade est « capacité à intégrer les éléments perçus en une seule image », mais quelle diversité peut-elle encore rassembler dans un monde où les lignes de partage s’étiolent ? « Quand tout sera typique, la diversité et l’originalité des paysages auront disparu. » Les promeneurs, pourtant, n’ont pas disparu. En témoigne La Société très secrète des marcheurs (PUF, 176 p., 17 €), que le sociologue Rémy Oudghiri consacre aux « marcheurs solitaires » qui épousent la « respiration du paysage », ses rythmes et ses variations.
Promenadologie
Livre
Camille Riquier
Métamorphose de Descartes. Le secret de Sartre
Publié le 29 avril 2022
Longtemps sous perfusion allemande – des « trois H », Hegel, Husserl, Heidegger, aux maîtres du soupçon, Nietzsche, Marx et Freud –, la philosophie française moderne n’aurait-elle pas été hantée par un autre spectre, celui de notre Descartes national ? Partant de cette hypothèse, Camille Riquier défend l’idée qu’il n’y a pas eu jusqu’ici de philosophe français « qui ne se soit retourné vers Descartes à un certain moment de son parcours, souvent décisif, pour éprouver sa pensée au contact de la sienne ». Pour Sartre, en particulier, Descartes fut un « référent » plus encore qu’une référence, « qui fournit moins les idées que la trame qui a servi à les ordonner ». Dévoilant son inconscient cartésien, Riquier se livre à un exercice audacieux : imaginer Sartre réécrivant les méditations de Descartes. Sartre l’avoua dès l’année 1944 : « Un seul a agi profondément sur mon esprit, c’est Descartes. Je me range dans sa lignée et me réclame de cette vieille tradition cartésienne qui s’est conservée en France. » Il faut donc douter de la séparation entre le Sartre phénoménologue (L’Être et le Néant) et le Sartre marxiste (Critique de la raison dialectique). Sartre ne fut ni l’un ni l’autre. « Ou plutôt, il fut l’un et l’autre, l’un puis l’autre, dans l’exacte mesure où il fut cartésien et qu’il l’est resté de part en part en sorte que le cartésianisme doit constituer la base continue de l’œuvre entière », écrit Riquier. « Infidèle à Descartes par fidélité », sur la question de Dieu ou de la science, Sartre n’a fait que répondre de Descartes, « au sens où sa philosophie en répond autant qu’il lui répond ». Ce fut cela son secret, inavouable à lui-même : la parole cartésienne se fond dans celle de Sartre. Il fallait la profondeur d’une lecture aussi précise et aventureuse que celle de Camille Riquier pour prendre la juste mesure de ce fantôme existentiel.
Métamorphose de Descartes. Le secret de Sartre
Livre
Stefan Le Courant
Vivre sous la menace. Les sans-papiers et l’État
Publié le 29 avril 2022
Comment l’État français contrôle-t-il des personnes en situation de clandestinité sur son territoire ? Dans son enquête, l’anthropologue Stefan Le Courant met au jour les mécanismes, visibles ou dissimulés, régissant l’existence des sans-papiers. Ne se limitant pas à la réglementation des entrées et sorties du territoire, la politique migratoire s’exerce davantage comme un contrôle du quotidien : « Cette politique menace plus qu’elle n’expulse, façonne des vies. » Elle pousse en particulier à privilégier la solitude et la méfiance. Car tout signe – de la couleur d’un uniforme au ton d’une voix – devient un danger potentiel, le signe d’un effroi. Chaque instant de la vie des sans-papiers est soumis aux contrôles d’identités, aux placements en détention, aux menaces d’expulsion : « La menace est une présence spectrale susceptible de surgir à tout moment, en tout lieu, de s’immiscer dans une relation. » Et pour rendre compte de cette réalité touchant des milliers de personnes maintenus sciemment dans un statut inférieur, Stefan Le Courant s’est employé à « ethnographier la menace », à rendre compte d’une diversité de vies et de la manière dont l’État fait peser sur elles une peur constante. Pendant quatre ans, il a accompagné le quotidien d’une quarantaine de personnes migrantes. De cette expérience, il tire un récit sensible et incarné : une enquête qui prend le temps de raconter la fragilité d’existences soumises aux logiques coercitives d’un État inquiétant. On découvre « un monde opaque, traversé d’incertitudes, où règnent le tâtonnement et le doute ». De quoi couper court aux fantasmes sécuritaires ambiants : l’étranger est bien plus menacé qu’il n’est menaçant.
Vivre sous la menace. Les sans-papiers et l’État
Livre
Maurice Samuels
Le Droit à la différence. L’universalisme français et les juifs
Publié le 29 avril 2022
En France, pour être pleinement citoyens, les individus doivent cantonner leurs particularismes à la sphère privée. Voilà une idée commune du modèle républicain, partagée tant par les pourfendeurs de l’universalisme français que par ses plus ardents promoteurs. Mais cet universalisme est-il foncièrement un assimilationnisme radical ? C’est la question que pose Maurice Samuels, professeur en études françaises à Yale, en démontrant que la lecture de ce modèle est inexacte. L’universalisme à la française n’a pas toujours été offensivement assimilationniste et n’est pas voué à l’être. Plus exactement, il a pu l’être à certaines périodes et pas à d’autres. Une tension avec un idéal pluraliste a toujours existé dans son déploiement historique. La singularité de ce livre est d’insister sur le fait que ce dialogue renouvelé entre deux tendances de l’universalisme « s’est en grande partie constitué en tant que discours sur les juifs ». C’est après l’affaire Dreyfus que l’assimilationnisme gagna en puissance. Mais de la Révolution française à la conquête de l’Algérie, des écrits de Zola à ceux de Sartre, le dialogue avec les juifs et la manière de les intégrer à la République n’ont jamais cessé de s’enrichir et de se complexifier. Loin des jugements à l’emporte-pièce, l’auteur donne à lire nombre de contributions à ce dialogue, en cherchant à voir comment ces aménagements furent reçus dans la société française. Un appel à une prise de recul bienvenue au moment où ces débats reprennent de plus belle au sujet des musulmans, appelés à devenir la « nouvelle minorité paradigmatique » de France.
Le Droit à la différence. L’universalisme français et les juifs
Livre
Stefano Boni
Homo confort
Publié le 29 avril 2022
Vous aspirez à vivre sans contrainte mais aussi sans fatigue ni effort ? Alors sans doute êtes-vous un Homo confort à en croire Stefano Boni, qui rebaptise ainsi l’homme contemporain. L’anthropologue italien estime en effet que, davantage que la montée de l’individualisme ou la mondialisation, la recherche systématique du confort constitue la caractéristique fondamentale de notre époque. En cherchant à « déléguer à la technologie toutes sortes de tâches fatigantes ou contraignantes qui conditionnaient jusqu’alors notre rapport au monde », Homo confort définit même un nouveau modèle politique, pour le meilleur et pour le pire. C’est lui qui se trouve à l’origine de l’essor du capitalisme et de la société de consommation dans ce qu’elle peut nous procurer comme douceur de vivre et agrément. C’est également lui qui nous indique aussi le sens de l’histoire, qui dévalorise le passé au profit d’un futur censé apporter le « progrès », dans une fuite en avant qui place toutes les populations qui n’y souscrivent pas « en dehors de l’histoire ». Stefano Boni précise avoir « commencé [s]es recherches dans une zone rurale au Ghana, en Afrique occidentale » : cette expérience l’a fait s’interroger sur la valeur des savoir-faire artisanaux que méprise aujourd’hui Homo confort à cause des efforts qu’ils exigent, mais qui nous liaient à la nature en même temps qu’ils nous faisaient explorer et exercer nos propres capacités. Cette philosophie du confort offre une autre manière d’aborder la question classique de la technique, devenue entre-temps celle de l’hypertechnologie
Homo confort
Livre
Alexandre Lacroix
Apprendre à faire l’amour
Publié le 05 mai 2022
Et si la philosophie, plus encore que la psychologie ou la sexologie, avait des choses à nous dire sur la sexualité, même la plus banale – une sexualité « pot-au-feu », ni extrême ni transgressive, sans effet de manche ? Soutenant cette hypothèse iconoclaste dans le champ de la philosophie, trop indifférente à la réflexion touchant un sujet sur lequel elle n’a ni prise ni position, Alexandre Lacroix s’attache à cette drôle d’idée : décrire philosophiquement la « bonne relation sexuelle », autrement dit le « coup parfait ». Enlevée et documentée (par des expériences personnelles autant que par des lectures savantes), l’ambition théorique du livre ne délaisse pas les conseils pratiques, permettant de contourner les effets de routine, réflexes stéréotypés, interdits ou rites de domination contenus dans ce que l’auteur appelle le « freudporn », soit le « script sexuel hégémonique » issu d’une conception de la relation sexuelle héritée des Trois Essais sur la théorie sexuelle de Freud. S’attardant sur certains motifs brûlants de l’acte sexuel (préliminaires, positions, usage de la parole, orgasme…), le livre défend un érotisme libéré des normes convenues, de l’obligation de se transformer en bêtes ou en choses. « Le sexe n’est pas déshumanisant. Il nous donne au contraire l’occasion, très rare, d’éprouver notre propre complétude au contact de celle de l’autre », souligne l’auteur, pour qui l’activité sexuelle ressemble plus à un art vivant ou à une danse improvisée qu’à une performance mécanisée, fétichisée comme une marchandise. Apprendre à faire l’amour, c’est faire de l’amour un apprentissage, toujours perfectible, de la vie bonne. À lire la manière dont Alexandre Lacroix décrit le « coup parfait », nous mesurons tout ce que nous avons encore à apprendre pour vivre mieux.
Apprendre à faire l’amour
CULTURE
Article 2 min
“The Northman” : être ou ne pas être libre
Cédric Enjalbert 03 mai 2022
Le nouveau film de Robert Eggers (The Ligthouse, the Witch) revient aux sources vikings du Hamlet shakespearien. Un récit fait de bruit et de fureur, qui met en lumière la tension entre déterminismes et liberté.
“The Northman” : être ou ne pas être libre
Article 2 min
“La Tendresse” : Mâles vus !
Cédric Enjalbert 03 mai 2022
Huit jeunes comédiens dépoussièrent l’image traditionnelle de la masculinité dans cette pièce mise en scène par Julie Bérès, actuellement au Théâtre des Bouffes du Nord, à Paris.
“La Tendresse” : Mâles vus !
Article 2 min
“Le Théâtre des émotions” : émois, émois et moi
Cédric Enjalbert 03 mai 2022
Comment l'art représente-t-il nos passions et nos sentiments ? Réponse avec cette exposition coordonnée par l’historien de l’art Dominique Lobstein et le philosophe Georges Vigarello au musée Marmottan-Monet à Paris.
“Le Théâtre des émotions” : émois, émois et moi
OH ! LA BELLE VIE !
Article 2 min
Conseil n° 18. Soyons sympas, devenons ministres
François Morel 03 mai 2022
C’est l’époque où les téléphones risquent de chauffer. Le président de la République vient d’être élu. Il nomme un Premier ministre. Le Premier ministre fait des listes. Qui au Budget ? Qui à la Défense ? Qui à l’Éducation nationale ? Qui à la Culture ? Ja..
Conseil n° 18. Soyons sympas, devenons ministres
JEU
Article 1 min
Philocroisés #80
Gaëtan Goron 29 avril 2022
Horizontalement I. La dite vérité chez Foucault. II. Soin Fleury. III. On l’a à l’œil. Qu’on a désormais dans le ventre. IV. Avec Arthaud à la barre. Chercher à convaincre. V. Fin de nombreux sites, Wikipédia par exemple. Alice au pays des nouvelles. VI...
Philocroisés #80
QUESTIONNAIRE DE SOCRATE
Article 2 min
Lætitia Dosch. Que sa joie ne meure
Cédric Enjalbert 03 mai 2022
Hate, son duo théâtral avec un cheval, a marqué durablement les esprits, tout comme ses rôles de cinéma, suspendus à une grâce inimitable. La comédienne est à l’affiche de Petite Leçon d’amour, d’Ève Deboise, une comédie romantique et fantasque à la Capra, avec Pierre Deladonchamps pour partenaire. Animatrice de Radio arbres, une libre antenne pour les plantes, Lætitia Dosch a aussi réalisé son premier film, qui sortira à la rentrée. Entre deux scènes d’une dystopie actuellement en tournage, elle a répondu à nos questions avec une liberté et un allant sincère, pas joués du tout.
Lætitia Dosch. Que sa joie ne meure
Philosophie magazine n°159 - mai 2022
Numéro 159 - Mai 2022
FILS D'ARIANE
(Philomag) |
[n° ou bulletin] est un bulletin de / Alexandre Lacroix (2011)N°159 - Mai 2022 - Qu'est-ce qui nous rend courageux ? [texte imprimé] . - 2022 . - 98 p. : ill. en coul. ; 29 cm. Langues : Français ( fre) Catégories : | Philosophie
| Tags : | courage endométriose école de parfumerie Bergson | Index. décimale : | 17 Morale. Éthique. Philosophie pratique | Résumé : | Qu’est-ce qui nous rend courageux ?
Chacun s’est demandé, un jour ou l’autre, ce qu’il aurait fait sous l’Occupation, durant la Seconde Guerre mondiale. Aurais-je eu le courage d’entrer dans la Résistance ? Serais-je resté inactif face à l’horreur nazie ? Ces questions n’appartiennent pas uniquement à l’histoire passée, et le retour de la guerre sur le sol européen, l’invasion de l’Ukraine par la Russie leur donnent une portée nouvelle : que ferais-je, si mon pays était envahi ? Aurais-je le courage des Ukrainiens ? Peut-être la question n’est-elle pas à poser à la première personne du singulier, car le courage est moins une vertu individuelle qu’une disposition collective, un élan imprévu qui naît des situations elles-mêmes.(Philomag) | Note de contenu : | ÉDITO
Article 3 min
Ce qu’on ne peut pas dire, il faut le faire
Alexandre Lacroix 05 mai 2022
Je n’ai jamais pratiqué les arts martiaux et ne suis nullement spécialiste du domaine de la lutte, mais voilà un enseignement que j’ai tiré des inévitables bagarres de jeunesse : si l’on va se battre, il ne faut pas parler. Celui des adversaires qui se répand en imprécations, en me..
VOS QUESTIONS
Article 3 min
“Existe-t-il des guerres justes ?”
Charles Pépin 05 mai 2022
Question de Pierre Laffont
“Existe-t-il des guerres justes ?”
REPÉRAGES
Article 1 min
Machine molle
Octave Larmagnac-Matheron 05 mai 2022
Vous imaginiez les robots comme un assemblage rigide de circuits et d’engrenages ? Détrompez-vous ! Une équipe de l’université de Hong Kong a récemment mis au point un prototype de robot mou. À vrai dire, l’idée n’est pas complètement nouvelle. La robotique molle suscite l�..
Machine molle
Article 1 min
“Haine”
Octave Larmagnac-Matheron 05 mai 2022
« Je sais que la haine subsiste […]. je vous demande aujourd’hui de me détester avec modération » Salah Abdeslam, lors du procès des attentats du 13-Novembre, le 15 avril 2022 « Si la haine n’était pas dans le monde, toutes choses n’en feraient..
Article 1 min
“Écofascisme”
Octave Larmagnac-Matheron 05 mai 2022
« La politique climatique de Marine Le Pen a un parfum d’écofascisme », affirmait peu avant l’élection présidentielle l’essayiste américaine Kate Aronoff dans le magazine The New Republic. En cause : un programme écologique – que d’aucuns diront ténu ! ..
“Écofascisme”
Article 1 min
102 jours
Octave Larmagnac-Matheron 05 mai 2022
C’est le temps qu’il faudrait, à raison de dix heures par jour, pour lire l’ensemble des textes de loi, décrets et nouveaux règlements instaurés en 2021. Une « inflation normative » record. Serions-nous atteints, comme le pense le philosophe Gaspard Kœnig, d’un véritable «..
Article 2 min
Vote : un silence éloquent
Octave Larmagnac-Matheron 05 mai 2022
Ont voté blanc ou nul au second tour de l’élection présidentielle En 2017 : 4,1 millions, soit 11,5 % des inscrits En 2022 : 3 millions, soit 8,8 % des inscrits La part des Français qui se sont abstenus En 2017 : 25,5 % En 2022 : 28 % Si..
PERSPECTIVES
Article 3 min
“L’extrême centre” du président Macron : politique de la vertu ou posture autoritaire ?
Clément Filippi 05 mai 2022
Une contradiction se loge au cœur du macronisme : comment s’affirmer « au centre » et néanmoins « en marche » ? Le centre n’est-il pas par définition immobile ? La solution envisagée par le chef de l’État consiste en l’introduction d’une notion insolite : celle d’« extrême centre ».
“L’extrême centre” du président Macron : politique de la vertu ou posture autoritaire ?
Article 3 min
Xi Jinping ou la politique du “vrai macho”
Charles Perragin 05 mai 2022
Le président chinois a fait de sa politique brutale « zéro Covid » le signe de la supériorité de son socialisme et la justification d’un troisième mandat. Le sinologue Jean-Philippe Béja, auteur d’À la recherche d’une ombre chinoise (Seuil, 2004), nous livre ici son analyse.
Xi Jinping ou la politique du “vrai macho”
Article 3 min
Éric Thiers : “L’egodémocrate est un Narcisse qui se prend pour Antigone”
Jean-Marie Pottier 05 mai 2022
La quasi-disparition des partis traditionnels témoigne d’un éclatement de l’espace politique. Le chercheur Éric Thiers propose un concept, la « pulvérisation démocratique », qui met selon lui en lumière l’émergence d’un nouveau citoyen, l’« égodémocrate ».
Éric Thiers : “Lutter valeurs contre valeurs, c'est rendre tout compromis impossible”
Article 3 min
“Considerant” l’invention de la proportionnelle
Nicolas Gastineau 05 mai 2022
L’idée revient à chaque élection législative : la proportionnelle. Ce mode scrutin a été imaginé au XIXe siècle par le philosophe français Victor Considerant, qui aspirait à trouver une exacte arithmétique démocratique.
“Considerant” l’invention de la proportionnelle
AU FIL D’UNE IDÉE
Article 2 min
Du pétrole et des idées
Sven Ortoli 05 mai 2022
Plus de la moitié du pétrole exploité aujourd’hui s’est formée au temps des dinosaures, il y a 100 à 200 millions d’années. L’Épopée de Gilgamesh (écrite vers le XVIIe siècle av. J.-C.) relate que Uta-Napishtim, le Noé sumérien, utilise 18 000 lit..
Du pétrole et des idées
ETHNOMYTHOLOGIES
Article 3 min
CBD. Épicure au compte-gouttes
Tobie Nathan 03 mai 2022
Les échoppes et autres bars vendant ce dérivé de cannabis sans effet toxique fleurissent partout. Un succès proprement philosophique ?
CBD. Épicure au compte-gouttes
REPORTAGE
Article 14 min
Et si on apprenait à sentir le monde ?
Clara Degiovanni 05 mai 2022
Nous sommes des analphabètes du nez ! Nous pouvons sentir mais nous ne savons pas nommer et encore moins expliquer les odeurs. Ce savoir ouvre pourtant un rapport sensoriel, intime et créateur à ce qui nous entoure. Est-il possible d’« ouvrir son nez » comme on aiguise son regard ? Nous nous sommes immergés dans le monde des parfumeurs.
Et si on apprenait à sentir le monde ?
ENQUÊTE
Article 11 min
Endométriose : douleur et tabou
Victorine de Oliveira 05 mai 2022
L’endométriose touche de 1,5 à 2 millions de femmes en France. Cette pathologie occasionne des souffrances aiguës qui invalident la vie sociale, professionnelle et affective. Pourtant, elle demeure mal connue, difficilement identifiée, voire niée par le corps médical. Peut-être parce qu’elle est liée au cycle menstruel qui reste encore aujourd’hui frappé d’indignité.
Endométriose : douleur et tabou
L’ŒIL DE LA SORCIÈRE
Article 3 min
Avant qu’il ne soit trop tard
Isabelle Sorente 05 mai 2022
Notre maison brûle, et nous accueillons cette nouvelle avec une relative indifférence. Plutôt que d’en appeler à la raison, il vaudrait peut-être mieux mobiliser des récits propres à nous faire dresser les cheveux sur la tête.
Avant qu’il ne soit trop tard
DOSSIER
5 articles
Qu'est-ce qui nous rend courageux ?
Publié le 05 avril 2022
Chacun s’est demandé, un jour ou l’autre, ce qu’il aurait fait sous l’Occupation, durant la Seconde Guerre mondiale. Aurais-je eu le courage d’entrer dans la Résistance ? Serais-je resté inactif face à l’horreur nazie ? Ces questions n’appartiennent pas uniquement à l’histoire passée, et le retour de la guerre sur le sol européen, l’invasion de l’Ukraine par la Russie leur donnent une portée nouvelle : que ferais-je, si mon pays était envahi ? Aurais-je le courage des Ukrainiens ? Peut-être la question n’est-elle pas à poser à la première personne du singulier, car le courage est moins une vertu individuelle qu’une disposition collective, un élan imprévu qui naît des situations elles-mêmes. > Et si le courage était moins la vertu guerrière et personnelle louée par le récit des grandes actions qu’une disposition collective liée à un contexte, la révélation fortuite d’un sujet au contact d’une situation ? Une hypothèse confirmée par des exemples récents, où l’héroïsme consiste d’abord à sauver une certaine idée de ce que nous sommes. > Notre reporter Pierre Terraz s’est rendu en Ukraine, où il a interrogé des personnes qui ont fait le choix de rester chez elles, dans la banlieue de Kiev, et de supporter l’occupation russe, ou de s’engager dans le combat militaire, ou encore de tout abandonner pour s’exiler… Quand on leur dit qu’elles font preuve d’héroïsme, elles semblent surprises elles-mêmes et répondent qu’elles n’imaginaient pas se comporter autrement. > Dans le choc entre la Russie et l’Ukraine, ce sont deux conceptions de l’héroïsme qui entrent en jeu : dans une logique héritée de l’ère soviétique, Vladimir Poutine semble être prêt à tout pour atteindre ses objectifs, quel que soit le bilan humain ; quant au courage des Ukrainiens, il paraît beaucoup plus populaire, car produit par la société civile et non dicté par un appareil. L’analyse de notre rédacteur en chef et auteur de Dans la tête de Vladimir Poutine, Michel Eltchaninoff. > Peut-on s’entraîner à être courageux ? Le décider ? Sommes-nous ramollis par le confort démocratique ? Sur ces questions, les classiques, d’Aristote à Jankélévitch, de Platon à Jean-Paul Sartre, s’opposent. > La philosophe et psychanalyste Cynthia Fleury a ouvert son œuvre avec une réflexion sur La Fin du courage, qui a rencontré à sa parution en 2011 un vaste écho, à une époque où le thème paraissait presque désuet. Le directeur de l’Assistance publique-Hôpitaux de Marseille François Crémieux, autrefois engagé en tant que « casque bleu » en ex-Yougoslavie, a dû prendre des décisions délicates en temps de crise sanitaire. Ils débattent de la place du courage dans nos sociétés démocratiques.
Qu'est-ce qui nous rend courageux ?
Article 6 min
Révélez-vous !
Cédric Enjalbert 05 mai 2022
Et si le courage était moins la vertu guerrière et personnelle louée par le récit des grandes actions qu’une disposition collective liée à un contexte, la révélation fortuite d’un sujet au contact d’une situation ? Une hypothèse confirmée par des exemples récents, où l’héroïsme consiste d’abord à sauver une certaine idée de ce que nous sommes.
Révélez-vous !
Article 15 min
Reportage en Ukraine : l’étoffe des héros
Pierre Terraz 05 mai 2022
Comment les Ukrainiens font-ils pour résister ainsi à leur envahisseur ? C’est avec cette question, que nous sommes nombreux à nous poser, que notre reporter Pierre Terraz s’est rendu dans le pays dévasté. Pendant dix jours, entre Lviv et Kiev, il a partagé le quotidien de soldats, mais aussi de civils, hommes, femmes et enfants aux vies bouleversées par la guerre, afin de comprendre ce qui fait tenir un peuple face au déferlement soudain de la violence.
Reportage en Ukraine : l’étoffe des héros
Article 6 min
L’Empire contre les cosaques
Michel Eltchaninoff 05 mai 2022
La guerre entre la Russie et l’Ukraine met en lumière deux conceptions très différentes du courage. D’un côté, une vertu sacrificielle, disciplinée, hantée par la mort et la figure de l’État. De l’autre, une force vitale populaire et libertaire, ancrée dans la culture ukrainienne, des cosaques aux anarchistes.
L’Empire contre les cosaques
Article 10 min
Que ferez-vous face au lion ?
Marius Chambrun 05 mai 2022
Le courage n’est pas aisé à anticiper : vient-il d’une disposition innée ou d’un apprentissage ? Peut-on décider d’être courageux ? Est-ce une vertu aristocratique ou guerrière ? Six philosophes classiques vous proposent leur éclairage.
Que ferez-vous face au lion ?
Dialogue 13 min
François Crémieux-Cynthia Fleury : à l’épreuve du réel
Cédric Enjalbert 05 mai 2022
Tous les deux sont familiers des situations d’urgence. François Crémieux, directeur de l’Assistance publique-Hôpitaux de Marseille et ancien « casque bleu » en Bosnie, a connu les terrains de guerre avant de devoir prendre des décisions délicates en temps de crise sanitaire. Cynthia Fleury, philosophe et psychanalyste, autrice de La Fin du courage, n’a cessé de s’interroger sur les maux de nos sociétés et le soin à y apporter. Ensemble, ils cernent la forme que prend le courage en démocratie.
François Crémieux-Cynthia Fleury : à l’épreuve du réel
ENTRETIEN
Entretien 17 min
Bruce Bégout : “Nous sommes la dernière génération à pouvoir célébrer les ruines”
Victorine de Oliveira 05 mai 2022
Bruce Bégout a écrit sur le vide de Las Vegas comme sur la phénoménologie de Husserl. Dans son nouvel essai, Obsolescence des ruines, le philosophe s’inquiète de l’impossibilité pour le monde contemporain d’inscrire la mémoire dans le paysage. Rencontre avec un inlassable collectionneur d’expériences.
Bruce Bégout : “Nous sommes la dernière génération à pouvoir célébrer les ruines”
L’AVENTURE D’UN CLASSIQUE
5 articles
“L’Évolution créatrice” : l'élan vital d’Henri Bergson
Publié le 05 mai 2022
Dans ce livre fondateur, Henri Bergson fait le pari que l’Univers est en devenir et que chaque forme de vie est une création originale, dont l’apparition n’était pas prévisible. Pour comprendre cette pensée fulgurante, il nous faut recourir à l’intuition, seule à même de nous faire sentir la véritable essence des choses et des événements.
“L’Évolution créatrice” : l'élan vital d’Henri Bergson
Article 11 min
“L’Évolution créatrice” : passeport pour la vie
Alexandre Lacroix 05 mai 2022
Dans ce livre fondateur, Henri Bergson fait le pari que l’Univers est en devenir et que chaque forme de vie est une création originale, dont l’apparition n’était pas prévisible. Pour comprendre cette pensée fulgurante, il nous faut recourir à l’intuition, seule à même de nous faire sentir la véritable essence des choses et des événements.
“L’Évolution créatrice” : l'élan vital d’Henri Bergson
Article 3 min
Henri Bergson, le sens de l’image
Alexandre Lacroix 05 mai 2022
La marque de fabrique de Bergson, ce sont les images qu’il propose tout au long de ses textes pour faire comprendre ses idées. Voici quelques-uns des exemples frappants qui jalonnent le parcours de L’Évolution créatrice.
Article 3 min
William James, un pragmatiste disciple de Bergson
Alexandre Lacroix 05 mai 2022
Frère du romancier Henry James, le philosophe américain William James lance un nouveau courant de pensée, auquel il consacre son cours de 1905 à Harvard : le pragmatisme. Il s’y dresse contre presque toute la tradition philosophique, qui va de Platon à Hegel, en passant par Locke ou Kant. Pour lui, il ne faut pas se tourner vers la transcendance ni vers des catégories abstraites, mais juger des théories selon leurs conséquences pratiques dans le courant de la vie. L’année où il publie son premier ouvrage, Le Pragmatisme, en 1907, est aussi celle où il lit L’Évolution créatrice. Voici comment il compare les deux démarches, qui lui paraissent convergentes.
Article 6 min
Frédéric Worms : “L’ambition de ‘L’Évolution créatrice’ de Bergson est inédite et immense !”
Alexandre Lacroix 05 mai 2022
Pour Frédéric Worms, qui a dirigé la première édition critique de l’œuvre d’Henri Bergson, l’auteur de L’Évolution créatrice voit une force agissante à l’œuvre dans la création ou dans l’esprit. Loin des certitudes de la science de son temps autant que du mysticisme, cet élan vital reste cependant saisissable par l’intuition.
Frédéric Worms : “L’ambition de ‘L’Évolution créatrice’ de Bergson est inédite et immense !”
Article 18 min
“L’Évolution créatrice”, d'Henri Bergson : les extraits
Alexandre Lacroix 05 mai 2022
Avec L’Évolution créatrice (1907), Henri Bergson (1859-1941) réconcilie de façon étonnante et harmonieuse ce que nous a appris la science moderne au sujet de l’Univers, la théorie de l’évolution des espèces de Charles Darwin, mais aussi l’ouverture au spirituel qui est en l’homme. Son hypothèse est la suivante : l’univers physique, matériel, tend vers le refroidissement et la mort, mais il est secrètement animé par l’esprit, traversé par un élan vital qui pourrait le réchauffer !
Frédéric Worms : “L’ambition de ‘L’Évolution créatrice’ de Bergson est inédite et immense !”
BOÎTE À OUTILS
Article 3 min
Pourquoi sommes-nous friands de ragots ?
Marius Chambrun 03 mai 2022
Entre amis ou au bureau, avouons-le, nous raffolons des potins ! Qu’est-ce que ces commérages disent de nous ? Venez jaser avec quatre philosophes.
Pourquoi sommes-nous friands de ragots ?
Article 2 min
Jeu
Joséphine Robert 03 mai 2022
Rabat-joie ou ludions, les philosophes ?
BACK PHILO
Bac philo 6 min
Peut-on choisir ses désirs ?
Nicolas Tenaillon 29 avril 2022
Analyse des termes du sujet « Peut-on ? » Est-ce possible ou souhaitable ? « choisir » Préférer une chose plutôt qu’une autre. « ses désirs » Ensemble des tendances spontanées de l’individu, expression de ses manques.
LIVRES
Article 2 min
J’y pense et puis je lis / Mai 2022
Jean-Marie Durand 05 mai 2022
Outre la finesse de son écriture et de sa direction d’acteurs, la série En thérapie doit-elle son succès à un attrait diffus, et paradoxal, pour la psychanalyse ? Contestée par la psychologie cognitive et les neurosciences, figée sur des positions conservatrices face aux troubles du ge..
Livre
Pierre Cassou-Noguès
La Bienveillance des machines
Publié le 29 avril 2022
Imaginez un homme qui aime tant les thermomètres qu’il en a installé dans chaque pièce de sa maison. Il a si bien pris l’habitude de s’y référer pour connaître la température que si vous lui demandez s’il a chaud ou froid, son premier réflexe sera de se tourner vers le thermomètre le plus proche, au lieu de se sonder intérieurement. Cet homme, dont le philosophe Pierre Cassou-Noguès fait le point de départ de son dernier essai, La Bienveillance des machines, c’est nous. Avoir chaud ou froid, être en forme ou fatigué, heureux ou malheureux… Autant de questions dont nous déléguons la réponse à nos écrans 4K, à nos montres connectées, à nos téléphones intelligents ou à nos performances sur les réseaux sociaux. Vieux rêve gravé à l’entrée du temple de Delphes, le « connais-toi toi-même 2.0 » se projette désormais en courbes et en signaux numériques. Mais si, suggère Cassou-Noguès, soutenu par Wittgenstein d’un côté et Freud de l’autre, l’esprit est impénétrable, comment l’exprimer sur un écran autrement que par sa simplification, sa caricature, son « aplatissement » ? Ce que nous espérons d’une telle réduction, c’est chasser « le vague, l’incertain de l’expérience de soi, et l’angoisse qui va avec ». Tant que l’écran affiche la température de notre âme, nous sommes sauvés. Mais si nous nous en séparons ou que l’écran tombe en panne, avertit Cassou-Noguès, c’est alors de nous-mêmes que nous serons séparés, « seul[s] dans un monde qui ne donne plus aucun signe, un monde dépourvu de sens donc, et sans même pouvoir rentrer en soi ». Écrit par un philosophe soucieux de comprendre les transformations de nos subjectivités et de nos formes de vie induites par la technologie contemporaine, cet essai a une qualité singulière : ne pas prendre le numérique de haut, dans tous les sens de l’expression. D’abord, parce qu’il affronte la technologie comme un processus significatif, et non comme un gadget frivole ou accidentel. Le numérique, souligne Cassou-Noguès, pose des questions fondamentales aux propositions de la philosophie : par exemple, le cogito de Descartes, dont « la formule suppose que l’esprit tout entier est occupé d’une seule pensée », quand le numérique disperse notre conscience en autant de fenêtres ouvertes sur notre navigateur, en autant de flux de pensée divergents et asynchrones. « Le sujet cartésien, si l’on veut, est un monomaniaque, alors qu’Internet nous donne des troubles de l’attention. » Le philosophe interroge aussi les données élémentaires de la phénoménologie, comme le principe selon lequel le corps qui touche est touché en même temps, ce qui l’engage vis-à-vis du monde et d’autrui dans une relation de réciprocité. Or le numérique, par la commande à distance et la possibilité de ne pas laisser de traces, ouvre la voie à un toucher que rien ne touche en retour. De là l’idée que « les technologies contemporaines ouvrent un sens nouveau », le sixième sens d’Homo numericus, le « synhaptique », qui agit à distance, permet de toucher sans l’être soi-même, de recevoir en même temps des multitudes d’impressions visuelles, sonores et tactiles. Finalement, la raison pour laquelle cet essai ne prend pas le numérique de haut se trouve dans le sens littéral de l’expression : plutôt que se placer au sommet d’un promontoire pour décrire une architecture technologique, modèle panoptique de Michel Foucault ou Big Brother de George Orwell, l’ouvrage s’installe à hauteur du sujet, il nous parle par la bouche d’un « je » – celui-là même, justement, que la machine entend diffracter et diviser.
La Bienveillance des machines
Livre
Alain Corbin
Histoire du repos
Publié le 29 avril 2022
« Au septième jour, Dieu se reposa… » lit-on dans la Genèse. Si Dieu suspend son activité créatrice, est-ce parce qu’il est fatigué ? Cette fatigue traduit-elle une imperfection ? De façon plus terrestre et quotidienne, le repos est apparu au fil des siècles comme une notion ambivalente : relève-t-il d’une faiblesse et d’une déchéance ? Ou apporte-t-il une jouissance autonome et souveraine ? Historien des représentations et de la vie sensorielle, Alain Corbin saisit les tensions inhérentes à cet état très ordinaire. Ainsi, à l’âge classique, le repos est signe de finitude. Dans le Sermon sur la mort (1662) de Bossuet, il est la tentation qui guette le mortel, qui le détourne de la quête du salut. Mais rien n’est simple, car la mystique chrétienne l’associe aussi à un état de grâce célébré par François de Sales ou Thérèse d’Avila. Au fil des siècles, les paradoxes s’accumulent. Si la mort est un « repos en Dieu » et si l’éloignement des affaires du monde peut rapprocher du salut, l’oisiveté forcée, en particulier celle de la vieillesse – notre « retraite » –, n’est parée d’aucun prestige. Seul Montaigne en fait le temps d’un « contentement en soi-même », tandis que Rousseau, dans Les Rêveries du promeneur solitaire, donne une épaisseur enchantée aux instants d’inaction. Avec le monde industriel et le culte de l’effort productif, le repos prend un sens différent. Il s’oppose à la fatigue plus qu’à l’agitation. La notion de détente nécessaire se substitue à celle de quiétude. Dans les classes possédantes, on passe du prie-Dieu à la chaise longue en quelques décennies. Dans le monde ouvrier, face aux machines qui ne s’arrêtent jamais, la main-d’œuvre doit reprendre des forces. Selon Marx, le repos est alors « incorporé au procès même de la production ». Aux yeux d’Alain Corbin, il en résulte un certain désenchantement théorique : « La fatigue, le surmenage et leurs conséquences sur l’état cérébral, ont en quelque sorte asséché, aplani, simplifié l’histoire du repos. » On peut regretter que ce court livre érudit ne s’aventure pas plus loin dans ce qui, aujourd’hui, relève du fonctionnement ininterrompu du cerveau face aux écrans. Dans cette annexion ultime, le temps de loisir alimente désormais, aux dépens du sommeil et d’une authentique paresse, la fièvre du marché numérique.
Histoire du repos
Livre
Nina Leger
Antipolis
Publié le 29 avril 2022
Dans Mise en pièces, Nina Leger explorait la construction du désir sexuel. Cinq ans plus tard, briques et parpaings ont remplacé orifices et muqueuses – du moins en apparence, car tout démarre par une histoire d’amour. Celle unissant Pierre Laffitte, géologue habité par un projet de bâti prophétique, et Sofia Glikman-Toumarkine, femme de lettres russe, juive, ayant survécu aux pogroms et à l’Occupation avant de s’établir à Paris. Elle est sa professeure, de vingt ans son aînée, mariée. Mais des histoires utopiques naissent les plus grands projets. Et quoi de plus vaste qu’une ville née de rien, poussant son premier cri entre les arbres ? En hommage à son épouse et au premier nom d’Antibes – « la ville d’en face » –, Laffitte la baptisera Sophia-Antipolis. Mais déjà l’urbanisme prend le pas sur l’intime : c’est la réussite de Leger de mêler l’un et l’autre, échafaudant ses récits comme une tour mentale, à la faveur d’un style faussement neutre, aérien, plus précis qu’un plan d’architecte mais jamais départi de cette poésie qu’un Le Corbusier parvint à insuffler au béton. Sa plume sait dire l’envol des rêveurs : « Elle est là, visible de lui seulement, blanche, rose, secrète comme un futur endormi. » Jusqu’à l’éboulement de l’espoir quand l’amour est rattrapé par les lois de la physique. Sophia naît en 1969. Sofia meurt d’un cancer en 1979 : « La ville advient, la femme s’en va. La ville échappe, la femme aussi. Est-ce une harmonie, est-ce une cruauté ? » Là s’esquisse le pan plus idéel du roman. Faisant écho à Octavio Paz (« L’architecture est le témoin incorruptible de l’histoire »), Leger change d’époque pour sillonner un chapitre moins connu de sa chronique : sur ce terrain réputé vierge, la mémoire de harkis placés là au retour d’Algérie. Des familles que nul ne voulait voir, recelées en pleine nature dans des préfabriqués précaires. Aux yeux de l’administration, un « hameau de forestage ». Aux yeux des harkis, un camp, comme celui de Rivesaltes. Un vestige grippe l’avenir de la ville où le futur a trouvé ses racines. L’âme des lieux scrute celle de ses démiurges. Un oublieux s’écrie : « Arrêter de construire parce qu’en dessous il y a des trucs qui racontent des trucs ? C’est le destin de l’Humanité de se recouvrir progressivement ! » On songe à Valéry, faisant dialoguer Phèdre et Socrate : « Je conçois maintenant comme tu as pu hésiter entre le construire et le connaître. » La dernière page d’Antipolis laisse la question ouverte, et le lecteur ému.
Antipolis
Livre
Gaston Bachelard
La Dialectique de la durée
Publié le 29 avril 2022
L’idée du temps renvoie secrètement à l’image d’un fil. Comme l’indique le titre du film de Wim Wenders Au fil du temps (1976), l’épreuve de son écoulement dit tout de lui. À cette conception de la durée continue, défendue par Henri Bergson, Gaston Bachelard opposait pourtant, dans La Dialectique de la durée (1936), une idée à contre-courant, sinon à contretemps : le temps n’a pas de fil du tout. Se distinguant d’une métaphysique du plein, propre à Bergson, Bachelard réhabilitait l’instant et faisait de la durée une illusion : « Il n’y a vraiment que le néant qui soit continu. » Il assume là un « bergsonisme discontinu », selon le mot du philosophe Élie During, qui a dirigé et commenté la ressortie de ce livre majeur – dans le cadre de la réédition de l’œuvre de Bachelard lancée par les PUF en 2020. Pour savoir ce qu’est vraiment le temps, il faut se demander « ce qu’il fait » plutôt que de « s’en remettre au sentiment confus de son écoulement ». Le temps est un vrai « écheveau » : il est à la fois diffus, feuilleté, ondulant, récurrent. « Or, son opération fondamentale est de rendre possibles des commencements, et surtout des recommencements », précise During. « Tout ce qui dure est soumis à un principe d’intermittence ; une dialectique des interruptions et des reprises fait onduler l’existence entre l’activité et le repos. » Cette question de la hiérarchie des rythmes et du temps vibré défendue par Bachelard s’inspire grandement du penseur portugais Lúcio Alberto Pinheiro dos Santos, inventeur en 1931 de la « rythmanalyse », censée protéger du danger de vivre à contretemps. Attentif aux mouvements de la pensée de Bachelard, During dévoile le mystère de cette œuvre – de longue durée –, véritable viatique pour une vie mieux rythmée, sagesse pratique qui n’a cessé d’influencer des philosophes du quotidien (dont Henri Lefebvre, soucieux dès les années 1960 de travailler au rééquilibrage des rythmes des espaces-temps, détraqués par les règles de la vie moderne) mais aussi les urbanistes, les spécialistes de l’attention multitâches, de la chronobiologie ou du temps « granulaire ». Au lieu de prêcher les vertus de la lenteur, Bachelard invitait déjà en son temps à pratiquer un « pluralisme temporel en composant, sur les différents plans de l’existence, des rythmes plus subtils et mieux maîtrisés ». En cela, il est plus que jamais notre contemporain, capable de réconcilier oisifs et accélérationnistes, dans une appréhension plus juste de la multitude des rythmes qui donnent le vertige. En le (re)lisant, les individus soumis au régime oppressant de l’accélération comprendront que le secret du vrai repos est dans une existence bien rythmée et que la vie n’est jamais aussi intense que quand elle se livre à l’art d’associer ses rythmes discordants. Le XXIe siècle sera-t-il bachelardien ?
La Dialectique de la durée
Livre
Aharon Appelfeld
L’Héritage nu
Publié le 29 avril 2022
L’Héritage nu rassemble trois conférences prononcées en 1985 à l’université Columbia par le romancier et poète Aharon Appelfeld. Il s’agit, écrit-il, « des réflexions et des impressions ancrées dans la tourmente d’une enfance prise dans la Shoah ». Trois conférences, trois étapes, trois épreuves, comme dans un conte terrible pour questionner le rôle de la mémoire et de la littérature au sortir du génocide. En 1942, le jeune Aharon est orphelin. Son père est mort en déportation, sa mère a été assassinée par un SS. Il a 10 ans et erre dans les forêts ukrainiennes travaillant quand il peut chez un fermier. Quatre ans plus tard, amnésique et mutique, il parvient en Israël avec pour souhait « dormir, dormir pendant des années ». Appelfeld raconte, de l’oubli au réveil, comment progressivement il a affronté sa mémoire, d’abord quand elle voulait se taire, ensuite quand elle voulut se faire entendre. Il raconte cette forteresse du silence dont les souvenirs finissent par s’échapper, « habillés de mots » qui paraissent fragiles et impuissants, le laissant honteux et craintif de ne pas se rappeler parfaitement combien « la facilité avec laquelle les mots deviennent des faussaires pour habiller la vraie vie est stupéfiante ». Il témoigne de « l’offense faite à l’enfance » et du choix qui a été le sien d’écrire après la Shoah. L’horreur et l’art peuvent-ils cohabiter ? La réponse est sans équivoque : « Du début à la fin de ce texte, remarque Frédéric Worms dans une belle postface, la littérature maintient une lueur ou une issue. » Et c’est l’héritage que nous laisse Appelfeld.
L’Héritage nu
Livre
Quinn Slobodian
Les Globalistes. Une histoire intellectuelle du néolibéralisme
Publié le 29 avril 2022
En dépit des dégâts sociaux et des contestations qu’il suscite, mais aussi de la pensée critique qui les accompagne, le néolibéralisme continue d’orchestrer l’ordre économique mondial. Avec l’enquête documentée de l’historien canadien Quinn Slobodian sur ses origines intellectuelles, la réflexion s’arrime à un point crucial de son existence, inaugurée par le colloque Walter Lippmann de 1938 et la création de la Société du Mont-Pèlerin par Friedrich A. Hayek en 1947 – soit l’organisation échevelée d’un cadre institutionnel qui conditionne sa marche et vise autant à encadrer et à « engainer » les marchés qu’à les libérer. Au fil des années, les néolibéraux ont imposé, dans le dos des peuples, un règlement continu des rapports entre le monde économique du « dominium » et le monde politique de « l’imperium ». « Le monde normatif néolibéral n’est pas un marché sans frontières et sans États, mais un monde double, protégé par les gardiens de la constitution économique des demandes des masses en faveur de la justice sociale et de l’égalité redistributive », écrit l’auteur. Au cœur de cette édifiante histoire d’une domination intellectuelle ancrée dans les pratiques politiques et juridiques, une école de pensée, tout aussi libérale mais plus discrète que celle de Chicago, se distingue par l’attention qu’elle accorde à la théorie du droit et de l’État : l’École de Genève, qui regroupe dans les années 1950 des intellectuels comme Wilhelm Röpke. L’analyse fouillée qu’en fait Slobodian enrichit le dossier déjà bien chargé de ce néolibéralisme, dont les critiques appuyées dans le monde entier n’entravent malheureusement en rien le triomphe funeste.
Les Globalistes. Une histoire intellectuelle du néolibéralisme
Livre
Juliette Volcler
L’Orchestration du quotidien
Publié le 29 avril 2022
Quoi de commun entre le vrombissement des sabres laser dans la saga Star Wars, le crépitement d’un message sur l’écran d’un téléphone portable et l’indicatif de la SNCF ? Tous ces sons participent d’une ambiance qui définit notre quotidien et façonnent notre appréhension de l’espace, de la ville et des autres. Familiers au point qu’on ne les entend presque plus, ils relèvent pourtant d’une fabrication et de calculs d’une précision inversement proportionnelle à leur durée. Jamais innocents, ils sont le produit d’une discipline fascinante – à la fois technique et enfantine –, tant elle s’apparente à des bricolages ludiques : le design sonore. Autant l’avouer immédiatement, il n’en existe pas de définition satisfaisante. Il se confond régulièrement avec ses confrères, le design acoustique, le sound design (non, ce n’est pas qu’une question de traduction) ou le design musical. Disons qu’il s’agit de la conception de sons liés aux appareils et aux espaces que nous pratiquons. S’adaptant à un sujet fait de bric et de broc, Juliette Volcler signe un essai qui explore les dimensions historiques, sociales et politiques du design sonore, et questionne notre écoute. Qu’entendons-nous lorsque les assistants vocaux de Google, de Microsoft ou d’Apple utilisent par défaut des voix féminines ? Une petite musique de soumission incarnée par Alexa, Cortana et Siri, que l’on peut lancer à l’envi d’un simple « OK ». Si notre environnement sonore transpire les biais sexistes, il véhicule également un concentré de stratégie marketing. Avant le fameux « taa dam tâ-dâm » qui signale toute entrée en gare, l’information était donnée par un cheminot à l’accent différent selon les régions. Depuis les années 1980, c’est la comédienne Simone Hérault qui a pris la relève sur tout le territoire. Sa voix a été synthétisée pour qu’elle lui survive sous le nom d’E-Mone, manière de « réfuter la façon dont sonnent réellement les gares, […] ce fouillis industriel, cet entremêlement de mille voix, de sonneries d’autres marques, de bruits lointains ». Mais un train en retard, lui, fait toujours le même bruit : « Et m****… »
L’Orchestration du quotidien
Livre
Ilaria Gaspari
Petit Manuel philosophique à l’intention des grands émotifs
Publié le 29 avril 2022
Comme beaucoup de grands émotifs, Ilaria Gaspari pleure devant les films, s’excuse sans cesse, a peur de paraître vulnérable aux yeux d’autrui, a honte de laisser affleurer ce qui la consume, souffre de ne jamais se fâcher… La liste de ses imperfections traverse son livre dédié à tous « les paumés, les assoiffés, les agités, les imparfaits ». Mais plutôt qu’un précis de savoir-vivre désincarné ou de développement personnel délesté de toute expérience sensible, son manuel vibre par l’intelligence vive d’un retour sur soi, nourri et soutenu par ses lectures philosophiques. Sa lucidité critique autant que le récit proustien de ses souvenirs d’enfance offrent en partage la matière d’une réflexion subtile sur l’émotivité – une façon de rester vivant, ouvert et vulnérable face à l’expérience du monde. « Pour connaître les émotions sans nous laisser dominer par elles, pour ne pas les subir, ni les réprimer, mais les vivre, il nous faudra avant tout éduquer à leur langage », souligne-t-elle en s’attardant sur certaines (la nostalgie, l’angoisse, le remords, la jalousie, la colère, l’émerveillement…). Invitant à nous fier à ce qu’elles disent de nous-mêmes et des autres, Ilaria Gaspari décèle dans les émotions la puissance contagieuse d’un lien. Les émotions des uns se reflètent dans celles des autres, c’est en cela que, tout en nous distinguant, elles nous rapprochent. « Nous nous ressemblons dans nos blessures, dans nos points faibles ; c’est à l’endroit où nous sommes les plus fragiles que nous sommes les plus semblables », défend la jeune philosophe, émouvante.
Petit Manuel philosophique à l’intention des grands émotifs
Livre
Lucius Burckhardt
Promenadologie
Publié le 29 avril 2022
« Promenadologie » est le nom d’une discipline inventée par le sociologue suisse Lucius Burckhardt (1925-2003). Il en développe les grandes lignes dans ce recueil d’articles qui baladent le lecteur de Tahiti à Fontainebleau. « La promenade ne mène pas à un seul but précis, un endroit spectaculaire puis retour. » Elle analyse la « suite de mouvements où un observateur prend conscience de son environnement », un « collier de perles qui nous permet de réussir à fabriquer une image globale : la création du paysage typique », toujours un peu fantasmé. La pratique elle-même est une invention récente, précise Burckhardt : « Le paysage est une invention du citadin. […] Ce citadin quitte les portes de sa ville pour faire une promenade, regarde la campagne – d’un œil esthétique […] : il n’a pas de participation directe à la production », là où, en ville, tout est un peu trop homogène, utile, signifiant aussi. La promenade implique une hétérogénéité des espaces. « L’opposition ville-campagne est donc esthétiquement comme économiquement le schéma initial de la perception classique de la promenade. » Cette hétérogénéité est cependant mise en péril. « Nous sommes dans un “continuum” que nous qualifions de métropole : nous appelons ainsi un mélange de constructions et d’espaces verts qui recouvrent désormais la ville et la campagne d’autrefois. »La promenade est « capacité à intégrer les éléments perçus en une seule image », mais quelle diversité peut-elle encore rassembler dans un monde où les lignes de partage s’étiolent ? « Quand tout sera typique, la diversité et l’originalité des paysages auront disparu. » Les promeneurs, pourtant, n’ont pas disparu. En témoigne La Société très secrète des marcheurs (PUF, 176 p., 17 €), que le sociologue Rémy Oudghiri consacre aux « marcheurs solitaires » qui épousent la « respiration du paysage », ses rythmes et ses variations.
Promenadologie
Livre
Camille Riquier
Métamorphose de Descartes. Le secret de Sartre
Publié le 29 avril 2022
Longtemps sous perfusion allemande – des « trois H », Hegel, Husserl, Heidegger, aux maîtres du soupçon, Nietzsche, Marx et Freud –, la philosophie française moderne n’aurait-elle pas été hantée par un autre spectre, celui de notre Descartes national ? Partant de cette hypothèse, Camille Riquier défend l’idée qu’il n’y a pas eu jusqu’ici de philosophe français « qui ne se soit retourné vers Descartes à un certain moment de son parcours, souvent décisif, pour éprouver sa pensée au contact de la sienne ». Pour Sartre, en particulier, Descartes fut un « référent » plus encore qu’une référence, « qui fournit moins les idées que la trame qui a servi à les ordonner ». Dévoilant son inconscient cartésien, Riquier se livre à un exercice audacieux : imaginer Sartre réécrivant les méditations de Descartes. Sartre l’avoua dès l’année 1944 : « Un seul a agi profondément sur mon esprit, c’est Descartes. Je me range dans sa lignée et me réclame de cette vieille tradition cartésienne qui s’est conservée en France. » Il faut donc douter de la séparation entre le Sartre phénoménologue (L’Être et le Néant) et le Sartre marxiste (Critique de la raison dialectique). Sartre ne fut ni l’un ni l’autre. « Ou plutôt, il fut l’un et l’autre, l’un puis l’autre, dans l’exacte mesure où il fut cartésien et qu’il l’est resté de part en part en sorte que le cartésianisme doit constituer la base continue de l’œuvre entière », écrit Riquier. « Infidèle à Descartes par fidélité », sur la question de Dieu ou de la science, Sartre n’a fait que répondre de Descartes, « au sens où sa philosophie en répond autant qu’il lui répond ». Ce fut cela son secret, inavouable à lui-même : la parole cartésienne se fond dans celle de Sartre. Il fallait la profondeur d’une lecture aussi précise et aventureuse que celle de Camille Riquier pour prendre la juste mesure de ce fantôme existentiel.
Métamorphose de Descartes. Le secret de Sartre
Livre
Stefan Le Courant
Vivre sous la menace. Les sans-papiers et l’État
Publié le 29 avril 2022
Comment l’État français contrôle-t-il des personnes en situation de clandestinité sur son territoire ? Dans son enquête, l’anthropologue Stefan Le Courant met au jour les mécanismes, visibles ou dissimulés, régissant l’existence des sans-papiers. Ne se limitant pas à la réglementation des entrées et sorties du territoire, la politique migratoire s’exerce davantage comme un contrôle du quotidien : « Cette politique menace plus qu’elle n’expulse, façonne des vies. » Elle pousse en particulier à privilégier la solitude et la méfiance. Car tout signe – de la couleur d’un uniforme au ton d’une voix – devient un danger potentiel, le signe d’un effroi. Chaque instant de la vie des sans-papiers est soumis aux contrôles d’identités, aux placements en détention, aux menaces d’expulsion : « La menace est une présence spectrale susceptible de surgir à tout moment, en tout lieu, de s’immiscer dans une relation. » Et pour rendre compte de cette réalité touchant des milliers de personnes maintenus sciemment dans un statut inférieur, Stefan Le Courant s’est employé à « ethnographier la menace », à rendre compte d’une diversité de vies et de la manière dont l’État fait peser sur elles une peur constante. Pendant quatre ans, il a accompagné le quotidien d’une quarantaine de personnes migrantes. De cette expérience, il tire un récit sensible et incarné : une enquête qui prend le temps de raconter la fragilité d’existences soumises aux logiques coercitives d’un État inquiétant. On découvre « un monde opaque, traversé d’incertitudes, où règnent le tâtonnement et le doute ». De quoi couper court aux fantasmes sécuritaires ambiants : l’étranger est bien plus menacé qu’il n’est menaçant.
Vivre sous la menace. Les sans-papiers et l’État
Livre
Maurice Samuels
Le Droit à la différence. L’universalisme français et les juifs
Publié le 29 avril 2022
En France, pour être pleinement citoyens, les individus doivent cantonner leurs particularismes à la sphère privée. Voilà une idée commune du modèle républicain, partagée tant par les pourfendeurs de l’universalisme français que par ses plus ardents promoteurs. Mais cet universalisme est-il foncièrement un assimilationnisme radical ? C’est la question que pose Maurice Samuels, professeur en études françaises à Yale, en démontrant que la lecture de ce modèle est inexacte. L’universalisme à la française n’a pas toujours été offensivement assimilationniste et n’est pas voué à l’être. Plus exactement, il a pu l’être à certaines périodes et pas à d’autres. Une tension avec un idéal pluraliste a toujours existé dans son déploiement historique. La singularité de ce livre est d’insister sur le fait que ce dialogue renouvelé entre deux tendances de l’universalisme « s’est en grande partie constitué en tant que discours sur les juifs ». C’est après l’affaire Dreyfus que l’assimilationnisme gagna en puissance. Mais de la Révolution française à la conquête de l’Algérie, des écrits de Zola à ceux de Sartre, le dialogue avec les juifs et la manière de les intégrer à la République n’ont jamais cessé de s’enrichir et de se complexifier. Loin des jugements à l’emporte-pièce, l’auteur donne à lire nombre de contributions à ce dialogue, en cherchant à voir comment ces aménagements furent reçus dans la société française. Un appel à une prise de recul bienvenue au moment où ces débats reprennent de plus belle au sujet des musulmans, appelés à devenir la « nouvelle minorité paradigmatique » de France.
Le Droit à la différence. L’universalisme français et les juifs
Livre
Stefano Boni
Homo confort
Publié le 29 avril 2022
Vous aspirez à vivre sans contrainte mais aussi sans fatigue ni effort ? Alors sans doute êtes-vous un Homo confort à en croire Stefano Boni, qui rebaptise ainsi l’homme contemporain. L’anthropologue italien estime en effet que, davantage que la montée de l’individualisme ou la mondialisation, la recherche systématique du confort constitue la caractéristique fondamentale de notre époque. En cherchant à « déléguer à la technologie toutes sortes de tâches fatigantes ou contraignantes qui conditionnaient jusqu’alors notre rapport au monde », Homo confort définit même un nouveau modèle politique, pour le meilleur et pour le pire. C’est lui qui se trouve à l’origine de l’essor du capitalisme et de la société de consommation dans ce qu’elle peut nous procurer comme douceur de vivre et agrément. C’est également lui qui nous indique aussi le sens de l’histoire, qui dévalorise le passé au profit d’un futur censé apporter le « progrès », dans une fuite en avant qui place toutes les populations qui n’y souscrivent pas « en dehors de l’histoire ». Stefano Boni précise avoir « commencé [s]es recherches dans une zone rurale au Ghana, en Afrique occidentale » : cette expérience l’a fait s’interroger sur la valeur des savoir-faire artisanaux que méprise aujourd’hui Homo confort à cause des efforts qu’ils exigent, mais qui nous liaient à la nature en même temps qu’ils nous faisaient explorer et exercer nos propres capacités. Cette philosophie du confort offre une autre manière d’aborder la question classique de la technique, devenue entre-temps celle de l’hypertechnologie
Homo confort
Livre
Alexandre Lacroix
Apprendre à faire l’amour
Publié le 05 mai 2022
Et si la philosophie, plus encore que la psychologie ou la sexologie, avait des choses à nous dire sur la sexualité, même la plus banale – une sexualité « pot-au-feu », ni extrême ni transgressive, sans effet de manche ? Soutenant cette hypothèse iconoclaste dans le champ de la philosophie, trop indifférente à la réflexion touchant un sujet sur lequel elle n’a ni prise ni position, Alexandre Lacroix s’attache à cette drôle d’idée : décrire philosophiquement la « bonne relation sexuelle », autrement dit le « coup parfait ». Enlevée et documentée (par des expériences personnelles autant que par des lectures savantes), l’ambition théorique du livre ne délaisse pas les conseils pratiques, permettant de contourner les effets de routine, réflexes stéréotypés, interdits ou rites de domination contenus dans ce que l’auteur appelle le « freudporn », soit le « script sexuel hégémonique » issu d’une conception de la relation sexuelle héritée des Trois Essais sur la théorie sexuelle de Freud. S’attardant sur certains motifs brûlants de l’acte sexuel (préliminaires, positions, usage de la parole, orgasme…), le livre défend un érotisme libéré des normes convenues, de l’obligation de se transformer en bêtes ou en choses. « Le sexe n’est pas déshumanisant. Il nous donne au contraire l’occasion, très rare, d’éprouver notre propre complétude au contact de celle de l’autre », souligne l’auteur, pour qui l’activité sexuelle ressemble plus à un art vivant ou à une danse improvisée qu’à une performance mécanisée, fétichisée comme une marchandise. Apprendre à faire l’amour, c’est faire de l’amour un apprentissage, toujours perfectible, de la vie bonne. À lire la manière dont Alexandre Lacroix décrit le « coup parfait », nous mesurons tout ce que nous avons encore à apprendre pour vivre mieux.
Apprendre à faire l’amour
CULTURE
Article 2 min
“The Northman” : être ou ne pas être libre
Cédric Enjalbert 03 mai 2022
Le nouveau film de Robert Eggers (The Ligthouse, the Witch) revient aux sources vikings du Hamlet shakespearien. Un récit fait de bruit et de fureur, qui met en lumière la tension entre déterminismes et liberté.
“The Northman” : être ou ne pas être libre
Article 2 min
“La Tendresse” : Mâles vus !
Cédric Enjalbert 03 mai 2022
Huit jeunes comédiens dépoussièrent l’image traditionnelle de la masculinité dans cette pièce mise en scène par Julie Bérès, actuellement au Théâtre des Bouffes du Nord, à Paris.
“La Tendresse” : Mâles vus !
Article 2 min
“Le Théâtre des émotions” : émois, émois et moi
Cédric Enjalbert 03 mai 2022
Comment l'art représente-t-il nos passions et nos sentiments ? Réponse avec cette exposition coordonnée par l’historien de l’art Dominique Lobstein et le philosophe Georges Vigarello au musée Marmottan-Monet à Paris.
“Le Théâtre des émotions” : émois, émois et moi
OH ! LA BELLE VIE !
Article 2 min
Conseil n° 18. Soyons sympas, devenons ministres
François Morel 03 mai 2022
C’est l’époque où les téléphones risquent de chauffer. Le président de la République vient d’être élu. Il nomme un Premier ministre. Le Premier ministre fait des listes. Qui au Budget ? Qui à la Défense ? Qui à l’Éducation nationale ? Qui à la Culture ? Ja..
Conseil n° 18. Soyons sympas, devenons ministres
JEU
Article 1 min
Philocroisés #80
Gaëtan Goron 29 avril 2022
Horizontalement I. La dite vérité chez Foucault. II. Soin Fleury. III. On l’a à l’œil. Qu’on a désormais dans le ventre. IV. Avec Arthaud à la barre. Chercher à convaincre. V. Fin de nombreux sites, Wikipédia par exemple. Alice au pays des nouvelles. VI...
Philocroisés #80
QUESTIONNAIRE DE SOCRATE
Article 2 min
Lætitia Dosch. Que sa joie ne meure
Cédric Enjalbert 03 mai 2022
Hate, son duo théâtral avec un cheval, a marqué durablement les esprits, tout comme ses rôles de cinéma, suspendus à une grâce inimitable. La comédienne est à l’affiche de Petite Leçon d’amour, d’Ève Deboise, une comédie romantique et fantasque à la Capra, avec Pierre Deladonchamps pour partenaire. Animatrice de Radio arbres, une libre antenne pour les plantes, Lætitia Dosch a aussi réalisé son premier film, qui sortira à la rentrée. Entre deux scènes d’une dystopie actuellement en tournage, elle a répondu à nos questions avec une liberté et un allant sincère, pas joués du tout.
Lætitia Dosch. Que sa joie ne meure
Philosophie magazine n°159 - mai 2022
Numéro 159 - Mai 2022
FILS D'ARIANE
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