[n° ou bulletin] est un bulletin de / Alexandre Lacroix (2011)Titre : | N°162 - Septembre 2022 - Faut-il suivre son intuition ? | Type de document : | texte imprimé | Année de publication : | 2022 | Importance : | 98 p. | Présentation : | ill. en coul. | Format : | 29 cm | Langues : | Français (fre) | Catégories : | Philosophie
| Tags : | intuition députés (Assemblée nationale) goût de l'action | Index. décimale : | 17 Morale. Éthique. Philosophie pratique | Résumé : | Quand arrive l’heure des choix, en amour ou professionnellement, il existe bien sûr une manière rationnelle de trancher, en pesant le pour et le contre, en menant de longs raisonnements. Et pourtant, n’y a-t-il pas en nous une espèce de fulgurance ou une petite voix qui nous indique d’emblée où aller ? Ces intuitions, devons-nous nous en méfier ou les écouter ? (Philomag) | Note de contenu : | ÉDITO
Article 3 min
Désirs dans la brume
Alexandre Lacroix 25 août 2022
« C’est étonnant comme tu n’as jamais su évaluer les conséquences de tes décisions. C’est même un peu effrayant, à ton âge. C’est sans doute que tu ne te connais pas assez. » Voilà un reproche que ma femme me fait souvent, et je suis entièrement d’accord avec la pre..
VOS QUESTIONS
Article 3 min
“Le philosophe doit-il toujours rester zen ?”
Charles Pépin 25 août 2022
Question de Paul Laroute
“Le philosophe doit-il toujours rester zen ?”
REPÉRAGES
Article 1 min
Télescope spatial James-Webb : une machine à remonter le temp
Octave Larmagnac-Matheron 25 août 2022
Il aura fallu plus de vingt-cinq ans de préparation pour que le télescope spatial James-Webb, le remplaçant de l’iconique Hubble, soit enfin mis en orbite par la Nasa et l’Agence spatiale européenne en décembre 2021. Quelques mois plus tard, le 11 juillet 2022, la première image de quali..
Télescope spatial James-Webb : une machine à remonter le temp
Article 1 min
“Con”
Octave Larmagnac-Matheron 25 août 2022
“On passe notre temps à répondre à des questions con” Élisabeth Borne, le 6 juillet 2022. “Si nous avons un problème avec les cons, c’est […] que nous faisons dans cette rencontre l’expérience de nos propres limites” Maxime Rovere, Que faire des cons ..
Article 1 min
Biocratie
Octave Larmagnac-Matheron 25 août 2022
Trop anthropocentrique, la démocratie ? Les essayistes Aliocha Imhoff et Kantuta Quirós proposent justement, dans Qui parle ? (pour les non-humains) (PUF, 2022), de troquer cette vieille notion de la philosophie politique occidentale pour un autre : la « biocratie », fon..
Biocratie
Article 1 min
8,5 milliards
Octave Larmagnac-Matheron 25 août 2022
C’est le nombre d’individus que devrait compter la population mondiale d’ici à 2030, selon l’ONU. Il faudra attendre la fin du siècle pour que la démographie planétaire se stabilise autour de 10 milliards. Au regard de ces chiffres, le défi écologique légitimerait-il des mesures anti-..
Article 3 min
Avortement : une jeunesse à réaction
Octave Larmagnac-Matheron 25 août 2022
78 % des Français pensent qu’une femme doit pouvoir avorter librement Seuls 66 % des Français de 18 à 24 ans y sont favorables… … Contre 84 % des plus de 65 ans 81 % des Français sont favorables à l’inscription du droit à l’avortement dans..
PERSPECTIVES
Article 3 min
Sobriété : impératif politique ou nouvel idéal ?
Michel Eltchaninoff 25 août 2022
Le 14 juillet, Emmanuel Macron a annoncé la mise en place d’un plan de sobriété énergétique afin de faire face aux risques de pénuries annoncées. Mais que signifie le mot « sobriété » ? Réponses avec Thomas d’Aquin, Platon et Aristote.
Sobriété : impératif politique ou nouvel idéal ?
Article 3 min
Enfants de djihadistes français : retour impossible ?
Nicolas Gastineau 25 août 2022
Des mineurs de familles djihadistes ont récemment été rapatriés sur le sol français. Tout l’enjeu de l’État et des services sociaux sera de les aider à sortir de leur passé tragique. Explications avec le sociologue Farhad Khosrokhavar.
Enfants de djihadistes français : retour impossible ?
Article 3 min
Adrien Louis : “L’Éducation nationale a besoin d’une réforme morale”
Marius Chambrun 25 août 2022
En cette rentrée scolaire, un professeur de philosophie au lycée, Adrien Louis, analyse les contradictions dans lesquelles est pris le métier d’enseignant, tiraillé entre aspirations démocratiques et aristocratiques.
Adrien Louis : “L’Éducation nationale a besoin d’une réforme morale”
Article 2 min
L’asexualité, ou le désir de ne plus en avoir
Nicolas Gastineau 25 août 2022
C’est le mot qui se cache derrière la lettre A, la dernière à avoir rejoint l’acronyme LGBTQIA qui rassemble les différentes minorités sexuelles. L’asexualité, soit l’absence de désir de s’engager dans une relation sexuelle, est donc désormais considérée comme une orientation à part entière. Mais que recouvre-t-elle ?
L’asexualité, ou le désir de ne plus en avoir
AU FIL D’UNE IDÉE
Article 2 min
Faites vos cartons !
Sven Ortoli 25 août 2022
22 % des Français envisagent de déménager au cours de l’année 2022. 59 % d’entre eux déclarent que la hausse du prix du carburant est un facteur incitatif, et 38 % estiment que la crise leur a donné des envies de se mettre au vert. En France, on déménage en..
Faites vos cartons !
ETHNOMYTHOLOGIES
Article 3 min
Bubble Tea : le sacre du sucré
Tobie Nathan 25 août 2022
Avec leurs couleurs vives et leurs billes acidulées, ces boissons d’origine asiatique séduisent la jeunesse. Mais, véritables bombes de sucre, elles les rendent aussi esclaves de l’empire du mielleux.
Bubble Tea : le sacre du sucré
REPORTAGE
Article 17 min
Assemblée nationale : conflits, consensus et grandes manœuvres
Cédric Enjalbert 25 août 2022
La législature qui vient de débuter au palais Bourbon présente une configuration inédite, n’offrant de majorité claire à aucun groupe parlementaire. Les députés, souvent jeunes et novices, devront donc inventer une méthode pour avancer en composant avec leurs désaccords. Y parviendront-ils ?
Assemblée nationale : conflits, consensus et grandes manœuvres
ESSAI
Article 11 min
Comment passer à l’action
Charles Pépin 25 août 2022
Avec le retour au travail, la rentrée est la période des grandes décisions, souvent sources de doutes et d’hésitations. Faut-il vraiment réfléchir avant d’agir ? Pour Charles Pépin, au contraire, une véritable philosophie de l’action consiste moins à vouloir maîtriser tous les paramètres qu’à s’adapter au réel.
Comment passer à l’action
L’ŒIL DE LA SORCIÈRE
Article 3 min
Bombe Culture
Isabelle Sorente 25 août 2022
Pour détruire une ville ou une réputation, les forces armées comme les internautes malveillants usent de la stratégie du bombardement. Une arme de communication massive ?
Bombe Culture
DOSSIER
5 articles
Faut-il suivre son intuition ?
Publié le 25 août 2022
Quand arrive l’heure des choix, en amour ou professionnellement, il existe bien sûr une manière rationnelle de trancher, en pesant le pour et le contre, en menant de longs raisonnements. Et pourtant, n’y a-t-il pas en nous une espèce de fulgurance ou une petite voix qui nous indique d’emblée où aller ? Ces intuitions, devons-nous nous en méfier ou les écouter ? > En philosophie, c’est Henri Bergson qui a le plus valorisé l’intuition par rapport à l’intelligence ou à la croyance. Selon lui, elle permet à notre conscience de se brancher directement sur l’élan de la vie. Serait-ce là un piège ? > Les cinq personnes que nous avons interrogées – un musicien, une commissaire de police, un mathématicien, une chasseuse de têtes et un golfeur – partagent le même avis : l’intuition est fiable, quand elle est le résultat d’un long travail. Leurs expériences sont commentées par le philosophe Camille Riquier, spécialiste de Bergson. > La première impression est-elle la bonne ? Faut-il réfléchir aux détails du quotidien, mais foncer pour les grands choix de vie ? Savons-nous distinguer au premier coup d’œil le juste et l’injuste ? Les classiques, de Rousseau à Ricœur, se sont opposés sur ces questions. > Il existe aujourd’hui des écoles d’intuition, où l’on navigue entre apprentissage de procédures de raisonnement plus rapides, métaphysique et pataphysique. Notre reporter rationaliste Michel Eltchaninoff s’y est rendu et s’est découvert plus intuitif qu’il ne l’imaginait ! > Passionnant, le travail de la spécialiste de sciences cognitives Hélène Lœvenbruck porte sur les « voix intérieures » : nous nous parlons sans cesse à nous-mêmes, et cette espèce de dialogue prolonge en nous la vie sociale et se révèle sans doute un excellent guide pour l’existence mais aussi pour la création.
Faut-il suivre son intuition ?
Article 5 min
Le démon de l’intuition
Cédric Enjalbert 25 août 2022
Elle est autant source d’inspiration que d’erreurs. Elle peut être bonne comme trompeuse. Mais que faire de cette capacité quasi instinctive à décider en se fiant au ressenti, sans passer par les longs méandres du choix calculé et réfléchi ?
Le démon de l’intuition
Article 16 min
L’impro mais pas trop ?
Samuel Lacroix 25 août 2022
Dans l’activité des témoins que nous avons rencontrés, l’intuition est censée jouer un rôle essentiel. Sauf que tous constatent qu’elle ne serait rien sans un long apprentissage. Pire, certains avouent qu’elle serait aujourd’hui disqualifiée par la technique. Des paradoxes analysés par le philosophe Camille Riquier.
L’impro mais pas trop ?
Article 11 min
Questions de flair
Marius Chambrun 25 août 2022
Que faire de nos pressentiments quand il s’agit de s’orienter dans la vie, de prendre des décisions importantes ou de se prononcer sur une personne ? Sur ces questions, les philosophes sont divisés !
Questions de flair
Article 10 min
L’intuition, ça s’apprend ?
Michel Eltchaninoff 25 août 2022
Les écoles d’intuition proposent non seulement de nous en remettre à nos ressentis mais aussi de déployer la capacité de percevoir des objets absents ou des événements qui ne sont pas encore advenus. Un cauchemar pour les tenants de la rationalité ? Afin d’y voir plus clair, nous avons rencontré des formateurs pas comme les autres.
L’intuition, ça s’apprend ?
Article 9 min
À l’écoute de notre voix intérieure
Martin Legros 25 août 2022
Le dialogue que nous menons avec nous-même accompagne nos sensations, nous murmure ce que nous devons dire ou faire, et nous sermonne silencieusement lorsque nous ne sommes pas à la hauteur de la situation… Il n’avait jamais fait l’objet d’un traité de philosophie. La chercheuse Hélène Lœvenbruck s’y est attelée, en s’appuyant sur les neurosciences comme sur la littérature.
À l’écoute de notre voix intérieure
ENTRETIEN
Entretien 18 min
Nastassja Martin : “Je m’intéresse à la possibilité d’une métamorphose”
Alexandre Lacroix 25 août 2022
Cette jeune anthropologue a été révélée par Croire aux fauves, récit de son attaque par un ours qui l’a marquée corps et âme. Dans son nouvel essai À l’est des rêves, cette femme de terrain fait de l’animisme une réponse à la crise écologique. Une critique des certitudes occidentales autant qu’une manière de réenchanter le monde ?
Nastassja Martin : “Je m’intéresse à la possibilité d’une métamorphose”
L’AVENTURE D’UN CLASSIQUE
5 articles
“Entretiens” d’Épictète. Ce qui dépend ou non de nous
Publié le 25 août 2022
Exigeant le stoïcisme ? À lire Épictète et ses Entretiens, on pourrait croire que la sagesse ne concerne que les pierres, insensibles et indifférentes par nature. Ce serait mal comprendre ce philosophe qui, bien conscient de nos faiblesses, ne cherche qu’à nous donner les armes pour affronter les événements.
Illustration © Jules Julien pour PM. Photo-droit d’inspiration © iStockphoto
Article 11 min
“Entretiens”, d’Épictète. L’enseignement de l’indifférence
Victorine de Oliveira 25 août 2022
Confondre ce qui est en notre pouvoir et ce qui ne l’est pas nous condamne au malheur, avertit Épictète. Si nous souffrons, c’est que nous prenons pour mauvaises des choses qui, en fait, ne sont ni bonnes ni mauvaises, mais indifférentes. Il ne tient donc qu’à nous d’être heureux.
Illustration © Jules Julien pour PM. Photo-droit d’inspiration © iStockphoto
Article 3 min
La recherche d’une vie simple
Victorine de Oliveira 25 août 2022
Le stoïcisme tel que l’enseigne Épictète est l’héritier d’une longue tradition dans laquelle se sont reconnus aussi bien des esprits libres de la Grèce antique que des hommes d’État romains.
Article 2 min
Le maître d’Épictète vu par Pierre Hadot
Victorine de Oliveira 25 août 2022
Chez Épictète comme chez d’autres penseurs stoïciens, le contenu des exercices destinés à fortifier l’âme reste un peu flou. Même Pierre Hadot, spécialiste de philosophie ancienne, le reconnaît. C’est chez le maître d’Épictète, Musonius Rufus, que l’on trouverait la réflexion la plus aboutie sur la question.
Article 5 min
Olivier D’Jeranian : “Épictète a mis au point une théorie radicale de la responsabilité”
Victorine de Oliveira 25 août 2022
Pour son traducteur Olivier D’Jeranian, l’auteur des Entretiens a toujours tenu à lier théorie et pratique philosophique, tout en renouvelant nos conceptions de la liberté.
Olivier D’Jeranian : “Épictète a mis au point une théorie radicale de la responsabilité”
Article 26 min
“Entretiens”, d’Épictète. Les extraits
25 août 2022
Nous reproduisons des extraits des Entretiens d’Épictète traduits par Victor Courdaveaux.
Olivier D’Jeranian : “Épictète a mis au point une théorie radicale de la responsabilité”
DIVERGENCES
Article 3 min
Pourquoi est-on en retard ?
Marius Chambrun 25 août 2022
La ponctualité n’est pas la qualité la mieux partagée, et ceux qui attendent en savent quelque chose. Quatre philosophes remettent vos pendules à l’heure.
Pourquoi est-on en retard ?
BACK PHILO
Bac philo 6 min
Y a-t-il un ordre de la nature ?
Nicolas Tenaillon 24 août 2022
Analyse des termes du sujet « Y a-t-il » Existe-t-il ? Peut-on le constater ? « un ordre » Désigne ici non pas une succession ou une injonction mais une organisation, une harmonie. « de la nature » Ensemble de la réalité matérielle (minérale, végétale, animale), considérée comme indépendante de l’activité humaine ; ce qui est donné, qui nous environne et qu’on oppose à la culture.
LIVRES
Article 2 min
J’y pense et puis je lis / Septembre 2022
Jean-Marie Durand 25 août 2022
« Il y a un enjeu de société majeur à régler son compte à l’anthropologie patriarcale », écrit Dorothée Dussy dans l’essai collectif La Culture de l’inceste (Seuil), pour dénoncer l’idée selon laquelle l’interdit de l’inceste fait de nous des êtres humains, alors m�..
Livre
Jean-Fabien Spitz
La République ? Quelles valeurs ?
Publié le 24 août 2022
La République est sur toutes les lèvres. Les politiques, jusqu’au président Macron (« Aucune voix ne doit manquer à la République », disait-il sur le tarmac d’Orly durant la campagne des législatives), s’en prétendent les garants. Notamment contre ceux qui n’en seraient pas dignes, tels les promoteurs acharnés d’une démocratie sociale. Sans gêne, chaque parti se dispute le monopole de son incarnation. Or, comme l’analyse le philosophe Jean-Fabien Spitz, l’héritage émancipateur de cette République fétichisée fait l’objet d’une captation réductrice par « ceux qui veulent, sous couvert de fidélité à l’inspiration primitive, n’en retenir que la lettre pour en expulser la substance et en imposer une formulation dogmatique en contradiction avec la réalité des sociétés contemporaines – la concentration des richesses, l’inégalité et la domination qui en sont les conséquences ». Revisitant l’histoire de ce projet politique, Spitz démonte la logique de l’intégrisme républicain actuel : une espèce de « catéchisme moral » dont l’objet semble être de « répandre un écran de fumée devant la réalité sociale des inégalités et des rapports de dépendance que la République devrait au contraire s’assigner pour tâche de contenir ». Ce travestissement de la République, qui en fait le contraire de ce qu’elle devrait être, repose sur une version falsifiée de ses valeurs fondatrices (soutenir des citoyens libres et indépendants). Évacuant du débat public les questions qui engagent la définition même de la communauté des citoyens – rapports de travail, répartition de la richesse, accès à la santé et à l’éducation, justice fiscale… –, les républicains autoproclamés, pétris de l’idéologie néolibérale dominante, s’écartent des valeurs de la République, dont la matrice reste le « combat pour une égalité réelle, celle qui restitue à chacun la maîtrise de sa propre existence ». S’élevant contre cette captation frauduleuse, Jean-Fabien Spitz fait le procès du règne de l’égalité abstraite, « devenue le manteau de la discrimination », et de la liberté du marché, « devenue celui de l’exploitation ». Et plaide, devant ceux qui l’auraient oublié, que la République, rattachée au meilleur de la tradition libérale et sociale (de Charles Renouvier à Louis Blanc), n’a pour seule ambition que d’accorder la réalité des indépendances à celle des droits. À une forme d’intégrisme aveugle, le philosophe oppose l’intégrité de valeurs émancipatrices. Autant que dans celle de Platon, c’est dans la République de Spitz que nous voudrions vivre.
La République ? Quelles valeurs ?
Livre
Corine Pelluchon
Paul Ricœur, philosophe de la reconstruction
Publié le 24 août 2022
Quelle place occupe Paul Ricœur (1913-2005) dans l’histoire de la philosophie ? Pour saisir ce qui fait la cohérence d’une œuvre souvent incomprise et mieux mesurer son importance, Corine Pelluchon propose de le comprendre à partir de l’idée de « reconstruction » dans laquelle elle voit la réponse de Ricœur aux penseurs du soupçon qui, de Marx à Freud en passant par Nietzsche, ont voulu remettre en cause l’existence du sujet. Certes, Ricœur, explique-t-elle, « admet que l’on ne peut plus croire en une conscience transparente à elle-même qui serait la source exclusive du sens, mais la position consistant à faire disparaître le sujet derrière la structure ou à le réduire à une figure de style lui apparaît également comme une impasse ». C’est également le cas de la phénoménologie quand elle reste descriptive et ne va pas jusqu’à penser l’éthique et la responsabilité. Ainsi Ricœur a-t-il dû inventer une autre voie en greffant l’herméneutique sur la phénoménologie, pour ne pas se contenter d’appréhender l’intentionnalité de la conscience mais saisir la complexité de l’identité personnelle, et donc de l’ipséité. Cette capacité à être soi (en latin ipse) ne consiste pas à rester toujours exactement le même (idem) à travers le temps, indifférent aux événements ou aux autres, mais suppose une reconfiguration et une réinterprétation de soi-même. C’est pourquoi Corine Pelluchon fait de Soi-même comme un autre la clef de voûte de tout l’édifice ricœurien : « Dans ce livre, écrit-elle, publié quatre ans après la mort de son fils Olivier, il donne à voir la condition humaine dans toute son entièreté : le sujet est un être de liberté, capable de faire des choix et de trancher, mais il est également faillible, vulnérable au mal et soumis à la passivité, à l’altération de son corps et de sa mémoire, à la mort, à la souffrance, à l’injustice et au tragique. Il peut être en proie à la douleur et au tourment, perdre tous ses repères et devenir une énigme pour lui-même. » Attester de soi et se reconnaître l’auteur de ses actes, au contraire, ce n’est donc pas seulement se connaître soi-même, c’est être capable de répondre à l’appel d’autrui et de s’engager sur des valeurs morales.
Paul Ricœur, philosophe de la reconstruction
Livre
Alexis Anne-Braun
Le Grand Contournement
Publié le 24 août 2022
Zoomons sur un tableau de Cézanne : on ne voit pas grand-chose. Reculons d’un pas : un paysage naît, fruit de mille touches. Ainsi se déploie l’écriture d’Alexis Anne-Braun qui, dans son deuxième roman, croque le portrait d’une ZAD imaginaire, racontée par celles et ceux qui l’ont rêvée : quatre personnages se désignant comme la duchesse, la rageuse, le cynique et la pédale, liés par une utopie : bloquer le projet autoroutier du Grand Contournement Ouest. Alors on s’assied au coin du feu pour isoler le point du feu. Cette goutte d’eau qui fait déborder le vase social, quand Fayçal n’en peut plus d’être taxé de métèque, Magali de grosse, Félix de pédé, ou qu’on s’avise que « la France, ses problèmes comme ses solutions, gravite […] autour du concept de la grande vitesse : la différenciation sociale, les cookies Michel et Augustin, les Relay Gare, Guillaume Musso et Michel Onfray pour ce qui est du train ; les sandwiches au thon Sodebo, […] les étoiles Michelin, Mappy et Vinci pour l’autoroute ». Dans ce roman bâti comme un monologue à quatre voix, s’esquisse le portrait d’un pays aux abois, coincé entre les revendications des « gilets jaunes » et la laideur péri-urbaine. La dissection sera cruelle : « Pour faire dérailler la machine, il faut comprendre sur quoi elle roule. » Mais l’originalité du texte tient à son style brut et brutal. À mi-chemin entre la sagacité d’un Houellebecq, la rumination d’un Péguy et les punchlines d’un Booba. Car l’auteur brille surtout lorsqu’il énumère, peignant ici « un collège qui sent la bouse de vache, les déodorants Adidas et le Vivelle Dop “effet mouillé”, le colza ou le tilleul quand ils sont en fleur et le diesel à dix-sept heures », là cet âge où « les sneakers et le courage de se battre sont les seules monnaies d’échange dans le royaume des bisous et des fellations ». L’humour est-il toutefois la qualité première des insurgés ? L’auteur ne cache pas son geste politique. Sous couvert de dialogue platonicien, le prof de philo sait poser les questions qui fâchent : peut-on taper sur un flic qui, après son service, se sert un verre de Yop à la fraise ? La France est-elle devenue un pays de droite, ou de cons ? Jusqu’à ce constat épineux en guise de morale : « Il faut pratiquement plus de temps et de larmes pour transformer le cœur d’un homme que la gueule d’un paysage. »
Le Grand Contournement
Livre
Emma Becker
L’Inconduite
Publié le 24 août 2022
« Écrire et vivre sont deux choses distinctes. Oui, mais pas quand on écrit comme moi. Pas quand on vit dans la perspective d’écrire. » Pas selon Emma Becker donc, qui brosse la chronique de sa vie sexuelle, amoureuse et sentimentale. L’ouvrage débute sous une double aura : la naissance de son fils Isidore et la mort de « Papounet », son grand-père. Entre ces deux extrémités, il y a l’amour hétéroclite. « Ce que je voudrais que mon fils comprenne, c’est que j’ai essayé de me distraire de la place immense qu’il prenait en moi en y bourrant tout un tas de mecs qui me faisaient sentir vivante – c’est-à-dire en danger », écrit la romancière. Dans ces pages tendues par la licence et le style, Emma Becker dévoile, à travers ses amants, le portrait en creux « d’une écrivaine qui a un petit garçon et envie de crier, et elle voudrait bien pouvoir crier sans assourdir le père de son fils », Lenny. Elle déride le discours amoureux et ses clichés avec une tendresse ironique, jamais dupe, guidée par une volonté de savoir quasi métaphysique : pourquoi sommes-nous tiraillés par l’intranquillité du désir ? Car c’est bien lui qui s’exprime, le même qui préside à la sexualité et à la création, au point qu’on se demande s’il est plus excitant de vivre l’expérience ou de la raconter. S’il lui faut vivre pour écrire ou bien l’inverse. « Après tout c’est ça mon terrain d’investigation, poursuit Emma Becker, les mecs trop sûrs d’eux qui pensent qu’il suffit de retirer sa ceinture à grand bruit pour être un dominateur, ceux qui manquent de confiance en eux et essaient d’éteindre la vôtre pour que ça ne se voie pas, les mecs simples qu’on rencontre dans la rue et sur lesquels personne n’écrit jamais parce qu’au fond il n’y a rien à en dire, voilà, tel est mon boulot, que je trouve alors, chargée de coke et de whisky, absolument merveilleux : bâtir un monde à partir du néant d’où ils sortent tous en rampant. » Le spectre de Sade jaillit entre les lignes : dans la jouissance à décrire la fornication par le menu, dans la multiplication des expériences quitte à s’y abîmer, dans ce mouvement d’amour, enfin, qui tend à la consumation. « Ce n’est pas dans la jouissance que consiste le bonheur, c’est dans le désir, c’est à briser les freins qu’on oppose à ce désir », note le divin marquis dans Les Cent-Vingt Journées de Sodome. Aller sans frein, voilà donc l’inconduite ?
L’Inconduite
Livre
Jonathan Sadowsky
L’Empire du malheur
Publié le 24 août 2022
« Ce que nous appelons aujourd’hui “dépression” a-t-il existé tout du long de l’histoire humaine ? » Cette interrogation classique, Jonathan Sadowsky s’efforce de la complexifier, en rappelant que les maladies sont toujours inscrites dans une société et une culture, et se transforment selon les époques et les lieux. Impossible, dans ces conditions, d’assigner à une pathologie une définition fixe sans prendre en compte « ses expressions changeantes », « les efforts innombrables qui ont été déployés pour en saisir l’origine, la signification et l’essence », ainsi que les « procédés divers et variés auxquels ont eu recours les guérisseurs ». La dépression telle qu’elle est caractérisée et prise en charge par la psychiatrie n’a donc pas toujours existé (longtemps, elle ne fut même pas considérée comme une maladie). Son histoire est indissociable de « l’histoire d’un produit lui-même récent » : l’antidépresseur. Pourtant, cette nouveauté ne signifie pas l’absence de parenté avec d’autres formes historiques de détresse psychique, comme la « mélancolie ». La comparaison enrichit notre compréhension tantôt trop univoque, « réductionniste », tantôt trop vague d’un trouble qui a fini par devenir une grille d’analyse générique : « La dépression est progressivement devenue une des façons dominantes d’interpréter la détresse psychique. » Si, comme on l’entend souvent, nous n’avons jamais été déprimés, c’est peut-être d’abord parce que « l’on détecte mieux les cas de dépression » avec les outils d’interprétation développés et perfectionnés depuis au moins le début du XXe siècle, et aussi parce que « des maladies autrefois distinctes ou même des états qui n’étaient auparavant pas considérés comme pathologiques se trouv[e]nt désormais inclus dans le spectre de la dépression ». Le domaine de la dépression est devenu un empire.
L’Empire du malheur
Livre
Pablo Servigne et Gauthier Chapelle
L’Effondrement (et après) expliqué à nos enfants... et à nos parents
Publié le 24 août 2022
Le premier chapitre du dernier opus de Pablo Servigne et Gauthier Chapelle aborde une question importante, bien que rarement traitée : comment parler du réchauffement climatique avec les enfants ? D’un côté, dans le rôle de parents ou de pédagogues, on n’a pas envie de fermer leur horizon, d’installer dans les jeunes têtes une conscience douloureuse du monde. De l’autre, les enfants d’aujourd’hui auront à affronter des enjeux écologiques plus violents que les nôtres : plus de canicules et de mégafeux, plus de flux migratoires, d’extinctions animales, de pénuries… Ce serait donc un cadeau ambigu que de ne pas leur donner une image loyale des défis à relever. La solution proposée par les auteurs passe par un langage simple, débarrassé de l’expertise, mais précis. « Si l’atmosphère se réchauffe, alors l’eau de la mer s’évapore plus, donc il y aura de plus en plus de pluies à certains endroits, c’est-à-dire des inondations. » Ou encore : « Notre corps doit rester à 37 °C ! À 38 °C, si la transpiration n’est pas efficace, on est malade. Si notre corps atteint 43 °C, on meurt. » Que faire alors, mettre des jeunes au pouvoir ? Pas sûr, « le président français est le plus jeune jamais élu », mais « il a des idées de vieux ». Alors, partir en guerre ? C’est la fausse bonne solution que débunke le deuxième chapitre consacré à un dialogue imaginaire avec Camille, zadiste de 22 ans qui a envie d’en découdre… La solution des auteurs est que nous devenions « le contraire de soldats ».Trop optimistes, les collapsos ?
L'Effondrement (et après) expliqué à nos enfants... et à nos parents
Livre
Peter Szendy
Pouvoirs de la lecture
Publié le 24 août 2022
Depuis que la lecture ne se fait plus à voix haute, nous qui lisons dans un silence solitaire devons nous poser la question : qui lit quand on lit ? D’où vient « cette petite voix tacite qui lit en moi » ? Est-elle la mienne, celle de l’auteur, des personnages, ou bien, à l’occasion, la « voix de la raison » chère à Kant ? Est-elle transformée par les nouvelles manières de lire, comme lorsqu’on navigue sur Internet d’un texte à l’autre en cliquant sur un mot ? Pour explorer ces questions, Peter Szendy propose une hypothèse brillante, en quelque sorte théâtrale, qui parie que rien n’a changé depuis l’Antiquité. Car toute lecture recompose en chaque lecteur une situation à trois éléments, où le texte initial est lu par une voix qui se « prête » à lui, pendant qu’un auditeur « y prête l’oreille ». Autrement dit, quand on croit prendre du temps pour soi, la lecture en réalité nous divise, fait exploser le « soi » en entités multiples, puis jouer ces entités les unes avec les autres. Dans son essai – qui inaugure la collection « Terrains philosophiques », dirigée par Yves Citton et Mathieu Potte-Bonneville –, Szendy définit ainsi une approche fondée sur l’écoute, qui prolonge ses travaux sur la musique (Écoute. Une histoire de nos oreilles, Éd. de Minuit, 2001). Bien entendu, toutes les lectures ne se valent pas ; certaines sont plus mécaniques, d’autres plus musicales ; parfois on scrute chaque mot avec attention, parfois avec plus de distance. Mais la « phonographie du lire » ne cesse jamais d’exister, car elle est cruciale à la fabrication de sens. Elle a donc été « avalée, engloutie en chacun de nous, intériorisée dans la scénographie vocale intime qui se produit à chaque fois que nous lisons ». Démultipliée, elle s’avère un jeu de masques où l’on sait rarement à l’avance qui fait quoi : selon qu’on lit Hoffmann, Calvino ou Hobbes, les textes déterminent des postures de lecteurs et des profils d’auditeurs différenciés. Dans ces conditions, chaque livre fournit à la question « Pourquoi lire ? » sa propre réponse, lorsque, à chaque page, le lecteur se découvre et s’efface à la fois.
Pouvoirs de la lecture
Livre
Laurent De Sutter
Éloge du danger. Propositions II
Publié le 24 août 2022
Quelle place acceptons-nous de laisser au danger ? Lorsque nous y sommes confrontés, n’est-il pas vécu comme ce qui aurait été évitable ? Alors que des calculs de probabilité toujours plus précis sont censés nous préparer à l’imprévu et que nos institutions se sont constituées pour nous protéger contre les risques inhérents à toute vie, le danger n’est plus appréhendé que sous le prisme de ce qui est maîtrisable. Or il est avant tout un choc, un événement, qui doit relever non pas du probable mais du possible. C’est pour le réhabiliter pleinement que Laurent De Sutter lui dédie cet Éloge du danger, dans lequel il propose de renverser la perspective habituelle : si nos discours savants, nos moyens de connaissances et nos lois sont structurés autour du même projet de juguler le danger, n’est-ce pas pourtant « le danger qui est la règle et l’ordre l’exception » ? Le danger permet de faire le lien entre « l’ordre et son double » : c’est parce que le danger existe que nous nous figurons l’ordre et tentons de lui donner forme -– dialectique que le film noir rend palpable, en annonçant l’imminence d’un danger par une rupture de rythme, donc un changement d’ordre esthétique. Faire l’éloge du danger, toujours au singulier, revient alors à laisser la place au possible et à se dresser face aux forces sourdes de la probabilité comme « immunisation du calcul par rapport à l’impureté de la singularité ». À l’instar de la rencontre, le danger est « un accrochage » : dans la toile du régulier, une déchirure intervient, produisant du nouveau et du pensable.
Éloge du danger. Propositions II
Livre
Catherine Guesde
Penser avec le punk
Publié le 24 août 2022
Rien ne semble plus contre-intuitif que de « penser avec le punk » lorsqu’on tend une oreille à ce courant musical de la fin des années 1970, magistralement conté par des critiques comme Greil Marcus (Lipstick Traces, Allia) ou Jon Savage (England’s Dreaming, Allia). Le punk ne serait-il qu’un cri primal et sauvage lancé à la face de la société bourgeoise, comme le firent les Sex Pistols et leurs épigones ? Pourtant, suggère la philosophe Catherine Guesde dans un livre collectif qu’elle a piloté, il est possible, quarante ans après son éclosion et en dépit de la cynique récupération marchande de son image, de puiser dans ce mouvement des ressources pour vivre et penser de manière vertueuse, sinon polie. Des ressources héritées d’autres traditions intellectuelles, comme le transcendentalisme et le situationnisme, mais surtout aujourd’hui ancrées dans une pensée libertaire, écologique et égalitaire. De la critique du productivisme à la création des zones autonomes temporaires urbaines, du véganisme à la permaculture, des gestes politiques multiples, indexés à des formes de vie collectives, traduisent la vitalité de cet ethos punk. En cherchant à vivre éveillé dans les marges, en défendant « une puissance d’agir et de faire, une puissance pour transformer et se transformer », le punk est arrivé à se contredire, en esquissant la voie d’un futur possible, après avoir prophétisé le « no future ». C’est bien dans ce déplacement d’un nihilisme provocateur vers une lucidité critique que l’on peut aujourd’hui penser non plus sur mais avec le punk. Survivant à lui-même et à l’idée de sa propre vacuité, le punk accompagne la perspective du possible. Si l’on y avait cru en entendant en 1977 Johnny Rotten hurler dans Anarchy in the UK : « I get pissed, destroy » !
Penser avec le punk
Livre
Paul Rocher
Que fait la police ? Et comment s’en passer
Publié le 24 août 2022
Cela semble évident, la police a pour fonction de garantir la sécurité de la population. Pour cela, elle est équipée et entraînée afin de courir après les criminels (pour les soumettre à la justice) et de tenir à distance les délinquants (en les empêchant de nuire, en les intimidant, etc.). Et s’il y avait là une tragique erreur sur la fonction de la violence ? Et si la demande d’une présence policière toujours croissante témoignait d’une « attitude collective par défaut » qui demande à être interrogée ? En se penchant sur le « mythe policier » avec une rigueur et une précision qui contrastent avec ce que l’on entend généralement dans la bouche des « anti-flics », Paul Rocher démasque une erreur à la fois historique et philosophique. L’aveuglante légitimité de la police, préjugé largement partagé, occulte des réalités observables et bien connues des spécialistes. Parmi les croyances les plus ancrées, la première est que la police protégerait les individus. Cette conviction ne résiste pas aux études où, chiffres à l’appui, on découvre « qu’il n’y a pas de corrélation entre les dépenses pour la police et l’évolution des faits qualifiés de délinquants » et que 10 % seulement de l’activité d’un policier concerne des affaires criminelles. De même, on a tendance à considérer les violences policières comme des débordements marginaux. Paul Rocher montre que c’est la nature de l’institution policière, bâtie sur une économie politique précise et soudée par un esprit de corps unique, qui détermine le comportement des policiers. Enfin, il vaut la peine de se rappeler que la police n’a pas toujours existé et que plusieurs États mènent actuellement des expériences pour s’en passer : les comités de rue dans les townships d’Afrique du Sud autant que le programme de « justice communautaire restaurative » en Irlande du Nord prouvent ainsi que des alternatives existent.
Que fait la police ? Et comment s’en passer
Livre
Paul Audi
Troublante Identité
Publié le 24 août 2022
La meilleure façon d’analyser la question des identités n’est-elle pas, comme symptôme d’un enjeu partagé, d’interroger la sienne, surtout quand elle ne va pas de soi ? Dans un exercice d’introspection existentielle, le philosophe Paul Audi sonde « ce problème avec moi », qui le dévore depuis si longtemps. « Que s’est-il donc passé dans ma vie pour que je me laisse chaque fois saisir et envahir par la paranoïa, ou l’obsession ? » Qu’est-ce qui cloche chez Paul Audi ? L’injonction à la désignation identitaire qui l’énerve, mais aussi, de manière plus intime, l’ambivalence de son rapport affectif à son pays natal, le Liban, dont « les racines n’ont pas pris ». Paul Audi se définit comme un « ours mal léché prêt à griffer tous ceux qui s’imagineront pouvoir lui mettre la main au collet en le désignant par son identité ». Résistant à « cette reductio ad libanum » à laquelle on entend le soumettre en lui rappelant son lieu de naissance, il interroge le concept de provenance : « Faut-il à tous les coups que cette provenance soit la clé de l’être que je suis ? Faut-il même qu’une identité soit toujours fonction de la provenance ? » Certes, Paul Audi mesure qu’il pourrait s’accommoder d’un « écartèlement identitaire », au fond assez banal. Mais quelque chose lutte en lui : une « honte de soi », logée dans ce bain réfrigérant des origines qui ont « la pesanteur d’une ancre ». Une honte redoublée par le sentiment de ne pas parvenir à honorer ses premières attaches. Oscillant entre ses souvenirs personnels et des réflexions philosophiques qui les excèdent et les embrassent, Paul Audi se reconnaît surtout dans les mots de Robert Musil, qui évoquait son « désir de n’être plus ici ni là et pourtant son dépit d’être repoussé ici comme là », ou ceux d’Imre Kertész qui écrivait : « J’ai toujours eu une vie secrète qui était toujours ma vraie vie. » Ni d’ici ni de là-bas, attaché au sceau du secret : Paul Audi con-struit sa véritable identité d’écrivain pénétré du sentiment que l’on ne sera jamais autant soi-même que lorsque l’on n’aura plus rien de commun avec soi. Sa troublante identité renferme la trace frémissante de la bonne distance qu’il a trouvée entre lui et lui-même. Il est redevenu celui qu’il n’a jamais été.
Troublante Identité
Livre
Mathilde Ramadier
Vivre fluide
Publié le 24 août 2022
« Insuffler quelque chose de nouveau dans les relations amoureuses et charnelles, gagner en épanouissement et en puissance » : à partir d’un horizon existentiel commun à toutes celles qui se sentiraient bloquées dans leurs vies affectives ou sexuelles, Mathilde Ramadier esquisse un modèle de vie dont la « fluidité » serait le nom libérateur. Traversant l’histoire de la pensée et de la littérature féministe (de Sappho à Monique Wittig), l’autrice a enquêté auprès d’une cinquantaine de femmes pour mesurer en quoi la bisexualité peut être vécue comme un « versant anarchiste de la sexualité », incluant « une vision plus fluide et malléable de la vie que les identités hétérosexuelles ou lesbiennes ». En dépassant la norme dualiste, les « fugueuses » bisexuelles inventent sans cesse des appellations et des concepts (pansexuel, non binaire, queer…) – manière aussi de « faire de la philosophie ». Ce que Ramadier soutient surtout, c’est combien « vivre fluide » est la promesse d’une « explosion des potentialités, l’affirmation d’une puissance féminine heureuse ». « Se découvrir fluide, écrit-elle, c’est embrasser l’altérité au creux de soi et la mêmeté chez l’autre, aussi lointain de nous soit-il. Se découvrir fluide, c’est abolir le clivage, le “ou bien, ou bien” pour s’ouvrir à ce qui peut, toujours, advenir autrement. C’est réduire la part d’étrangeté dans le rapport aux autres. » Des ressources existentielles fécondes se logent dans ce rapport au désir, car « la fluidité va au-delà de la sexualité ». C’est une totalité ouverte, dont Mathilde Ramadier cerne les contours infinis pour nous élargir l’esprit, sinon le corps.
Vivre fluide
Livre
Alison Bechdel
Le Secret de la force surhumaine
Publié le 24 août 2022
On se doutait bien que la nouvelle bande dessinée d’Alison Bechdel (après Gouines à suivre, Fun Home et C’est toi ma maman ?) n’était pas un programme d’abdo-fessiers, mais on est tout de même surpris quand, dès les premières pages, on saute des cours d’aérobic aux romantiques. C’est que, précisément, la seule puissance physique ne l’intéresse pas : la quête de la forme est intimement liée à la quête de soi, préoccupation centrale des philosophes qu’elle ne manque pas de convoquer. Renforcer le contrôle sur soi, développer ses capacités, surmonter ses faiblesses dans un mouvement de dépassement sans fin sont des transformations visées par l’autrice dans sa pratique intense des sports – ce sont aussi des caractéristiques attribuées au surhomme de Nietzsche. Mais le surhomme, c’est aussi celui qui questionne les valeurs de la société, à commencer par ce terme même de « surhomme », qui, employé ici, semble tomber à côté. Si ça cloche, c’est justement parce que le corps féminin et le corps lesbien sont au centre de la réflexion de Bechdel. La philosophe Elsa Dorlin parle du corps des filles comme d’un corps qui, dans son éducation, a reçu une injonction à ne pas prendre de place, à oublier ses muscles. Dès lors, l’autodéfense devient nécessaire à la survie ; les minorités doivent penser des résistances appelées « éthiques martiales de soi ». En s’intéressant aux sports et à leurs accessoires qui lui sont interdits, Alison Bechdel transcende son genre. En rejoignant simultanément le syndicat gay et des cours d’arts martiaux féministes, elle espère opérer une transformation de la société, développer une pensée avec et à partir du muscle, dans un même mouvement.
Le Secret de la force surhumaine
Livre
Pacôme Thiellement
Paris des profondeurs
Publié le 24 août 2022
N’importe quel Parisien vous le confirmera : Paris s’épuise. La nuit n’y tient plus qu’à un fil, les loyers exorbitants en chassent les plus modestes, les boutiques et les restaurants y singent l’autrefois sans parvenir à en garder l’âme – sans parler des travaux, ajouteront les plus réfractaires au changement. Mais n’aurait-on pas épuisé Paris ? À lire Pacôme Thiellement, loin de là. Mais il faut creuser, parfois littéralement, pour retrouver l’énergie dionysiaque et révolutionnaire qui anime la ville – n’en déplaise à certains, les « gilets jaunes » en ont été une incarnation. Dans son exploration psychogéographique de la capitale, Thiellement cavale de références littéraires en anecdotes historiques et autres souvenirs personnels. Il parcourt Paris du lion de Denfert-Rochereau à la basilique de Saint-Denis (car, oui, il faut penser « Grand Paris » désormais), avec, pour centre de gravité, le parvis de Notre-Dame, d’autant plus vibrant qu’il est désormais inaccessible depuis l’incendie de 2019. Thiellement joue moins les tour operators de surface qu’il ne se laisse attraper, hypnotiser (et nous avec) par les cryptes cachées, les puits dérobés et les cours intérieures que laissent entrevoir quelques portes bienveillantes et mal fermées. Pour un peu, on s’enivrerait presque des vapeurs sulfurées qui montaient autrefois de sous le jardin du Luxembourg. C’est la géographie de Paris mais aussi les obsessions de Thiellement que l’on traverse, des Sans-Roi, ces disciples de Jésus qui refusaient de faire allégeance à un Dieu-démiurge, au surréalisme et aux divinités de l’ancienne Égypte. Carte de Paris… ou scanner cérébral de Thiellement ? On ne sait plus et on s’en fout un peu. Il y a quelque chose d’une quête mélancolique, mais pas entièrement désespérée dans ce jeu à double face. C’est que la capitale bruisse encore partout, si l’on tend l’oreille. Il n’y a qu’à suivre le guide.
Paris des profondeurs
CULTURE
Article 2 min
“7 Minutes ” : onze femmes en colère
Cédric Enjalbert 25 août 2022
Jusqu'où consentir ? À quoi renoncer ? Ce sont deux grands enjeux de cette pièce de théâtre qui met brillamment en scène le monde du travail.
“7 Minutes ” : onze femmes en colère
Article 2 min
“Trois mille ans à t’attendre” : djinn chroniques
Cédric Enjalbert 25 août 2022
Le père de la saga Mad Max revisite le mythe du génie dans la lampe. Un conte filmé qui interroge notre besoin de fiction et la notion de responsabilité.
“Trois mille ans à t’attendre” : djinn chroniques
Article 2 min
“Mirdidingkingathi Juwarnda Sally Gabori” : totem et tableaux
Cédric Enjalbert 25 août 2022
La Fondation Cartier propose la première grande exposition en France consacrée à Sally Gabori (1924-2015), peintre australienne aborigène. Laissez-vous emmener dans le temps du Rêve !
“Mirdidingkingathi Juwarnda Sally Gabori” : totem et tableaux
OH ! LA BELLE VIE !
Article 2 min
Conseil n° 21 : chantons ! Dansons !
François Morel 25 août 2022
Chantons sous la pluie ! Chantons sous l’orage ! Chantons dans la bourrasque et sous la neige, chantons sous la grêle ! Chantons dans la tourmente et la tornade, chantons dans les cyclones et les ouragans ! Chantons dans les décombres, parmi les ruines et les ravages ! ..
Conseil n° 21 : chantons ! Dansons !
JEU
Article 1 min
Philocroisés #83
Gaëtan Goron 25 août 2022
Horizontalement I. Une parmi quatre (animisme, totémisme, analogisme, naturalisme) chez Descola. II. Il est avec du tapioca. III. Autre pour Rimbaud. Vieux poème. IV. Presqu’île bretonne, à Vannes. V. Pantalon paradoxalement créé en Inde. VI. Pompe de sai..
Philocroisés #74
QUESTIONNAIRE DE SOCRATE
Article 2 min
Lola Lafon. La mémoire qui tranche
Alexandre Lacroix 25 août 2022
Dans son précédent roman Chavirer, Lola Lafon introduisait de subtiles réflexions sur le sens du pardon dans le judaïsme. Avec Quand tu écouteras cette chanson, qui paraît en cette rentrée chez |
[n° ou bulletin] est un bulletin de / Alexandre Lacroix (2011)N°162 - Septembre 2022 - Faut-il suivre son intuition ? [texte imprimé] . - 2022 . - 98 p. : ill. en coul. ; 29 cm. Langues : Français ( fre) Catégories : | Philosophie
| Tags : | intuition députés (Assemblée nationale) goût de l'action | Index. décimale : | 17 Morale. Éthique. Philosophie pratique | Résumé : | Quand arrive l’heure des choix, en amour ou professionnellement, il existe bien sûr une manière rationnelle de trancher, en pesant le pour et le contre, en menant de longs raisonnements. Et pourtant, n’y a-t-il pas en nous une espèce de fulgurance ou une petite voix qui nous indique d’emblée où aller ? Ces intuitions, devons-nous nous en méfier ou les écouter ? (Philomag) | Note de contenu : | ÉDITO
Article 3 min
Désirs dans la brume
Alexandre Lacroix 25 août 2022
« C’est étonnant comme tu n’as jamais su évaluer les conséquences de tes décisions. C’est même un peu effrayant, à ton âge. C’est sans doute que tu ne te connais pas assez. » Voilà un reproche que ma femme me fait souvent, et je suis entièrement d’accord avec la pre..
VOS QUESTIONS
Article 3 min
“Le philosophe doit-il toujours rester zen ?”
Charles Pépin 25 août 2022
Question de Paul Laroute
“Le philosophe doit-il toujours rester zen ?”
REPÉRAGES
Article 1 min
Télescope spatial James-Webb : une machine à remonter le temp
Octave Larmagnac-Matheron 25 août 2022
Il aura fallu plus de vingt-cinq ans de préparation pour que le télescope spatial James-Webb, le remplaçant de l’iconique Hubble, soit enfin mis en orbite par la Nasa et l’Agence spatiale européenne en décembre 2021. Quelques mois plus tard, le 11 juillet 2022, la première image de quali..
Télescope spatial James-Webb : une machine à remonter le temp
Article 1 min
“Con”
Octave Larmagnac-Matheron 25 août 2022
“On passe notre temps à répondre à des questions con” Élisabeth Borne, le 6 juillet 2022. “Si nous avons un problème avec les cons, c’est […] que nous faisons dans cette rencontre l’expérience de nos propres limites” Maxime Rovere, Que faire des cons ..
Article 1 min
Biocratie
Octave Larmagnac-Matheron 25 août 2022
Trop anthropocentrique, la démocratie ? Les essayistes Aliocha Imhoff et Kantuta Quirós proposent justement, dans Qui parle ? (pour les non-humains) (PUF, 2022), de troquer cette vieille notion de la philosophie politique occidentale pour un autre : la « biocratie », fon..
Biocratie
Article 1 min
8,5 milliards
Octave Larmagnac-Matheron 25 août 2022
C’est le nombre d’individus que devrait compter la population mondiale d’ici à 2030, selon l’ONU. Il faudra attendre la fin du siècle pour que la démographie planétaire se stabilise autour de 10 milliards. Au regard de ces chiffres, le défi écologique légitimerait-il des mesures anti-..
Article 3 min
Avortement : une jeunesse à réaction
Octave Larmagnac-Matheron 25 août 2022
78 % des Français pensent qu’une femme doit pouvoir avorter librement Seuls 66 % des Français de 18 à 24 ans y sont favorables… … Contre 84 % des plus de 65 ans 81 % des Français sont favorables à l’inscription du droit à l’avortement dans..
PERSPECTIVES
Article 3 min
Sobriété : impératif politique ou nouvel idéal ?
Michel Eltchaninoff 25 août 2022
Le 14 juillet, Emmanuel Macron a annoncé la mise en place d’un plan de sobriété énergétique afin de faire face aux risques de pénuries annoncées. Mais que signifie le mot « sobriété » ? Réponses avec Thomas d’Aquin, Platon et Aristote.
Sobriété : impératif politique ou nouvel idéal ?
Article 3 min
Enfants de djihadistes français : retour impossible ?
Nicolas Gastineau 25 août 2022
Des mineurs de familles djihadistes ont récemment été rapatriés sur le sol français. Tout l’enjeu de l’État et des services sociaux sera de les aider à sortir de leur passé tragique. Explications avec le sociologue Farhad Khosrokhavar.
Enfants de djihadistes français : retour impossible ?
Article 3 min
Adrien Louis : “L’Éducation nationale a besoin d’une réforme morale”
Marius Chambrun 25 août 2022
En cette rentrée scolaire, un professeur de philosophie au lycée, Adrien Louis, analyse les contradictions dans lesquelles est pris le métier d’enseignant, tiraillé entre aspirations démocratiques et aristocratiques.
Adrien Louis : “L’Éducation nationale a besoin d’une réforme morale”
Article 2 min
L’asexualité, ou le désir de ne plus en avoir
Nicolas Gastineau 25 août 2022
C’est le mot qui se cache derrière la lettre A, la dernière à avoir rejoint l’acronyme LGBTQIA qui rassemble les différentes minorités sexuelles. L’asexualité, soit l’absence de désir de s’engager dans une relation sexuelle, est donc désormais considérée comme une orientation à part entière. Mais que recouvre-t-elle ?
L’asexualité, ou le désir de ne plus en avoir
AU FIL D’UNE IDÉE
Article 2 min
Faites vos cartons !
Sven Ortoli 25 août 2022
22 % des Français envisagent de déménager au cours de l’année 2022. 59 % d’entre eux déclarent que la hausse du prix du carburant est un facteur incitatif, et 38 % estiment que la crise leur a donné des envies de se mettre au vert. En France, on déménage en..
Faites vos cartons !
ETHNOMYTHOLOGIES
Article 3 min
Bubble Tea : le sacre du sucré
Tobie Nathan 25 août 2022
Avec leurs couleurs vives et leurs billes acidulées, ces boissons d’origine asiatique séduisent la jeunesse. Mais, véritables bombes de sucre, elles les rendent aussi esclaves de l’empire du mielleux.
Bubble Tea : le sacre du sucré
REPORTAGE
Article 17 min
Assemblée nationale : conflits, consensus et grandes manœuvres
Cédric Enjalbert 25 août 2022
La législature qui vient de débuter au palais Bourbon présente une configuration inédite, n’offrant de majorité claire à aucun groupe parlementaire. Les députés, souvent jeunes et novices, devront donc inventer une méthode pour avancer en composant avec leurs désaccords. Y parviendront-ils ?
Assemblée nationale : conflits, consensus et grandes manœuvres
ESSAI
Article 11 min
Comment passer à l’action
Charles Pépin 25 août 2022
Avec le retour au travail, la rentrée est la période des grandes décisions, souvent sources de doutes et d’hésitations. Faut-il vraiment réfléchir avant d’agir ? Pour Charles Pépin, au contraire, une véritable philosophie de l’action consiste moins à vouloir maîtriser tous les paramètres qu’à s’adapter au réel.
Comment passer à l’action
L’ŒIL DE LA SORCIÈRE
Article 3 min
Bombe Culture
Isabelle Sorente 25 août 2022
Pour détruire une ville ou une réputation, les forces armées comme les internautes malveillants usent de la stratégie du bombardement. Une arme de communication massive ?
Bombe Culture
DOSSIER
5 articles
Faut-il suivre son intuition ?
Publié le 25 août 2022
Quand arrive l’heure des choix, en amour ou professionnellement, il existe bien sûr une manière rationnelle de trancher, en pesant le pour et le contre, en menant de longs raisonnements. Et pourtant, n’y a-t-il pas en nous une espèce de fulgurance ou une petite voix qui nous indique d’emblée où aller ? Ces intuitions, devons-nous nous en méfier ou les écouter ? > En philosophie, c’est Henri Bergson qui a le plus valorisé l’intuition par rapport à l’intelligence ou à la croyance. Selon lui, elle permet à notre conscience de se brancher directement sur l’élan de la vie. Serait-ce là un piège ? > Les cinq personnes que nous avons interrogées – un musicien, une commissaire de police, un mathématicien, une chasseuse de têtes et un golfeur – partagent le même avis : l’intuition est fiable, quand elle est le résultat d’un long travail. Leurs expériences sont commentées par le philosophe Camille Riquier, spécialiste de Bergson. > La première impression est-elle la bonne ? Faut-il réfléchir aux détails du quotidien, mais foncer pour les grands choix de vie ? Savons-nous distinguer au premier coup d’œil le juste et l’injuste ? Les classiques, de Rousseau à Ricœur, se sont opposés sur ces questions. > Il existe aujourd’hui des écoles d’intuition, où l’on navigue entre apprentissage de procédures de raisonnement plus rapides, métaphysique et pataphysique. Notre reporter rationaliste Michel Eltchaninoff s’y est rendu et s’est découvert plus intuitif qu’il ne l’imaginait ! > Passionnant, le travail de la spécialiste de sciences cognitives Hélène Lœvenbruck porte sur les « voix intérieures » : nous nous parlons sans cesse à nous-mêmes, et cette espèce de dialogue prolonge en nous la vie sociale et se révèle sans doute un excellent guide pour l’existence mais aussi pour la création.
Faut-il suivre son intuition ?
Article 5 min
Le démon de l’intuition
Cédric Enjalbert 25 août 2022
Elle est autant source d’inspiration que d’erreurs. Elle peut être bonne comme trompeuse. Mais que faire de cette capacité quasi instinctive à décider en se fiant au ressenti, sans passer par les longs méandres du choix calculé et réfléchi ?
Le démon de l’intuition
Article 16 min
L’impro mais pas trop ?
Samuel Lacroix 25 août 2022
Dans l’activité des témoins que nous avons rencontrés, l’intuition est censée jouer un rôle essentiel. Sauf que tous constatent qu’elle ne serait rien sans un long apprentissage. Pire, certains avouent qu’elle serait aujourd’hui disqualifiée par la technique. Des paradoxes analysés par le philosophe Camille Riquier.
L’impro mais pas trop ?
Article 11 min
Questions de flair
Marius Chambrun 25 août 2022
Que faire de nos pressentiments quand il s’agit de s’orienter dans la vie, de prendre des décisions importantes ou de se prononcer sur une personne ? Sur ces questions, les philosophes sont divisés !
Questions de flair
Article 10 min
L’intuition, ça s’apprend ?
Michel Eltchaninoff 25 août 2022
Les écoles d’intuition proposent non seulement de nous en remettre à nos ressentis mais aussi de déployer la capacité de percevoir des objets absents ou des événements qui ne sont pas encore advenus. Un cauchemar pour les tenants de la rationalité ? Afin d’y voir plus clair, nous avons rencontré des formateurs pas comme les autres.
L’intuition, ça s’apprend ?
Article 9 min
À l’écoute de notre voix intérieure
Martin Legros 25 août 2022
Le dialogue que nous menons avec nous-même accompagne nos sensations, nous murmure ce que nous devons dire ou faire, et nous sermonne silencieusement lorsque nous ne sommes pas à la hauteur de la situation… Il n’avait jamais fait l’objet d’un traité de philosophie. La chercheuse Hélène Lœvenbruck s’y est attelée, en s’appuyant sur les neurosciences comme sur la littérature.
À l’écoute de notre voix intérieure
ENTRETIEN
Entretien 18 min
Nastassja Martin : “Je m’intéresse à la possibilité d’une métamorphose”
Alexandre Lacroix 25 août 2022
Cette jeune anthropologue a été révélée par Croire aux fauves, récit de son attaque par un ours qui l’a marquée corps et âme. Dans son nouvel essai À l’est des rêves, cette femme de terrain fait de l’animisme une réponse à la crise écologique. Une critique des certitudes occidentales autant qu’une manière de réenchanter le monde ?
Nastassja Martin : “Je m’intéresse à la possibilité d’une métamorphose”
L’AVENTURE D’UN CLASSIQUE
5 articles
“Entretiens” d’Épictète. Ce qui dépend ou non de nous
Publié le 25 août 2022
Exigeant le stoïcisme ? À lire Épictète et ses Entretiens, on pourrait croire que la sagesse ne concerne que les pierres, insensibles et indifférentes par nature. Ce serait mal comprendre ce philosophe qui, bien conscient de nos faiblesses, ne cherche qu’à nous donner les armes pour affronter les événements.
Illustration © Jules Julien pour PM. Photo-droit d’inspiration © iStockphoto
Article 11 min
“Entretiens”, d’Épictète. L’enseignement de l’indifférence
Victorine de Oliveira 25 août 2022
Confondre ce qui est en notre pouvoir et ce qui ne l’est pas nous condamne au malheur, avertit Épictète. Si nous souffrons, c’est que nous prenons pour mauvaises des choses qui, en fait, ne sont ni bonnes ni mauvaises, mais indifférentes. Il ne tient donc qu’à nous d’être heureux.
Illustration © Jules Julien pour PM. Photo-droit d’inspiration © iStockphoto
Article 3 min
La recherche d’une vie simple
Victorine de Oliveira 25 août 2022
Le stoïcisme tel que l’enseigne Épictète est l’héritier d’une longue tradition dans laquelle se sont reconnus aussi bien des esprits libres de la Grèce antique que des hommes d’État romains.
Article 2 min
Le maître d’Épictète vu par Pierre Hadot
Victorine de Oliveira 25 août 2022
Chez Épictète comme chez d’autres penseurs stoïciens, le contenu des exercices destinés à fortifier l’âme reste un peu flou. Même Pierre Hadot, spécialiste de philosophie ancienne, le reconnaît. C’est chez le maître d’Épictète, Musonius Rufus, que l’on trouverait la réflexion la plus aboutie sur la question.
Article 5 min
Olivier D’Jeranian : “Épictète a mis au point une théorie radicale de la responsabilité”
Victorine de Oliveira 25 août 2022
Pour son traducteur Olivier D’Jeranian, l’auteur des Entretiens a toujours tenu à lier théorie et pratique philosophique, tout en renouvelant nos conceptions de la liberté.
Olivier D’Jeranian : “Épictète a mis au point une théorie radicale de la responsabilité”
Article 26 min
“Entretiens”, d’Épictète. Les extraits
25 août 2022
Nous reproduisons des extraits des Entretiens d’Épictète traduits par Victor Courdaveaux.
Olivier D’Jeranian : “Épictète a mis au point une théorie radicale de la responsabilité”
DIVERGENCES
Article 3 min
Pourquoi est-on en retard ?
Marius Chambrun 25 août 2022
La ponctualité n’est pas la qualité la mieux partagée, et ceux qui attendent en savent quelque chose. Quatre philosophes remettent vos pendules à l’heure.
Pourquoi est-on en retard ?
BACK PHILO
Bac philo 6 min
Y a-t-il un ordre de la nature ?
Nicolas Tenaillon 24 août 2022
Analyse des termes du sujet « Y a-t-il » Existe-t-il ? Peut-on le constater ? « un ordre » Désigne ici non pas une succession ou une injonction mais une organisation, une harmonie. « de la nature » Ensemble de la réalité matérielle (minérale, végétale, animale), considérée comme indépendante de l’activité humaine ; ce qui est donné, qui nous environne et qu’on oppose à la culture.
LIVRES
Article 2 min
J’y pense et puis je lis / Septembre 2022
Jean-Marie Durand 25 août 2022
« Il y a un enjeu de société majeur à régler son compte à l’anthropologie patriarcale », écrit Dorothée Dussy dans l’essai collectif La Culture de l’inceste (Seuil), pour dénoncer l’idée selon laquelle l’interdit de l’inceste fait de nous des êtres humains, alors m�..
Livre
Jean-Fabien Spitz
La République ? Quelles valeurs ?
Publié le 24 août 2022
La République est sur toutes les lèvres. Les politiques, jusqu’au président Macron (« Aucune voix ne doit manquer à la République », disait-il sur le tarmac d’Orly durant la campagne des législatives), s’en prétendent les garants. Notamment contre ceux qui n’en seraient pas dignes, tels les promoteurs acharnés d’une démocratie sociale. Sans gêne, chaque parti se dispute le monopole de son incarnation. Or, comme l’analyse le philosophe Jean-Fabien Spitz, l’héritage émancipateur de cette République fétichisée fait l’objet d’une captation réductrice par « ceux qui veulent, sous couvert de fidélité à l’inspiration primitive, n’en retenir que la lettre pour en expulser la substance et en imposer une formulation dogmatique en contradiction avec la réalité des sociétés contemporaines – la concentration des richesses, l’inégalité et la domination qui en sont les conséquences ». Revisitant l’histoire de ce projet politique, Spitz démonte la logique de l’intégrisme républicain actuel : une espèce de « catéchisme moral » dont l’objet semble être de « répandre un écran de fumée devant la réalité sociale des inégalités et des rapports de dépendance que la République devrait au contraire s’assigner pour tâche de contenir ». Ce travestissement de la République, qui en fait le contraire de ce qu’elle devrait être, repose sur une version falsifiée de ses valeurs fondatrices (soutenir des citoyens libres et indépendants). Évacuant du débat public les questions qui engagent la définition même de la communauté des citoyens – rapports de travail, répartition de la richesse, accès à la santé et à l’éducation, justice fiscale… –, les républicains autoproclamés, pétris de l’idéologie néolibérale dominante, s’écartent des valeurs de la République, dont la matrice reste le « combat pour une égalité réelle, celle qui restitue à chacun la maîtrise de sa propre existence ». S’élevant contre cette captation frauduleuse, Jean-Fabien Spitz fait le procès du règne de l’égalité abstraite, « devenue le manteau de la discrimination », et de la liberté du marché, « devenue celui de l’exploitation ». Et plaide, devant ceux qui l’auraient oublié, que la République, rattachée au meilleur de la tradition libérale et sociale (de Charles Renouvier à Louis Blanc), n’a pour seule ambition que d’accorder la réalité des indépendances à celle des droits. À une forme d’intégrisme aveugle, le philosophe oppose l’intégrité de valeurs émancipatrices. Autant que dans celle de Platon, c’est dans la République de Spitz que nous voudrions vivre.
La République ? Quelles valeurs ?
Livre
Corine Pelluchon
Paul Ricœur, philosophe de la reconstruction
Publié le 24 août 2022
Quelle place occupe Paul Ricœur (1913-2005) dans l’histoire de la philosophie ? Pour saisir ce qui fait la cohérence d’une œuvre souvent incomprise et mieux mesurer son importance, Corine Pelluchon propose de le comprendre à partir de l’idée de « reconstruction » dans laquelle elle voit la réponse de Ricœur aux penseurs du soupçon qui, de Marx à Freud en passant par Nietzsche, ont voulu remettre en cause l’existence du sujet. Certes, Ricœur, explique-t-elle, « admet que l’on ne peut plus croire en une conscience transparente à elle-même qui serait la source exclusive du sens, mais la position consistant à faire disparaître le sujet derrière la structure ou à le réduire à une figure de style lui apparaît également comme une impasse ». C’est également le cas de la phénoménologie quand elle reste descriptive et ne va pas jusqu’à penser l’éthique et la responsabilité. Ainsi Ricœur a-t-il dû inventer une autre voie en greffant l’herméneutique sur la phénoménologie, pour ne pas se contenter d’appréhender l’intentionnalité de la conscience mais saisir la complexité de l’identité personnelle, et donc de l’ipséité. Cette capacité à être soi (en latin ipse) ne consiste pas à rester toujours exactement le même (idem) à travers le temps, indifférent aux événements ou aux autres, mais suppose une reconfiguration et une réinterprétation de soi-même. C’est pourquoi Corine Pelluchon fait de Soi-même comme un autre la clef de voûte de tout l’édifice ricœurien : « Dans ce livre, écrit-elle, publié quatre ans après la mort de son fils Olivier, il donne à voir la condition humaine dans toute son entièreté : le sujet est un être de liberté, capable de faire des choix et de trancher, mais il est également faillible, vulnérable au mal et soumis à la passivité, à l’altération de son corps et de sa mémoire, à la mort, à la souffrance, à l’injustice et au tragique. Il peut être en proie à la douleur et au tourment, perdre tous ses repères et devenir une énigme pour lui-même. » Attester de soi et se reconnaître l’auteur de ses actes, au contraire, ce n’est donc pas seulement se connaître soi-même, c’est être capable de répondre à l’appel d’autrui et de s’engager sur des valeurs morales.
Paul Ricœur, philosophe de la reconstruction
Livre
Alexis Anne-Braun
Le Grand Contournement
Publié le 24 août 2022
Zoomons sur un tableau de Cézanne : on ne voit pas grand-chose. Reculons d’un pas : un paysage naît, fruit de mille touches. Ainsi se déploie l’écriture d’Alexis Anne-Braun qui, dans son deuxième roman, croque le portrait d’une ZAD imaginaire, racontée par celles et ceux qui l’ont rêvée : quatre personnages se désignant comme la duchesse, la rageuse, le cynique et la pédale, liés par une utopie : bloquer le projet autoroutier du Grand Contournement Ouest. Alors on s’assied au coin du feu pour isoler le point du feu. Cette goutte d’eau qui fait déborder le vase social, quand Fayçal n’en peut plus d’être taxé de métèque, Magali de grosse, Félix de pédé, ou qu’on s’avise que « la France, ses problèmes comme ses solutions, gravite […] autour du concept de la grande vitesse : la différenciation sociale, les cookies Michel et Augustin, les Relay Gare, Guillaume Musso et Michel Onfray pour ce qui est du train ; les sandwiches au thon Sodebo, […] les étoiles Michelin, Mappy et Vinci pour l’autoroute ». Dans ce roman bâti comme un monologue à quatre voix, s’esquisse le portrait d’un pays aux abois, coincé entre les revendications des « gilets jaunes » et la laideur péri-urbaine. La dissection sera cruelle : « Pour faire dérailler la machine, il faut comprendre sur quoi elle roule. » Mais l’originalité du texte tient à son style brut et brutal. À mi-chemin entre la sagacité d’un Houellebecq, la rumination d’un Péguy et les punchlines d’un Booba. Car l’auteur brille surtout lorsqu’il énumère, peignant ici « un collège qui sent la bouse de vache, les déodorants Adidas et le Vivelle Dop “effet mouillé”, le colza ou le tilleul quand ils sont en fleur et le diesel à dix-sept heures », là cet âge où « les sneakers et le courage de se battre sont les seules monnaies d’échange dans le royaume des bisous et des fellations ». L’humour est-il toutefois la qualité première des insurgés ? L’auteur ne cache pas son geste politique. Sous couvert de dialogue platonicien, le prof de philo sait poser les questions qui fâchent : peut-on taper sur un flic qui, après son service, se sert un verre de Yop à la fraise ? La France est-elle devenue un pays de droite, ou de cons ? Jusqu’à ce constat épineux en guise de morale : « Il faut pratiquement plus de temps et de larmes pour transformer le cœur d’un homme que la gueule d’un paysage. »
Le Grand Contournement
Livre
Emma Becker
L’Inconduite
Publié le 24 août 2022
« Écrire et vivre sont deux choses distinctes. Oui, mais pas quand on écrit comme moi. Pas quand on vit dans la perspective d’écrire. » Pas selon Emma Becker donc, qui brosse la chronique de sa vie sexuelle, amoureuse et sentimentale. L’ouvrage débute sous une double aura : la naissance de son fils Isidore et la mort de « Papounet », son grand-père. Entre ces deux extrémités, il y a l’amour hétéroclite. « Ce que je voudrais que mon fils comprenne, c’est que j’ai essayé de me distraire de la place immense qu’il prenait en moi en y bourrant tout un tas de mecs qui me faisaient sentir vivante – c’est-à-dire en danger », écrit la romancière. Dans ces pages tendues par la licence et le style, Emma Becker dévoile, à travers ses amants, le portrait en creux « d’une écrivaine qui a un petit garçon et envie de crier, et elle voudrait bien pouvoir crier sans assourdir le père de son fils », Lenny. Elle déride le discours amoureux et ses clichés avec une tendresse ironique, jamais dupe, guidée par une volonté de savoir quasi métaphysique : pourquoi sommes-nous tiraillés par l’intranquillité du désir ? Car c’est bien lui qui s’exprime, le même qui préside à la sexualité et à la création, au point qu’on se demande s’il est plus excitant de vivre l’expérience ou de la raconter. S’il lui faut vivre pour écrire ou bien l’inverse. « Après tout c’est ça mon terrain d’investigation, poursuit Emma Becker, les mecs trop sûrs d’eux qui pensent qu’il suffit de retirer sa ceinture à grand bruit pour être un dominateur, ceux qui manquent de confiance en eux et essaient d’éteindre la vôtre pour que ça ne se voie pas, les mecs simples qu’on rencontre dans la rue et sur lesquels personne n’écrit jamais parce qu’au fond il n’y a rien à en dire, voilà, tel est mon boulot, que je trouve alors, chargée de coke et de whisky, absolument merveilleux : bâtir un monde à partir du néant d’où ils sortent tous en rampant. » Le spectre de Sade jaillit entre les lignes : dans la jouissance à décrire la fornication par le menu, dans la multiplication des expériences quitte à s’y abîmer, dans ce mouvement d’amour, enfin, qui tend à la consumation. « Ce n’est pas dans la jouissance que consiste le bonheur, c’est dans le désir, c’est à briser les freins qu’on oppose à ce désir », note le divin marquis dans Les Cent-Vingt Journées de Sodome. Aller sans frein, voilà donc l’inconduite ?
L’Inconduite
Livre
Jonathan Sadowsky
L’Empire du malheur
Publié le 24 août 2022
« Ce que nous appelons aujourd’hui “dépression” a-t-il existé tout du long de l’histoire humaine ? » Cette interrogation classique, Jonathan Sadowsky s’efforce de la complexifier, en rappelant que les maladies sont toujours inscrites dans une société et une culture, et se transforment selon les époques et les lieux. Impossible, dans ces conditions, d’assigner à une pathologie une définition fixe sans prendre en compte « ses expressions changeantes », « les efforts innombrables qui ont été déployés pour en saisir l’origine, la signification et l’essence », ainsi que les « procédés divers et variés auxquels ont eu recours les guérisseurs ». La dépression telle qu’elle est caractérisée et prise en charge par la psychiatrie n’a donc pas toujours existé (longtemps, elle ne fut même pas considérée comme une maladie). Son histoire est indissociable de « l’histoire d’un produit lui-même récent » : l’antidépresseur. Pourtant, cette nouveauté ne signifie pas l’absence de parenté avec d’autres formes historiques de détresse psychique, comme la « mélancolie ». La comparaison enrichit notre compréhension tantôt trop univoque, « réductionniste », tantôt trop vague d’un trouble qui a fini par devenir une grille d’analyse générique : « La dépression est progressivement devenue une des façons dominantes d’interpréter la détresse psychique. » Si, comme on l’entend souvent, nous n’avons jamais été déprimés, c’est peut-être d’abord parce que « l’on détecte mieux les cas de dépression » avec les outils d’interprétation développés et perfectionnés depuis au moins le début du XXe siècle, et aussi parce que « des maladies autrefois distinctes ou même des états qui n’étaient auparavant pas considérés comme pathologiques se trouv[e]nt désormais inclus dans le spectre de la dépression ». Le domaine de la dépression est devenu un empire.
L’Empire du malheur
Livre
Pablo Servigne et Gauthier Chapelle
L’Effondrement (et après) expliqué à nos enfants... et à nos parents
Publié le 24 août 2022
Le premier chapitre du dernier opus de Pablo Servigne et Gauthier Chapelle aborde une question importante, bien que rarement traitée : comment parler du réchauffement climatique avec les enfants ? D’un côté, dans le rôle de parents ou de pédagogues, on n’a pas envie de fermer leur horizon, d’installer dans les jeunes têtes une conscience douloureuse du monde. De l’autre, les enfants d’aujourd’hui auront à affronter des enjeux écologiques plus violents que les nôtres : plus de canicules et de mégafeux, plus de flux migratoires, d’extinctions animales, de pénuries… Ce serait donc un cadeau ambigu que de ne pas leur donner une image loyale des défis à relever. La solution proposée par les auteurs passe par un langage simple, débarrassé de l’expertise, mais précis. « Si l’atmosphère se réchauffe, alors l’eau de la mer s’évapore plus, donc il y aura de plus en plus de pluies à certains endroits, c’est-à-dire des inondations. » Ou encore : « Notre corps doit rester à 37 °C ! À 38 °C, si la transpiration n’est pas efficace, on est malade. Si notre corps atteint 43 °C, on meurt. » Que faire alors, mettre des jeunes au pouvoir ? Pas sûr, « le président français est le plus jeune jamais élu », mais « il a des idées de vieux ». Alors, partir en guerre ? C’est la fausse bonne solution que débunke le deuxième chapitre consacré à un dialogue imaginaire avec Camille, zadiste de 22 ans qui a envie d’en découdre… La solution des auteurs est que nous devenions « le contraire de soldats ».Trop optimistes, les collapsos ?
L'Effondrement (et après) expliqué à nos enfants... et à nos parents
Livre
Peter Szendy
Pouvoirs de la lecture
Publié le 24 août 2022
Depuis que la lecture ne se fait plus à voix haute, nous qui lisons dans un silence solitaire devons nous poser la question : qui lit quand on lit ? D’où vient « cette petite voix tacite qui lit en moi » ? Est-elle la mienne, celle de l’auteur, des personnages, ou bien, à l’occasion, la « voix de la raison » chère à Kant ? Est-elle transformée par les nouvelles manières de lire, comme lorsqu’on navigue sur Internet d’un texte à l’autre en cliquant sur un mot ? Pour explorer ces questions, Peter Szendy propose une hypothèse brillante, en quelque sorte théâtrale, qui parie que rien n’a changé depuis l’Antiquité. Car toute lecture recompose en chaque lecteur une situation à trois éléments, où le texte initial est lu par une voix qui se « prête » à lui, pendant qu’un auditeur « y prête l’oreille ». Autrement dit, quand on croit prendre du temps pour soi, la lecture en réalité nous divise, fait exploser le « soi » en entités multiples, puis jouer ces entités les unes avec les autres. Dans son essai – qui inaugure la collection « Terrains philosophiques », dirigée par Yves Citton et Mathieu Potte-Bonneville –, Szendy définit ainsi une approche fondée sur l’écoute, qui prolonge ses travaux sur la musique (Écoute. Une histoire de nos oreilles, Éd. de Minuit, 2001). Bien entendu, toutes les lectures ne se valent pas ; certaines sont plus mécaniques, d’autres plus musicales ; parfois on scrute chaque mot avec attention, parfois avec plus de distance. Mais la « phonographie du lire » ne cesse jamais d’exister, car elle est cruciale à la fabrication de sens. Elle a donc été « avalée, engloutie en chacun de nous, intériorisée dans la scénographie vocale intime qui se produit à chaque fois que nous lisons ». Démultipliée, elle s’avère un jeu de masques où l’on sait rarement à l’avance qui fait quoi : selon qu’on lit Hoffmann, Calvino ou Hobbes, les textes déterminent des postures de lecteurs et des profils d’auditeurs différenciés. Dans ces conditions, chaque livre fournit à la question « Pourquoi lire ? » sa propre réponse, lorsque, à chaque page, le lecteur se découvre et s’efface à la fois.
Pouvoirs de la lecture
Livre
Laurent De Sutter
Éloge du danger. Propositions II
Publié le 24 août 2022
Quelle place acceptons-nous de laisser au danger ? Lorsque nous y sommes confrontés, n’est-il pas vécu comme ce qui aurait été évitable ? Alors que des calculs de probabilité toujours plus précis sont censés nous préparer à l’imprévu et que nos institutions se sont constituées pour nous protéger contre les risques inhérents à toute vie, le danger n’est plus appréhendé que sous le prisme de ce qui est maîtrisable. Or il est avant tout un choc, un événement, qui doit relever non pas du probable mais du possible. C’est pour le réhabiliter pleinement que Laurent De Sutter lui dédie cet Éloge du danger, dans lequel il propose de renverser la perspective habituelle : si nos discours savants, nos moyens de connaissances et nos lois sont structurés autour du même projet de juguler le danger, n’est-ce pas pourtant « le danger qui est la règle et l’ordre l’exception » ? Le danger permet de faire le lien entre « l’ordre et son double » : c’est parce que le danger existe que nous nous figurons l’ordre et tentons de lui donner forme -– dialectique que le film noir rend palpable, en annonçant l’imminence d’un danger par une rupture de rythme, donc un changement d’ordre esthétique. Faire l’éloge du danger, toujours au singulier, revient alors à laisser la place au possible et à se dresser face aux forces sourdes de la probabilité comme « immunisation du calcul par rapport à l’impureté de la singularité ». À l’instar de la rencontre, le danger est « un accrochage » : dans la toile du régulier, une déchirure intervient, produisant du nouveau et du pensable.
Éloge du danger. Propositions II
Livre
Catherine Guesde
Penser avec le punk
Publié le 24 août 2022
Rien ne semble plus contre-intuitif que de « penser avec le punk » lorsqu’on tend une oreille à ce courant musical de la fin des années 1970, magistralement conté par des critiques comme Greil Marcus (Lipstick Traces, Allia) ou Jon Savage (England’s Dreaming, Allia). Le punk ne serait-il qu’un cri primal et sauvage lancé à la face de la société bourgeoise, comme le firent les Sex Pistols et leurs épigones ? Pourtant, suggère la philosophe Catherine Guesde dans un livre collectif qu’elle a piloté, il est possible, quarante ans après son éclosion et en dépit de la cynique récupération marchande de son image, de puiser dans ce mouvement des ressources pour vivre et penser de manière vertueuse, sinon polie. Des ressources héritées d’autres traditions intellectuelles, comme le transcendentalisme et le situationnisme, mais surtout aujourd’hui ancrées dans une pensée libertaire, écologique et égalitaire. De la critique du productivisme à la création des zones autonomes temporaires urbaines, du véganisme à la permaculture, des gestes politiques multiples, indexés à des formes de vie collectives, traduisent la vitalité de cet ethos punk. En cherchant à vivre éveillé dans les marges, en défendant « une puissance d’agir et de faire, une puissance pour transformer et se transformer », le punk est arrivé à se contredire, en esquissant la voie d’un futur possible, après avoir prophétisé le « no future ». C’est bien dans ce déplacement d’un nihilisme provocateur vers une lucidité critique que l’on peut aujourd’hui penser non plus sur mais avec le punk. Survivant à lui-même et à l’idée de sa propre vacuité, le punk accompagne la perspective du possible. Si l’on y avait cru en entendant en 1977 Johnny Rotten hurler dans Anarchy in the UK : « I get pissed, destroy » !
Penser avec le punk
Livre
Paul Rocher
Que fait la police ? Et comment s’en passer
Publié le 24 août 2022
Cela semble évident, la police a pour fonction de garantir la sécurité de la population. Pour cela, elle est équipée et entraînée afin de courir après les criminels (pour les soumettre à la justice) et de tenir à distance les délinquants (en les empêchant de nuire, en les intimidant, etc.). Et s’il y avait là une tragique erreur sur la fonction de la violence ? Et si la demande d’une présence policière toujours croissante témoignait d’une « attitude collective par défaut » qui demande à être interrogée ? En se penchant sur le « mythe policier » avec une rigueur et une précision qui contrastent avec ce que l’on entend généralement dans la bouche des « anti-flics », Paul Rocher démasque une erreur à la fois historique et philosophique. L’aveuglante légitimité de la police, préjugé largement partagé, occulte des réalités observables et bien connues des spécialistes. Parmi les croyances les plus ancrées, la première est que la police protégerait les individus. Cette conviction ne résiste pas aux études où, chiffres à l’appui, on découvre « qu’il n’y a pas de corrélation entre les dépenses pour la police et l’évolution des faits qualifiés de délinquants » et que 10 % seulement de l’activité d’un policier concerne des affaires criminelles. De même, on a tendance à considérer les violences policières comme des débordements marginaux. Paul Rocher montre que c’est la nature de l’institution policière, bâtie sur une économie politique précise et soudée par un esprit de corps unique, qui détermine le comportement des policiers. Enfin, il vaut la peine de se rappeler que la police n’a pas toujours existé et que plusieurs États mènent actuellement des expériences pour s’en passer : les comités de rue dans les townships d’Afrique du Sud autant que le programme de « justice communautaire restaurative » en Irlande du Nord prouvent ainsi que des alternatives existent.
Que fait la police ? Et comment s’en passer
Livre
Paul Audi
Troublante Identité
Publié le 24 août 2022
La meilleure façon d’analyser la question des identités n’est-elle pas, comme symptôme d’un enjeu partagé, d’interroger la sienne, surtout quand elle ne va pas de soi ? Dans un exercice d’introspection existentielle, le philosophe Paul Audi sonde « ce problème avec moi », qui le dévore depuis si longtemps. « Que s’est-il donc passé dans ma vie pour que je me laisse chaque fois saisir et envahir par la paranoïa, ou l’obsession ? » Qu’est-ce qui cloche chez Paul Audi ? L’injonction à la désignation identitaire qui l’énerve, mais aussi, de manière plus intime, l’ambivalence de son rapport affectif à son pays natal, le Liban, dont « les racines n’ont pas pris ». Paul Audi se définit comme un « ours mal léché prêt à griffer tous ceux qui s’imagineront pouvoir lui mettre la main au collet en le désignant par son identité ». Résistant à « cette reductio ad libanum » à laquelle on entend le soumettre en lui rappelant son lieu de naissance, il interroge le concept de provenance : « Faut-il à tous les coups que cette provenance soit la clé de l’être que je suis ? Faut-il même qu’une identité soit toujours fonction de la provenance ? » Certes, Paul Audi mesure qu’il pourrait s’accommoder d’un « écartèlement identitaire », au fond assez banal. Mais quelque chose lutte en lui : une « honte de soi », logée dans ce bain réfrigérant des origines qui ont « la pesanteur d’une ancre ». Une honte redoublée par le sentiment de ne pas parvenir à honorer ses premières attaches. Oscillant entre ses souvenirs personnels et des réflexions philosophiques qui les excèdent et les embrassent, Paul Audi se reconnaît surtout dans les mots de Robert Musil, qui évoquait son « désir de n’être plus ici ni là et pourtant son dépit d’être repoussé ici comme là », ou ceux d’Imre Kertész qui écrivait : « J’ai toujours eu une vie secrète qui était toujours ma vraie vie. » Ni d’ici ni de là-bas, attaché au sceau du secret : Paul Audi con-struit sa véritable identité d’écrivain pénétré du sentiment que l’on ne sera jamais autant soi-même que lorsque l’on n’aura plus rien de commun avec soi. Sa troublante identité renferme la trace frémissante de la bonne distance qu’il a trouvée entre lui et lui-même. Il est redevenu celui qu’il n’a jamais été.
Troublante Identité
Livre
Mathilde Ramadier
Vivre fluide
Publié le 24 août 2022
« Insuffler quelque chose de nouveau dans les relations amoureuses et charnelles, gagner en épanouissement et en puissance » : à partir d’un horizon existentiel commun à toutes celles qui se sentiraient bloquées dans leurs vies affectives ou sexuelles, Mathilde Ramadier esquisse un modèle de vie dont la « fluidité » serait le nom libérateur. Traversant l’histoire de la pensée et de la littérature féministe (de Sappho à Monique Wittig), l’autrice a enquêté auprès d’une cinquantaine de femmes pour mesurer en quoi la bisexualité peut être vécue comme un « versant anarchiste de la sexualité », incluant « une vision plus fluide et malléable de la vie que les identités hétérosexuelles ou lesbiennes ». En dépassant la norme dualiste, les « fugueuses » bisexuelles inventent sans cesse des appellations et des concepts (pansexuel, non binaire, queer…) – manière aussi de « faire de la philosophie ». Ce que Ramadier soutient surtout, c’est combien « vivre fluide » est la promesse d’une « explosion des potentialités, l’affirmation d’une puissance féminine heureuse ». « Se découvrir fluide, écrit-elle, c’est embrasser l’altérité au creux de soi et la mêmeté chez l’autre, aussi lointain de nous soit-il. Se découvrir fluide, c’est abolir le clivage, le “ou bien, ou bien” pour s’ouvrir à ce qui peut, toujours, advenir autrement. C’est réduire la part d’étrangeté dans le rapport aux autres. » Des ressources existentielles fécondes se logent dans ce rapport au désir, car « la fluidité va au-delà de la sexualité ». C’est une totalité ouverte, dont Mathilde Ramadier cerne les contours infinis pour nous élargir l’esprit, sinon le corps.
Vivre fluide
Livre
Alison Bechdel
Le Secret de la force surhumaine
Publié le 24 août 2022
On se doutait bien que la nouvelle bande dessinée d’Alison Bechdel (après Gouines à suivre, Fun Home et C’est toi ma maman ?) n’était pas un programme d’abdo-fessiers, mais on est tout de même surpris quand, dès les premières pages, on saute des cours d’aérobic aux romantiques. C’est que, précisément, la seule puissance physique ne l’intéresse pas : la quête de la forme est intimement liée à la quête de soi, préoccupation centrale des philosophes qu’elle ne manque pas de convoquer. Renforcer le contrôle sur soi, développer ses capacités, surmonter ses faiblesses dans un mouvement de dépassement sans fin sont des transformations visées par l’autrice dans sa pratique intense des sports – ce sont aussi des caractéristiques attribuées au surhomme de Nietzsche. Mais le surhomme, c’est aussi celui qui questionne les valeurs de la société, à commencer par ce terme même de « surhomme », qui, employé ici, semble tomber à côté. Si ça cloche, c’est justement parce que le corps féminin et le corps lesbien sont au centre de la réflexion de Bechdel. La philosophe Elsa Dorlin parle du corps des filles comme d’un corps qui, dans son éducation, a reçu une injonction à ne pas prendre de place, à oublier ses muscles. Dès lors, l’autodéfense devient nécessaire à la survie ; les minorités doivent penser des résistances appelées « éthiques martiales de soi ». En s’intéressant aux sports et à leurs accessoires qui lui sont interdits, Alison Bechdel transcende son genre. En rejoignant simultanément le syndicat gay et des cours d’arts martiaux féministes, elle espère opérer une transformation de la société, développer une pensée avec et à partir du muscle, dans un même mouvement.
Le Secret de la force surhumaine
Livre
Pacôme Thiellement
Paris des profondeurs
Publié le 24 août 2022
N’importe quel Parisien vous le confirmera : Paris s’épuise. La nuit n’y tient plus qu’à un fil, les loyers exorbitants en chassent les plus modestes, les boutiques et les restaurants y singent l’autrefois sans parvenir à en garder l’âme – sans parler des travaux, ajouteront les plus réfractaires au changement. Mais n’aurait-on pas épuisé Paris ? À lire Pacôme Thiellement, loin de là. Mais il faut creuser, parfois littéralement, pour retrouver l’énergie dionysiaque et révolutionnaire qui anime la ville – n’en déplaise à certains, les « gilets jaunes » en ont été une incarnation. Dans son exploration psychogéographique de la capitale, Thiellement cavale de références littéraires en anecdotes historiques et autres souvenirs personnels. Il parcourt Paris du lion de Denfert-Rochereau à la basilique de Saint-Denis (car, oui, il faut penser « Grand Paris » désormais), avec, pour centre de gravité, le parvis de Notre-Dame, d’autant plus vibrant qu’il est désormais inaccessible depuis l’incendie de 2019. Thiellement joue moins les tour operators de surface qu’il ne se laisse attraper, hypnotiser (et nous avec) par les cryptes cachées, les puits dérobés et les cours intérieures que laissent entrevoir quelques portes bienveillantes et mal fermées. Pour un peu, on s’enivrerait presque des vapeurs sulfurées qui montaient autrefois de sous le jardin du Luxembourg. C’est la géographie de Paris mais aussi les obsessions de Thiellement que l’on traverse, des Sans-Roi, ces disciples de Jésus qui refusaient de faire allégeance à un Dieu-démiurge, au surréalisme et aux divinités de l’ancienne Égypte. Carte de Paris… ou scanner cérébral de Thiellement ? On ne sait plus et on s’en fout un peu. Il y a quelque chose d’une quête mélancolique, mais pas entièrement désespérée dans ce jeu à double face. C’est que la capitale bruisse encore partout, si l’on tend l’oreille. Il n’y a qu’à suivre le guide.
Paris des profondeurs
CULTURE
Article 2 min
“7 Minutes ” : onze femmes en colère
Cédric Enjalbert 25 août 2022
Jusqu'où consentir ? À quoi renoncer ? Ce sont deux grands enjeux de cette pièce de théâtre qui met brillamment en scène le monde du travail.
“7 Minutes ” : onze femmes en colère
Article 2 min
“Trois mille ans à t’attendre” : djinn chroniques
Cédric Enjalbert 25 août 2022
Le père de la saga Mad Max revisite le mythe du génie dans la lampe. Un conte filmé qui interroge notre besoin de fiction et la notion de responsabilité.
“Trois mille ans à t’attendre” : djinn chroniques
Article 2 min
“Mirdidingkingathi Juwarnda Sally Gabori” : totem et tableaux
Cédric Enjalbert 25 août 2022
La Fondation Cartier propose la première grande exposition en France consacrée à Sally Gabori (1924-2015), peintre australienne aborigène. Laissez-vous emmener dans le temps du Rêve !
“Mirdidingkingathi Juwarnda Sally Gabori” : totem et tableaux
OH ! LA BELLE VIE !
Article 2 min
Conseil n° 21 : chantons ! Dansons !
François Morel 25 août 2022
Chantons sous la pluie ! Chantons sous l’orage ! Chantons dans la bourrasque et sous la neige, chantons sous la grêle ! Chantons dans la tourmente et la tornade, chantons dans les cyclones et les ouragans ! Chantons dans les décombres, parmi les ruines et les ravages ! ..
Conseil n° 21 : chantons ! Dansons !
JEU
Article 1 min
Philocroisés #83
Gaëtan Goron 25 août 2022
Horizontalement I. Une parmi quatre (animisme, totémisme, analogisme, naturalisme) chez Descola. II. Il est avec du tapioca. III. Autre pour Rimbaud. Vieux poème. IV. Presqu’île bretonne, à Vannes. V. Pantalon paradoxalement créé en Inde. VI. Pompe de sai..
Philocroisés #74
QUESTIONNAIRE DE SOCRATE
Article 2 min
Lola Lafon. La mémoire qui tranche
Alexandre Lacroix 25 août 2022
Dans son précédent roman Chavirer, Lola Lafon introduisait de subtiles réflexions sur le sens du pardon dans le judaïsme. Avec Quand tu écouteras cette chanson, qui paraît en cette rentrée chez |
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