[n° ou bulletin] est un bulletin de / Alexandre Lacroix (2011)Titre : | N°160 - Juin2022 - Penser c'est dire non ? | Type de document : | texte imprimé | Année de publication : | 2022 | Importance : | 98 p. | Présentation : | ill. en coul. | Format : | 29 cm | Langues : | Français (fre) | Catégories : | Philosophie
| Tags : | pensée méditation David Hume | Index. décimale : | 17 Morale. Éthique. Philosophie pratique | Résumé : | Pour gagner notre liberté, pour nous affranchir des puissances qui veulent nous guider ou nous asservir, nous devons sans aucun doute faire usage de la négation. Non pas d’une négativité systématique, d’une posture d’opposition constante et stérile, mais tout de même : il convient de savoir s’opposer à bon escient à ce qu’on attend de nous, quand le contexte l’exige. C’est à cet usage du « non » que nous avons voulu réfléchir dans ce dossier. (Philomag) | Note de contenu : | ÉDITO
Article 3 min
Le traitement du rebelle
Alexandre Lacroix 02 juin 2022
Tous les étudiants sont loin de se ressembler, mais, d’après mon expérience d’enseignant, il est possible de repérer, dès les premières séances, quelques profils caractéristiques au sein d’une classe. D’abord, il y a ceux que j’appellerai les intelligents adaptés – préciso..
VOS QUESTIONS
Article 3 min
“Peut-on dire de notre passé que c’est ‘du passé’ ?”
Charles Pépin 31 mai 2022
Question de Pauline Blanc
“Peut-on dire de notre passé que c’est ‘du passé’ ?”
REPÉRAGES
Article 1 min
Très chère Marilyn
Octave Larmagnac-Matheron 31 mai 2022
C’est désormais le tableau du XXe siècle le plus cher au monde : Shot Sage Blue Marilyn (1964), portrait de Marilyn Monroe réalisé par Andy Warhol, a été vendu 195 millions de dollars lors d’une vente aux enchères chez Christie’s, à New York, le 9 mai dernier. Dérive ..
Marilyn Monroe, l’énigme d’un visage
Article 1 min
“Neutres”
Octave Larmagnac-Matheron 29 avril 2022
« Nous ne voyons pas les sciences et techniques comme neutres et apolitiques » Les étudiants contestataires d’AgroParisTech, lors de leur discours, le 30 avril 2022. « Ce ne sont pas seulement les savoirs, les techniques, la science qui ne sont pas neutres&..
Article 1 min
“Démodernisation”
Octave Larmagnac-Matheron 31 mai 2022
La Russie serait-elle sur la voie de la « démodernisation » ? C’est l’avis de certains observateurs contemporains. Les politologues Alberto Rabilotta, Yakov Rabkin et Samir Saul emploient ce terme dès 2013 pour analyser la situation du pays dans un article intitulé « La d�..
“Démodernisation”
Article 1 min
“100 012”
Octave Larmagnac-Matheron 29 mai 2022
C’est, selon les statistiques du Secrétariat du gouvernement, le nombre de personnes disparues au Mexique entre le 15 mars 1964 et le 16 mai 2022. Principalement liées à la « guerre sale » des autorités contre les mouvements révolutionnaires jusqu’en 1980, ces « dispar..
Article 2 min
Le travail, c’est l’horaire ?
Octave Larmagnac-Matheron 29 mai 2022
Travailleurs s’accommodant d’horaires atypiques 35 % des hommes 37 % des femmes 60 % des employés non qualifiés 49 % des employées non qualifiées 15 % des hommes cadres 18 % des femmes cadres Les salariés appartiennent pour… 58 % au groupe «&nbs..
PERSPECTIVES
Article 3 min
Doit-on élire nos représentants en fonction de leurs compétences ?
Marius Chambrun 31 mai 2022
Quelles sont les qualités requises pour être un bon député ? Pour certains, il s’agit du meilleur niveau de compétences. Pour d’autres, un bon représentant doit être représentatif du peuple. À l’occasion des élections législatives, retour sur un débat aussi vieux que la démocratie elle-même.
Doit-on élire nos représentants en fonction de leurs compétences ?
Article 3 min
Faut-il étendre l’Otan au monde entier ?
Jean-Marie Pottier 31 mai 2022
Alors que la Finlande et la Suède demandent à entrer dans l’Otan, le rêve d’une organisation de défense mondialisée réapparaît. Théorisée il y a près de vingt ans, elle s’inscrit dans le projet de paix perpétuelle élaborée par Emmanuel Kant.
Faut-il étendre l’Otan au monde entier ?
Article 3 min
Éducation nationale recherche professeurs désespérément
Frédéric Manzini 31 mai 2022
Le métier d’enseignant connaît une crise des vocations. Cela donne-t-il tort à Charles Péguy, qui le qualifiait de « plus beau métier du monde » ? L’éclairage de Frédéric Manzini, professeur de philosophie au lycée.
Éducation nationale recherche professeurs désespérément
Article 3 min
Laurie Shrage : “Rendre la pratique de l’avortement intelligible aux valeurs des traditions religieuses ou conservatrices”
Joséphine Robert 31 mai 2022
Pour la philosophe américaine Laurie Shrage, la remise en cause du droit à l’interruption volontaire de grossesse par la Cour suprême de son pays est autant une victoire des conservateurs que le signe d’un échec du débat démocratique.
Laurie Shrage : “Rendre la pratique de l’avortement intelligible aux valeurs des traditions religieuses ou conservatrices”
AU FIL D’UNE IDÉE
Article 2 min
Le blé en herbe
Sven Ortoli 01 juin 2022
Les blés sauvages sont des plantes annuelles ou vivaces pionnières de la famille des graminées apparues dans des forêts tropicales il y a 115 à 90 millions d’années. Les 25 000 variétés de blé existant dans le monde descendent toutes de l’amidonnier, domestiq..
Le blé en herbe
ETHNOMYTHOLOGIES
Article 3 min
Jeûne. Délices d’initiés
Tobie Nathan 01 juin 2022
On raconte que Pythagore, pour être admis aux mystères égyptiens, avait dû se soumettre à un jeûne de quarante jours, à l’issue duquel il aurait déclaré être devenu un homme nouveau. Le processus est clair : le jeûne induit la métamorphose par une sorte de mécanique propre, depuis l..
Jeûne. Délices d’initiés
REPORTAGE
Article 19 min
Voyage en psychédélie
Jack Fereday 02 juin 2022
Interdites en France, les substances psychédéliques font pourtant l’objet d’un intérêt renouvelé de la part de psychologues et de thérapeutes, qui soulignent leur efficacité dans les traitements contre la dépression et les addictions. Elles peuvent aussi être un remède à notre époque en mal de transcendance, comme l’a constaté notre reporter Jack Fereday, qui, sous la supervision d’un guide, a expérimenté l’un de ces hallucinogènes au Royaume-Uni. Il nous raconte son trip métaphysique.
Voyage en psychédélie
ESSAI
Article 10 min
Couches pour bébé, le soin contrarié
Arthur Lochmann 02 juin 2022
Arthur Lochmann n’est pas seulement philosophe et traducteur, charpentier et varappeur, ce dont il témoignait dans Toucher le vertige. Il est aussi père depuis peu. De cette expérience existentielle, il tire une réflexion sur la principale « externalité négative » du nourrisson : la couche !
Couches pour bébé, le soin contrarié
L’ŒIL DE LA SORCIÈRE
Article 3 min
Le rêve de Descartes
Isabelle Sorente 31 mai 2022
Purement rationaliste, le père du cogito ? C’est oublier que sa vocation de philosophe est née d’un songe. Et si, nous aussi, nous écoutions nos rêves ?
Le rêve de Descartes
DOSSIER
5 articles
Penser, c’est dire non ?
Publié le 02 juin 2022
Pour gagner notre liberté, pour nous affranchir des puissances qui veulent nous guider ou nous asservir, nous devons sans aucun doute faire usage de la négation. Non pas d’une négativité systématique, d’une posture d’opposition constante et stérile, mais tout de même : il convient de savoir s’opposer à bon escient à ce qu’on attend de nous, quand le contexte l’exige. C’est à cet usage du « non » que nous avons voulu réfléchir dans ce dossier. > Et si dire non n’était pas une simple opposition vaine mais au contraire la promesse de forger son identité et de constituer un collectif ? Telle est la thèse que propose, pour commencer, notre rédacteur en chef Martin Legros. > De la distance ironique à la désobéissance civile, en passant par l’obéissance outrée qui ridiculise l’arbitraire des autorités, les philosophes classiques ont inventé de nombreux stratagèmes pour dire non, en se plaçant non pas face à l’adversaire mais à côté ou au-dessus de lui. > Une violoniste qui se rebelle contre un professeur abusif, une irréductible anarchiste, un homme qui s’est éloigné du monde du travail, un enfant de la bourgeoisie devenu artiste, une militante qui pratique l’action de rue : nos cinq témoins, dont les parcours sont éclairés par le philosophe Maxime Rovere, racontent les splendeurs et les galères de la résistance. > Faudrait-il réhabiliter la colère pour en faire une vertu politique ? C’est la proposition de la philosophe Sophie Galabru. > Finalement, faire usage de sa pensée est ambigu. L’esprit critique nous permet d’échapper à la servilité et à l’obéissance mécanique… mais ne nous précipite-t-il pas parfois dans le complotisme ou dans des défiances absurdes ? Ce sont les questions dont ont débattu l’anthropologue Dan Sperber et le sociologue Gérald Bronner.
D'après une image © Thomas Shanahan/iStockphoto
Article 11 min
Le non, un oui en puissance ?
Martin Legros 02 juin 2022
De #metoo aux démissionnaires des grandes écoles et des entreprises, les appels à faire sécession s’amplifient dans notre société engluée dans ses contradictions. Que faire pour que ces réactions ne soient pas de vaines gesticulations ? Revenir à la puissance d’affirmation éthique, politique et philosophique derrière tout sujet qui se lève et dit non.
Le non, un oui en puissance ?
Article 6 min
Cinq stratégies pour ne pas courber l’échine
Alexandre Lacroix 02 juin 2022
Les philosophes ont su imaginer des voies pour s’opposer à l’autorité de façon habile, c’est-à-dire sans entrer en collision frontale avec elle mais en lui échappant, voire en se plaçant au-dessus d’elle.
Comment résister à l’autorité en 5 leçons (philosophiques)
Article 16 min
Réfractaires à l’autorité
Victorine de Oliveira 02 juin 2022
Nos cinq témoins ont tous refusé de se soumettre – à la hiérarchie, à un destin tout tracé, à la violence de la société. Une façon d’affirmer avec force leur puissance d’agir ? Le spécialiste de Spinoza Maxime Rovere commente leurs parcours de vie.
Réfractaires à l’autorité
Article 6 min
Sophie Galabru : “La colère réveille la raison à ses intérêts”
Cédric Enjalbert 02 juin 2022
La démocratie n’est pas le refus du conflit. Bien au contraire ! Telle est la thèse défendue par la philosophe Sophie Galabru, qui réhabilite dans son livre Le Visage de nos colères un affect largement dévalorisé par la tradition philosophique et redouté par les pouvoirs en place.
Sophie Galabru : “La colère réveille la raison à ses intérêts”
Dialogue 14 min
Dan Sperber-Gérald Bronner : L’esprit critique rend-il complotiste ?
Alexandre Lacroix 02 juin 2022
La raison nous permet-elle de critiquer les autorités politiques, médiatiques ou scientifiques, et de forger notre propre avis en toute indépendance ? Ou bien est-elle un outil que nous employons pour convaincre les autres d’adhérer à nos opinions les plus folles et justifier jusqu’à l’injustifiable ? Ce sont ces questions qui ont été au cœur du dialogue entre le sociologue Gérald Bronner et le chercheur en sciences cognitives Dan Sperber.
Dan Sperber-Gérald Bronner : L’esprit critique rend-il complotiste ?
ENTRETIEN
Entretien 17 min
Alain Corbin : “J’ai la hantise de la disparition des gens ordinaires”
Cédric Enjalbert 02 juin 2022
Mondialement reconnu pour son exploration de l’histoire des sensibilités, Alain Corbin a inventé une méthode et mis au jour des sujets longtemps passés inaperçus. À l’occasion de la parution de son nouveau livre, une Histoire du repos (Plon), il a accepté de répondre à nos questions et de retracer le fil de son œuvre.
Alain Corbin : “J’ai la hantise de la disparition des gens ordinaires”
L’AVENTURE D’UN CLASSIQUE
4 articles
“Traité de la nature humaine”, la grande expérience de David Hume
Publié le 02 juin 2022
Après des siècles de méfiance à l’égard des sens, David Hume (1711-1776), avec son Traité de la nature humaine, inverse la vapeur. Toute connaissance est d’abord empirique, c’est-à-dire issue de l’expérience. Ce qui n’empêche pas une forme de scepticisme : quand, en France, la raison triomphe, les Lumières écossaises auxquelles on rattache Hume sont nimbées des brumes de l’incertitude.
“Traité de la nature humaine” : expérimentalement vôtre
Article 10 min
“Traité de la nature humaine” : expérimentalement vôtre
Victorine de Oliveira 02 juin 2022
David Hume soumet les pouvoirs de la raison à une critique radicale. Il ne s’agit plus de fonder la connaissance sur les idées mais de l’ancrer dans l’expérience. En redonnant la primauté au vécu, il écorne la métaphysique et montre que nos certitudes ne sont que des croyances.
“Traité de la nature humaine” : expérimentalement vôtre
Article 3 min
David Hume, le doute en héritage
Victorine de Oliveira 02 juin 2022
Malgré l’insuccès de son Traité sur la nature humaine, Hume ne s’en tient pas là et décline les conséquences de sa remise en question de la métaphysique dans différents domaines. Résultat : les normes du goût, de la croyance et de la morale en sont bouleversées.
Article 3 min
L’hommage de Kant à Hume
Victorine de Oliveira 02 juin 2022
Tout au long de la Critique de la raison pure et de son résumé, les Prolégomènes à toute métaphysique future, Kant ne cesse de rendre hommage à son homologue écossais. Parce que Hume a su questionner le premier les limites de la métaphysique, Kant lui reconnaît le statut de pionnier de la théorie de la connaissance. Après avoir été réveillé de son « sommeil dogmatique », il lui emboîte donc le pas.
Article 6 min
Yves Michaud : “L’empirisme de Hume est plus que jamais pertinent quand on considère le cours des affaires humaines”
Yves Michaud 02 juin 2022
Simpliste, borné et superficiel, l'empirisme de Hume ? Pas pour Yves Michaud, pour qui un empiriste est tout autant ancré dans ce qui arrive (les faits) que capable d’imaginer à l’infini. Et si le « scepticisme modéré » du penseur écossais était nécessaire pour sortir de l'illusion de la raison toute-puissante ?
Yves Michaud : “L’empirisme de Hume est plus que jamais pertinent quand on considère le cours des affaires humaines”
BOÎTE À OUTILS
Article 2 min
Pourquoi faisons-nous le ménage ?
Joséphine Robert 01 juin 2022
Nettoyer, balayer, astiquer… Qu’est-ce qui nous pousse à rendre notre intérieur toujours pimpant ? Quatre philosophes bien propres sur eux dépoussièrent la question.
Pourquoi faisons-nous le ménage ?
Article 1 min
Volja
Octave Larmagnac-Matheron 28 mai 2022
Langue d’origine : ukrainien
Article 2 min
“Famille”
Marius Chambrun 28 mai 2022
Cinq philosophes se retrouvent autour de la table.
BACK PHILO
Bac philo 6 min
Peut-on être insensible à la beauté ?
Aïda N’Diaye 24 mai 2022
Analyse des termes du sujet « Peut-on ? » Est-ce possible ou est-ce légitime ? « être insensible » Ne pas s’intéresser à ou ne pas être touché par. « beauté » La beauté formelle, la valeur ou la grandeur ; la beauté en général ou en particulier.
LIVRES
Article 2 min
J’y pense et puis je lis / Juin 2022
Jean-Marie Durand 26 mai 2022
Sous l’effet de l’Anthropocène, nouvelle phase d’accélération de l’histoire, la philosophie contemporaine ne cesse d’explorer la relation de l’homme aux autres êtres, pour se demander avec Pierre Montebello, Philippe Descola ou Bruno Latour comment « réanimer ce qui a été d�..
Livre
David Berliner
Devenir autre
Publié le 25 mai 2022
Se figurer en chèvre, se prendre pour Napoléon ou pour Wonder Woman, se dissimuler derrière un masque, vecteur de puissance… L’imaginaire contemporain abrite de multiples jeux de rôles visant à se dérober aux assignations identitaires. Devenir autre : l’idée d’échapper à soi (son visage, sa chair, son langage) nous traverse depuis probablement l’enfance. Ne serait-ce que pour déjouer ce que l’écrivain Julien Green appelle « l’ingénieux supplice de l’identité ». Dans la préface de son roman Si j’étais vous (1947), il écrivait : « Une partie de notre tristesse vient de ce que nous sommes perpétuellement les mêmes, de ce que chaque matin nous nous réveillons avec le même problème à résoudre, qui est de savoir comment nous supporter nous-mêmes jusqu’au soir, et jusqu’à la mort. » Si cette fatigue d’être soi et la manière dont les humains composent avec la plasticité ont largement été analysées dans l’histoire de la pensée, l’originalité du texte de l’anthropologue belge David Berliner consiste à ancrer cette « exo-expérience » au cœur de notre temps présent. Où des discours et aspirations contraires s’affirment à l’envi : ceux qui promeuvent l’existence d’identités homogènes et stables font face à ceux qui défendent la fluidité, la plasticité et la multiplicité des visages de soi. Sans nier le poids de ceux qui revendiquent un moi unique et solide, Berliner fait l’hypothèse que le soi est toujours « plus fragmenté et malléable qu’on ne peut le penser », qu’il est « altérable par l’expérience » et que, de fait, l’esprit du temps, fatigué, triste et monotone, pousse plus que jamais à cette élasticité. Déployant une « anthropologie de l’expérience » fondée sur l’observation d’individus plongés dans leurs rites immersifs, l’auteur documente le besoin de nombre de nos contemporains d’investir une réalité différente de la leur, en basculant dans un cadre propice à un dédoublement, à une démultiplication. Du phénomène du « cosplay » aux « devenirs animal » (se raccorder avec un moi animal ou mythologique), de l’imitation d’un modèle, dans la peau duquel on se glisse, aux pratiques d’« escapism » (ces immersions fictionnelles destinées à fuir les circonstances de notre existence), il consigne l’essor de ces expériences par lesquelles « un individu s’identifie à une entité, qu’elle soit humaine ou pas ». Des pratiques qui donnent raison à William James lorsqu’il évoquait le « morcellement de la personnalité en différents moi qui peuvent se démentir les uns les autres ». Souvent, en devenant autres, ces bricoleurs de l’identité se retrouvent eux-mêmes, car une réparation – une « guérison par la métamorphose », pour citer l’historien des idées Jean Starobinski – se joue dans l’épreuve de la plasticité. Devenir autre, selon David Berliner, « c’est se soustraire aux règles d’un monde pour basculer dans un autre : un univers de potentialités créatrices, de connexions, de causalités, de sensations et d’émotions différentes ». Par cet écart avec les usages de soi, quitte à assumer des désirs inavouables, cette grande famille de joueurs malicieux défend une « politique de la multiplicité et de la plasticité », qui, derrière son apparente légèreté, trouble le modèle rassurant d’une rhétorique authenticiste et nous rappelle, par ses facéties mêmes, que le souci de soi n’est jamais que le souci de l’autre en soi.
Devenir autre
Livre
Pierre Vesperini
Que faire du passé ? Réflexions sur la cancel culture
Publié le 25 mai 2022
Que penser des étudiantes américaines qui ne veulent plus étudier les Métamorphoses d’Ovide, parce que ce beau poème décrit d’horribles viols ? Que faire de ces « avertissements » (en anglais, trigger warnings) où les spectateurs de Roméo et Juliette sont prévenus que la pièce de Shakespeare contient des passages « choquants », contre lesquels une association vouée à la prévention du suicide se propose de fournir son aide ? Telles sont quelques-unes des questions soulevées par la « cancel culture ». Née aux États-Unis, cette tendance sans unité témoigne d’une sensibilité nouvelle. Malgré ses difficultés à établir un dialogue avec ses adversaires, elle fournit une occasion en or d’interroger les fondements de la culture dite « occidentale », les raisons de notre attachement aux classiques et nos manières de l’enseigner. Entre les groupes féministes ou décoloniaux qui veulent culpabiliser et rejeter les grands auteurs comme les chantres de sociétés inégalitaires, et les gens de lettres qui veulent transmettre le passé comme s’il était neutre, non sans faire preuve d’un certain angélisme, une troisième voie est-elle possible ? Pour la découvrir, Pierre Vesperini raisonne par étapes : il s’agit d’abord de reconnaître que toute culture est d’emblée une « cancel culture », puisqu’elle tend à effacer les autres par le mépris de leurs créations, de leur langue, de leur expérience. Ensuite, il convient d’admettre que les formes prises par la culture européenne, au moment où elle est devenue chrétienne, puis capitaliste, s’articulaient réellement à des formes d’oppression inacceptables – où les grands auteurs étaient souvent eux-mêmes des marginaux. Enfin, pourquoi ne pas reconnaître que ce sont les souffrances suscitées par les violences commises au long des siècles qui trouvent leur voix aujourd’hui de manière parfois maladroite ? Sur ces fondements, une approche nuancée se fait jour : au lieu de défendre à tout prix une culture vécue comme sacrée, intouchable, immuable, en sacerdote défendant son idole, il vaut la peine d’imiter Walter Benjamin, premier théoricien d’une tout autre attitude : celle du « spectateur distant », pour qui la culture prend avant tout la forme d’une question.
Que faire du passé ? Réflexions sur la cancel culture
Livre
Jean-Pierre Suaudeau
Poétique d’une idole. Rêver Johnny
Publié le 25 mai 2022
C’est un fantasme paranoïaque très répandu chez les écrivains que de s’imaginer, lorsqu’ils voient le bout d’un manuscrit, que d’autres œuvrent dans l’ombre sur le même sujet, et que ces derniers sont sur le point de leur couper l’herbe sous le pied alors qu’ils avaient d’abord cru leur livre surgi de l’inimitable singularité de leur esprit. Dans 900 % des cas, ce soupçon est infondé. Dans une proportion qui échappe à la statistique, ça arrive. Je peux vous dire que Jean-Pierre Suaudeau et moi échappons à la statistique. Au même moment et sans nous connaître, nous avons écrit deux livres sur le même improbable sujet. Figurez-vous une célébrité sur le retour, qui à soi seule incarnerait une certaine idée de la France. Une idée un peu dépassée – ça se passe pendant le mouvement des « gilets jaunes » –, qui sonne le glas de la start-up nation, cette vieille lubie ringarde. Johnny Hallyday meets les ronds-points est le sujet extrêmement résumé de Poétique d’une idole. Rêver Johnny. Je vous vois déjà, lecteurs, lever les yeux au ciel. Johnny Hallyday n’est pas votre affaire. Qu’allez-vous perdre votre temps chez les yé-yé quand vous voulez Spinoza, Deleuze, Levinas ? Bon sang, j’ai marqué un point. Vous aussi, vous avez vos idoles. Des créatures mi-réelles, mi-fantastiques, que vous convoquez à loisir pour vous soutenir dans le labeur, alléger votre désarroi. Pour certains, c’est Spinoza. Pour d’autres, c’est Hallyday. Je ne mets pas ces figures sur le même plan. Je dis qu’elles remplissent une fonction similaire, agrandir l’existence. Et je ne fourre pas non plus tout le public dans le même sac. On peut se réclamer tour à tour de, mettons, Hannah Arendt et Tina Turner. Poétique d’une idole parle de ce rapport tenace entre le modèle et ses émules – tenace en dépit de la fragilité de l’idole, qui vit à travers ses idées ou son art, mais aussi à travers la reconnaissance du public, qui est un carburant et une drogue ; tenace en dépit de la volatilité du public, qui s’empresse de jeter aux orties la vedette d’une saison si elle n’incarne pas davantage qu’elle-même, ne cristallise pas une certaine pensée de l’époque, du continent, du pays. Parfois je tombe sur un livre qui me rend jalouse parce que j’aurais voulu l’écrire. En l’occurrence, j’aurais bien aimé écrire celui de Jean-Pierre Suaudeau. Mais je l’aurais intitulé Poétique d’Arielle Dombasle.
Poétique d’une idole. Rêver Johnny
Livre
Jean-Claude Monod
La Raison et la Colère. Un hommage philosophico-politique à Jacques Bouveresse
Publié le 25 mai 2022
Il y a un peu plus d’un an nous quittait Jacques Bouveresse (photo). Historien critique de la philosophie, dénonciateur sans relâche des impostures, défenseur tous azimuts de la vérité, grand amateur de littérature et de musique, auteur d’une œuvre protéiforme, il avait intitulé sa chaire au Collège de France « Philosophie du langage et de la connaissance ». Mais il était surtout un esprit libre dont Jean-Claude Monod, qui fut à la fois un proche et un interlocuteur, nous brosse le portrait dans un petit livre en forme d’hommage. Il le décrit d’abord comme un intransigeant défenseur de la rationalité contre toutes les idéologies et les diverses tentatives de récupération politique dont elle fait l’objet. Il raconte aussi ses emportements contre un certain journalisme culturel dont il ne partageait pas le goût de la vulgarisation. S’il n’a jamais occupé le devant de la scène médiatique, c’est qu’il ne cherchait pas la reconnaissance du grand public et rechignait à vulgariser. N’était-il pas un fervent admirateur de Karl Kraus, grand pourfendeur de la compromission des élites intellectuelles et de la presse ? Bouveresse, explique Monod, a mal vécu dans sa jeunesse l’influence délétère qu’un Sartre avait pu exercer sur la scène philosophique française et il dénonçait à la fois « la primauté absolue de la philosophie pratique sur la philosophie théorique et la politisation intégrale de la philosophie ». Mais lire Bouveresse peut s’avérer austère. Ses ouvrages sont exigeants et les connaissances qu’ils mobilisent souvent pointues : « Assurément, explique Jean-Claude Monod, Bouveresse revendiquait un style universitaire, contre la dévalorisation de l’université devenue si fréquente dans le champ médiatique et sans doute dans le champ social tout entier. » Son œuvre n’en a pas moins marqué l’institution, ne serait-ce que par la rigueur avec laquelle elle a intégré les apports de la philosophie analytique ou ceux de la logique, de l’épistémologie et de la philosophie des sciences. Elle a également joué un rôle considérable pour introduire au sein de l’université française l’étude de certains auteurs d’Europe centrale et, notamment, des Autrichiens comme Bernard Bolzano (1781-1848), Ludwig Boltzmann (1844-1906) ou Ludwig Wittgenstein (1889-1951), auquel d’ailleurs est consacré Les Vagues du langage, l’ouvrage posthume qui paraît simultanément au Seuil (672 p., 31 €) et qui s’interroge sur la signification (et plus précisément sur « la possibilité de comprendre et d’utiliser un mot dans quelque sens que ce soit », dès lors qu’aucun mot n’a de sens a priori mais que c’est l’usage qui lui en donne un). C’est aussi cela l’importance de l’héritage qu’il nous laisse et que Jean-Claude Monod appelle l’« effet Bouveresse ».
La Raison et la Colère. Un hommage philosophico-politique à Jacques Bouveresse
Livre
Hans Blumenberg
La Vérité nue
Publié le 02 juin 2022
La vérité nue » : c’est en historien des idées et des représentations que le philosophe allemand Hans Blumenberg (1920-1996), méconnu en France, s’intéresse à cette expression, si courante qu’on ne la remarque même plus, dans un ouvrage publié à titre posthume. Et de remarquer d’emblée que, dans les arts comme chez les penseurs, la formule convoque l’imagerie du corps féminin nu, symbole de pureté, d’innocence mais également d’attraction. La recherche de vérité, déjà chez Platon, se mêle dès lors inévitablement à l’éros. Mais elle est en même temps, et c’est tout l’enjeu, associée au voyeurisme d’un regard masculin qui, avec une certaine violence, transgresse la pudeur du vrai, dont il s’efforce de dévoiler les secrets. Comme Actéon puni de mort par la déesse grecque Artémis qu’il avait surprise au bain, la quête d’une vérité sans filtre serait-elle maudite ? En tout cas, il y a plus que de l’indécence dans la vérité nue : s’y tapit une horreur. La vérité nue, comme le soulignera Nietzsche (sur lequel s’attarde Blumenberg), possède « une dimension effrayante et insupportable ». L’homme doit se méfier du réel, sous peine de sombrer sous le poids de son atrocité. Pourrait-il même s’y confronter directement, sans médiation ? Si la vérité nue est corps féminin, la surface de sa peau n’est-elle pas une énième parure derrière laquelle se dissimule un savoir plus profond ? La vérité nue est comme un « oignon » dont le penseur pèlerait les couches à l’infini. L’objet du philosophe est moins d’avancer une thèse que de montrer la richesse et la complexité d’une métaphore, qui, depuis des siècles, informe la manière dont la connaissance se pense elle-même.
La Vérité nue
Livre
Günther Anders
Et si je suis désespéré, que voulez-vous que j’y fasse ?
Publié le 25 mai 2022
Alors que l’actualité de la guerre en Ukraine ravive le spectre de l’apocalypse nucléaire, négligée depuis la guerre froide, la pensée de Günther Anders, qui fut dès 1945 un infatigable Cassandre de l’ère atomique, se présente à nous comme une ressource en vue d’approcher le caractère monstrueux de cette menace et le renouvellement éthique qu’elle impose. Ex-époux de Hannah Arendt, dont il partageait la judéité et avec laquelle il émigra d’Allemagne en 1933, Anders s’explique sur sa trajectoire dans ces entretiens (réédités après une première publication en 2001). Il se dépeint comme écrivain engagé dans un siècle tragique plutôt que comme philosophe universitaire, contrairement à ce que pouvait laisser présager son compagnonnage de jeunesse avec Husserl. Avec une espièglerie assez inattendue, le penseur écorche au passage la vanité de Heidegger et de ses disciples, et se livre à quelques réflexions sur la fonction des intellectuels par gros temps. Anders revient aussi sur son idée maîtresse de l’« irreprésentabilité » des catastrophes dont la technique moderne nous a rendus capables. Selon lui, notre faiblesse éthique spécifique ne tient pas à ce que nous serions devenus plus mauvais que nos ancêtres mais à notre incapacité à « imaginer » le mal que produisent nos inventions. Cet éclairage permet de comprendre la forme très littéraire de l’écriture d’Anders, tout entière tendue vers la nécessité de « se rendre compte ». L’occasion d’opérer des rapprochements avec les réflexions de Hannah Arendt sur la banalité du mal, pour qui c’est aussi l’absence de pensée, plutôt que l’intention maligne, qui ouvre la voie à l’anéantissement de l’homme par l’homme.
Et si je suis désespéré, que voulez-vous que j’y fasse ?
Livre
Christophe Bouton
L’Accélération de l’histoire
Publié le 25 mai 2022
Comme la souris Speedy Gonzales du dessin animé, nous crions souvent intérieurement « ¡ Ay, caramba ! » pour nous ajuster au tempo des pratiques sociales. Sans avoir forcément lu Hartmut Rosa, Reinhart Koselleck ou François Hartog, auteurs de référence sur la question, beaucoup pressentent que l’accélération de l’histoire qualifie le temps présent. Elle renvoie à la surabondance d’événements qui défilent à un rythme toujours plus élevé, dans un pur présent qui occulte passé et futur. Pourtant, comme l’analyse Christophe Bouton dans une enquête visant à déconstruire autant qu’à clarifier la thèse de l’accélération de l’histoire, ce thème a émergé dès le début de la Modernité. En France, l’Essai sur l’accélération de l’histoire de Daniel Halévy (1948) attire l’attention sur ce concept, dont le sociologue Hartmut Rosa a élargi le sens. Ce dernier a en effet théorisé une accélération universelle du changement social, qui vaut pour la politique, la science, l’éthique ou la vie privée. Un peu fourre-tout, la catégorie d’accélération a ainsi connu depuis les années 1970 « une forte montée en généralité » : « elle n’est plus l’accélération de quelque chose, mais accélération tout court ». Elle devient, à l’image d’un train fou sans conducteur, un mouvement autoalimenté : « l’accélération s’accélère toute seule ». Pourtant, cette catégorie historique dominante qu’est le présentisme n’a pas effacé des imaginaires sociaux d’autres régimes d’historicité, tels que l’utopie (transformer le monde) et, surtout, « l’eutopie » (préserver la planète) à l’heure de l’Anthropocène. Caractérisée par la conscience de l’urgence climatique, cette nouvelle « grande accélération » appelle une autre accélération, politique, qui devra être à sa hauteur, sans quoi l’histoire s’arrêtera pour de bon. Derrière la monochronie de l’accélération, Bouton défend ainsi l’idée d’une « polychronie » propre à la modernité. Elle est une contribution essentielle à la compréhension de nos sociétés, où les manières d’éprouver le temps historique s’affrontent à la mesure des désaccords sur l’art de s’inscrire dans le monde en devenir.
L’Accélération de l’histoire
Livre
Hélène Lœvenbruck
Le Mystère des voix intérieures
Publié le 25 mai 2022
Elle est au plus profond de chacun d’entre nous, elle double la moindre de nos sensations comme chacune de nos conversations : c’est notre voix intérieure. Mais est-ce une voix, si elle est silencieuse ? Se distingue-t-elle de moi, si elle me permet d’entrer en contact avec moi-même ? Et quel rapport entretient-elle avec le langage articulé ? Voilà les questions que soulève Hélène Lœvenbruck, s’inspirant autant des neurosciences que de philosophie et de littérature. L’endophasie – du nom que donna à notre monologue intérieur le médecin Georges Saint-Paul en 1892 – est l’effet d’une forme d’inhibition : alors que l’enfant dit tout haut ce qui lui passe par la tête, l’adulte a appris à intérioriser et à contrôler son flux de conscience. Devenu mental, son monologue s’est condensé. Pas besoin de faire des phrases, un seul mot suffit : « La petite voix dans la tête, c’est une prédiction sensorielle, une parole interrompue juste avant d’être effectivement proférée. » L’endophasie est aussi une porte d’entrée sur les troubles de la parole, telles les hallucinations auditives des schizophrènes qui croient entendre un autre derrière leur parole intérieure. « En écoutant la voix intérieure qui me crie de noter tout ce que je rencontre au cours de mes flâneries, je me crois appelé à trouver durant une nuit d’hiver le sens de toute chose, le lien qui les unit, et à faire le total qui les additionne toutes », écrit Virginia Woolf dans Les Vagues. C’est un continent philosophique qu’Hélène Lœvenbruck a ouvert, dans les pas de Woolf, à l’écoute de toutes les formes que peut prendre notre voix intérieure.
Le Mystère des voix intérieures
Livre
Daisy Letourneur
On ne naît pas mec
Publié le 25 mai 2022
Qu’est-ce qui cloche avec les mecs ? Oui, les mecs. Puisque, entre eux, c’est ainsi qu’ils aiment à s’interpeller – « Salut mec ! Ça va mec ! » –, autant adopter leur mode de communication. Daisy Letourneur est plutôt bien placée pour s’emparer du sujet : l’autrice du blog « La Mecxpliqueuse » était un homme avant sa transition. Ce mot-valise, elle l’a forgé en référence à l’Américaine Rebecca Solnit, inventrice du concept de mansplaining, soit le fait pour un homme d’expliquer à une femme ce qu’elle sait déjà malgré ses tentatives plus ou moins désespérées ou blasées de faire comprendre que, oui, elle sait. Les observations de Letourneur sur la masculinité ne sont pas neuves : comme la féminité, elle est une construction qui repose sur des bases biologiques bien minces (non, la testostérone ne fait pas tout et n’est pas un alibi d’agressivité ou de désir sexuel compulsif), elle génère des comportements à risque non seulement pour les femmes mais aussi pour les hommes, et elle prend la forme d’une dynamique, d’un certificat à toujours renouveler. Mais ces conclusions ont le mérite d’être clairement exposées et sourcées, le tout sur un ton mordant. Letourneur fait un pas supplémentaire en affirmant que l’injonction à la virilité n’est en aucun cas un « coût » pour les hommes : cela laisserait penser qu’ils « n’ont aucun choix, aucune agentivité et qu’ils dominent presque malgré eux. […] Le fait de se couper de ses émotions, de ne plus avoir que la colère, de se prétendre indépendant, ce ne sont pas des effets secondaires malencontreux mais des outils du patriarcat ». Daisy Letourneur est la preuve en acte de cette agentivité. Et son « retour d’expérience », pour le dire en langage viril corporate, ouvre des possibles.
On ne naît pas mec
Livre
Isabelle Stengers
Cosmopolitiques
Publié le 25 mai 2022
En 1908, les physiciens et collègues Ernst Mach et Max Planck s’opposent. Pour le premier, le monde n’existe pas par lui-même. Les lois physiques ne sont que des pratiques humaines : l’espace, le temps et les atomes ne sont pas des réalités en soi. Pour le second, les grands esprits, comme Kepler ou Newton, visent bien une conception unifiée du monde, vraie pour n’importe quel habitant du cosmos. Le cri de Mach est une injure. Il est excommunié, combattu, discrédité. Au-delà de la querelle épistémologique, Isabelle Stengers part de cet exemple pour démontrer que le scientifique est un « praticien » qui se justifie souvent en disqualifiant l’autre : celui qui n’est pas moderne, pas sérieux, plus idéologue que chercheur. Dans cet essai, qui concentre des textes publiés depuis 1997, la philosophe des sciences retrace les grands moments d’une histoire des pratiques scientifiques parcourues de rapports de « prédation », où chacune cherche à capter la description d’un phénomène selon ses propres termes et intérêts, tout en discréditant son voisin. Ainsi, le théoricien matérialiste méprise le psychanalyste lacanien pour qui la conscience n’est pas réductible à des états du système nerveux central. Psychanalyste qui, à son tour, dénigre la psychiatrie pharmacologique et ses médicaments « enfin scientifiques ». Contre ces relations structurées par la polémique et la hiérarchie, Stengers propose de redéfinir notre rapport aux sciences en montrant qu’elles sont toutes des pratiques irréductibles les unes aux autres reposant sur des « faitiches » spécifiques : des objets (électron, ADN, conscience, etc.) dont la réalité n’est jamais interrogée mais qui déterminent des manières de penser et d’agir comme le feraient des langages différents. Comprendre cela, c’est pour l’autrice ouvrir la possibilité d’une « écologie des pratiques » où les savoirs peuvent s’articuler au lieu de se capturer.
Cosmopolitiques
Livre
Baptiste Morizot et Andrea Olga Mantovani (photographies)
S’enforester
Publié le 25 mai 2022
Géographe de formation et photographe de profession, Andrea Olga Mantovani est partie avec le philosophe Baptiste Morizot à la découverte de Białowieża, dernière forêt primaire d’Europe et ultime témoin du paysage qui était celui des humains au début du Néolithique. De leur enquête à la frontière de la Pologne et de la Biélorussie est né S’enforester, un très beau livre, écrit à quatre yeux autant qu’à quatre mains, sur l’« un de ces lieux du monde qu’il est difficile de décrire, et même de nommer, tant s’y nouent des paradoxes et des temporalités multiples, écologiques et géopolitiques, historiques et préhistoriques, sociologiques et géologiques ». De quoi cette « forêt des origines » témoigne-t-elle ? En parler, c’est actionner le pur fantasme d’un paradis perdu sur les marches de l’Est, de l’absolue étrangère d’un temps d’avant l’Anthropocène. Mais la visiter en compagnie de Mantovani et de Morizot, c’est découvrir bien plus que le rêve enfantin d’explorer une forêt d’avant les hommes – d’ailleurs, des hommes y ont toujours vécu, ni plus ni moins que les bisons ou les loups, hier archers mésolithiques semi-nomades, aujourd’hui forestiers. La visiter, c’est accepter de reconnaître le pouvoir mythologique d’une forêt qui a été notre « maison d’enfance ». Une maison encore largement ignorée : chacun connaît le poumon vert de l’Amazonie, mais qui connaît, à 1 800 kilomètres de Paris, l’unique forêt primaire européenne ? Et pourtant, cette forêt est en nous. En posant leur livre, on a la nostalgie de l’endroit et l’on se dit : l’an prochain à Białowieża !
Livre
Pascal Chabot
Six Jours dans la vie d’Aldous Huxley
Publié le 25 mai 2022
Hiver 1911. Aldous Huxley, l’auteur du Meilleur des mondes, n’a que 16 ans lorsqu’un agent pathogène s’attaque à ses yeux, le rendant aveugle pendant près d’un an et demi. Un accident dont il gardera des séquelles – il sera plus tard déclaré inapte par l’armée, alors qu’il souhaite s’engager dans la guerre qui déchire l’Europe. Mais cette plongée contrainte dans le noir ne rend que plus saisissante l’acuité du regard qu’il porte sur la condition humaine. Avec Six Jours dans la vie d’Aldous Huxley, Pascal Chabot analyse la singularité de cette vision en présentant le tableau d’une existence guidée par une quête et des questionnements dont les écrits foisonnants se font l’écho. Car l’œuvre d’Huxley déborde largement le cadre de la dystopie, annonciatrice d’un modèle de société, où la technique rend superflue toute inquiétude sur la liberté et la morale. Chabot décrit six de ses journées emblématiques, dont, outre la perte de la vue, sa rencontre avec l’écrivain D. H. Lawrence, ses expériences psychédéliques, ses recherches sur la philosophie éternelle dans le désert de Californie ou sa mort survenue le jour de l’assassinat de Kennedy. Ce court essai offre la démonstration de l’empathie que l’on peut nouer à l’égard d’un auteur et met en lumière ces amitiés intellectuelles qui se tissent à travers les pages. Amitiés discrètes qui pourtant irriguent nos itinéraires et en constituent les ombres.
Six Jours dans la vie d’Aldous Huxley
Livre
Aïda N’Diaye (texte), Léa Murawiec (illustration)
Qu’est-ce qui fait mon genre ?
Publié le 25 mai 2022
Comment faire aimer la philosophie à ceux qui s’en méfient, la jugeant trop hermétique, ou à ceux qui s’en approchent timidement mais s’en éloignent faute de se retrouver dans ses méandres opaques ? À cette question ancienne, prise en charge par des générations successives de pédagogues, la philosophe Claire Marin, elle-même soucieuse d’une adresse généreuse et ouverte à ses lecteurs, comme en témoigne son dernier essai Être à sa place (L’Observatoire), apporte une jolie réponse avec la nouvelle collection qu’elle dirige chez Gallimard, « Philophile ! » En invitant des auteurs et des dessinateurs confirmés à aborder simplement des grandes questions morales ou politiques, ayant trait au corps, à l’identité ou à la relation à l’autre, la collection réussit ce tour de force de porter des réflexions savantes et articulées à hauteur de jeunes lecteurs pas forcément au fait de l’histoire de la philosophie. Le texte d’Aïda N’Diaye sur la question du genre et la nécessité de le déconstruire pour se libérer des normes qui s’y rattachent et celui de Camille Riquier consacré à la querelle ancienne entre la foi et la raison (comment distinguer ce que je sais de ce que je crois ?) prouvent l’un et l’autre la possibilité pour des philosophes de ne pas sacrifier l’exigence d’un questionnement sous prétexte des lacunes du grand public. Par une écriture dépouillée, condensée, éclairant des concepts de manière vivante, les auteurs accueillent généreusement des lecteurs curieux, dont la philosophie académique a parfois oublié qu’ils méritent une plus juste considération, afin de les embarquer dans sa propre histoire. Deux prochains titres sont attendus pour la fin de l’été : Ai-je vraiment du mérite ? et Mais qu’est-ce que tu imagines ?
Qu’est-ce qui fait mon genre ?
Livre
Jean-Christophe Bailly
Une éclosion continue. Temps et photographie
Publié le 25 mai 2022
« Par temps lumineux, c’est comme si la nature détenait un pouvoir de création infini, dont on ne peut employer qu’une partie infinitésimale. » Tels sont les mots que le pionnier britannique de la photo-graphie William Henry Fox Talbot adresse en 1840 à l’astronome William Herschel. Au XIXe siècle, la nouveauté miraculeuse de cette capture de la lumière inspire les scientifiques autant que les écrivains. Ce regard émerveillé, méditatif, Jean-Christophe Bailly entend le faire revivre : « Mystérieuse déposition (selon la filière chimique du photographique) ou singulier envoi (selon la filière optique), l’écriture de la lumière, la photographie, a surgi comme une feuille venant se poser au sein de la “contemplation silencieuse” de la nature pour la révéler. » Ainsi, pour une infime partie d’elle-même, la nature se contemple à travers la photographie. Cette pensée renoue avec les intuitions du philosophe allemand F. W. J. Schelling, lorsqu’il définit la nature comme une « immanence-imminence », une puissance qui ne cesse jamais d’advenir à elle-même. Cette part contemplative résume-t-elle toute la photographie ? Celle-ci n’est-elle pas vouée désormais à l’intervention immédiate et à l’« universel reportage » dont parlait Stéphane Mallarmé ? Pris entre deux pôles – celui de l’intense recueillement et celui de l’extrême banalisation –, l’acte de photographier n’a sans doute jamais été aussi incertain et complexe. Or c’est précisément parce qu’elle est menacée d’effacement dans sa prolifération pixelisée que la photographie doit revenir au centre d’un questionnement. Les œuvres de Bernard Plossu, Sarah Moon, Benoît Fougeirol, Marc Trivier, Anne-Marie Filaire, Marco Barbon, Samuel Hoppe et Valérie Jouve nourrissent ici une méditation sur le temps, la mémoire, la trace et l’ombre, qui se donnent et se dérobent à travers les images.
Une éclosion continue. Temps et photographie
CULTURE
Article 2 min
“Rome. La Cité et l’Empire” : beau comme de l’antique !
Cédric Enjalbert 02 juin 2022
Prêts pour un voyage dans la Rome antique ? Alors, direction les Hauts-de-France : le Louvre-Lens fête ses dix ans avec une exposition qui montre comment l'art peut se mettre au service d'une idée politique, de la République à l'Empire. Elle témoigne aussi combien la cité romaine a englobé le monde mais s’est transformé en s’imposant.
“Rome. La Cité et l’Empire” : beau comme de l’antique !
Article 2 min
“George Dandin ou le Mari confondu” : Dandin de la farce
Cédric Enjalbert 31 mai 2022
Michel Fau célèbre les 400 ans de la naissance de Molière en livrant sa vision baroque et mordante du classique George Dandin. À voir en tournée !
“George Dandin ou le Mari confondu” : Dandin de la farce
Article 2 min
“Mon amour” : à cœurs ouverts
Cédric Enjalbert 02 juin 2022
Avec le film Mon amour, le cinéaste David Teboul se confronte à la mort de son compagnon en partant en Sibérie interroger des hommes et des âges de tous âges pour savoir ce que signifier « aimer ». Une quête personnelle et bouleversante.
“Mon amour” : à cœurs ouverts
OH ! LA BELLE VIE !
Article 3 min
Conseil n° 19. Prenons le large
François Morel 02 juin 2022
Comme on voulait refaire la cuisine, on est allé au magasin de bricolage. On a hésité entre plusieurs sortes de pinceaux. Il y en avait de toutes les tailles, de tous les formats, de toutes les épaisseurs. On hésitait. Finalement, ma femme a dit : « Prenons le large ! » Et je..
Conseil n° 19. Prenons le large
JEU
Article 1 min
Philo croisés #81
Gaëtan Goron 25 mai 2022
Horizontalement I. Après l’Apocalypse chez Bronner. II. On retrouve cette drogue chez Marx, entre religion et peuple. Pour Sophie Galabru, le dire, c’est protéger son intégrité et ses valeurs. III. Il travaille en robe. Coulepar l’avant. IV. On y trouve le bonheur au cinéma. ..
philocroisés #65
QUESTIONNAIRE DE SOCRATE
Article 2 min
Arnaud Desplechin. Étoile filmante
Jean-Marie Durand 01 juin 2022
Dans Frère et sœur, le cinéaste élargit le répertoire familial et intimiste exploré dans ses précédents films mais aussi au théâtre. Centré sur la relation conflictuelle non soldée entre une sœur et son
(Philomag) |
[n° ou bulletin] est un bulletin de / Alexandre Lacroix (2011)N°160 - Juin2022 - Penser c'est dire non ? [texte imprimé] . - 2022 . - 98 p. : ill. en coul. ; 29 cm. Langues : Français ( fre) Catégories : | Philosophie
| Tags : | pensée méditation David Hume | Index. décimale : | 17 Morale. Éthique. Philosophie pratique | Résumé : | Pour gagner notre liberté, pour nous affranchir des puissances qui veulent nous guider ou nous asservir, nous devons sans aucun doute faire usage de la négation. Non pas d’une négativité systématique, d’une posture d’opposition constante et stérile, mais tout de même : il convient de savoir s’opposer à bon escient à ce qu’on attend de nous, quand le contexte l’exige. C’est à cet usage du « non » que nous avons voulu réfléchir dans ce dossier. (Philomag) | Note de contenu : | ÉDITO
Article 3 min
Le traitement du rebelle
Alexandre Lacroix 02 juin 2022
Tous les étudiants sont loin de se ressembler, mais, d’après mon expérience d’enseignant, il est possible de repérer, dès les premières séances, quelques profils caractéristiques au sein d’une classe. D’abord, il y a ceux que j’appellerai les intelligents adaptés – préciso..
VOS QUESTIONS
Article 3 min
“Peut-on dire de notre passé que c’est ‘du passé’ ?”
Charles Pépin 31 mai 2022
Question de Pauline Blanc
“Peut-on dire de notre passé que c’est ‘du passé’ ?”
REPÉRAGES
Article 1 min
Très chère Marilyn
Octave Larmagnac-Matheron 31 mai 2022
C’est désormais le tableau du XXe siècle le plus cher au monde : Shot Sage Blue Marilyn (1964), portrait de Marilyn Monroe réalisé par Andy Warhol, a été vendu 195 millions de dollars lors d’une vente aux enchères chez Christie’s, à New York, le 9 mai dernier. Dérive ..
Marilyn Monroe, l’énigme d’un visage
Article 1 min
“Neutres”
Octave Larmagnac-Matheron 29 avril 2022
« Nous ne voyons pas les sciences et techniques comme neutres et apolitiques » Les étudiants contestataires d’AgroParisTech, lors de leur discours, le 30 avril 2022. « Ce ne sont pas seulement les savoirs, les techniques, la science qui ne sont pas neutres&..
Article 1 min
“Démodernisation”
Octave Larmagnac-Matheron 31 mai 2022
La Russie serait-elle sur la voie de la « démodernisation » ? C’est l’avis de certains observateurs contemporains. Les politologues Alberto Rabilotta, Yakov Rabkin et Samir Saul emploient ce terme dès 2013 pour analyser la situation du pays dans un article intitulé « La d�..
“Démodernisation”
Article 1 min
“100 012”
Octave Larmagnac-Matheron 29 mai 2022
C’est, selon les statistiques du Secrétariat du gouvernement, le nombre de personnes disparues au Mexique entre le 15 mars 1964 et le 16 mai 2022. Principalement liées à la « guerre sale » des autorités contre les mouvements révolutionnaires jusqu’en 1980, ces « dispar..
Article 2 min
Le travail, c’est l’horaire ?
Octave Larmagnac-Matheron 29 mai 2022
Travailleurs s’accommodant d’horaires atypiques 35 % des hommes 37 % des femmes 60 % des employés non qualifiés 49 % des employées non qualifiées 15 % des hommes cadres 18 % des femmes cadres Les salariés appartiennent pour… 58 % au groupe «&nbs..
PERSPECTIVES
Article 3 min
Doit-on élire nos représentants en fonction de leurs compétences ?
Marius Chambrun 31 mai 2022
Quelles sont les qualités requises pour être un bon député ? Pour certains, il s’agit du meilleur niveau de compétences. Pour d’autres, un bon représentant doit être représentatif du peuple. À l’occasion des élections législatives, retour sur un débat aussi vieux que la démocratie elle-même.
Doit-on élire nos représentants en fonction de leurs compétences ?
Article 3 min
Faut-il étendre l’Otan au monde entier ?
Jean-Marie Pottier 31 mai 2022
Alors que la Finlande et la Suède demandent à entrer dans l’Otan, le rêve d’une organisation de défense mondialisée réapparaît. Théorisée il y a près de vingt ans, elle s’inscrit dans le projet de paix perpétuelle élaborée par Emmanuel Kant.
Faut-il étendre l’Otan au monde entier ?
Article 3 min
Éducation nationale recherche professeurs désespérément
Frédéric Manzini 31 mai 2022
Le métier d’enseignant connaît une crise des vocations. Cela donne-t-il tort à Charles Péguy, qui le qualifiait de « plus beau métier du monde » ? L’éclairage de Frédéric Manzini, professeur de philosophie au lycée.
Éducation nationale recherche professeurs désespérément
Article 3 min
Laurie Shrage : “Rendre la pratique de l’avortement intelligible aux valeurs des traditions religieuses ou conservatrices”
Joséphine Robert 31 mai 2022
Pour la philosophe américaine Laurie Shrage, la remise en cause du droit à l’interruption volontaire de grossesse par la Cour suprême de son pays est autant une victoire des conservateurs que le signe d’un échec du débat démocratique.
Laurie Shrage : “Rendre la pratique de l’avortement intelligible aux valeurs des traditions religieuses ou conservatrices”
AU FIL D’UNE IDÉE
Article 2 min
Le blé en herbe
Sven Ortoli 01 juin 2022
Les blés sauvages sont des plantes annuelles ou vivaces pionnières de la famille des graminées apparues dans des forêts tropicales il y a 115 à 90 millions d’années. Les 25 000 variétés de blé existant dans le monde descendent toutes de l’amidonnier, domestiq..
Le blé en herbe
ETHNOMYTHOLOGIES
Article 3 min
Jeûne. Délices d’initiés
Tobie Nathan 01 juin 2022
On raconte que Pythagore, pour être admis aux mystères égyptiens, avait dû se soumettre à un jeûne de quarante jours, à l’issue duquel il aurait déclaré être devenu un homme nouveau. Le processus est clair : le jeûne induit la métamorphose par une sorte de mécanique propre, depuis l..
Jeûne. Délices d’initiés
REPORTAGE
Article 19 min
Voyage en psychédélie
Jack Fereday 02 juin 2022
Interdites en France, les substances psychédéliques font pourtant l’objet d’un intérêt renouvelé de la part de psychologues et de thérapeutes, qui soulignent leur efficacité dans les traitements contre la dépression et les addictions. Elles peuvent aussi être un remède à notre époque en mal de transcendance, comme l’a constaté notre reporter Jack Fereday, qui, sous la supervision d’un guide, a expérimenté l’un de ces hallucinogènes au Royaume-Uni. Il nous raconte son trip métaphysique.
Voyage en psychédélie
ESSAI
Article 10 min
Couches pour bébé, le soin contrarié
Arthur Lochmann 02 juin 2022
Arthur Lochmann n’est pas seulement philosophe et traducteur, charpentier et varappeur, ce dont il témoignait dans Toucher le vertige. Il est aussi père depuis peu. De cette expérience existentielle, il tire une réflexion sur la principale « externalité négative » du nourrisson : la couche !
Couches pour bébé, le soin contrarié
L’ŒIL DE LA SORCIÈRE
Article 3 min
Le rêve de Descartes
Isabelle Sorente 31 mai 2022
Purement rationaliste, le père du cogito ? C’est oublier que sa vocation de philosophe est née d’un songe. Et si, nous aussi, nous écoutions nos rêves ?
Le rêve de Descartes
DOSSIER
5 articles
Penser, c’est dire non ?
Publié le 02 juin 2022
Pour gagner notre liberté, pour nous affranchir des puissances qui veulent nous guider ou nous asservir, nous devons sans aucun doute faire usage de la négation. Non pas d’une négativité systématique, d’une posture d’opposition constante et stérile, mais tout de même : il convient de savoir s’opposer à bon escient à ce qu’on attend de nous, quand le contexte l’exige. C’est à cet usage du « non » que nous avons voulu réfléchir dans ce dossier. > Et si dire non n’était pas une simple opposition vaine mais au contraire la promesse de forger son identité et de constituer un collectif ? Telle est la thèse que propose, pour commencer, notre rédacteur en chef Martin Legros. > De la distance ironique à la désobéissance civile, en passant par l’obéissance outrée qui ridiculise l’arbitraire des autorités, les philosophes classiques ont inventé de nombreux stratagèmes pour dire non, en se plaçant non pas face à l’adversaire mais à côté ou au-dessus de lui. > Une violoniste qui se rebelle contre un professeur abusif, une irréductible anarchiste, un homme qui s’est éloigné du monde du travail, un enfant de la bourgeoisie devenu artiste, une militante qui pratique l’action de rue : nos cinq témoins, dont les parcours sont éclairés par le philosophe Maxime Rovere, racontent les splendeurs et les galères de la résistance. > Faudrait-il réhabiliter la colère pour en faire une vertu politique ? C’est la proposition de la philosophe Sophie Galabru. > Finalement, faire usage de sa pensée est ambigu. L’esprit critique nous permet d’échapper à la servilité et à l’obéissance mécanique… mais ne nous précipite-t-il pas parfois dans le complotisme ou dans des défiances absurdes ? Ce sont les questions dont ont débattu l’anthropologue Dan Sperber et le sociologue Gérald Bronner.
D'après une image © Thomas Shanahan/iStockphoto
Article 11 min
Le non, un oui en puissance ?
Martin Legros 02 juin 2022
De #metoo aux démissionnaires des grandes écoles et des entreprises, les appels à faire sécession s’amplifient dans notre société engluée dans ses contradictions. Que faire pour que ces réactions ne soient pas de vaines gesticulations ? Revenir à la puissance d’affirmation éthique, politique et philosophique derrière tout sujet qui se lève et dit non.
Le non, un oui en puissance ?
Article 6 min
Cinq stratégies pour ne pas courber l’échine
Alexandre Lacroix 02 juin 2022
Les philosophes ont su imaginer des voies pour s’opposer à l’autorité de façon habile, c’est-à-dire sans entrer en collision frontale avec elle mais en lui échappant, voire en se plaçant au-dessus d’elle.
Comment résister à l’autorité en 5 leçons (philosophiques)
Article 16 min
Réfractaires à l’autorité
Victorine de Oliveira 02 juin 2022
Nos cinq témoins ont tous refusé de se soumettre – à la hiérarchie, à un destin tout tracé, à la violence de la société. Une façon d’affirmer avec force leur puissance d’agir ? Le spécialiste de Spinoza Maxime Rovere commente leurs parcours de vie.
Réfractaires à l’autorité
Article 6 min
Sophie Galabru : “La colère réveille la raison à ses intérêts”
Cédric Enjalbert 02 juin 2022
La démocratie n’est pas le refus du conflit. Bien au contraire ! Telle est la thèse défendue par la philosophe Sophie Galabru, qui réhabilite dans son livre Le Visage de nos colères un affect largement dévalorisé par la tradition philosophique et redouté par les pouvoirs en place.
Sophie Galabru : “La colère réveille la raison à ses intérêts”
Dialogue 14 min
Dan Sperber-Gérald Bronner : L’esprit critique rend-il complotiste ?
Alexandre Lacroix 02 juin 2022
La raison nous permet-elle de critiquer les autorités politiques, médiatiques ou scientifiques, et de forger notre propre avis en toute indépendance ? Ou bien est-elle un outil que nous employons pour convaincre les autres d’adhérer à nos opinions les plus folles et justifier jusqu’à l’injustifiable ? Ce sont ces questions qui ont été au cœur du dialogue entre le sociologue Gérald Bronner et le chercheur en sciences cognitives Dan Sperber.
Dan Sperber-Gérald Bronner : L’esprit critique rend-il complotiste ?
ENTRETIEN
Entretien 17 min
Alain Corbin : “J’ai la hantise de la disparition des gens ordinaires”
Cédric Enjalbert 02 juin 2022
Mondialement reconnu pour son exploration de l’histoire des sensibilités, Alain Corbin a inventé une méthode et mis au jour des sujets longtemps passés inaperçus. À l’occasion de la parution de son nouveau livre, une Histoire du repos (Plon), il a accepté de répondre à nos questions et de retracer le fil de son œuvre.
Alain Corbin : “J’ai la hantise de la disparition des gens ordinaires”
L’AVENTURE D’UN CLASSIQUE
4 articles
“Traité de la nature humaine”, la grande expérience de David Hume
Publié le 02 juin 2022
Après des siècles de méfiance à l’égard des sens, David Hume (1711-1776), avec son Traité de la nature humaine, inverse la vapeur. Toute connaissance est d’abord empirique, c’est-à-dire issue de l’expérience. Ce qui n’empêche pas une forme de scepticisme : quand, en France, la raison triomphe, les Lumières écossaises auxquelles on rattache Hume sont nimbées des brumes de l’incertitude.
“Traité de la nature humaine” : expérimentalement vôtre
Article 10 min
“Traité de la nature humaine” : expérimentalement vôtre
Victorine de Oliveira 02 juin 2022
David Hume soumet les pouvoirs de la raison à une critique radicale. Il ne s’agit plus de fonder la connaissance sur les idées mais de l’ancrer dans l’expérience. En redonnant la primauté au vécu, il écorne la métaphysique et montre que nos certitudes ne sont que des croyances.
“Traité de la nature humaine” : expérimentalement vôtre
Article 3 min
David Hume, le doute en héritage
Victorine de Oliveira 02 juin 2022
Malgré l’insuccès de son Traité sur la nature humaine, Hume ne s’en tient pas là et décline les conséquences de sa remise en question de la métaphysique dans différents domaines. Résultat : les normes du goût, de la croyance et de la morale en sont bouleversées.
Article 3 min
L’hommage de Kant à Hume
Victorine de Oliveira 02 juin 2022
Tout au long de la Critique de la raison pure et de son résumé, les Prolégomènes à toute métaphysique future, Kant ne cesse de rendre hommage à son homologue écossais. Parce que Hume a su questionner le premier les limites de la métaphysique, Kant lui reconnaît le statut de pionnier de la théorie de la connaissance. Après avoir été réveillé de son « sommeil dogmatique », il lui emboîte donc le pas.
Article 6 min
Yves Michaud : “L’empirisme de Hume est plus que jamais pertinent quand on considère le cours des affaires humaines”
Yves Michaud 02 juin 2022
Simpliste, borné et superficiel, l'empirisme de Hume ? Pas pour Yves Michaud, pour qui un empiriste est tout autant ancré dans ce qui arrive (les faits) que capable d’imaginer à l’infini. Et si le « scepticisme modéré » du penseur écossais était nécessaire pour sortir de l'illusion de la raison toute-puissante ?
Yves Michaud : “L’empirisme de Hume est plus que jamais pertinent quand on considère le cours des affaires humaines”
BOÎTE À OUTILS
Article 2 min
Pourquoi faisons-nous le ménage ?
Joséphine Robert 01 juin 2022
Nettoyer, balayer, astiquer… Qu’est-ce qui nous pousse à rendre notre intérieur toujours pimpant ? Quatre philosophes bien propres sur eux dépoussièrent la question.
Pourquoi faisons-nous le ménage ?
Article 1 min
Volja
Octave Larmagnac-Matheron 28 mai 2022
Langue d’origine : ukrainien
Article 2 min
“Famille”
Marius Chambrun 28 mai 2022
Cinq philosophes se retrouvent autour de la table.
BACK PHILO
Bac philo 6 min
Peut-on être insensible à la beauté ?
Aïda N’Diaye 24 mai 2022
Analyse des termes du sujet « Peut-on ? » Est-ce possible ou est-ce légitime ? « être insensible » Ne pas s’intéresser à ou ne pas être touché par. « beauté » La beauté formelle, la valeur ou la grandeur ; la beauté en général ou en particulier.
LIVRES
Article 2 min
J’y pense et puis je lis / Juin 2022
Jean-Marie Durand 26 mai 2022
Sous l’effet de l’Anthropocène, nouvelle phase d’accélération de l’histoire, la philosophie contemporaine ne cesse d’explorer la relation de l’homme aux autres êtres, pour se demander avec Pierre Montebello, Philippe Descola ou Bruno Latour comment « réanimer ce qui a été d�..
Livre
David Berliner
Devenir autre
Publié le 25 mai 2022
Se figurer en chèvre, se prendre pour Napoléon ou pour Wonder Woman, se dissimuler derrière un masque, vecteur de puissance… L’imaginaire contemporain abrite de multiples jeux de rôles visant à se dérober aux assignations identitaires. Devenir autre : l’idée d’échapper à soi (son visage, sa chair, son langage) nous traverse depuis probablement l’enfance. Ne serait-ce que pour déjouer ce que l’écrivain Julien Green appelle « l’ingénieux supplice de l’identité ». Dans la préface de son roman Si j’étais vous (1947), il écrivait : « Une partie de notre tristesse vient de ce que nous sommes perpétuellement les mêmes, de ce que chaque matin nous nous réveillons avec le même problème à résoudre, qui est de savoir comment nous supporter nous-mêmes jusqu’au soir, et jusqu’à la mort. » Si cette fatigue d’être soi et la manière dont les humains composent avec la plasticité ont largement été analysées dans l’histoire de la pensée, l’originalité du texte de l’anthropologue belge David Berliner consiste à ancrer cette « exo-expérience » au cœur de notre temps présent. Où des discours et aspirations contraires s’affirment à l’envi : ceux qui promeuvent l’existence d’identités homogènes et stables font face à ceux qui défendent la fluidité, la plasticité et la multiplicité des visages de soi. Sans nier le poids de ceux qui revendiquent un moi unique et solide, Berliner fait l’hypothèse que le soi est toujours « plus fragmenté et malléable qu’on ne peut le penser », qu’il est « altérable par l’expérience » et que, de fait, l’esprit du temps, fatigué, triste et monotone, pousse plus que jamais à cette élasticité. Déployant une « anthropologie de l’expérience » fondée sur l’observation d’individus plongés dans leurs rites immersifs, l’auteur documente le besoin de nombre de nos contemporains d’investir une réalité différente de la leur, en basculant dans un cadre propice à un dédoublement, à une démultiplication. Du phénomène du « cosplay » aux « devenirs animal » (se raccorder avec un moi animal ou mythologique), de l’imitation d’un modèle, dans la peau duquel on se glisse, aux pratiques d’« escapism » (ces immersions fictionnelles destinées à fuir les circonstances de notre existence), il consigne l’essor de ces expériences par lesquelles « un individu s’identifie à une entité, qu’elle soit humaine ou pas ». Des pratiques qui donnent raison à William James lorsqu’il évoquait le « morcellement de la personnalité en différents moi qui peuvent se démentir les uns les autres ». Souvent, en devenant autres, ces bricoleurs de l’identité se retrouvent eux-mêmes, car une réparation – une « guérison par la métamorphose », pour citer l’historien des idées Jean Starobinski – se joue dans l’épreuve de la plasticité. Devenir autre, selon David Berliner, « c’est se soustraire aux règles d’un monde pour basculer dans un autre : un univers de potentialités créatrices, de connexions, de causalités, de sensations et d’émotions différentes ». Par cet écart avec les usages de soi, quitte à assumer des désirs inavouables, cette grande famille de joueurs malicieux défend une « politique de la multiplicité et de la plasticité », qui, derrière son apparente légèreté, trouble le modèle rassurant d’une rhétorique authenticiste et nous rappelle, par ses facéties mêmes, que le souci de soi n’est jamais que le souci de l’autre en soi.
Devenir autre
Livre
Pierre Vesperini
Que faire du passé ? Réflexions sur la cancel culture
Publié le 25 mai 2022
Que penser des étudiantes américaines qui ne veulent plus étudier les Métamorphoses d’Ovide, parce que ce beau poème décrit d’horribles viols ? Que faire de ces « avertissements » (en anglais, trigger warnings) où les spectateurs de Roméo et Juliette sont prévenus que la pièce de Shakespeare contient des passages « choquants », contre lesquels une association vouée à la prévention du suicide se propose de fournir son aide ? Telles sont quelques-unes des questions soulevées par la « cancel culture ». Née aux États-Unis, cette tendance sans unité témoigne d’une sensibilité nouvelle. Malgré ses difficultés à établir un dialogue avec ses adversaires, elle fournit une occasion en or d’interroger les fondements de la culture dite « occidentale », les raisons de notre attachement aux classiques et nos manières de l’enseigner. Entre les groupes féministes ou décoloniaux qui veulent culpabiliser et rejeter les grands auteurs comme les chantres de sociétés inégalitaires, et les gens de lettres qui veulent transmettre le passé comme s’il était neutre, non sans faire preuve d’un certain angélisme, une troisième voie est-elle possible ? Pour la découvrir, Pierre Vesperini raisonne par étapes : il s’agit d’abord de reconnaître que toute culture est d’emblée une « cancel culture », puisqu’elle tend à effacer les autres par le mépris de leurs créations, de leur langue, de leur expérience. Ensuite, il convient d’admettre que les formes prises par la culture européenne, au moment où elle est devenue chrétienne, puis capitaliste, s’articulaient réellement à des formes d’oppression inacceptables – où les grands auteurs étaient souvent eux-mêmes des marginaux. Enfin, pourquoi ne pas reconnaître que ce sont les souffrances suscitées par les violences commises au long des siècles qui trouvent leur voix aujourd’hui de manière parfois maladroite ? Sur ces fondements, une approche nuancée se fait jour : au lieu de défendre à tout prix une culture vécue comme sacrée, intouchable, immuable, en sacerdote défendant son idole, il vaut la peine d’imiter Walter Benjamin, premier théoricien d’une tout autre attitude : celle du « spectateur distant », pour qui la culture prend avant tout la forme d’une question.
Que faire du passé ? Réflexions sur la cancel culture
Livre
Jean-Pierre Suaudeau
Poétique d’une idole. Rêver Johnny
Publié le 25 mai 2022
C’est un fantasme paranoïaque très répandu chez les écrivains que de s’imaginer, lorsqu’ils voient le bout d’un manuscrit, que d’autres œuvrent dans l’ombre sur le même sujet, et que ces derniers sont sur le point de leur couper l’herbe sous le pied alors qu’ils avaient d’abord cru leur livre surgi de l’inimitable singularité de leur esprit. Dans 900 % des cas, ce soupçon est infondé. Dans une proportion qui échappe à la statistique, ça arrive. Je peux vous dire que Jean-Pierre Suaudeau et moi échappons à la statistique. Au même moment et sans nous connaître, nous avons écrit deux livres sur le même improbable sujet. Figurez-vous une célébrité sur le retour, qui à soi seule incarnerait une certaine idée de la France. Une idée un peu dépassée – ça se passe pendant le mouvement des « gilets jaunes » –, qui sonne le glas de la start-up nation, cette vieille lubie ringarde. Johnny Hallyday meets les ronds-points est le sujet extrêmement résumé de Poétique d’une idole. Rêver Johnny. Je vous vois déjà, lecteurs, lever les yeux au ciel. Johnny Hallyday n’est pas votre affaire. Qu’allez-vous perdre votre temps chez les yé-yé quand vous voulez Spinoza, Deleuze, Levinas ? Bon sang, j’ai marqué un point. Vous aussi, vous avez vos idoles. Des créatures mi-réelles, mi-fantastiques, que vous convoquez à loisir pour vous soutenir dans le labeur, alléger votre désarroi. Pour certains, c’est Spinoza. Pour d’autres, c’est Hallyday. Je ne mets pas ces figures sur le même plan. Je dis qu’elles remplissent une fonction similaire, agrandir l’existence. Et je ne fourre pas non plus tout le public dans le même sac. On peut se réclamer tour à tour de, mettons, Hannah Arendt et Tina Turner. Poétique d’une idole parle de ce rapport tenace entre le modèle et ses émules – tenace en dépit de la fragilité de l’idole, qui vit à travers ses idées ou son art, mais aussi à travers la reconnaissance du public, qui est un carburant et une drogue ; tenace en dépit de la volatilité du public, qui s’empresse de jeter aux orties la vedette d’une saison si elle n’incarne pas davantage qu’elle-même, ne cristallise pas une certaine pensée de l’époque, du continent, du pays. Parfois je tombe sur un livre qui me rend jalouse parce que j’aurais voulu l’écrire. En l’occurrence, j’aurais bien aimé écrire celui de Jean-Pierre Suaudeau. Mais je l’aurais intitulé Poétique d’Arielle Dombasle.
Poétique d’une idole. Rêver Johnny
Livre
Jean-Claude Monod
La Raison et la Colère. Un hommage philosophico-politique à Jacques Bouveresse
Publié le 25 mai 2022
Il y a un peu plus d’un an nous quittait Jacques Bouveresse (photo). Historien critique de la philosophie, dénonciateur sans relâche des impostures, défenseur tous azimuts de la vérité, grand amateur de littérature et de musique, auteur d’une œuvre protéiforme, il avait intitulé sa chaire au Collège de France « Philosophie du langage et de la connaissance ». Mais il était surtout un esprit libre dont Jean-Claude Monod, qui fut à la fois un proche et un interlocuteur, nous brosse le portrait dans un petit livre en forme d’hommage. Il le décrit d’abord comme un intransigeant défenseur de la rationalité contre toutes les idéologies et les diverses tentatives de récupération politique dont elle fait l’objet. Il raconte aussi ses emportements contre un certain journalisme culturel dont il ne partageait pas le goût de la vulgarisation. S’il n’a jamais occupé le devant de la scène médiatique, c’est qu’il ne cherchait pas la reconnaissance du grand public et rechignait à vulgariser. N’était-il pas un fervent admirateur de Karl Kraus, grand pourfendeur de la compromission des élites intellectuelles et de la presse ? Bouveresse, explique Monod, a mal vécu dans sa jeunesse l’influence délétère qu’un Sartre avait pu exercer sur la scène philosophique française et il dénonçait à la fois « la primauté absolue de la philosophie pratique sur la philosophie théorique et la politisation intégrale de la philosophie ». Mais lire Bouveresse peut s’avérer austère. Ses ouvrages sont exigeants et les connaissances qu’ils mobilisent souvent pointues : « Assurément, explique Jean-Claude Monod, Bouveresse revendiquait un style universitaire, contre la dévalorisation de l’université devenue si fréquente dans le champ médiatique et sans doute dans le champ social tout entier. » Son œuvre n’en a pas moins marqué l’institution, ne serait-ce que par la rigueur avec laquelle elle a intégré les apports de la philosophie analytique ou ceux de la logique, de l’épistémologie et de la philosophie des sciences. Elle a également joué un rôle considérable pour introduire au sein de l’université française l’étude de certains auteurs d’Europe centrale et, notamment, des Autrichiens comme Bernard Bolzano (1781-1848), Ludwig Boltzmann (1844-1906) ou Ludwig Wittgenstein (1889-1951), auquel d’ailleurs est consacré Les Vagues du langage, l’ouvrage posthume qui paraît simultanément au Seuil (672 p., 31 €) et qui s’interroge sur la signification (et plus précisément sur « la possibilité de comprendre et d’utiliser un mot dans quelque sens que ce soit », dès lors qu’aucun mot n’a de sens a priori mais que c’est l’usage qui lui en donne un). C’est aussi cela l’importance de l’héritage qu’il nous laisse et que Jean-Claude Monod appelle l’« effet Bouveresse ».
La Raison et la Colère. Un hommage philosophico-politique à Jacques Bouveresse
Livre
Hans Blumenberg
La Vérité nue
Publié le 02 juin 2022
La vérité nue » : c’est en historien des idées et des représentations que le philosophe allemand Hans Blumenberg (1920-1996), méconnu en France, s’intéresse à cette expression, si courante qu’on ne la remarque même plus, dans un ouvrage publié à titre posthume. Et de remarquer d’emblée que, dans les arts comme chez les penseurs, la formule convoque l’imagerie du corps féminin nu, symbole de pureté, d’innocence mais également d’attraction. La recherche de vérité, déjà chez Platon, se mêle dès lors inévitablement à l’éros. Mais elle est en même temps, et c’est tout l’enjeu, associée au voyeurisme d’un regard masculin qui, avec une certaine violence, transgresse la pudeur du vrai, dont il s’efforce de dévoiler les secrets. Comme Actéon puni de mort par la déesse grecque Artémis qu’il avait surprise au bain, la quête d’une vérité sans filtre serait-elle maudite ? En tout cas, il y a plus que de l’indécence dans la vérité nue : s’y tapit une horreur. La vérité nue, comme le soulignera Nietzsche (sur lequel s’attarde Blumenberg), possède « une dimension effrayante et insupportable ». L’homme doit se méfier du réel, sous peine de sombrer sous le poids de son atrocité. Pourrait-il même s’y confronter directement, sans médiation ? Si la vérité nue est corps féminin, la surface de sa peau n’est-elle pas une énième parure derrière laquelle se dissimule un savoir plus profond ? La vérité nue est comme un « oignon » dont le penseur pèlerait les couches à l’infini. L’objet du philosophe est moins d’avancer une thèse que de montrer la richesse et la complexité d’une métaphore, qui, depuis des siècles, informe la manière dont la connaissance se pense elle-même.
La Vérité nue
Livre
Günther Anders
Et si je suis désespéré, que voulez-vous que j’y fasse ?
Publié le 25 mai 2022
Alors que l’actualité de la guerre en Ukraine ravive le spectre de l’apocalypse nucléaire, négligée depuis la guerre froide, la pensée de Günther Anders, qui fut dès 1945 un infatigable Cassandre de l’ère atomique, se présente à nous comme une ressource en vue d’approcher le caractère monstrueux de cette menace et le renouvellement éthique qu’elle impose. Ex-époux de Hannah Arendt, dont il partageait la judéité et avec laquelle il émigra d’Allemagne en 1933, Anders s’explique sur sa trajectoire dans ces entretiens (réédités après une première publication en 2001). Il se dépeint comme écrivain engagé dans un siècle tragique plutôt que comme philosophe universitaire, contrairement à ce que pouvait laisser présager son compagnonnage de jeunesse avec Husserl. Avec une espièglerie assez inattendue, le penseur écorche au passage la vanité de Heidegger et de ses disciples, et se livre à quelques réflexions sur la fonction des intellectuels par gros temps. Anders revient aussi sur son idée maîtresse de l’« irreprésentabilité » des catastrophes dont la technique moderne nous a rendus capables. Selon lui, notre faiblesse éthique spécifique ne tient pas à ce que nous serions devenus plus mauvais que nos ancêtres mais à notre incapacité à « imaginer » le mal que produisent nos inventions. Cet éclairage permet de comprendre la forme très littéraire de l’écriture d’Anders, tout entière tendue vers la nécessité de « se rendre compte ». L’occasion d’opérer des rapprochements avec les réflexions de Hannah Arendt sur la banalité du mal, pour qui c’est aussi l’absence de pensée, plutôt que l’intention maligne, qui ouvre la voie à l’anéantissement de l’homme par l’homme.
Et si je suis désespéré, que voulez-vous que j’y fasse ?
Livre
Christophe Bouton
L’Accélération de l’histoire
Publié le 25 mai 2022
Comme la souris Speedy Gonzales du dessin animé, nous crions souvent intérieurement « ¡ Ay, caramba ! » pour nous ajuster au tempo des pratiques sociales. Sans avoir forcément lu Hartmut Rosa, Reinhart Koselleck ou François Hartog, auteurs de référence sur la question, beaucoup pressentent que l’accélération de l’histoire qualifie le temps présent. Elle renvoie à la surabondance d’événements qui défilent à un rythme toujours plus élevé, dans un pur présent qui occulte passé et futur. Pourtant, comme l’analyse Christophe Bouton dans une enquête visant à déconstruire autant qu’à clarifier la thèse de l’accélération de l’histoire, ce thème a émergé dès le début de la Modernité. En France, l’Essai sur l’accélération de l’histoire de Daniel Halévy (1948) attire l’attention sur ce concept, dont le sociologue Hartmut Rosa a élargi le sens. Ce dernier a en effet théorisé une accélération universelle du changement social, qui vaut pour la politique, la science, l’éthique ou la vie privée. Un peu fourre-tout, la catégorie d’accélération a ainsi connu depuis les années 1970 « une forte montée en généralité » : « elle n’est plus l’accélération de quelque chose, mais accélération tout court ». Elle devient, à l’image d’un train fou sans conducteur, un mouvement autoalimenté : « l’accélération s’accélère toute seule ». Pourtant, cette catégorie historique dominante qu’est le présentisme n’a pas effacé des imaginaires sociaux d’autres régimes d’historicité, tels que l’utopie (transformer le monde) et, surtout, « l’eutopie » (préserver la planète) à l’heure de l’Anthropocène. Caractérisée par la conscience de l’urgence climatique, cette nouvelle « grande accélération » appelle une autre accélération, politique, qui devra être à sa hauteur, sans quoi l’histoire s’arrêtera pour de bon. Derrière la monochronie de l’accélération, Bouton défend ainsi l’idée d’une « polychronie » propre à la modernité. Elle est une contribution essentielle à la compréhension de nos sociétés, où les manières d’éprouver le temps historique s’affrontent à la mesure des désaccords sur l’art de s’inscrire dans le monde en devenir.
L’Accélération de l’histoire
Livre
Hélène Lœvenbruck
Le Mystère des voix intérieures
Publié le 25 mai 2022
Elle est au plus profond de chacun d’entre nous, elle double la moindre de nos sensations comme chacune de nos conversations : c’est notre voix intérieure. Mais est-ce une voix, si elle est silencieuse ? Se distingue-t-elle de moi, si elle me permet d’entrer en contact avec moi-même ? Et quel rapport entretient-elle avec le langage articulé ? Voilà les questions que soulève Hélène Lœvenbruck, s’inspirant autant des neurosciences que de philosophie et de littérature. L’endophasie – du nom que donna à notre monologue intérieur le médecin Georges Saint-Paul en 1892 – est l’effet d’une forme d’inhibition : alors que l’enfant dit tout haut ce qui lui passe par la tête, l’adulte a appris à intérioriser et à contrôler son flux de conscience. Devenu mental, son monologue s’est condensé. Pas besoin de faire des phrases, un seul mot suffit : « La petite voix dans la tête, c’est une prédiction sensorielle, une parole interrompue juste avant d’être effectivement proférée. » L’endophasie est aussi une porte d’entrée sur les troubles de la parole, telles les hallucinations auditives des schizophrènes qui croient entendre un autre derrière leur parole intérieure. « En écoutant la voix intérieure qui me crie de noter tout ce que je rencontre au cours de mes flâneries, je me crois appelé à trouver durant une nuit d’hiver le sens de toute chose, le lien qui les unit, et à faire le total qui les additionne toutes », écrit Virginia Woolf dans Les Vagues. C’est un continent philosophique qu’Hélène Lœvenbruck a ouvert, dans les pas de Woolf, à l’écoute de toutes les formes que peut prendre notre voix intérieure.
Le Mystère des voix intérieures
Livre
Daisy Letourneur
On ne naît pas mec
Publié le 25 mai 2022
Qu’est-ce qui cloche avec les mecs ? Oui, les mecs. Puisque, entre eux, c’est ainsi qu’ils aiment à s’interpeller – « Salut mec ! Ça va mec ! » –, autant adopter leur mode de communication. Daisy Letourneur est plutôt bien placée pour s’emparer du sujet : l’autrice du blog « La Mecxpliqueuse » était un homme avant sa transition. Ce mot-valise, elle l’a forgé en référence à l’Américaine Rebecca Solnit, inventrice du concept de mansplaining, soit le fait pour un homme d’expliquer à une femme ce qu’elle sait déjà malgré ses tentatives plus ou moins désespérées ou blasées de faire comprendre que, oui, elle sait. Les observations de Letourneur sur la masculinité ne sont pas neuves : comme la féminité, elle est une construction qui repose sur des bases biologiques bien minces (non, la testostérone ne fait pas tout et n’est pas un alibi d’agressivité ou de désir sexuel compulsif), elle génère des comportements à risque non seulement pour les femmes mais aussi pour les hommes, et elle prend la forme d’une dynamique, d’un certificat à toujours renouveler. Mais ces conclusions ont le mérite d’être clairement exposées et sourcées, le tout sur un ton mordant. Letourneur fait un pas supplémentaire en affirmant que l’injonction à la virilité n’est en aucun cas un « coût » pour les hommes : cela laisserait penser qu’ils « n’ont aucun choix, aucune agentivité et qu’ils dominent presque malgré eux. […] Le fait de se couper de ses émotions, de ne plus avoir que la colère, de se prétendre indépendant, ce ne sont pas des effets secondaires malencontreux mais des outils du patriarcat ». Daisy Letourneur est la preuve en acte de cette agentivité. Et son « retour d’expérience », pour le dire en langage viril corporate, ouvre des possibles.
On ne naît pas mec
Livre
Isabelle Stengers
Cosmopolitiques
Publié le 25 mai 2022
En 1908, les physiciens et collègues Ernst Mach et Max Planck s’opposent. Pour le premier, le monde n’existe pas par lui-même. Les lois physiques ne sont que des pratiques humaines : l’espace, le temps et les atomes ne sont pas des réalités en soi. Pour le second, les grands esprits, comme Kepler ou Newton, visent bien une conception unifiée du monde, vraie pour n’importe quel habitant du cosmos. Le cri de Mach est une injure. Il est excommunié, combattu, discrédité. Au-delà de la querelle épistémologique, Isabelle Stengers part de cet exemple pour démontrer que le scientifique est un « praticien » qui se justifie souvent en disqualifiant l’autre : celui qui n’est pas moderne, pas sérieux, plus idéologue que chercheur. Dans cet essai, qui concentre des textes publiés depuis 1997, la philosophe des sciences retrace les grands moments d’une histoire des pratiques scientifiques parcourues de rapports de « prédation », où chacune cherche à capter la description d’un phénomène selon ses propres termes et intérêts, tout en discréditant son voisin. Ainsi, le théoricien matérialiste méprise le psychanalyste lacanien pour qui la conscience n’est pas réductible à des états du système nerveux central. Psychanalyste qui, à son tour, dénigre la psychiatrie pharmacologique et ses médicaments « enfin scientifiques ». Contre ces relations structurées par la polémique et la hiérarchie, Stengers propose de redéfinir notre rapport aux sciences en montrant qu’elles sont toutes des pratiques irréductibles les unes aux autres reposant sur des « faitiches » spécifiques : des objets (électron, ADN, conscience, etc.) dont la réalité n’est jamais interrogée mais qui déterminent des manières de penser et d’agir comme le feraient des langages différents. Comprendre cela, c’est pour l’autrice ouvrir la possibilité d’une « écologie des pratiques » où les savoirs peuvent s’articuler au lieu de se capturer.
Cosmopolitiques
Livre
Baptiste Morizot et Andrea Olga Mantovani (photographies)
S’enforester
Publié le 25 mai 2022
Géographe de formation et photographe de profession, Andrea Olga Mantovani est partie avec le philosophe Baptiste Morizot à la découverte de Białowieża, dernière forêt primaire d’Europe et ultime témoin du paysage qui était celui des humains au début du Néolithique. De leur enquête à la frontière de la Pologne et de la Biélorussie est né S’enforester, un très beau livre, écrit à quatre yeux autant qu’à quatre mains, sur l’« un de ces lieux du monde qu’il est difficile de décrire, et même de nommer, tant s’y nouent des paradoxes et des temporalités multiples, écologiques et géopolitiques, historiques et préhistoriques, sociologiques et géologiques ». De quoi cette « forêt des origines » témoigne-t-elle ? En parler, c’est actionner le pur fantasme d’un paradis perdu sur les marches de l’Est, de l’absolue étrangère d’un temps d’avant l’Anthropocène. Mais la visiter en compagnie de Mantovani et de Morizot, c’est découvrir bien plus que le rêve enfantin d’explorer une forêt d’avant les hommes – d’ailleurs, des hommes y ont toujours vécu, ni plus ni moins que les bisons ou les loups, hier archers mésolithiques semi-nomades, aujourd’hui forestiers. La visiter, c’est accepter de reconnaître le pouvoir mythologique d’une forêt qui a été notre « maison d’enfance ». Une maison encore largement ignorée : chacun connaît le poumon vert de l’Amazonie, mais qui connaît, à 1 800 kilomètres de Paris, l’unique forêt primaire européenne ? Et pourtant, cette forêt est en nous. En posant leur livre, on a la nostalgie de l’endroit et l’on se dit : l’an prochain à Białowieża !
Livre
Pascal Chabot
Six Jours dans la vie d’Aldous Huxley
Publié le 25 mai 2022
Hiver 1911. Aldous Huxley, l’auteur du Meilleur des mondes, n’a que 16 ans lorsqu’un agent pathogène s’attaque à ses yeux, le rendant aveugle pendant près d’un an et demi. Un accident dont il gardera des séquelles – il sera plus tard déclaré inapte par l’armée, alors qu’il souhaite s’engager dans la guerre qui déchire l’Europe. Mais cette plongée contrainte dans le noir ne rend que plus saisissante l’acuité du regard qu’il porte sur la condition humaine. Avec Six Jours dans la vie d’Aldous Huxley, Pascal Chabot analyse la singularité de cette vision en présentant le tableau d’une existence guidée par une quête et des questionnements dont les écrits foisonnants se font l’écho. Car l’œuvre d’Huxley déborde largement le cadre de la dystopie, annonciatrice d’un modèle de société, où la technique rend superflue toute inquiétude sur la liberté et la morale. Chabot décrit six de ses journées emblématiques, dont, outre la perte de la vue, sa rencontre avec l’écrivain D. H. Lawrence, ses expériences psychédéliques, ses recherches sur la philosophie éternelle dans le désert de Californie ou sa mort survenue le jour de l’assassinat de Kennedy. Ce court essai offre la démonstration de l’empathie que l’on peut nouer à l’égard d’un auteur et met en lumière ces amitiés intellectuelles qui se tissent à travers les pages. Amitiés discrètes qui pourtant irriguent nos itinéraires et en constituent les ombres.
Six Jours dans la vie d’Aldous Huxley
Livre
Aïda N’Diaye (texte), Léa Murawiec (illustration)
Qu’est-ce qui fait mon genre ?
Publié le 25 mai 2022
Comment faire aimer la philosophie à ceux qui s’en méfient, la jugeant trop hermétique, ou à ceux qui s’en approchent timidement mais s’en éloignent faute de se retrouver dans ses méandres opaques ? À cette question ancienne, prise en charge par des générations successives de pédagogues, la philosophe Claire Marin, elle-même soucieuse d’une adresse généreuse et ouverte à ses lecteurs, comme en témoigne son dernier essai Être à sa place (L’Observatoire), apporte une jolie réponse avec la nouvelle collection qu’elle dirige chez Gallimard, « Philophile ! » En invitant des auteurs et des dessinateurs confirmés à aborder simplement des grandes questions morales ou politiques, ayant trait au corps, à l’identité ou à la relation à l’autre, la collection réussit ce tour de force de porter des réflexions savantes et articulées à hauteur de jeunes lecteurs pas forcément au fait de l’histoire de la philosophie. Le texte d’Aïda N’Diaye sur la question du genre et la nécessité de le déconstruire pour se libérer des normes qui s’y rattachent et celui de Camille Riquier consacré à la querelle ancienne entre la foi et la raison (comment distinguer ce que je sais de ce que je crois ?) prouvent l’un et l’autre la possibilité pour des philosophes de ne pas sacrifier l’exigence d’un questionnement sous prétexte des lacunes du grand public. Par une écriture dépouillée, condensée, éclairant des concepts de manière vivante, les auteurs accueillent généreusement des lecteurs curieux, dont la philosophie académique a parfois oublié qu’ils méritent une plus juste considération, afin de les embarquer dans sa propre histoire. Deux prochains titres sont attendus pour la fin de l’été : Ai-je vraiment du mérite ? et Mais qu’est-ce que tu imagines ?
Qu’est-ce qui fait mon genre ?
Livre
Jean-Christophe Bailly
Une éclosion continue. Temps et photographie
Publié le 25 mai 2022
« Par temps lumineux, c’est comme si la nature détenait un pouvoir de création infini, dont on ne peut employer qu’une partie infinitésimale. » Tels sont les mots que le pionnier britannique de la photo-graphie William Henry Fox Talbot adresse en 1840 à l’astronome William Herschel. Au XIXe siècle, la nouveauté miraculeuse de cette capture de la lumière inspire les scientifiques autant que les écrivains. Ce regard émerveillé, méditatif, Jean-Christophe Bailly entend le faire revivre : « Mystérieuse déposition (selon la filière chimique du photographique) ou singulier envoi (selon la filière optique), l’écriture de la lumière, la photographie, a surgi comme une feuille venant se poser au sein de la “contemplation silencieuse” de la nature pour la révéler. » Ainsi, pour une infime partie d’elle-même, la nature se contemple à travers la photographie. Cette pensée renoue avec les intuitions du philosophe allemand F. W. J. Schelling, lorsqu’il définit la nature comme une « immanence-imminence », une puissance qui ne cesse jamais d’advenir à elle-même. Cette part contemplative résume-t-elle toute la photographie ? Celle-ci n’est-elle pas vouée désormais à l’intervention immédiate et à l’« universel reportage » dont parlait Stéphane Mallarmé ? Pris entre deux pôles – celui de l’intense recueillement et celui de l’extrême banalisation –, l’acte de photographier n’a sans doute jamais été aussi incertain et complexe. Or c’est précisément parce qu’elle est menacée d’effacement dans sa prolifération pixelisée que la photographie doit revenir au centre d’un questionnement. Les œuvres de Bernard Plossu, Sarah Moon, Benoît Fougeirol, Marc Trivier, Anne-Marie Filaire, Marco Barbon, Samuel Hoppe et Valérie Jouve nourrissent ici une méditation sur le temps, la mémoire, la trace et l’ombre, qui se donnent et se dérobent à travers les images.
Une éclosion continue. Temps et photographie
CULTURE
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“Rome. La Cité et l’Empire” : beau comme de l’antique !
Cédric Enjalbert 02 juin 2022
Prêts pour un voyage dans la Rome antique ? Alors, direction les Hauts-de-France : le Louvre-Lens fête ses dix ans avec une exposition qui montre comment l'art peut se mettre au service d'une idée politique, de la République à l'Empire. Elle témoigne aussi combien la cité romaine a englobé le monde mais s’est transformé en s’imposant.
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“George Dandin ou le Mari confondu” : Dandin de la farce
Cédric Enjalbert 31 mai 2022
Michel Fau célèbre les 400 ans de la naissance de Molière en livrant sa vision baroque et mordante du classique George Dandin. À voir en tournée !
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“Mon amour” : à cœurs ouverts
Cédric Enjalbert 02 juin 2022
Avec le film Mon amour, le cinéaste David Teboul se confronte à la mort de son compagnon en partant en Sibérie interroger des hommes et des âges de tous âges pour savoir ce que signifier « aimer ». Une quête personnelle et bouleversante.
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OH ! LA BELLE VIE !
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Conseil n° 19. Prenons le large
François Morel 02 juin 2022
Comme on voulait refaire la cuisine, on est allé au magasin de bricolage. On a hésité entre plusieurs sortes de pinceaux. Il y en avait de toutes les tailles, de tous les formats, de toutes les épaisseurs. On hésitait. Finalement, ma femme a dit : « Prenons le large ! » Et je..
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JEU
Article 1 min
Philo croisés #81
Gaëtan Goron 25 mai 2022
Horizontalement I. Après l’Apocalypse chez Bronner. II. On retrouve cette drogue chez Marx, entre religion et peuple. Pour Sophie Galabru, le dire, c’est protéger son intégrité et ses valeurs. III. Il travaille en robe. Coulepar l’avant. IV. On y trouve le bonheur au cinéma. ..
philocroisés #65
QUESTIONNAIRE DE SOCRATE
Article 2 min
Arnaud Desplechin. Étoile filmante
Jean-Marie Durand 01 juin 2022
Dans Frère et sœur, le cinéaste élargit le répertoire familial et intimiste exploré dans ses précédents films mais aussi au théâtre. Centré sur la relation conflictuelle non soldée entre une sœur et son
(Philomag) |
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