[n° ou bulletin] est un bulletin de / Alexandre Lacroix (2011)Titre : | N°161 - Juillet-Août 2022 - Peut-on être lucide et heureux ? | Type de document : | texte imprimé | Année de publication : | 2022 | Importance : | 93 p. | Présentation : | ill. en coul. | Format : | 29 cm | Langues : | Français (fre) | Catégories : | Philosophie
| Tags : | Bonheur lucidité André Comte-Sponville | Index. décimale : | 17 Morale. Éthique. Philosophie pratique | Résumé : | Quoi, être heureux aujourd’hui ? Alors que l’été s’accompagne dans le monde entier d’inquiétantes canicules, que les incendies de forêts se multiplient ? Qu’une troisième guerre mondiale menace ? Que l’inflation promet un automne difficile ? Lorsqu’on a les yeux ouverts sur l’actualité, le bonheur ressemble tantôt à un luxe de privilégiés, tantôt à un aveuglement. Cependant, nous avons voulu, dans ce dossier, retourner la question : en adoptant une autre définition du bonheur, qui ne serait pas purement positive, mais accorderait une place au négatif et au tragique, ne pourrait-on pas réconcilier lucidité et plaisir de vivre ?
(Philomag) | Note de contenu : | ÉDITO
Article 3 min
Le sujet de la passion
Alexandre Lacroix 07 juillet 2022
Et si notre difficulté d’être heureux reposait, en partie, sur un malentendu linguistique, sur une vision de la psychologie erronée, attachée aux mécanismes de la grammaire ordinaire ? Je reconnais que l’hypothèse peut sembler farfelue ou trop sophistiquée, et pourtant, considérez ces ..
VOS QUESTIONS
Article 3 min
“Savons-nous vraiment ce que peut le corps ?”
Charles Pépin 07 juillet 2022
Question d’Élise Martinot
“Savons-nous vraiment ce que peut le corps ?”
REPÉRAGES
Article 2 min
Robot à fleur de peau
Octave Larmagnac-Matheron 07 juillet 2022
Une peau vivante pour recouvrir les androïdes : c’est le projet, un peu fou, développé par une équipe de l’université de Tokyo. Le derme bionique, conçu à partir de cellules humaines, devrait permettre de doter le dispositif robotique qu’il habille de nouvelles capacités, en parti..
Robot à fleur de peau
Article 1 min
“Naître”
Octave Larmagnac-Matheron 07 juillet 2022
“Personne n’a demandé à naître” — Jean-Luc Mélenchon, lors d’un discours improvisé devant l’Élysée-Montmartre, le soir du résultat des élections législatives, le 19 juin 2022. “Il y a dans le fait de naître une telle absence de nécessité, que lorsqu’on y s..
Article 1 min
“Long-termisme”
Octave Larmagnac-Matheron 07 juillet 2022
« La valeur attendue de la réduction du risque existentiel d’un simple milliardième d’un milliardième […] vaut cent milliards de fois plus qu’un milliard de vies humaines. » C’est le credo du « long-termisme » – courant de pensée en vogue chez les entrepr..
“Long-termisme”
Article 1 min
“5 484 ans”
Octave Larmagnac-Matheron 07 juillet 2022
C’est l’âge du « plus vieil arbre » du monde, récemment découvert en Patagonie – un cyprès situé dans le parc national Alerce Costero (Chili). S’intéressant à l’incroyable longévité des végétaux, l’agronome Jacques Tassin va jusqu’à parler d’une immortalit..
Article 3 min
Les grandes écoles contre la méritocratie ?
Octave Larmagnac-Matheron 07 juillet 2022
Si vous êtes né entre 1971 et 1995, vos chances d’intégrer une grande école sont… > 9 fois plus élevées si vous appartenez à la noblesse > 25 fois plus élevées si vous êtes parisien > 83 fois plus élevées si votre père a lui-même fait une grande école &..
PERSPECTIVES
Article 3 min
L’âge du consensus par recoupement est-il venu ?
Martin Legros 07 juillet 2022
La nouvelle répartition des forces politiques au sein de l’Assemblée nationale laisse à penser que le « en même temps », c’est maintenant. Explications avec le philosophe américain John Rawls.
L’âge du consensus par recoupement est-il venu ?
Article 3 min
Le moteur à explosion a-t-il fait long feu ?
Charles Perragin 07 juillet 2022
Le Parlement européen vient de voter l’interdiction des ventes de voitures neuves à moteur thermique à partir de 2035 sur le territoire de l’Union européenne. Cette nouvelle régulation pourrait entamer un changement civilisationnel d’après le philosophe Peter Sloterdijk.
Le moteur à explosion a-t-il fait long feu ?
Article 3 min
Eric Klinenberg : “Les canicules sont des tueuses silencieuses et invisibles de personnes silencieuses et invisibles”
Octave Larmagnac-Matheron 07 juillet 2022
Les augmentations de température subites et excessives sont aussi de plus en plus fréquentes. Selon le sociologue américain Eric Klinenberg, elles accroissent les inégalités sociales et spatiales.
Eric Klinenberg : “Les canicules sont des tueuses silencieuses et invisibles de personnes silencieuses et invisibles”
Article 3 min
Synesthésie : quand les sens communiquent
Octave Larmagnac-Matheron 07 juillet 2022
Récemment, un aveugle a été reconnu le premier non-voyant synesthète. En quoi consiste cette capacité d’éprouver des correspondances entre les sens, qui fascinait déjà Maurice Merleau-Ponty ?
Synesthésie : quand les sens communiquent
AU FIL D’UNE IDÉE
Article 3 min
Bienvenue au camping
Sven Ortoli 07 juillet 2022
En 1877, le vétéran américain de la guerre de Sécession John Mead Gould écrit How to Camp Out (« comment camper en extérieur »), best-seller dans lequel il présente le camping comme une éducation à la nature et à la vie en collectivité. Premier vainqueur du Cervin (4 ..
Bienvenue au camping
ETHNOMYTHOLOGIES
Article 3 min
Sneakers. Larmes d’arbre au bout des pieds
Tobie Nathan 07 juillet 2022
Plus urbaines que les baskets, ces chaussures ont conquis la planète sans faire de bruit. Mais leurs semelles de caoutchouc, autrefois issu de la sève de l’hévéa, leur permettent-elles d’entamer la longue marche vers un monde plus vert ?
Sneakers. Larmes d’arbre au bout des pieds
REPORTAGE
Article 17 min
Odessa, la guerre en embuscade
Michel Eltchaninoff 07 juillet 2022
Ce port ukrainien bordant la mer Noire traverse une drôle de guerre. La ville est l’un des principaux objectifs des forces russes. Mais elle reste imprenable. Entre peur et envie d’oubli, hantise de la mort et pulsion de vie, engagement et culpabilité, comment ses habitants vivent-ils cette période tragique ? Pour tenter de le comprendre, notre rédacteur en chef Michel Eltchaninoff, auteur de Dans la tête de Vladimir Poutine, s’est rendu sur place.
Odessa, la guerre en embuscade
ENQUÊTE
Article 13 min
L’avion a-t-il du plomb dans l’aile ?
Clara Degiovanni 07 juillet 2022
L’avion a fait rêver. À présent, il embarrasse. Nous sommes passés du miracle technique à la flygskam, terme suédois signifiant la « honte de voler ». C’est tout un imaginaire mais aussi une manière de penser le tourisme que la sobriété aérienne vient transformer. Comment repenser notre manière de voyager ? Attachez vos ceintures, décollage immédiat !
L’avion a-t-il du plomb dans l’aile ?
L’ŒIL DE LA SORCIÈRE
Article 3 min
Le silence et les armes
Isabelle Sorente 07 juillet 2022
Face à la tuerie de l’école d’Uvalde au Texas en mai dernier et au poids des lobbys américains de l’armement, la minute de silence qui commémore la fin d’une tragédie suffit-elle encore à faire taire le canon des fusils ?
Le silence et les armes
DOSSIER
4 articles
Peut-on être lucide et heureux ?
Publié le 07 juillet 2022
Quoi, être heureux aujourd’hui ? Alors que l’été s’accompagne dans le monde entier d’inquiétantes canicules, que les incendies de forêts se multiplient ? Qu’une troisième guerre mondiale menace ? Que l’inflation promet un automne difficile ? Lorsqu’on a les yeux ouverts sur l’actualité, le bonheur ressemble tantôt à un luxe de privilégiés, tantôt à un aveuglement. Cependant, nous avons voulu, dans ce dossier, retourner la question : en adoptant une autre définition du bonheur, qui ne serait pas purement positive, mais accorderait une place au négatif et au tragique, ne pourrait-on pas réconcilier lucidité et plaisir de vivre ? > Une sagesse tragique irrigue l’ensemble de l’œuvre du philosophe André Comte-Sponville, qui, dans un entretien exceptionnel, nous livre une leçon de vie toute personnelle. > La construction du métavers voulue par Mark Zuckerberg nous incite aussi à nous interroger sur le statut des écrans : se jeter dans les promesses de la réalité virtuelle, est-ce renoncer à vivre une vie réelle ? > Les militants Romain Boucher et Hugo Mosneron Dupin, l’épidémiologiste Alice Desbiolles, le philosophe Miguel Benasayag nous expliquent comment éviter que la conscience écologique nous plonge dans l’anxiété ou la paralysie, afin que la nouvelle génération puisse l’intégrer à son existence. > Une romancière, Chloé Delaume, et une psychanalyste et philosophe, Clotilde Leguil, partent du traumatisme, de l’irruption de la violence et du deuil dans nos vies, pour s’interroger sur la manière dont nous pouvons, malgré les épreuves, nous réapproprier notre histoire et suivre notre désir.
En kiosque : “Peut-on être lucide et heureux ?”
Entretien 18 min
André Comte-Sponville : “Il est trop facile de n’aimer que les vérités agréables et rassurantes”
Alexandre Lacroix 07 juillet 2022
André Comte-Sponville n’a eu de cesse de questionner les rapports entre le bonheur et l’absence d’illusions. Une réflexion liée à son histoire intime. À l’heure où les crises se succèdent à vitesse accélérée, le philosophe émet une théorie aussi stimulante que paradoxale : pour vivre heureux, abandonnons tout espoir !
André Comte-Sponville : “Il est trop facile de n’aimer que les vérités agréables et rassurantes”
Article 6 min
On ira tous au paradis (virtuel) ?
Joséphine Robert 07 juillet 2022
Imaginez que vous meniez une existence quotidienne plutôt terne mais que vous puissiez être heureux à tout moment en ligne : en surfant sur un réseau social, en jouant aux jeux vidéo ou en emmenant votre avatar à la découverte des métavers. Une vie augmentée ou amoindrie ?
On ira tous au paradis (virtuel) ?
Article 11 min
Par ici la sortie de crises
Cédric Enjalbert 07 juillet 2022
Alors que les catastrophes sanitaires, écologiques et économiques se multiplient, est-il encore possible d’envisager l’avenir sans sombrer dans l’angoisse, le cynisme ou l’atonie ? Les médecins, activistes et philosophes que nous avons interrogés répondent.
Par ici la sortie de crises
Dialogue 13 min
Chloé Delaume-Clotilde Leguil : désillusionnistes
Cédric Enjalbert 07 juillet 2022
Toutes deux ont fait de la lucidité une curieuse discipline. L’écrivaine Chloé Delaume reprend et métamorphose son histoire tragique de livre en livre, pour mieux la cerner et rendre la réalité acceptable ; la philosophe et psychanalyste Clotilde Leguil insiste, elle, sur la nécessité de ménager une place à nos parts d’ombre. Ensemble, elles font de la fiction personnelle le contraire d’une illusion.
Chloé Delaume-Clotilde Leguil : désillusionnistes
L’ENTRETIEN
Entretien 18 min
Étienne Klein : “La mort est une pensée dopante”
Alexandre Lacroix 07 juillet 2022
Ses livres, conférences, vidéos et émissions de radio font d’Étienne Klein l’un des plus grands passeurs actuels des mystères de la physique. Cet hyperactif et grand sportif a pris le temps de revenir sur son parcours philosophique atypique et de nous éclairer sur la nature de la matière et du temps.
Étienne Klein : “La mort est une pensée dopante”
L’AVENTURE D’UN CLASSIQUE
4 articles
“Condition de l’homme moderne”, de Hannah Arendt : le travail à l’œuvre
Publié le 07 juillet 2022
Critique de la modernité, insistance sur la fragilité de notre environnement, délitement du collectif sont autant de domaines analysés par Hannah Arendt dans ce livre aussi pionnier que précurseur. Aussi insiste-t-elle sur l’impératif d’agir afin de restaurer le lien avec la nature, les êtres humains et le politique. Une boussole pour notre temps.
“Condition de l’homme moderne”, de Hannah Arendt : bienvenue dans la vie active
Article 10 min
“Condition de l’homme moderne”, de Hannah Arendt : bienvenue dans la vie active
Victorine de Oliveira 07 juillet 2022
Critique de la modernité, insistance sur la fragilité de notre environnement, délitement du collectif sont autant de domaines analysés par Hannah Arendt. Aussi insiste-t-elle sur l’impératif d’agir afin de restaurer le lien avec la nature, les êtres humains et le politique. Une boussole pour notre temps.
“Condition de l’homme moderne”, de Hannah Arendt : bienvenue dans la vie active
Article 3 min
Hannah Arendt : le temps des récits
Victorine de Oliveira 07 juillet 2022
La Condition de l’homme moderne se présente comme un récit historique qui, de l’Antiquité à la Modernité, analyse les transformations du monde des humains. Pour Arendt, certaines des étapes les plus marquantes de ce développement consistent non pas en des découvertes scientifiques mais en des renversements philosophiques et des mutations sociales.
Article 2 min
Anders-Arendt : scène de la vie conjugale
07 juillet 2022
Günther Anders le reconnaît, il n’est pas très loyal dans cette Bataille des cerises conçu comme un dialogue fictif avec Hannah Arendt, à laquelle il a été marié de 1929 à 1937. Il se donne le beau rôle, puisque ses Dialogues avec Hannah Arendt ont été rédigés après 1975, année de la mort d’Arendt. Mais Anders l’assure : il s’est servi de notes prises lors de leurs conversations dans les années 1930. Ce passage témoigne à la fois de la façon dont les deux philosophes débattaient de leurs idées et d’un pressentiment : le glissement de l’œuvre (ici le travail intellectuel) sous le régime aliénant du travail.
Article 5 min
Aurore Mréjen : “Arendt permet de mieux comprendre comment le travail a pris le pas sur les autres activités”
Victorine de Oliveira 07 juillet 2022
Pour Aurore Mréjen, spécialiste de l’œuvre de Hannah Arendt, l’autrice de Condition de l’homme moderne permet de réfléchir aux implications d’une société de travailleurs sans travail, ce qui pose non seulement le problème du chômage de masse mais aussi celui de la perte de sens des autres activités humaines. Une œuvre pionnière et fondatrice !
Aurore Mréjen : “Arendt permet de mieux comprendre comment le travail a pris le pas sur les autres activités”
BOÎTE À OUTILS
Article 3 min
Pourquoi regarde-t–on des vidéos de chats ?
Caroline Pernes 07 juillet 2022
Est-ce leurs facéties impayables ou leurs expressions craquantes qui font de nos amis félins les vrais stars d’Internet ? Quatre philosophes font leurs griffes sur le phénomène lolcat.
Pourquoi regarde-t–on des vidéos de chats ?
Article 1 min
Wanderlust
Octave Larmagnac-Matheron 07 juillet 2022
Langue d’origine : allemand
Article 2 min
“Mensonge”
Joséphine Robert 07 juillet 2022
Non, ces philosophes n’ont pas le nez qui s’allonge…
LIVRES
Livre
Annie Ernaux
Le Jeune Homme
Publié le 05 juillet 2022
C’est un peu court, Le Jeune Homme : le récit qu’a fait paraître Annie Ernaux ce printemps ne compte qu’un peu plus de quarante de pages. Et pourtant, ce texte qui raconte une histoire d’amour entre la romancière, alors âgée de 55 ans, et un jeune homme de trente ans son cadet, au milieu des années 1990, est un joyau. Sans en faire une revendication militante, Annie Ernaux laisse entrevoir qu’elle a subverti et inversé les normes de la domination masculine. Elle ne se contente pas d’être plus âgée que son amant, elle exerce aussi sur lui une domination économique (pendant un moment, elle l’entretient), sociale (il vient d’un milieu modeste, elle est transfuge de classe mais embourgeoisée), culturelle (il semble presque ignorant et sans conversation face à elle). Le résultat ? Ce couple s’attire des regards réprobateurs dans les cafés, les restaurants. « Un dimanche, à Fécamp, sur la jetée près de la mer, nous marchions en nous tenant par la main. D’un bout à l’autre nous avons été suivis par tous les yeux des gens assis sur la bordure de béton longeant la plage. A. m’a fait remarquer que nous étions plus inacceptables qu’un couple homosexuel. » Mais ce renversement du schéma classique du quinquagénaire se promenant avec une jolie jeune fille, si communément accepté, n’est pas le seul enjeu. En effet, Annie Ernaux se livre à une méditation poignante sur le passage du temps et le vieillissement. Elle réfute l’idée reçue selon laquelle une personne de 50 ans tomberait amoureuse d’une personne de 20 ans dans le but de se mentir à elle-même sur son âge ou de vivre une seconde jeunesse par procuration. C’est plus subtil : elle dit de son amant qu’il ne l’entretient nullement dans une illusion de jeunesse mais qu’il a cependant transformé sa vie « en un étrange et continuel palimpseste ». Chaque étreinte, chaque déclaration d’amour, chaque péripétie de leur vie de couple arrivent ainsi non pas comme une nouveauté pour elle mais en surimpression du passé. « Chez moi, il endossait le peignoir à capuche qui avait enveloppé d’autres hommes. Lorsqu’il le portait, je ne revoyais jamais l’un ou l’autre d’entre eux. Devant le tissu-éponge gris clair j’éprouvais seulement la douceur de ma propre durée et de l’identité de mon désir. » Il y a là une sorte de duplicité : Annie et son amant ne vivent pas le présent avec la même profondeur de temps, et, pour elle, la beauté de la relation tient à ce que chaque circonstance du présent semble être une victoire sur la fuite du passé, sans rien projeter. Si Le Jeune Homme semble avoir été tiré des archives secrètes de l’autrice et mis en forme récemment, puisqu’il est daté à la dernière page « 1998-2000 / 2022 », c’est aussi le cas de nombreux extraits de journaux intimes et de correspondances rassemblés dans le Cahier de L’Herne qui lui est consacré, dont cette missive inattendue d’un certain Pierre Desproges : « Vous m’avez bouleversé une première fois quand j’ai lu La Place… Depuis, j’attends chacun de vos livres… Toujours cette unique virulence de votre pudeur… S’il vous plaît, continuez d’exister et d’écrire des livres. »
Le Jeune Homme
Livre
Laurence Devillairs
Petite Philosophie de la mer
Publié le 05 juillet 2022
« Le vent du large nous appelle. Il s’en vient libérer nos vies empêchées. » Sur le sable, face à la mer, naviguant sur elle, c’est notre vie que l’on contemple, suggère Laurence Devillairs dans un petit traité de sagesse pratique. « La mer n’est pas un paysage. C’est une apparition. On n’en fait pas le tour, on peut difficilement en décrire l’aspect et les contours. Elle ne s’explore pas vraiment, elle s’impose, insondable, impénétrable », estime la philosophe. Ce que nous avons à apprendre de la mer, ce sont moins ses secrets à elle que ses dépôts sur nos corps et nos âmes, le pouvoir qu’elle a de nous révéler nos propres secrets. Apprenons à nous mettre à l’écoute de la vérité qu’elle nous délivre, à travers ses mythes, ses personnages, ses phénomènes physiques. Laurence Devillairs propose ainsi quelques principes éthiques comme conditions d’une vie bonne sous l’effet des embruns. Son livre prend l’allure d’une odyssée existentielle, d’un petit traité des grandes vertus, invitant à cultiver en nous tout ce qui peut rendre plus vivant : apprivoiser l’inconnu, cultiver sa singularité, accueillir ce qui vient, s’abriter des vents, redonner du goût aux choses, reconnaître le vrai, oser dire ce que l’on ressent, se construire des repères, survivre aux blessures du cœur, savoir prendre le large, devenir le héros de son existence… Ce que cette petite philosophie invente au fond, c’est une langue, celle des flots marins, dont les sons et les mots traversent notre chair et notre âme. Comme si tout venait d’elle, la mer.
Petite Philosophie de la mer
Livre
Jean-Michel Espitallier
Tueurs
Publié le 05 juillet 2022
« K. devait abattre un petit garçon d’une douzaine d’années. On nous avait expressément recommandé de tenir le canon à vingt centimètres de la tête. » La centaine de courts textes qui composent Tueurs est tirée de films de faits réels circulant sur Internet ou de témoignages de bourreaux. Viols, tortures, supplices, massacres impeccablement organisés… Ici, les descriptions sont froides et minutieuses. Les tueurs sont souvent jeunes. Ils obéissent aux ordres, assouvissent leurs pulsions, s’habituent à leur tâche et se justifient facilement. À cette violence répétitive s’ajoutent l’imbrication temporelle – depuis la Seconde Guerre mondiale jusqu’à la Syrie, en passant par les guerres coloniales, le génocide cambodgien et celui du Rwanda – et une absence délibérée de mise en contexte. Ici, la comptabilité froide des exécutions nazies se mêle au raffinement atroce des geôles khmères et au flux sanglant de la répression ordinaire. Très vite, le lecteur se retrouve en état d’apnée. L’écriture minimale et précise le sort de la routine anesthésiante des images. Il est ainsi conduit à un angoissant constat de banalité. Récurrente au fil des XXe et XXIe siècles, la cruauté apparaît comme le bruit de fond de notre monde, un bruit qu’il suffit d’amplifier légèrement pour que nous ne percevions que lui. Ainsi, Tueurs est traversé par des questions sans réponses : où se trouve la frontière entre nos vies ordinaires et ce bain de sang ? La cruauté n’est-elle pas inhérente à notre condition ? « À en juger par nos désirs et nos souhaits inconscients, nous ne sommes nous-mêmes qu’une bande d’assassins », écrivait Sigmund Freud dans Considérations actuelles sur la guerre et la mort. Cité en épilogue du livre, le survivant des camps de la mort Robert Antelme lui renvoie comme en écho : « On peut brûler des enfants sans que la nuit remue. »
Tueurs
Livre
Miguel Bonnefoy
L’Inventeur
Publié le 07 juillet 2022
Ça a débuté comme ça. Longtemps, je me suis couché de bonne heure. Je hais les voyages et les explorateurs. La première fois qu’Aurélien vit Bérénice, il la trouva franchement laide. Comment s’étaient-ils rencontrés ? Par hasard, comme tout le monde… Le lecteur aura reconnu, pêle-mêle, quelques-unes des plus célèbres premières phrases de la littérature française. Savoir commencer un roman est un art, et Miguel Bonnefoy est passé maître en la matière. Les deux premières pages de L’Inventeur sont sublimes – c’est peut-être même le plus beau début de roman qu’on a pu lire depuis Le Parfum de Süskind, c’est dire. Bonnefoy nous cueille, dès l’incipit, comme on cueille une pâquerette au début du printemps, avant d’en ôter un par un les pétales pour savoir si l’on aime et comment, un peu, beaucoup, passionnément… Voyons donc ce qu’il en est de ce roman, portrait d’un « des grands oubliés de la science », celui d’Augustin Mouchot, « un homme de l’ombre tourné vers le soleil au milieu d’un siècle lumineux tourné vers le charbon ». Ce siècle est le XIXe, et un fils de serrurier, professeur de mathématiques, s’acharne « à conquérir le royaume qu’aucun homme n’a jamais pu occuper : le soleil ». Mouchot a une idée fixe : trouver une source d’énergie alternative au charbon dont les ressources s’épuisent. Ses premières machines sont des échecs, et face aux échecs répétés une question se pose : est-ce que le succès, comme dira Churchill qui n’est pas encore de ce monde, ça n’est pas d’aller d’échec en échec sans perdre son enthousiasme ? Celui de Mouchot-l’opiniâtre jamais ne s’émousse – et paye enfin : à l’Exposition universelle de Paris en 1878, il parvient à fabriquer un bloc de glace par la seule force du soleil. On lui décerne une médaille d’or, il reçoit la Légion d’honneur et des crédits, mais la suite, on s’en doute, ne sera pas si heureuse. Peu de remous dans la vie de Mouchot – pas de quoi en faire un roman ? Si, car il y a l’écriture de Bonnefoy, il y a son sens du détail qui toujours fait image, son art de la prolepse, ses phrases ciselées qui font de la vie d’un scientifique oublié une véritable épopée. Quelque part, Miguel Bonnefoy écrit à propos de l’invention de Mouchot qu’elle « manquait d’un livre pour la soutenir » ; son inventeur aussi. Voilà qui est fait, et bien fait : Mouchot grâce à lui va revenir en pleine lumière – ça n’est que justice pour un homme ayant consacré sa vie au soleil.
L’Inventeur
Livre
Karim Basbous
Architecture & Dignité
Publié le 05 juillet 2022
Pourquoi ressentons-nous une émotion jamais éteinte devant le temple grec ? Qu’est-ce qui s’est mis en place dans cette alliance d’un espace religieux abritant la statue d’un dieu et d’un espace géométrique finement proportionné pour que nous fassions encore l’expérience de l’ouverture et du déploiement de l’espace lui-même ? Il s’est mis en place, répond l’architecte et philosophe Karim Basbous, plus qu’une œuvre particulière fondant une tradition, une véritable institution qui a donné à l’architecture son sens et son fondement. Partant de cette institution, on peut parcourir toute l’histoire de cet art, en suivant le sillon qu’elle a creusé, en Grèce d’abord, puis dans tout l’Occident, des palais et maisons romaines ou des basiliques chrétiennes aux réalisations des architectes les plus contemporains. Une forme nouvelle a surgi dans la manière dont les hommes habitent l’espace, qui transcende la fonction utilitaire et protectrice des bâtiments et revêt une portée éthique et politique. D’où l’idée originale que l’architecture a un lien avec la dignité au sens que lui donnait Cicéron. À la différence des bâtiments égyptiens, refermés sur le secret de leur propre sacralité, le temple se tourne vers l’espace des hommes et expose au regard, telle une figure humaine, une proposition pour organiser leur circulation et unifier la communauté. De ce point de vue, l’architecture a une fonction symbolique : « Le bâtiment n’est pas tant ce qui nous protège, que ce que l’on protège […], le temple protège ceux qui sont rassemblés pour le protéger. Les hommes et la pierre s’entretiennent. » L’hypothèse stimulante de Basbous est que le geste architectural initial, dont le temple grec était porteur, a suivi une série de « transferts de dignité », comme lorsque les Modernes inventent avec Michel-Ange la « maison du projet » dans laquelle l’architecte est appelé à « jouer » avec les volumes pour donner une forme originale à l’espace. C’est en revenant à l’idée de sa propre dignité que l’architecture contemporaine pourra « revenir dans le concert des grandes puissances instituantes ». On aimerait partager son espoir.
Architecture & Dignité
Livre
Baptiste Lanaspeze
Nature
Publié le 05 juillet 2022
Il est toujours intéressant de suivre Baptiste Lanaspeze. En 2008, il a créé les éditions Wildproject, qui ont publié le premier livre de Baptiste Morizot et traduit des classiques de la pensée écologique comme J. Baird Callicott ou Rachel Carson. En 2012, il a publié Marseille. Ville sauvage (Actes Sud), traité d’écologie urbaine, et l’année suivante participé à la conception du GR2013, dont le succès a donné une vigueur au mouvement des sentiers de randonnée périurbains (lire Philosophie magazine n° 141, pp. 50-55 et sur Philomag.com). Il revient aujourd’hui avec un court texte, d’une écriture accessible mais très informée, pour porter un message en légère dissidence avec le credo écologique dominant. C’est que la notion de « nature » a mauvaise presse. On l’accuse d’avoir servi le projet de maîtrise et d’exploitation de la Terre issu de la Modernité occidentale. Mais Baptiste Lanaspeze ne s’en laisse pas conter. Il remonte à la racine latine natura, traduisant le grec physis, pour expliquer que la nature est d’abord « ce qui naît, ce qui pousse, ce qui engendre ». Il enrichit cette idée en se référant au philosophe japonais Kinji Imanishi, qui ne parle pas de nature mais de shizen, littéralement « ce qui est par soi-même ». Et montre que les Occidentaux ont eu tort de concevoir le cosmos comme un assemblage d’objets morts et manipulables. Bien sûr, dans cette perspective qui tend à superposer la nature au vivant, on peut se demander quel serait le statut des cailloux, de la neige ou du ciel étoilé. Nature encore ? Il n’empêche, cet ouvrage prend la défense d’un mot avec une rare finesse et une touche bienvenue d’autobiographie.
Nature
Livre
Francis Métivier
Pascal à la plage
Publié le 05 juillet 2022
Lire Pascal à la plage, c’est possible et nécessaire, nous suggère Francis Métivier dans une exploration enjouée et didactique de l’œuvre pascalienne. « On n’aime jamais que des qualités », « vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà », « le cœur a ses raisons que la raison ignore » : si ces citations de Blaise Pascal sont célèbres, que sait-on de l’unité de son œuvre, de la cohérence de son questionnement sur l’existence ? Au fil de sept chapitres thématiques, dans un style accessible et non dénué d’humour, Métivier synthétise l’œuvre pascalienne, prenant la sincérité comme vrai fil conducteur. « Pascal fait de la sincérité à la fois le fond et la forme de sa pensée », explique l’auteur. Sincérité face à notre condition humaine mais aussi sincérité dans nos actes, notre rapport à autrui ou encore notre éloquence : « Les belles actions cachées sont les plus estimables », écrit Pascal, remettant à leur place nos ego et nos vanités. « Et quand nous possédons une qualité authentique – la tranquillité, la générosité ou la fidélité –, nous la corrompons en criant sur les toits que nous sommes paisibles, généreux ou fidèles », insiste Métivier, en écho aux adeptes de la mise en avant (et en scène) de soi. Risque de la vacuité de nos désirs, appel à l’humilité, à la charité, à l’esprit de finesse : (re)lire et comprendre Pascal s’avère précieux en 2022. S’il est toujours délicat de vulgariser la philosophie, ici, le pari est gagné, pourrait-on se risquer à dire.
Pascal à la plage
Livre
François Truffaut
Correspondances avec des écrivains
Publié le 05 juillet 2022
La passion de François Truffaut pour le cinéma est indissociable de son amour de la littérature : on s’en convainc à la lecture de ce recueil qui compile sa correspondance avec des écrivains et des critiques. L’on y découvre que le Truffaut épistolier n’est pas différent du cinéaste vif et sensible que l’on aime, avec le culot de celui qui écrit à Cocteau pour l’inviter à inaugurer son ciné-club, alors qu’il n’est âgé que de 16 ans ! Parmi toutes les lettres réunies, certaines sont purement professionnelles, comme celles où il règle avec Jean Hugo les détails concernant L’Histoire d’Adèle H. D’autres sont frustrantes, parce qu’elles restent sans réponse, comme celles adressées à Jean-Paul Sartre ou à Milan Kundera. Aussi les plus belles correspondances sont-elles celles qui s’étendent sur plusieurs années avec des personnalités aussi diverses que Jean Genet, Louise de Vilmorin, Ray Bradbury ou Jacques Audiberti, pour lesquels il a une amitié aussi fidèle que délicate. Mais le succès venant, les écrivains ont été de plus en plus nombreux à le solliciter pour une adaptation de leur œuvre ; Truffaut les éconduit parfois gentiment mais propose aussi aux jeunes auteurs d’apporter ses propres corrections à leur manuscrit. On en vient à se demander si le cinéaste ne nourrissait pas lui-même un secret désir d’écrire, comme le confirme cette réponse qu’il apporte au critique Jean-Louis Bory qui lui reproche d’avoir perdu le souffle de la Nouvelle Vague : il reconnaît avoir eu « peur de la page blanche et qu’à cause de cela, [il a] tourné trop d’adaptations de romans », tout en prétendant s’être mieux fait comprendre avec des scénarios originaux. En plus d’avoir tourné ses meilleurs films, Truffaut les a surtout écrits.
Correspondances avec des écrivains
Livre
Etel Adnan et Laure Adler
La Beauté de la lumière
Publié le 05 juillet 2022
Ni abstraite ni figurative, simple et riche à la fois, aussi énergique qu’apaisante avec ses petits formats aux couleurs acidulées ou pastel qui prennent volontiers des formes de rond et de montagne, la peinture d’Etel Adnan répugne aux catégorisations. Mais c’est surtout la singularité d’une personnalité que cerne la journaliste et écrivaine Laure Adler avec ces entretiens réalisés quelques mois avant la mort de l’artiste survenue l’an dernier. Le destin d’une femme dans le siècle : née au Liban d’un père syrien musulman et d’une mère grecque orthodoxe, elle fit ses études en France avant d’enseigner la philosophie de l’art aux États-Unis et de se mettre elle-même à peindre sur la suggestion d’une collègue qui la persuada qu’elle ne pouvait pas bien enseigner ce qu’elle ne pratiquait pas elle-même. Affrontant ses propres inhibitions et les préjugés misogynes, elle obtint très tardivement la reconnaissance grâce à la Documenta de Kassel, la grande exposition d’art contemporain. Une révélation pour celle qui mit son art tout entier au service de la célébration de la lumière du monde. Une peintre lumineuse donc, mais « pas que », comme le souligne Laure Adler : car Etel Adnan est également une artiste multiple – dessinatrice, calligraphe, écrivaine et poétesse –, qui n’aimait rien tant que se situer au carrefour de plusieurs univers et qui disait que « chaque tableau, comme chaque poème, comme tout ce qu’on fait, est un recommencement. D’ailleurs, c’est cette curiosité qui nous entraîne, qui nous donne l’énergie de continuer »
La Beauté de la lumière
Livre
Santiago Espinosa
Schopenhauer et la musique
Publié le 05 juillet 2022
On reconnaît en Schopenhauer la figure du pessimisme philosophique. Moins connu est le mélomane passionné qui fit de la musique, plus encore qu’un art, la « quintessence de la réalité » et à ce titre une source de pure jouissance. Pour autant, « comment se fait-il que la musique puisse être à la fois la volonté, étoffe de cette “vallée de larmes” où nous tenons notre lieu, et la plus délectable des choses ? » C’est à partir de ce « paradoxe de la joie » suscitée par la musique que Santiago Espinosa déploie une réflexion qui vise à réhabiliter la théorie musicale de Schopenhauer. Celle-ci est souvent reçue comme une parenthèse fantaisiste au sein de son système métaphysique, ou bien comme une « fiction mystique », trace de l’influence qu’exerça sur lui la pensée bouddhiste. La musique aurait pour fonction d’atteindre le nirvana par l’anéantissement des volontés particulières et leur réconciliation au sein de la Volonté universelle. Toutefois, ce serait encore faire de la musique un outil à finalité spirituelle. Or, si la musique est source de jouissance, c’est qu’elle vaut par elle-même, en ce qu’elle rend perceptible une vérité qui n’est pas visible mais audible. Quand l’art donne à voir ce qui devrait être, restant encore enraciné dans le domaine de la représentation, elle donne à entendre le murmure dissonant du monde. Si alors, « le domaine originel est celui du son », elle a bien quelque chose à enseigner à la philosophie : « Être davantage écoute que parole. » Une écoute qui n’est plus ce qui fut longtemps interprété comme un renoncement ascétique mais bien une « approbation de la réalité ».
Schopenhauer et la musique
Livre
Jacques Rancière
Penser l’émancipation. Dialogue avec Aliocha Wald Lasowski
Publié le 05 juillet 2022
Comment faire le tour d’une pensée aussi asystématique, complexe et foisonnante que celle de Jacques Rancière ? Par un dialogue vivant avec l’auteur et une absence d’exhaustivité assumée, le long de quelques lignes de force par lesquelles le journaliste et philosophe Aliocha Wald Lasowski laisse entrevoir l’agilité serpentine d’un esprit ayant toujours ambitionné de « penser l’émancipation ». Interrogeant la réinvention du politique, la création en art, la pratique littéraire, l’héritage de la philosophie marxiste et la révolution populaire du cinéma, Rancière est sans doute l’anti-intellectuel par excellence, si l’on entend par intellectuel celui qui « sait » et prétend s’arroger un certain monopole du sens. Au contraire, le philosophe se met à l’école des écritures ouvrières mais aussi de la littérature, des arts et du cinéma, en vue de décrire un déjà-là de la révolution, « tissu sensible de la vie nouvelle ». À l’aune de ce refus de l’avant-gardisme, le chapitre le plus intéressant est celui qui évoque les années 1960 passées dans l’orbite de Louis Althusser, auquel Rancière sut gré d’avoir arraché la lecture de Marx aux interprétations figées des séides du Parti, en les inscrivant dans la perspective du structuralisme. Althusser n’en souscrivait pas moins à « une certaine vision de l’inégalité des intelligences », un aveuglement où baignait aussi Rancière jusqu’à ce que les événements de Mai-68 ne le forcent à comprendre que l’émancipation comme fin implique de la penser également « dans les moyens ».
Penser l’émancipation. Dialogue avec Aliocha Wald Lasowski
Livre
Tanguy Descamps, Maxime Ollivier et Romane Rostoll (illustrations)
Basculons ! Dans un monde vi(v)able
Publié le 05 juillet 2022
Bifurquer en mesurant l’ampleur des défis écologiques, sociaux et démocratiques actuels, sans verser dans un discours pétri de bonnes intentions : voici le pari d’une partie de la jeunesse, dont témoigne ce « cahier militant ». Plutôt que d’insister sur les rapports alarmants du Giec, ce travail collectif se nourrit de témoignages d’une trentaine de jeunes âgés de 18 à 33 ans. Ils incarnent ce que l’on appelle désormais la « génération Climat » et attestent d’un sentiment d’inquiétude mais aussi d’actions transformatrices. « Nous ne pouvons rester des contestataires stériles. Si nous bifurquons, c’est pour tracer de nouveaux chemins et construire d’autres ports d’attache. Nous devenons révoltés : nos non sont des oui. » Le ton est volontairement enthousiasmant et pédagogique, le but étant de montrer que la crise climatique offre à la jeunesse autant de chemins possibles que d’incertitudes. Donner à voir pour donner envie. Ne serait-ce pas là un excès de la « positive attitude » face à la catastrophe à venir ? Non, car tous assument la difficulté de commencer ce mouvement de bascule et décrivent des chemins certes difficiles. « Imaginez le désordre dans mon cerveau. À ce moment-là, j’étais en dissonance cognitive avec moi-même, parce que ces changements étaient énormes. J’ai dû apprendre à me défaire de ma socialisation politique primaire, à requestionner tous mes repères idéologiques », observe l’un d’eux. Car cette jeunesse est celle des classes moyennes et supérieures, éduquée, à qui il incombe de ne pas suivre des voies toutes tracées, potentiellement dévastatrices. Or les bifurcations pourraient engendrer des crises de vocation, comme l’illustraient récemment les discours des diplômés d’AgroParisTech. « Je suis aujourd’hui de ceux et celles à qui on promet un avenir radieux. Je viens d’être diplômé ingénieur, et cet avenir, je le cherche », affirme un autre. Face à l’absurdité de promesses d’avenir en contradiction avec les limites du « système Terre », ces jeunes proposent ainsi une foule de nouvelles pistes : ils parlent de leurs nouvelles vies de paysan, de militant associatif, d’ingénieur engagé… De quoi peut-être vous faire vous aussi basculer cet été ?
Basculons ! Dans un monde vi(v)able
Livre
Louis-Ferdinand Céline
Guerre
Publié le 05 juillet 2022
« Tous les hommes de la terre n’ont qu’à aller à la mairie dire : “Moi, vous savez, je ne vais pas à la guerre.” Eh bien, il n’y aura pas de guerre. Si donc ils la conservent, c’est parce qu’ils aiment ça, ce désir général, ce désir de destruction » : ces mots de Céline trouvent un écho particulier depuis la publication de Guerre, l’un de ses romans redécouverts l’été dernier. Car l’auteur, en lecteur de Freud, y écrit de l’intérieur le déchaînement de la pulsion de mort et l’expérience du feu par le brigadier Ferdinand. Non la guerre elle-même en fait, mais la cicatrice qu’elle laisse dans la conscience. L’atrocité ne passe pas. Le déferlement de sang, de douleur et de bruit hante un Ferdinand, le « crâne en friche », la « tête en usine ». La guerre est une folie qui pousse les hommes aux limites de l’hallucination. « Je comprenais bien au fond le délire des choses », le vomissement insensé de la barbarie. Par le sexe, Ferdinand renouera avec la pulsion de vie la plus crue. Mais il ne guérira pas. Il faudrait cesser de vouloir, disait Schopenhauer, que connaissait Céline. Mais les pires épreuves ne suffisent pas à tuer le vouloir-vivre : « C’est encore plus atroce la vie quand on ne bande plus. » Retrouvez le dossier de Philomag.com sur les sources philosophiques de Céline
Guerre
Livre
Javier Cercas
Indépendance
Publié le 05 juillet 2022
Les romans de Javier Cercas ont ceci d’excitant qu’ils déjouent toujours vos attentes. Vous pensiez lire un polar : plutôt une chronique politique acerbe de la Catalogne. Vous vous remuez les méninges pour démêler l’intrigue, mais, aux trois quarts du roman, vous voici pantois avec la solution bien en évidence et le pressentiment que quelque chose vous a néanmoins échappé. En 2017, la Catalogne entame le Procés, soit une tentative de proclamer son indépendance qui se solde par la fuite rocambolesque du leader du mouvement séparatiste. Javier Cercas plante son intrigue en 2025, dans une Barcelone dirigée par une maire conservatrice. Victime d’un chantage à la sextape, elle fait appel à la police. Après avoir résolu un triple meurtre particulièrement brutal dans Terra Alta (Actes Sud, 2021), l’inspecteur Melchor Marín, nourri de sa lecture obsessionnelle des Misérables de Victor Hugo, plonge dans le panier de crabes de la mairie de Barcelone. Ce qu’il y remue est à mille lieues du programme d’austérité et de rigueur morale soutenu par la maire : des golden boys qui tuent leur ennui en droguant des filles dans les bars puis en les violant, un adjoint qui crée sa propre milice… Cercas y va fort, mais ce n’est pas tant la dénonciation politique qui marque. Si Melchor est plutôt du genre taiseux, les autres personnages aiment causer. Ces échanges, voire ces monologues, sont aussi une façon de rendre justice à des voix brisées, comme celle du coupable, tout autant bourreau que victime. Ils permettent même de ne pas totalement désespérer.
Indépendance
Livre
George Orwell
Le Quai de Wigan
Publié le 05 juillet 2022
Ne cherchez pas le quai de Wigan sur une carte : c’est un lieu imaginaire. Ce qui est réel en revanche, c’est le quotidien des ouvriers du nord de l’Angleterre dans les années 1930, dont George Orwell décrit la misère matérielle, les conditions d’hygiène épouvantables et le travail épuisant. Comme un journaliste en immersion, l’écrivain a personnellement partagé leur vie en allant jusqu’à ramper aux côtés des mineurs dans les entrailles de la terre. Cette expérience a changé la vision du monde et les idées politiques de celui qui n’était alors qu’un gentleman plutôt bourgeois et bien éduqué. « À dix-sept ou dix-huit ans, j’étais tout à la fois un snob pédant et un révolutionnaire », confie-t-il, lucide, avant d’ajouter, « je me considérais plus ou moins comme un socialiste [mais] je n’avais pas une idée très précise de ce que pouvait être le socialisme, et j’étais loin d’imaginer que les ouvriers étaient des êtres humains ». Aussi la seconde partie du livre s’attache-t-elle à repenser un socialisme concret, c’est-à-dire jusque dans ses conséquences les plus paradoxales. Abolir « cette fichue différence de classe » ? « Rien de plus facile » que de le vouloir en théorie, explique-t-il, c’est-à-dire aussi longtemps qu’on ne mesure pas tout ce que cela implique comme renonciation à ses propres préjugés mais également à ses propres valeurs… et donc finalement à soi-même ! Nouv. trad. de l’anglais C. Meyer et I. D. Taudière / Préface J.-L. Cassely
Le Quai de Wigan
Livre
Octave Mannoni
Psychologie de la colonisation
Publié le 05 juillet 2022
Mal reçu lors de sa parution en 1950, l’essai du psy-chanalyste Octave Mannoni, Psychologie de la colonisation, fait aujour-d’hui l’objet d’une réhabilitation, au point d’être devenu un livre clé de la pensée postcoloniale. Ce retournement tient au travail mené par une nouvelle génération de psychanalystes, qui, à l’image du Collectif de Pantin animé par Sophie Mendelsohn et Livio Boni, travaillent sur l’implication de la théorie freudienne dans la critique de la condition coloniale. Mannoni proposait dès l’après-guerre une description de l’économie libidinale inconsciente propre au monde colonial, construite sur un mécanisme de dépendance imaginaire unissant le colonisé et le colon. En suggérant que la relation coloniale ne saurait disparaître d’un coup, même après l’émancipation des peuples colonisés, et qu’une décolonisation accomplie ne pouvait être qu’une « décolonisation de soi-même », Mannoni « ne pouvait que dérouter les militants du front anticolonial », souligne Livio Boni dans la préface de ce livre « intempestif ». Pourtant, les concepts du psychisme – déni, refoulement, identification… – ont eu des effets opératoires et ont saisi la persistance de la domination coloniale, même après l’achèvement du cycle des décolonisations. Comme Jacques Lacan, qui eut Mannoni comme patient, le disait en 1970, « le racisme a bien de l’avenir ». En plus de réhabiliter la figure visionnaire de ce praticien dans l’histoire de la psychanalyse, la redécouverte de ce texte important permet de mieux comprendre pourquoi il faut prendre au sérieux l’enjeu du « racial » et des traces effectives de la domination coloniale dans la construction des identités.
Psychologie de la colonisation
CULTURE
Article 2 min
“Peter von Kant” : amours captives
Cédric Enjalbert 07 juillet 2022
Avec Peter von Kant, son nouveau film inspiré par Fassbinder, François Ozon met en scène les paradoxes de l’amour, entre liberté et possession. Un magistral jeu de dupes !
“Peter von Kant” : amours captives
Article 2 min
“Ma jeunesse exaltée“ : de grandes espérances
Cédric Enjalbert 07 juillet 2022
Le théâtre, meilleure cure de Jouvence à la “falsification” et à la marchandisation du monde ? C'est le pari d’Olivier Py, dans Ma jeunesse exaltée, sa nouvelle pièce monumentale et foisonnante présentée au Festival d’Avignon.
“Ma jeunesse exaltée“ : de grandes espérances
Article 2 min
“Simon Hantaï (1922-2008)” : pensons sous le pli
Cédric Enjalbert 07 juillet 2022
Pour le centenaire de l'artiste, la Fondation Louis-Vuitton présente une exposition exceptionnelle consacrée à Simon Hantaï, l'artiste du pli, dont l'œuvre n'a eu de cesse de dialoguer avec les philosophes de son temps, de Gilles Deleuze à Jean-Luc Nancy.
“Simon Hantaï (1922-2008)” : pensons sous le pli
OH ! LA BELLE VIE !
Article 3 min
Conseil n° 20. Redescendons sur Terre
François Morel 07 juillet 2022
Je me demandais où j’allais partir en vacances. Je n’avais pas beaucoup de temps. J’hésitais. La Côte d’Azur ? Pas question : il fait trop chaud, il y a trop de monde. La Bretagne, c’est joli entre les averses. Et puis, entre nous, les vacances, ça va cinq minutes… Au ..
Conseil n° 20. Redescendons sur Terre
JEU
Article 2 min
Philo croisés #82
Gaëtan Goron 07 juillet 2022
Horizontalement I. Hannah Arendt ne l’a pas été toute sa vie. II. Vrai pour Hegel dans la Phénoménologie de l’esprit. 100 % conservateur. III. Prix après impôts. On est vite au bout de ce rouleau. IV. A joué dans Le Grand Bain et Le Sens de la fête. V.&nbs..
Philocroisés #79
QUESTIONNAIRE DE SOCRATE
Article 2 min
Raphaël Pichon. Contre temps
Victorine de Oliveira 07 juillet 2022
Si Raphaël Pichon confie être un « grand impatient », il aime parfois prendre son temps. En témoigne la parution en mars dernier de son enregistrement de la Passion selon Saint Matthieu
(Philomag) |
[n° ou bulletin] est un bulletin de / Alexandre Lacroix (2011)N°161 - Juillet-Août 2022 - Peut-on être lucide et heureux ? [texte imprimé] . - 2022 . - 93 p. : ill. en coul. ; 29 cm. Langues : Français ( fre) Catégories : | Philosophie
| Tags : | Bonheur lucidité André Comte-Sponville | Index. décimale : | 17 Morale. Éthique. Philosophie pratique | Résumé : | Quoi, être heureux aujourd’hui ? Alors que l’été s’accompagne dans le monde entier d’inquiétantes canicules, que les incendies de forêts se multiplient ? Qu’une troisième guerre mondiale menace ? Que l’inflation promet un automne difficile ? Lorsqu’on a les yeux ouverts sur l’actualité, le bonheur ressemble tantôt à un luxe de privilégiés, tantôt à un aveuglement. Cependant, nous avons voulu, dans ce dossier, retourner la question : en adoptant une autre définition du bonheur, qui ne serait pas purement positive, mais accorderait une place au négatif et au tragique, ne pourrait-on pas réconcilier lucidité et plaisir de vivre ?
(Philomag) | Note de contenu : | ÉDITO
Article 3 min
Le sujet de la passion
Alexandre Lacroix 07 juillet 2022
Et si notre difficulté d’être heureux reposait, en partie, sur un malentendu linguistique, sur une vision de la psychologie erronée, attachée aux mécanismes de la grammaire ordinaire ? Je reconnais que l’hypothèse peut sembler farfelue ou trop sophistiquée, et pourtant, considérez ces ..
VOS QUESTIONS
Article 3 min
“Savons-nous vraiment ce que peut le corps ?”
Charles Pépin 07 juillet 2022
Question d’Élise Martinot
“Savons-nous vraiment ce que peut le corps ?”
REPÉRAGES
Article 2 min
Robot à fleur de peau
Octave Larmagnac-Matheron 07 juillet 2022
Une peau vivante pour recouvrir les androïdes : c’est le projet, un peu fou, développé par une équipe de l’université de Tokyo. Le derme bionique, conçu à partir de cellules humaines, devrait permettre de doter le dispositif robotique qu’il habille de nouvelles capacités, en parti..
Robot à fleur de peau
Article 1 min
“Naître”
Octave Larmagnac-Matheron 07 juillet 2022
“Personne n’a demandé à naître” — Jean-Luc Mélenchon, lors d’un discours improvisé devant l’Élysée-Montmartre, le soir du résultat des élections législatives, le 19 juin 2022. “Il y a dans le fait de naître une telle absence de nécessité, que lorsqu’on y s..
Article 1 min
“Long-termisme”
Octave Larmagnac-Matheron 07 juillet 2022
« La valeur attendue de la réduction du risque existentiel d’un simple milliardième d’un milliardième […] vaut cent milliards de fois plus qu’un milliard de vies humaines. » C’est le credo du « long-termisme » – courant de pensée en vogue chez les entrepr..
“Long-termisme”
Article 1 min
“5 484 ans”
Octave Larmagnac-Matheron 07 juillet 2022
C’est l’âge du « plus vieil arbre » du monde, récemment découvert en Patagonie – un cyprès situé dans le parc national Alerce Costero (Chili). S’intéressant à l’incroyable longévité des végétaux, l’agronome Jacques Tassin va jusqu’à parler d’une immortalit..
Article 3 min
Les grandes écoles contre la méritocratie ?
Octave Larmagnac-Matheron 07 juillet 2022
Si vous êtes né entre 1971 et 1995, vos chances d’intégrer une grande école sont… > 9 fois plus élevées si vous appartenez à la noblesse > 25 fois plus élevées si vous êtes parisien > 83 fois plus élevées si votre père a lui-même fait une grande école &..
PERSPECTIVES
Article 3 min
L’âge du consensus par recoupement est-il venu ?
Martin Legros 07 juillet 2022
La nouvelle répartition des forces politiques au sein de l’Assemblée nationale laisse à penser que le « en même temps », c’est maintenant. Explications avec le philosophe américain John Rawls.
L’âge du consensus par recoupement est-il venu ?
Article 3 min
Le moteur à explosion a-t-il fait long feu ?
Charles Perragin 07 juillet 2022
Le Parlement européen vient de voter l’interdiction des ventes de voitures neuves à moteur thermique à partir de 2035 sur le territoire de l’Union européenne. Cette nouvelle régulation pourrait entamer un changement civilisationnel d’après le philosophe Peter Sloterdijk.
Le moteur à explosion a-t-il fait long feu ?
Article 3 min
Eric Klinenberg : “Les canicules sont des tueuses silencieuses et invisibles de personnes silencieuses et invisibles”
Octave Larmagnac-Matheron 07 juillet 2022
Les augmentations de température subites et excessives sont aussi de plus en plus fréquentes. Selon le sociologue américain Eric Klinenberg, elles accroissent les inégalités sociales et spatiales.
Eric Klinenberg : “Les canicules sont des tueuses silencieuses et invisibles de personnes silencieuses et invisibles”
Article 3 min
Synesthésie : quand les sens communiquent
Octave Larmagnac-Matheron 07 juillet 2022
Récemment, un aveugle a été reconnu le premier non-voyant synesthète. En quoi consiste cette capacité d’éprouver des correspondances entre les sens, qui fascinait déjà Maurice Merleau-Ponty ?
Synesthésie : quand les sens communiquent
AU FIL D’UNE IDÉE
Article 3 min
Bienvenue au camping
Sven Ortoli 07 juillet 2022
En 1877, le vétéran américain de la guerre de Sécession John Mead Gould écrit How to Camp Out (« comment camper en extérieur »), best-seller dans lequel il présente le camping comme une éducation à la nature et à la vie en collectivité. Premier vainqueur du Cervin (4 ..
Bienvenue au camping
ETHNOMYTHOLOGIES
Article 3 min
Sneakers. Larmes d’arbre au bout des pieds
Tobie Nathan 07 juillet 2022
Plus urbaines que les baskets, ces chaussures ont conquis la planète sans faire de bruit. Mais leurs semelles de caoutchouc, autrefois issu de la sève de l’hévéa, leur permettent-elles d’entamer la longue marche vers un monde plus vert ?
Sneakers. Larmes d’arbre au bout des pieds
REPORTAGE
Article 17 min
Odessa, la guerre en embuscade
Michel Eltchaninoff 07 juillet 2022
Ce port ukrainien bordant la mer Noire traverse une drôle de guerre. La ville est l’un des principaux objectifs des forces russes. Mais elle reste imprenable. Entre peur et envie d’oubli, hantise de la mort et pulsion de vie, engagement et culpabilité, comment ses habitants vivent-ils cette période tragique ? Pour tenter de le comprendre, notre rédacteur en chef Michel Eltchaninoff, auteur de Dans la tête de Vladimir Poutine, s’est rendu sur place.
Odessa, la guerre en embuscade
ENQUÊTE
Article 13 min
L’avion a-t-il du plomb dans l’aile ?
Clara Degiovanni 07 juillet 2022
L’avion a fait rêver. À présent, il embarrasse. Nous sommes passés du miracle technique à la flygskam, terme suédois signifiant la « honte de voler ». C’est tout un imaginaire mais aussi une manière de penser le tourisme que la sobriété aérienne vient transformer. Comment repenser notre manière de voyager ? Attachez vos ceintures, décollage immédiat !
L’avion a-t-il du plomb dans l’aile ?
L’ŒIL DE LA SORCIÈRE
Article 3 min
Le silence et les armes
Isabelle Sorente 07 juillet 2022
Face à la tuerie de l’école d’Uvalde au Texas en mai dernier et au poids des lobbys américains de l’armement, la minute de silence qui commémore la fin d’une tragédie suffit-elle encore à faire taire le canon des fusils ?
Le silence et les armes
DOSSIER
4 articles
Peut-on être lucide et heureux ?
Publié le 07 juillet 2022
Quoi, être heureux aujourd’hui ? Alors que l’été s’accompagne dans le monde entier d’inquiétantes canicules, que les incendies de forêts se multiplient ? Qu’une troisième guerre mondiale menace ? Que l’inflation promet un automne difficile ? Lorsqu’on a les yeux ouverts sur l’actualité, le bonheur ressemble tantôt à un luxe de privilégiés, tantôt à un aveuglement. Cependant, nous avons voulu, dans ce dossier, retourner la question : en adoptant une autre définition du bonheur, qui ne serait pas purement positive, mais accorderait une place au négatif et au tragique, ne pourrait-on pas réconcilier lucidité et plaisir de vivre ? > Une sagesse tragique irrigue l’ensemble de l’œuvre du philosophe André Comte-Sponville, qui, dans un entretien exceptionnel, nous livre une leçon de vie toute personnelle. > La construction du métavers voulue par Mark Zuckerberg nous incite aussi à nous interroger sur le statut des écrans : se jeter dans les promesses de la réalité virtuelle, est-ce renoncer à vivre une vie réelle ? > Les militants Romain Boucher et Hugo Mosneron Dupin, l’épidémiologiste Alice Desbiolles, le philosophe Miguel Benasayag nous expliquent comment éviter que la conscience écologique nous plonge dans l’anxiété ou la paralysie, afin que la nouvelle génération puisse l’intégrer à son existence. > Une romancière, Chloé Delaume, et une psychanalyste et philosophe, Clotilde Leguil, partent du traumatisme, de l’irruption de la violence et du deuil dans nos vies, pour s’interroger sur la manière dont nous pouvons, malgré les épreuves, nous réapproprier notre histoire et suivre notre désir.
En kiosque : “Peut-on être lucide et heureux ?”
Entretien 18 min
André Comte-Sponville : “Il est trop facile de n’aimer que les vérités agréables et rassurantes”
Alexandre Lacroix 07 juillet 2022
André Comte-Sponville n’a eu de cesse de questionner les rapports entre le bonheur et l’absence d’illusions. Une réflexion liée à son histoire intime. À l’heure où les crises se succèdent à vitesse accélérée, le philosophe émet une théorie aussi stimulante que paradoxale : pour vivre heureux, abandonnons tout espoir !
André Comte-Sponville : “Il est trop facile de n’aimer que les vérités agréables et rassurantes”
Article 6 min
On ira tous au paradis (virtuel) ?
Joséphine Robert 07 juillet 2022
Imaginez que vous meniez une existence quotidienne plutôt terne mais que vous puissiez être heureux à tout moment en ligne : en surfant sur un réseau social, en jouant aux jeux vidéo ou en emmenant votre avatar à la découverte des métavers. Une vie augmentée ou amoindrie ?
On ira tous au paradis (virtuel) ?
Article 11 min
Par ici la sortie de crises
Cédric Enjalbert 07 juillet 2022
Alors que les catastrophes sanitaires, écologiques et économiques se multiplient, est-il encore possible d’envisager l’avenir sans sombrer dans l’angoisse, le cynisme ou l’atonie ? Les médecins, activistes et philosophes que nous avons interrogés répondent.
Par ici la sortie de crises
Dialogue 13 min
Chloé Delaume-Clotilde Leguil : désillusionnistes
Cédric Enjalbert 07 juillet 2022
Toutes deux ont fait de la lucidité une curieuse discipline. L’écrivaine Chloé Delaume reprend et métamorphose son histoire tragique de livre en livre, pour mieux la cerner et rendre la réalité acceptable ; la philosophe et psychanalyste Clotilde Leguil insiste, elle, sur la nécessité de ménager une place à nos parts d’ombre. Ensemble, elles font de la fiction personnelle le contraire d’une illusion.
Chloé Delaume-Clotilde Leguil : désillusionnistes
L’ENTRETIEN
Entretien 18 min
Étienne Klein : “La mort est une pensée dopante”
Alexandre Lacroix 07 juillet 2022
Ses livres, conférences, vidéos et émissions de radio font d’Étienne Klein l’un des plus grands passeurs actuels des mystères de la physique. Cet hyperactif et grand sportif a pris le temps de revenir sur son parcours philosophique atypique et de nous éclairer sur la nature de la matière et du temps.
Étienne Klein : “La mort est une pensée dopante”
L’AVENTURE D’UN CLASSIQUE
4 articles
“Condition de l’homme moderne”, de Hannah Arendt : le travail à l’œuvre
Publié le 07 juillet 2022
Critique de la modernité, insistance sur la fragilité de notre environnement, délitement du collectif sont autant de domaines analysés par Hannah Arendt dans ce livre aussi pionnier que précurseur. Aussi insiste-t-elle sur l’impératif d’agir afin de restaurer le lien avec la nature, les êtres humains et le politique. Une boussole pour notre temps.
“Condition de l’homme moderne”, de Hannah Arendt : bienvenue dans la vie active
Article 10 min
“Condition de l’homme moderne”, de Hannah Arendt : bienvenue dans la vie active
Victorine de Oliveira 07 juillet 2022
Critique de la modernité, insistance sur la fragilité de notre environnement, délitement du collectif sont autant de domaines analysés par Hannah Arendt. Aussi insiste-t-elle sur l’impératif d’agir afin de restaurer le lien avec la nature, les êtres humains et le politique. Une boussole pour notre temps.
“Condition de l’homme moderne”, de Hannah Arendt : bienvenue dans la vie active
Article 3 min
Hannah Arendt : le temps des récits
Victorine de Oliveira 07 juillet 2022
La Condition de l’homme moderne se présente comme un récit historique qui, de l’Antiquité à la Modernité, analyse les transformations du monde des humains. Pour Arendt, certaines des étapes les plus marquantes de ce développement consistent non pas en des découvertes scientifiques mais en des renversements philosophiques et des mutations sociales.
Article 2 min
Anders-Arendt : scène de la vie conjugale
07 juillet 2022
Günther Anders le reconnaît, il n’est pas très loyal dans cette Bataille des cerises conçu comme un dialogue fictif avec Hannah Arendt, à laquelle il a été marié de 1929 à 1937. Il se donne le beau rôle, puisque ses Dialogues avec Hannah Arendt ont été rédigés après 1975, année de la mort d’Arendt. Mais Anders l’assure : il s’est servi de notes prises lors de leurs conversations dans les années 1930. Ce passage témoigne à la fois de la façon dont les deux philosophes débattaient de leurs idées et d’un pressentiment : le glissement de l’œuvre (ici le travail intellectuel) sous le régime aliénant du travail.
Article 5 min
Aurore Mréjen : “Arendt permet de mieux comprendre comment le travail a pris le pas sur les autres activités”
Victorine de Oliveira 07 juillet 2022
Pour Aurore Mréjen, spécialiste de l’œuvre de Hannah Arendt, l’autrice de Condition de l’homme moderne permet de réfléchir aux implications d’une société de travailleurs sans travail, ce qui pose non seulement le problème du chômage de masse mais aussi celui de la perte de sens des autres activités humaines. Une œuvre pionnière et fondatrice !
Aurore Mréjen : “Arendt permet de mieux comprendre comment le travail a pris le pas sur les autres activités”
BOÎTE À OUTILS
Article 3 min
Pourquoi regarde-t–on des vidéos de chats ?
Caroline Pernes 07 juillet 2022
Est-ce leurs facéties impayables ou leurs expressions craquantes qui font de nos amis félins les vrais stars d’Internet ? Quatre philosophes font leurs griffes sur le phénomène lolcat.
Pourquoi regarde-t–on des vidéos de chats ?
Article 1 min
Wanderlust
Octave Larmagnac-Matheron 07 juillet 2022
Langue d’origine : allemand
Article 2 min
“Mensonge”
Joséphine Robert 07 juillet 2022
Non, ces philosophes n’ont pas le nez qui s’allonge…
LIVRES
Livre
Annie Ernaux
Le Jeune Homme
Publié le 05 juillet 2022
C’est un peu court, Le Jeune Homme : le récit qu’a fait paraître Annie Ernaux ce printemps ne compte qu’un peu plus de quarante de pages. Et pourtant, ce texte qui raconte une histoire d’amour entre la romancière, alors âgée de 55 ans, et un jeune homme de trente ans son cadet, au milieu des années 1990, est un joyau. Sans en faire une revendication militante, Annie Ernaux laisse entrevoir qu’elle a subverti et inversé les normes de la domination masculine. Elle ne se contente pas d’être plus âgée que son amant, elle exerce aussi sur lui une domination économique (pendant un moment, elle l’entretient), sociale (il vient d’un milieu modeste, elle est transfuge de classe mais embourgeoisée), culturelle (il semble presque ignorant et sans conversation face à elle). Le résultat ? Ce couple s’attire des regards réprobateurs dans les cafés, les restaurants. « Un dimanche, à Fécamp, sur la jetée près de la mer, nous marchions en nous tenant par la main. D’un bout à l’autre nous avons été suivis par tous les yeux des gens assis sur la bordure de béton longeant la plage. A. m’a fait remarquer que nous étions plus inacceptables qu’un couple homosexuel. » Mais ce renversement du schéma classique du quinquagénaire se promenant avec une jolie jeune fille, si communément accepté, n’est pas le seul enjeu. En effet, Annie Ernaux se livre à une méditation poignante sur le passage du temps et le vieillissement. Elle réfute l’idée reçue selon laquelle une personne de 50 ans tomberait amoureuse d’une personne de 20 ans dans le but de se mentir à elle-même sur son âge ou de vivre une seconde jeunesse par procuration. C’est plus subtil : elle dit de son amant qu’il ne l’entretient nullement dans une illusion de jeunesse mais qu’il a cependant transformé sa vie « en un étrange et continuel palimpseste ». Chaque étreinte, chaque déclaration d’amour, chaque péripétie de leur vie de couple arrivent ainsi non pas comme une nouveauté pour elle mais en surimpression du passé. « Chez moi, il endossait le peignoir à capuche qui avait enveloppé d’autres hommes. Lorsqu’il le portait, je ne revoyais jamais l’un ou l’autre d’entre eux. Devant le tissu-éponge gris clair j’éprouvais seulement la douceur de ma propre durée et de l’identité de mon désir. » Il y a là une sorte de duplicité : Annie et son amant ne vivent pas le présent avec la même profondeur de temps, et, pour elle, la beauté de la relation tient à ce que chaque circonstance du présent semble être une victoire sur la fuite du passé, sans rien projeter. Si Le Jeune Homme semble avoir été tiré des archives secrètes de l’autrice et mis en forme récemment, puisqu’il est daté à la dernière page « 1998-2000 / 2022 », c’est aussi le cas de nombreux extraits de journaux intimes et de correspondances rassemblés dans le Cahier de L’Herne qui lui est consacré, dont cette missive inattendue d’un certain Pierre Desproges : « Vous m’avez bouleversé une première fois quand j’ai lu La Place… Depuis, j’attends chacun de vos livres… Toujours cette unique virulence de votre pudeur… S’il vous plaît, continuez d’exister et d’écrire des livres. »
Le Jeune Homme
Livre
Laurence Devillairs
Petite Philosophie de la mer
Publié le 05 juillet 2022
« Le vent du large nous appelle. Il s’en vient libérer nos vies empêchées. » Sur le sable, face à la mer, naviguant sur elle, c’est notre vie que l’on contemple, suggère Laurence Devillairs dans un petit traité de sagesse pratique. « La mer n’est pas un paysage. C’est une apparition. On n’en fait pas le tour, on peut difficilement en décrire l’aspect et les contours. Elle ne s’explore pas vraiment, elle s’impose, insondable, impénétrable », estime la philosophe. Ce que nous avons à apprendre de la mer, ce sont moins ses secrets à elle que ses dépôts sur nos corps et nos âmes, le pouvoir qu’elle a de nous révéler nos propres secrets. Apprenons à nous mettre à l’écoute de la vérité qu’elle nous délivre, à travers ses mythes, ses personnages, ses phénomènes physiques. Laurence Devillairs propose ainsi quelques principes éthiques comme conditions d’une vie bonne sous l’effet des embruns. Son livre prend l’allure d’une odyssée existentielle, d’un petit traité des grandes vertus, invitant à cultiver en nous tout ce qui peut rendre plus vivant : apprivoiser l’inconnu, cultiver sa singularité, accueillir ce qui vient, s’abriter des vents, redonner du goût aux choses, reconnaître le vrai, oser dire ce que l’on ressent, se construire des repères, survivre aux blessures du cœur, savoir prendre le large, devenir le héros de son existence… Ce que cette petite philosophie invente au fond, c’est une langue, celle des flots marins, dont les sons et les mots traversent notre chair et notre âme. Comme si tout venait d’elle, la mer.
Petite Philosophie de la mer
Livre
Jean-Michel Espitallier
Tueurs
Publié le 05 juillet 2022
« K. devait abattre un petit garçon d’une douzaine d’années. On nous avait expressément recommandé de tenir le canon à vingt centimètres de la tête. » La centaine de courts textes qui composent Tueurs est tirée de films de faits réels circulant sur Internet ou de témoignages de bourreaux. Viols, tortures, supplices, massacres impeccablement organisés… Ici, les descriptions sont froides et minutieuses. Les tueurs sont souvent jeunes. Ils obéissent aux ordres, assouvissent leurs pulsions, s’habituent à leur tâche et se justifient facilement. À cette violence répétitive s’ajoutent l’imbrication temporelle – depuis la Seconde Guerre mondiale jusqu’à la Syrie, en passant par les guerres coloniales, le génocide cambodgien et celui du Rwanda – et une absence délibérée de mise en contexte. Ici, la comptabilité froide des exécutions nazies se mêle au raffinement atroce des geôles khmères et au flux sanglant de la répression ordinaire. Très vite, le lecteur se retrouve en état d’apnée. L’écriture minimale et précise le sort de la routine anesthésiante des images. Il est ainsi conduit à un angoissant constat de banalité. Récurrente au fil des XXe et XXIe siècles, la cruauté apparaît comme le bruit de fond de notre monde, un bruit qu’il suffit d’amplifier légèrement pour que nous ne percevions que lui. Ainsi, Tueurs est traversé par des questions sans réponses : où se trouve la frontière entre nos vies ordinaires et ce bain de sang ? La cruauté n’est-elle pas inhérente à notre condition ? « À en juger par nos désirs et nos souhaits inconscients, nous ne sommes nous-mêmes qu’une bande d’assassins », écrivait Sigmund Freud dans Considérations actuelles sur la guerre et la mort. Cité en épilogue du livre, le survivant des camps de la mort Robert Antelme lui renvoie comme en écho : « On peut brûler des enfants sans que la nuit remue. »
Tueurs
Livre
Miguel Bonnefoy
L’Inventeur
Publié le 07 juillet 2022
Ça a débuté comme ça. Longtemps, je me suis couché de bonne heure. Je hais les voyages et les explorateurs. La première fois qu’Aurélien vit Bérénice, il la trouva franchement laide. Comment s’étaient-ils rencontrés ? Par hasard, comme tout le monde… Le lecteur aura reconnu, pêle-mêle, quelques-unes des plus célèbres premières phrases de la littérature française. Savoir commencer un roman est un art, et Miguel Bonnefoy est passé maître en la matière. Les deux premières pages de L’Inventeur sont sublimes – c’est peut-être même le plus beau début de roman qu’on a pu lire depuis Le Parfum de Süskind, c’est dire. Bonnefoy nous cueille, dès l’incipit, comme on cueille une pâquerette au début du printemps, avant d’en ôter un par un les pétales pour savoir si l’on aime et comment, un peu, beaucoup, passionnément… Voyons donc ce qu’il en est de ce roman, portrait d’un « des grands oubliés de la science », celui d’Augustin Mouchot, « un homme de l’ombre tourné vers le soleil au milieu d’un siècle lumineux tourné vers le charbon ». Ce siècle est le XIXe, et un fils de serrurier, professeur de mathématiques, s’acharne « à conquérir le royaume qu’aucun homme n’a jamais pu occuper : le soleil ». Mouchot a une idée fixe : trouver une source d’énergie alternative au charbon dont les ressources s’épuisent. Ses premières machines sont des échecs, et face aux échecs répétés une question se pose : est-ce que le succès, comme dira Churchill qui n’est pas encore de ce monde, ça n’est pas d’aller d’échec en échec sans perdre son enthousiasme ? Celui de Mouchot-l’opiniâtre jamais ne s’émousse – et paye enfin : à l’Exposition universelle de Paris en 1878, il parvient à fabriquer un bloc de glace par la seule force du soleil. On lui décerne une médaille d’or, il reçoit la Légion d’honneur et des crédits, mais la suite, on s’en doute, ne sera pas si heureuse. Peu de remous dans la vie de Mouchot – pas de quoi en faire un roman ? Si, car il y a l’écriture de Bonnefoy, il y a son sens du détail qui toujours fait image, son art de la prolepse, ses phrases ciselées qui font de la vie d’un scientifique oublié une véritable épopée. Quelque part, Miguel Bonnefoy écrit à propos de l’invention de Mouchot qu’elle « manquait d’un livre pour la soutenir » ; son inventeur aussi. Voilà qui est fait, et bien fait : Mouchot grâce à lui va revenir en pleine lumière – ça n’est que justice pour un homme ayant consacré sa vie au soleil.
L’Inventeur
Livre
Karim Basbous
Architecture & Dignité
Publié le 05 juillet 2022
Pourquoi ressentons-nous une émotion jamais éteinte devant le temple grec ? Qu’est-ce qui s’est mis en place dans cette alliance d’un espace religieux abritant la statue d’un dieu et d’un espace géométrique finement proportionné pour que nous fassions encore l’expérience de l’ouverture et du déploiement de l’espace lui-même ? Il s’est mis en place, répond l’architecte et philosophe Karim Basbous, plus qu’une œuvre particulière fondant une tradition, une véritable institution qui a donné à l’architecture son sens et son fondement. Partant de cette institution, on peut parcourir toute l’histoire de cet art, en suivant le sillon qu’elle a creusé, en Grèce d’abord, puis dans tout l’Occident, des palais et maisons romaines ou des basiliques chrétiennes aux réalisations des architectes les plus contemporains. Une forme nouvelle a surgi dans la manière dont les hommes habitent l’espace, qui transcende la fonction utilitaire et protectrice des bâtiments et revêt une portée éthique et politique. D’où l’idée originale que l’architecture a un lien avec la dignité au sens que lui donnait Cicéron. À la différence des bâtiments égyptiens, refermés sur le secret de leur propre sacralité, le temple se tourne vers l’espace des hommes et expose au regard, telle une figure humaine, une proposition pour organiser leur circulation et unifier la communauté. De ce point de vue, l’architecture a une fonction symbolique : « Le bâtiment n’est pas tant ce qui nous protège, que ce que l’on protège […], le temple protège ceux qui sont rassemblés pour le protéger. Les hommes et la pierre s’entretiennent. » L’hypothèse stimulante de Basbous est que le geste architectural initial, dont le temple grec était porteur, a suivi une série de « transferts de dignité », comme lorsque les Modernes inventent avec Michel-Ange la « maison du projet » dans laquelle l’architecte est appelé à « jouer » avec les volumes pour donner une forme originale à l’espace. C’est en revenant à l’idée de sa propre dignité que l’architecture contemporaine pourra « revenir dans le concert des grandes puissances instituantes ». On aimerait partager son espoir.
Architecture & Dignité
Livre
Baptiste Lanaspeze
Nature
Publié le 05 juillet 2022
Il est toujours intéressant de suivre Baptiste Lanaspeze. En 2008, il a créé les éditions Wildproject, qui ont publié le premier livre de Baptiste Morizot et traduit des classiques de la pensée écologique comme J. Baird Callicott ou Rachel Carson. En 2012, il a publié Marseille. Ville sauvage (Actes Sud), traité d’écologie urbaine, et l’année suivante participé à la conception du GR2013, dont le succès a donné une vigueur au mouvement des sentiers de randonnée périurbains (lire Philosophie magazine n° 141, pp. 50-55 et sur Philomag.com). Il revient aujourd’hui avec un court texte, d’une écriture accessible mais très informée, pour porter un message en légère dissidence avec le credo écologique dominant. C’est que la notion de « nature » a mauvaise presse. On l’accuse d’avoir servi le projet de maîtrise et d’exploitation de la Terre issu de la Modernité occidentale. Mais Baptiste Lanaspeze ne s’en laisse pas conter. Il remonte à la racine latine natura, traduisant le grec physis, pour expliquer que la nature est d’abord « ce qui naît, ce qui pousse, ce qui engendre ». Il enrichit cette idée en se référant au philosophe japonais Kinji Imanishi, qui ne parle pas de nature mais de shizen, littéralement « ce qui est par soi-même ». Et montre que les Occidentaux ont eu tort de concevoir le cosmos comme un assemblage d’objets morts et manipulables. Bien sûr, dans cette perspective qui tend à superposer la nature au vivant, on peut se demander quel serait le statut des cailloux, de la neige ou du ciel étoilé. Nature encore ? Il n’empêche, cet ouvrage prend la défense d’un mot avec une rare finesse et une touche bienvenue d’autobiographie.
Nature
Livre
Francis Métivier
Pascal à la plage
Publié le 05 juillet 2022
Lire Pascal à la plage, c’est possible et nécessaire, nous suggère Francis Métivier dans une exploration enjouée et didactique de l’œuvre pascalienne. « On n’aime jamais que des qualités », « vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà », « le cœur a ses raisons que la raison ignore » : si ces citations de Blaise Pascal sont célèbres, que sait-on de l’unité de son œuvre, de la cohérence de son questionnement sur l’existence ? Au fil de sept chapitres thématiques, dans un style accessible et non dénué d’humour, Métivier synthétise l’œuvre pascalienne, prenant la sincérité comme vrai fil conducteur. « Pascal fait de la sincérité à la fois le fond et la forme de sa pensée », explique l’auteur. Sincérité face à notre condition humaine mais aussi sincérité dans nos actes, notre rapport à autrui ou encore notre éloquence : « Les belles actions cachées sont les plus estimables », écrit Pascal, remettant à leur place nos ego et nos vanités. « Et quand nous possédons une qualité authentique – la tranquillité, la générosité ou la fidélité –, nous la corrompons en criant sur les toits que nous sommes paisibles, généreux ou fidèles », insiste Métivier, en écho aux adeptes de la mise en avant (et en scène) de soi. Risque de la vacuité de nos désirs, appel à l’humilité, à la charité, à l’esprit de finesse : (re)lire et comprendre Pascal s’avère précieux en 2022. S’il est toujours délicat de vulgariser la philosophie, ici, le pari est gagné, pourrait-on se risquer à dire.
Pascal à la plage
Livre
François Truffaut
Correspondances avec des écrivains
Publié le 05 juillet 2022
La passion de François Truffaut pour le cinéma est indissociable de son amour de la littérature : on s’en convainc à la lecture de ce recueil qui compile sa correspondance avec des écrivains et des critiques. L’on y découvre que le Truffaut épistolier n’est pas différent du cinéaste vif et sensible que l’on aime, avec le culot de celui qui écrit à Cocteau pour l’inviter à inaugurer son ciné-club, alors qu’il n’est âgé que de 16 ans ! Parmi toutes les lettres réunies, certaines sont purement professionnelles, comme celles où il règle avec Jean Hugo les détails concernant L’Histoire d’Adèle H. D’autres sont frustrantes, parce qu’elles restent sans réponse, comme celles adressées à Jean-Paul Sartre ou à Milan Kundera. Aussi les plus belles correspondances sont-elles celles qui s’étendent sur plusieurs années avec des personnalités aussi diverses que Jean Genet, Louise de Vilmorin, Ray Bradbury ou Jacques Audiberti, pour lesquels il a une amitié aussi fidèle que délicate. Mais le succès venant, les écrivains ont été de plus en plus nombreux à le solliciter pour une adaptation de leur œuvre ; Truffaut les éconduit parfois gentiment mais propose aussi aux jeunes auteurs d’apporter ses propres corrections à leur manuscrit. On en vient à se demander si le cinéaste ne nourrissait pas lui-même un secret désir d’écrire, comme le confirme cette réponse qu’il apporte au critique Jean-Louis Bory qui lui reproche d’avoir perdu le souffle de la Nouvelle Vague : il reconnaît avoir eu « peur de la page blanche et qu’à cause de cela, [il a] tourné trop d’adaptations de romans », tout en prétendant s’être mieux fait comprendre avec des scénarios originaux. En plus d’avoir tourné ses meilleurs films, Truffaut les a surtout écrits.
Correspondances avec des écrivains
Livre
Etel Adnan et Laure Adler
La Beauté de la lumière
Publié le 05 juillet 2022
Ni abstraite ni figurative, simple et riche à la fois, aussi énergique qu’apaisante avec ses petits formats aux couleurs acidulées ou pastel qui prennent volontiers des formes de rond et de montagne, la peinture d’Etel Adnan répugne aux catégorisations. Mais c’est surtout la singularité d’une personnalité que cerne la journaliste et écrivaine Laure Adler avec ces entretiens réalisés quelques mois avant la mort de l’artiste survenue l’an dernier. Le destin d’une femme dans le siècle : née au Liban d’un père syrien musulman et d’une mère grecque orthodoxe, elle fit ses études en France avant d’enseigner la philosophie de l’art aux États-Unis et de se mettre elle-même à peindre sur la suggestion d’une collègue qui la persuada qu’elle ne pouvait pas bien enseigner ce qu’elle ne pratiquait pas elle-même. Affrontant ses propres inhibitions et les préjugés misogynes, elle obtint très tardivement la reconnaissance grâce à la Documenta de Kassel, la grande exposition d’art contemporain. Une révélation pour celle qui mit son art tout entier au service de la célébration de la lumière du monde. Une peintre lumineuse donc, mais « pas que », comme le souligne Laure Adler : car Etel Adnan est également une artiste multiple – dessinatrice, calligraphe, écrivaine et poétesse –, qui n’aimait rien tant que se situer au carrefour de plusieurs univers et qui disait que « chaque tableau, comme chaque poème, comme tout ce qu’on fait, est un recommencement. D’ailleurs, c’est cette curiosité qui nous entraîne, qui nous donne l’énergie de continuer »
La Beauté de la lumière
Livre
Santiago Espinosa
Schopenhauer et la musique
Publié le 05 juillet 2022
On reconnaît en Schopenhauer la figure du pessimisme philosophique. Moins connu est le mélomane passionné qui fit de la musique, plus encore qu’un art, la « quintessence de la réalité » et à ce titre une source de pure jouissance. Pour autant, « comment se fait-il que la musique puisse être à la fois la volonté, étoffe de cette “vallée de larmes” où nous tenons notre lieu, et la plus délectable des choses ? » C’est à partir de ce « paradoxe de la joie » suscitée par la musique que Santiago Espinosa déploie une réflexion qui vise à réhabiliter la théorie musicale de Schopenhauer. Celle-ci est souvent reçue comme une parenthèse fantaisiste au sein de son système métaphysique, ou bien comme une « fiction mystique », trace de l’influence qu’exerça sur lui la pensée bouddhiste. La musique aurait pour fonction d’atteindre le nirvana par l’anéantissement des volontés particulières et leur réconciliation au sein de la Volonté universelle. Toutefois, ce serait encore faire de la musique un outil à finalité spirituelle. Or, si la musique est source de jouissance, c’est qu’elle vaut par elle-même, en ce qu’elle rend perceptible une vérité qui n’est pas visible mais audible. Quand l’art donne à voir ce qui devrait être, restant encore enraciné dans le domaine de la représentation, elle donne à entendre le murmure dissonant du monde. Si alors, « le domaine originel est celui du son », elle a bien quelque chose à enseigner à la philosophie : « Être davantage écoute que parole. » Une écoute qui n’est plus ce qui fut longtemps interprété comme un renoncement ascétique mais bien une « approbation de la réalité ».
Schopenhauer et la musique
Livre
Jacques Rancière
Penser l’émancipation. Dialogue avec Aliocha Wald Lasowski
Publié le 05 juillet 2022
Comment faire le tour d’une pensée aussi asystématique, complexe et foisonnante que celle de Jacques Rancière ? Par un dialogue vivant avec l’auteur et une absence d’exhaustivité assumée, le long de quelques lignes de force par lesquelles le journaliste et philosophe Aliocha Wald Lasowski laisse entrevoir l’agilité serpentine d’un esprit ayant toujours ambitionné de « penser l’émancipation ». Interrogeant la réinvention du politique, la création en art, la pratique littéraire, l’héritage de la philosophie marxiste et la révolution populaire du cinéma, Rancière est sans doute l’anti-intellectuel par excellence, si l’on entend par intellectuel celui qui « sait » et prétend s’arroger un certain monopole du sens. Au contraire, le philosophe se met à l’école des écritures ouvrières mais aussi de la littérature, des arts et du cinéma, en vue de décrire un déjà-là de la révolution, « tissu sensible de la vie nouvelle ». À l’aune de ce refus de l’avant-gardisme, le chapitre le plus intéressant est celui qui évoque les années 1960 passées dans l’orbite de Louis Althusser, auquel Rancière sut gré d’avoir arraché la lecture de Marx aux interprétations figées des séides du Parti, en les inscrivant dans la perspective du structuralisme. Althusser n’en souscrivait pas moins à « une certaine vision de l’inégalité des intelligences », un aveuglement où baignait aussi Rancière jusqu’à ce que les événements de Mai-68 ne le forcent à comprendre que l’émancipation comme fin implique de la penser également « dans les moyens ».
Penser l’émancipation. Dialogue avec Aliocha Wald Lasowski
Livre
Tanguy Descamps, Maxime Ollivier et Romane Rostoll (illustrations)
Basculons ! Dans un monde vi(v)able
Publié le 05 juillet 2022
Bifurquer en mesurant l’ampleur des défis écologiques, sociaux et démocratiques actuels, sans verser dans un discours pétri de bonnes intentions : voici le pari d’une partie de la jeunesse, dont témoigne ce « cahier militant ». Plutôt que d’insister sur les rapports alarmants du Giec, ce travail collectif se nourrit de témoignages d’une trentaine de jeunes âgés de 18 à 33 ans. Ils incarnent ce que l’on appelle désormais la « génération Climat » et attestent d’un sentiment d’inquiétude mais aussi d’actions transformatrices. « Nous ne pouvons rester des contestataires stériles. Si nous bifurquons, c’est pour tracer de nouveaux chemins et construire d’autres ports d’attache. Nous devenons révoltés : nos non sont des oui. » Le ton est volontairement enthousiasmant et pédagogique, le but étant de montrer que la crise climatique offre à la jeunesse autant de chemins possibles que d’incertitudes. Donner à voir pour donner envie. Ne serait-ce pas là un excès de la « positive attitude » face à la catastrophe à venir ? Non, car tous assument la difficulté de commencer ce mouvement de bascule et décrivent des chemins certes difficiles. « Imaginez le désordre dans mon cerveau. À ce moment-là, j’étais en dissonance cognitive avec moi-même, parce que ces changements étaient énormes. J’ai dû apprendre à me défaire de ma socialisation politique primaire, à requestionner tous mes repères idéologiques », observe l’un d’eux. Car cette jeunesse est celle des classes moyennes et supérieures, éduquée, à qui il incombe de ne pas suivre des voies toutes tracées, potentiellement dévastatrices. Or les bifurcations pourraient engendrer des crises de vocation, comme l’illustraient récemment les discours des diplômés d’AgroParisTech. « Je suis aujourd’hui de ceux et celles à qui on promet un avenir radieux. Je viens d’être diplômé ingénieur, et cet avenir, je le cherche », affirme un autre. Face à l’absurdité de promesses d’avenir en contradiction avec les limites du « système Terre », ces jeunes proposent ainsi une foule de nouvelles pistes : ils parlent de leurs nouvelles vies de paysan, de militant associatif, d’ingénieur engagé… De quoi peut-être vous faire vous aussi basculer cet été ?
Basculons ! Dans un monde vi(v)able
Livre
Louis-Ferdinand Céline
Guerre
Publié le 05 juillet 2022
« Tous les hommes de la terre n’ont qu’à aller à la mairie dire : “Moi, vous savez, je ne vais pas à la guerre.” Eh bien, il n’y aura pas de guerre. Si donc ils la conservent, c’est parce qu’ils aiment ça, ce désir général, ce désir de destruction » : ces mots de Céline trouvent un écho particulier depuis la publication de Guerre, l’un de ses romans redécouverts l’été dernier. Car l’auteur, en lecteur de Freud, y écrit de l’intérieur le déchaînement de la pulsion de mort et l’expérience du feu par le brigadier Ferdinand. Non la guerre elle-même en fait, mais la cicatrice qu’elle laisse dans la conscience. L’atrocité ne passe pas. Le déferlement de sang, de douleur et de bruit hante un Ferdinand, le « crâne en friche », la « tête en usine ». La guerre est une folie qui pousse les hommes aux limites de l’hallucination. « Je comprenais bien au fond le délire des choses », le vomissement insensé de la barbarie. Par le sexe, Ferdinand renouera avec la pulsion de vie la plus crue. Mais il ne guérira pas. Il faudrait cesser de vouloir, disait Schopenhauer, que connaissait Céline. Mais les pires épreuves ne suffisent pas à tuer le vouloir-vivre : « C’est encore plus atroce la vie quand on ne bande plus. » Retrouvez le dossier de Philomag.com sur les sources philosophiques de Céline
Guerre
Livre
Javier Cercas
Indépendance
Publié le 05 juillet 2022
Les romans de Javier Cercas ont ceci d’excitant qu’ils déjouent toujours vos attentes. Vous pensiez lire un polar : plutôt une chronique politique acerbe de la Catalogne. Vous vous remuez les méninges pour démêler l’intrigue, mais, aux trois quarts du roman, vous voici pantois avec la solution bien en évidence et le pressentiment que quelque chose vous a néanmoins échappé. En 2017, la Catalogne entame le Procés, soit une tentative de proclamer son indépendance qui se solde par la fuite rocambolesque du leader du mouvement séparatiste. Javier Cercas plante son intrigue en 2025, dans une Barcelone dirigée par une maire conservatrice. Victime d’un chantage à la sextape, elle fait appel à la police. Après avoir résolu un triple meurtre particulièrement brutal dans Terra Alta (Actes Sud, 2021), l’inspecteur Melchor Marín, nourri de sa lecture obsessionnelle des Misérables de Victor Hugo, plonge dans le panier de crabes de la mairie de Barcelone. Ce qu’il y remue est à mille lieues du programme d’austérité et de rigueur morale soutenu par la maire : des golden boys qui tuent leur ennui en droguant des filles dans les bars puis en les violant, un adjoint qui crée sa propre milice… Cercas y va fort, mais ce n’est pas tant la dénonciation politique qui marque. Si Melchor est plutôt du genre taiseux, les autres personnages aiment causer. Ces échanges, voire ces monologues, sont aussi une façon de rendre justice à des voix brisées, comme celle du coupable, tout autant bourreau que victime. Ils permettent même de ne pas totalement désespérer.
Indépendance
Livre
George Orwell
Le Quai de Wigan
Publié le 05 juillet 2022
Ne cherchez pas le quai de Wigan sur une carte : c’est un lieu imaginaire. Ce qui est réel en revanche, c’est le quotidien des ouvriers du nord de l’Angleterre dans les années 1930, dont George Orwell décrit la misère matérielle, les conditions d’hygiène épouvantables et le travail épuisant. Comme un journaliste en immersion, l’écrivain a personnellement partagé leur vie en allant jusqu’à ramper aux côtés des mineurs dans les entrailles de la terre. Cette expérience a changé la vision du monde et les idées politiques de celui qui n’était alors qu’un gentleman plutôt bourgeois et bien éduqué. « À dix-sept ou dix-huit ans, j’étais tout à la fois un snob pédant et un révolutionnaire », confie-t-il, lucide, avant d’ajouter, « je me considérais plus ou moins comme un socialiste [mais] je n’avais pas une idée très précise de ce que pouvait être le socialisme, et j’étais loin d’imaginer que les ouvriers étaient des êtres humains ». Aussi la seconde partie du livre s’attache-t-elle à repenser un socialisme concret, c’est-à-dire jusque dans ses conséquences les plus paradoxales. Abolir « cette fichue différence de classe » ? « Rien de plus facile » que de le vouloir en théorie, explique-t-il, c’est-à-dire aussi longtemps qu’on ne mesure pas tout ce que cela implique comme renonciation à ses propres préjugés mais également à ses propres valeurs… et donc finalement à soi-même ! Nouv. trad. de l’anglais C. Meyer et I. D. Taudière / Préface J.-L. Cassely
Le Quai de Wigan
Livre
Octave Mannoni
Psychologie de la colonisation
Publié le 05 juillet 2022
Mal reçu lors de sa parution en 1950, l’essai du psy-chanalyste Octave Mannoni, Psychologie de la colonisation, fait aujour-d’hui l’objet d’une réhabilitation, au point d’être devenu un livre clé de la pensée postcoloniale. Ce retournement tient au travail mené par une nouvelle génération de psychanalystes, qui, à l’image du Collectif de Pantin animé par Sophie Mendelsohn et Livio Boni, travaillent sur l’implication de la théorie freudienne dans la critique de la condition coloniale. Mannoni proposait dès l’après-guerre une description de l’économie libidinale inconsciente propre au monde colonial, construite sur un mécanisme de dépendance imaginaire unissant le colonisé et le colon. En suggérant que la relation coloniale ne saurait disparaître d’un coup, même après l’émancipation des peuples colonisés, et qu’une décolonisation accomplie ne pouvait être qu’une « décolonisation de soi-même », Mannoni « ne pouvait que dérouter les militants du front anticolonial », souligne Livio Boni dans la préface de ce livre « intempestif ». Pourtant, les concepts du psychisme – déni, refoulement, identification… – ont eu des effets opératoires et ont saisi la persistance de la domination coloniale, même après l’achèvement du cycle des décolonisations. Comme Jacques Lacan, qui eut Mannoni comme patient, le disait en 1970, « le racisme a bien de l’avenir ». En plus de réhabiliter la figure visionnaire de ce praticien dans l’histoire de la psychanalyse, la redécouverte de ce texte important permet de mieux comprendre pourquoi il faut prendre au sérieux l’enjeu du « racial » et des traces effectives de la domination coloniale dans la construction des identités.
Psychologie de la colonisation
CULTURE
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Cédric Enjalbert 07 juillet 2022
Avec Peter von Kant, son nouveau film inspiré par Fassbinder, François Ozon met en scène les paradoxes de l’amour, entre liberté et possession. Un magistral jeu de dupes !
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Cédric Enjalbert 07 juillet 2022
Le théâtre, meilleure cure de Jouvence à la “falsification” et à la marchandisation du monde ? C'est le pari d’Olivier Py, dans Ma jeunesse exaltée, sa nouvelle pièce monumentale et foisonnante présentée au Festival d’Avignon.
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Cédric Enjalbert 07 juillet 2022
Pour le centenaire de l'artiste, la Fondation Louis-Vuitton présente une exposition exceptionnelle consacrée à Simon Hantaï, l'artiste du pli, dont l'œuvre n'a eu de cesse de dialoguer avec les philosophes de son temps, de Gilles Deleuze à Jean-Luc Nancy.
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OH ! LA BELLE VIE !
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Conseil n° 20. Redescendons sur Terre
François Morel 07 juillet 2022
Je me demandais où j’allais partir en vacances. Je n’avais pas beaucoup de temps. J’hésitais. La Côte d’Azur ? Pas question : il fait trop chaud, il y a trop de monde. La Bretagne, c’est joli entre les averses. Et puis, entre nous, les vacances, ça va cinq minutes… Au ..
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JEU
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Philo croisés #82
Gaëtan Goron 07 juillet 2022
Horizontalement I. Hannah Arendt ne l’a pas été toute sa vie. II. Vrai pour Hegel dans la Phénoménologie de l’esprit. 100 % conservateur. III. Prix après impôts. On est vite au bout de ce rouleau. IV. A joué dans Le Grand Bain et Le Sens de la fête. V.&nbs..
Philocroisés #79
QUESTIONNAIRE DE SOCRATE
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Raphaël Pichon. Contre temps
Victorine de Oliveira 07 juillet 2022
Si Raphaël Pichon confie être un « grand impatient », il aime parfois prendre son temps. En témoigne la parution en mars dernier de son enregistrement de la Passion selon Saint Matthieu
(Philomag) |
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