[n° ou bulletin] est un bulletin de / Alexandre Lacroix (2011)Titre : | N°165 - Décembre 2022 - Janvier 2023 - La question Woke | Type de document : | texte imprimé | Année de publication : | 2022 | Importance : | 98 p. | Présentation : | ill. en coul. | Format : | 29 cm | Langues : | Français (fre) | Catégories : | Philosophie
| Tags : | Woke | Index. décimale : | 17 Morale. Éthique. Philosophie pratique | Résumé : | Peut-on encore parler de racisme, de sexisme et d’identités de genre sans se fâcher ?
Pour certains, le wokisme est une nouvelle police de la pensée, une idéologie semblable au maoïsme d’antan, qui renvoie tous les interlocuteurs à leur couleur de peau ou à leur sexe... D’autres expliquent que les wokes n’existent pas, sinon dans le fantasme d’une bourgeoisie conservatrice qui craint pour ses privilèges. Et si l’on avait tort de camper sur des positions aussi caricaturales ?
(Philomag) | Note de contenu : | ÉDITO
Article 3 min
Un genre de trouble
Alexandre Lacroix 30 novembre 2022
Ils sont dans une cafétéria, non loin de la fac. Elle a pris un demi pression et lui un jus d’abricot. C’est la première fois qu’ils partagent un peu d’intimité. Ils sont de la même promo mais n’ont échangé que des regards de loin durant les cours communs. Ils ont dans les vingt&..
VOS QUESTIONS
Article 3 min
“Faut-il chercher à éviter les émotions négatives ?”
Charles Pépin 30 novembre 2022
Question de Pauline Faivre
“Faut-il chercher à éviter les émotions négatives ?”
REPÉRAGES
Article 1 min
L’adaptation roule des mécaniques
Octave Larmagnac-Matheron 30 novembre 2022
La capacité d’adaptation à l’environnement passe pour un trait caractéristique du vivant, par opposition à la matière inerte. Cependant, cette conviction pourrait bien être ébranlée par une équipe d’ingénieurs de l’université de Californie à Los Angeles : ces derniers ont mi..
L’adaptation roule des mécaniques
Article 1 min
“Choix”
Octave Larmagnac-Matheron 30 novembre 2022
“L’humanité a un choix : coopérer ou périr” António Guterres, secrétaire général de l’ONU, lors du sommet de la COP27 à Charm el-Cheikh en Égypte, le 7 novembre “Choix et conscience sont une seule et même chose” Jean-Paul Sartre, dans L’Être et..
Article 1 min
Géopolitique des choses
Octave Larmagnac-Matheron 30 novembre 2022
Crise énergétique, pénuries alimentaires, tension sur les semi-conducteurs… Oubliées à la faveur d’un sentiment global d’abondance et de la dématérialisation numérique, les choses reviennent sur le devant de la scène. Nous vivons une « crise des “choses” », analysent d..
Géopolitique des choses
Article 1 min
“4 020”
Octave Larmagnac-Matheron 30 novembre 2022
C’est le nombre de signalements adressés en 2021 à la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), soit une augmentation de 33,6 % par rapport à 2020. Un cinquième de ces signalements concerne le domaine de la santé. 293 sont liés à la..
Article 2 min
L’animal, si proche, si loin…
Octave Larmagnac-Matheron 30 novembre 2022
POURCENTAGE DE CAPACITÉS HUMAINES POSSÉDÉES Proximités cognitives 77 % Porc 71 % Poule 57 % Abeille 49 % Pieuvre 43 % Carpe 26 % Crevette Proximités hédoniques Porc 64 % Poule 60 % Pieuvre 53 % Carpe 5..
PERSPECTIVES
Article 3 min
Après Kherson, la Crimée ?
Michel Eltchaninoff 01 décembre 2022
Après la reprise de Kherson à la mi-novembre, l’armée ukrainienne se rapproche de la Crimée annexée. La péninsule servira-t-elle de monnaie d’échange entre l’Ukraine et la Russie ? Ou provoquera-t-elle une montée aux extrêmes ?
Après Kherson, la Crimée ?
Article 3 min
La morale est-elle soluble dans le nombre ?
Alexandre Lacroix 30 novembre 2022
Alors que l’humanité vient de passer le cap des 8 milliards d’individus, on peut se demander, avec l’écrivain polonais Witold Gombrowicz, comment le sens de l’existence est affecté par ces ordres de grandeur.
La morale est-elle soluble dans le nombre ?
Article 3 min
Eva Illouz : “La peur est un sentiment qui fait toujours bouger l’échiquier politique à droite”
Charles Perragin 30 novembre 2022
La sociologue Eva Illouz, qui vient de faire paraître Les Émotions contre la démocratie (Premier Parallèle), montre comment les expériences sociales suscitent des réactions affectives qui se transforment en idéologies, notamment en un nationalisme populiste.
Eva Illouz : “La peur est un sentiment qui fait toujours bouger l’échiquier politique à droite”
Article 3 min
Donald Trump sera-t-il à nouveau président ?
Batiste Morisson 30 novembre 2022
Peu après les résultats des élections du Congrès, Donald Trump a annoncé le 15 novembre qu’il briguerait un second mandat en 2024. Pour le politiste américain Roger Berkowitz, spécialiste de Hannah Arendt, cette tentative n’est pas si désespérée.
Donald Trump sera-t-il à nouveau président ?
AU FIL D’UNE IDÉE
Article 2 min
“Testo”, c’est trop ?
Sven Ortoli 29 novembre 2022
La production moyenne de testostérone chez une femme est de 10 à 20 fois inférieure à celle d’un homme. Le niveau de testostérone passe par un maximum entre 18 et 19 ans avant de décliner en moyenne de 1 % par an à partir de 30 ans. À ce déclin dû à l’âg..
“Testo”, c’est trop ?
ETHNOMYTHOLOGIES
Article 3 min
Puff. Jeunesse dans les vapes
Tobie Nathan 29 novembre 2022
Peu chère, parée de couleurs vives et d’arômes fruités, cette cigarette électronique jetable séduit les adolescents, voire les enfants. Malgré sa nocivité avérée, le tabac s’empare encore et toujours des corps et des esprits. Manœuvre marketing ou revanche divine ?
Puff. Jeunesse dans les vapes
RÉCIT
Article 22 min
Pythagore. Un sacré numéro
Martin Duru 30 novembre 2022
Tout le monde connaît le théorème qui porte son nom, mais on ne sait que peu de choses de lui. Héros de la rationalité mathématique, pionnier du végétarisme, gourou new age, théoricien de la musique… Qui était vraiment Pythagore ? Nous vous invitons à découvrir cet inconnu célèbre, dont l’aura n’a cessé d’influencer l’histoire de la pensée.
Pythagore. Un sacré numéro
L’ŒIL DE LA SORCIÈRE
Article 3 min
Reprendre ses esprits
Isabelle Sorente 29 novembre 2022
Les contenus ciblés des réseaux sociaux ne cessent de s’engouffrer dans nos failles les plus intimes… jusqu’à provoquer la mort. Pour contrer leurs effets délétères, il est nécessaire de se réapproprier nos imaginaires dans toute leur plasticité.
Reprendre ses esprits
DOSSIER
5 articles
La question woke
Publié le 01 décembre 2022
Peut-on encore parler de racisme, de sexisme et d’identités de genre sans se fâcher ? « Woke » est un mot paradoxal. Dès qu’il est prononcé, s’expriment des avis tranchés. Certains pensent que le wokisme est une nouvelle police de la pensée, une idéologie semblable au maoïsme d’antan, qui renvoie tous les interlocuteurs à leur couleur de peau ou à leur sexe… D’autres contre-argumentent aussitôt en expliquant que les wokes n’existent pas, sinon dans le fantasme d’une bourgeoisie conservatrice qui craint pour ses privilèges. Et si l’on avait tort de camper sur des positions aussi caricaturales ? > En effet, depuis #metoo et le mouvement Black Lives Matter, qui ont eu des répercussions en France, c’est toute la société qui a bougé sur l’enjeu du sexisme et du racisme. Que nous le voulions ou non, nous nous sommes tous un peu réveillés ! Pour certains, ça pique plus que pour d’autres… C’est pourquoi nous vous invitons à faire notre test : ne seriez-vous pas woke sans le savoir ? > La généalogie du mot « woke », qui remonte à la fin du XIXe siècle et aux luttes des Afro-Américains, nous permet d’éclairer les termes du débat actuel : le wokisme est moins un courant de pensée unifié qu’un fourre-tout qui renvoie au communautarisme, aux études de genre, à la pensée postcoloniale et au féminisme. Nous vous proposons de déplier cette histoire. > La mère d’un enfant trans, une étudiante qui en a assez d’endosser le rôle de la « bonne Noire », un musicien juif qui découvre la persistance de l’antisémitisme, une femme témoin d’un harcèlement sexuel, un végane : nous proposons ici cinq histoires d’éveil commentées par la philosophe spécialiste de l’écoféminisme Jeanne Burgart Goutal. > Auteur de La Religion woke, Jean-François Braunstein est un adversaire déclaré de ce mouvement où il décèle une « haine de la raison ». Pour conclure ce dossier, il débat avec Alex Mahoudeau, qui tourne en dérision « la panique woke », titre de son dernier ouvrage. Étonnamment, ils sont parvenus à trouver sur le terrain de la philosophie quelques points de convergence !
La question woke
Article 6 min
Pour plus de fluidité dans nos échanges
Alexandre Lacroix 01 décembre 2022
Une société où il n’y aurait plus que des gens convaincus, où les réactionnaires et les progressistes n’auraient plus aucun langage commun pour échanger, ne deviendrait-elle pas irrespirable ? Pour résister à la dynamique conflictuelle de l’espace public, adoptons des conceptions plus fluides.
Et si l’on essayait de devenir “opinion fluid” ?
Article 12 min
Test : êtes-vous woke sans le savoir ?
Alexandre Lacroix 01 décembre 2022
Vu la gradation subtile des positions qui vont de gauche à droite, on est toujours le woke – ou le réac – de quelqu’un d’autre ! Alors, comment s’y retrouver ? En faisant ce test, qui vous invite à établir vos priorités.
Êtes-vous un woke qui s’ignore ? Faites le test !
Article 16 min
La grande marche des éveillés
Cédric Enjalbert 01 décembre 2022
Si, en France, le mot « woke » a vraiment surgi dans le débat public vers 2020, il est le fruit d’une étonnante histoire, agrégeant le mouvement des droits civiques afro-américains, l’influence de la déconstruction de Derrida et les études de genre. Par un étrange retournement, cette idée d’« éveil » serait-elle en train de se muer en une nouvelle forme d’autocensure ?
La grande marche des éveillés
Article 16 min
Prises de conscience
Victorine de Oliveira 01 décembre 2022
Confrontés à des structures de domination écrasantes ou à un monde en mutation, nos cinq témoins ont vécu un choc existentiel. Ils expliquent ici comment ils se (re)construisent en dehors des normes. Des parcours éclairés par la philosophe Jeanne Burgart Goutal.
Prises de conscience
Dialogue 8 min
Jean-François Braunstein-Alex Mahoudeau : oui, on peut encore tout dire !
Michel Eltchaninoff 01 décembre 2022
Tout les oppose ! Pour le philosophe Jean-François Braunstein, le wokisme est un fanatisme. La spécialiste de science politique Alex Mahoudeau, elle, y voit un renouveau salutaire de la pensée critique. Malgré leurs divergences, ils ont accepté de débattre en toute liberté, au-delà des caricatures.
Jean-François Braunstein-Alex Mahoudeau : oui, on peut encore tout dire !
ENTRETIEN
Entretien 16 min
Lionel Naccache : “Notre conscience est constituée d’atomes insécables”
Martin Legros 30 novembre 2022
La pensée, pur produit de notre cerveau ? Pas pour ce neurologue, qui entretient un dialogue fécond entre neurosciences et philosophie, mais aussi Talmud ou cinéma. À l’occasion de la parution de son Apologie de la discrétion, il explique comment cette notion, mathématique autant que psychologique, permet de répondre à nos questionnements éthiques ou politiques.
Lionel Naccache : “Notre conscience est constituée d’atomes insécables”
L’AVENTURE D’UN CLASSIQUE
5 articles
“Le Monde comme volonté et comme représentation”, d’Arthur Schopenhauer : la volonté, clé du réel
Publié le 30 novembre 2022
Schopenhauer (1788-1860) est un ovni en philosophie. Héritier de Kant, il s’en affranchit toutefois en puisant dans la philosophie hindouiste pour forger, dans Le Monde comme volonté et comme représentation un concept nouveau : la volonté. Selon lui, elle est le principe à l’œuvre dans tout l’univers, qui anime les humains, les insectes ou les planètes. De quoi réconcilier toutes les dimensions de la réalité.
“Le monde comme volonté et comme représentation”, d’Arthur Schopenhauer : une volonté qui vient de loin
Article 11 min
“Le monde comme volonté et comme représentation”, d’Arthur Schopenhauer : une volonté qui vient de loin
Victorine de Oliveira 30 novembre 2022
Le monde est gouverné par la volonté, que nous expérimentons en nous, même si elle nous dépasse. Pour la canaliser, Schopenhauer a élaboré une métaphysique inspirée par le kantisme, le bouddhisme et l’art.
“Le monde comme volonté et comme représentation”, d’Arthur Schopenhauer : une volonté qui vient de loin
Article 3 min
Arthur Schopenhauer : métaphysique de la mélancolie
Victorine de Oliveira 30 novembre 2022
Drôle d’objet que ce Monde comme volonté et comme représentation qui, à sa parution, ne rencontre que l’indifférence générale. Deux siècles plus tard, le voilà pourtant devenu un ouvrage culte pour métaphysiciens exaltés et poètes maudits. Il faudra vous armer de toute votre volonté si vous souhaitez à votre tour vous y attaquer…
Article 3 min
Schopenhauer : un Français à la rencontre du maître
Victorine de Oliveira 30 novembre 2022
Paul Challemel-Lacour (1827-1896) a été l’un des premiers disciples de Schopenhauer en France. Bien qu’habité par l’idéal républicain de progrès, cet agrégé de philosophie à la longue carrière politique est rongé par un profond pessimisme existentiel. Il rencontre son idole en 1856, à Francfort. Il en tirera un portrait frappant de « l’Allemand ».
Article 5 min
Vincent Stanek : “La volonté schopenhauerienne n’est pas déterminée par le principe de raison”
Victorine de Oliveira 30 novembre 2022
Pour Vincent Stanek, qui a consacré plusieurs ouvrages à l’auteur du Monde comme volonté et comme représentation, Schopenhauer propose une solution à l’énigme du réel avec le concept de volonté. Il explique ici ce que recouvre cette notion.
Vincent Stanek : “La volonté schopenhauerienne n’est pas déterminée par le principe de raison”
Article 22 min
“Le Monde comme volonté et comme représentation”, d’Arthur Schopenhauer : les extraits
Arthur Schopenhauer 30 novembre 2022
Nous reproduisons des extraits du Monde comme volonté et comme représentation d’Arthur Schopenhauer traduits par Auguste Burdeau.
BOÎTE À OUTILS
Article 3 min
Pourquoi aimons-nous partager un repas ?
Batiste Morisson 29 novembre 2022
Un déjeuner ou un dîner en commun est une promesse de convivialité… pas toujours tenue. Les philosophes mettent les petits plats dans les grands pour qu’ils soient réussis à chaque fois.
Pourquoi aimons-nous partager un repas ?
Article 1 min
Ūhtċearu
Octave Larmagnac-Matheron 29 novembre 2022
Langue d’origine : vieil anglais
Article 2 min
“Musique”
Caroline Pernes 29 novembre 2022
Cinq philosophes se mettent au diapason.
LIVRES
Livre
Mona Chollet
D’images et d’eau fraîche
Publié le 25 novembre 2022
On croyait bien connaître Mona Chollet. On l’étiquetait essayiste féministe depuis ses livres à succès : Beauté fatale (2012) sur les injonctions imposées par l’industrie de la mode, Sorcières (2018) sur la stigmatisation subie par celles qui refusent la maternité, ou Réinventer l’amour (2021) sur les méfaits du patriarcat et les possibilités d’en sortir. Elle publie un livre inattendu où elle se dévoile comme collectionneuse d’images – avec, preuves à l’appui, de nombreuses et riches illustrations tirées de son iconothèque personnelle : photographies, gravures, peintures, enluminures, dessins tantriques du Rajasthan, gravures de Serge Rezvani, tarots enluminés du XVe siècle, etc.Un livre d’images ? Oui, mais aussi et avant tout un livre sur les images et sur l’influence qu’elles exercent sur nos vies. Car ce n’est pas seulement collectivement que nous vivons au sein de ce que le philosophe Georges Gusdorf appelait « la civilisation de l’image », c’est surtout dans l’intimité de notre existence qu’elles nous accompagnent. Les tableaux et affiches qui nous suivent, déménagement après déménagement, les images que nous stockons sur nos téléphones, celles que nous nous approprions et celles que nous partageons, les ineffaçables que nous aimons fidèlement comme celles qui nous lassent… Toutes disent quelque chose de nous. Et Chollet de se remémorer les photos cool qu’elle découpait dans les magazines et collait dans son agenda comme pour construire son identité, parce qu’elles lui donnaient l’impression d’être une jeune fille. Aujourd’hui, les multiples images qui l’entourent lui apportent autant de plaisir qu’elles comblent un besoin compulsif : nourrie de sa « ration quotidienne de mondes miniatures, dessins, tableaux ou photographies d’art, emprisonnés dans un rectangle de papier ou de pixels, tels des génies dans leur bouteille », elle peut ainsi éprouver « une sorte d’orgasme visuel » à tourner les pages de son compte Pinterest. Pourquoi une telle fascination ? C’est parce que « nous sommes tous japonais », explique Chollet, qui refuse d’opposer les Occidentaux, qui auraient un rapport aux images seulement esthétique, intellectuel – et donc superficiel –, aux Japonais qui verraient leurs estampes comme des appels à la méditation et au voyage intérieur. Tout geste artistique pouvant être interprété « comme une manière d’accorder l’hospitalité au spectateur », c’est universellement qu’« on recherche des images qu’on peut habiter, dans lesquelles on peut se projeter », ce qui explique que « les photos d’intérieurs, d’architecture, de maisons, de cabanes dans les arbres » soient si populaires. En aspirant non seulement notre œil mais tout notre être, les images nous enveloppent et nous protègent de la violence du monde, comme des « concentrés de sens et de beauté dans un univers quotidien qui échoue trop souvent à nous en fournir la dose nécessaire ».
D’images et d’eau fraîche
Livre
Georges Vigarello
Une histoire des lointains
Publié le 25 novembre 2022
Partir le plus loin possible, s’extirper du quotidien, fouler des contrées insolites… Qui n’en a jamais rêvé ? Dans cette Histoire des lointains – superbement illustrée de gravures, de tableaux et de photographies –, l’historien Georges Vigarello montre que ce désir d’ailleurs ne date pas d’hier. Au cœur de l’Antiquité, le lointain renvoie à l’étrange. « Bois profonds » ou « vallées escarpées » abritent des « Blemmyes » dépourvus de tête ou des « Sciapodes » dotés de pieds immenses. Ce lointain bigarré et un brin cocasse célèbre une « nature féconde comme jamais », « hésitant entre mille formes possibles ». Mais avec les explorations du XVIe siècle, le lointain devient concret : une forme de désillusion s’amorce. L’éloignement se ressent dans la chair des voyageurs qui doivent faire face aux maladies, à la peur de la mort et des tempêtes. Nous passons « de la distance à la souffrance ». C’est la fin de la naïveté. L’imagination est remplacée par la curiosité, laquelle se meut en désir de maîtrise. Cette volonté occidentale de domination du lointain culmine pendant la colonisation. Plus tard, l’aviation et la mondialisation réduisent la quantité de parcelles non foulées par l’humanité. Les désastres écologiques nous font passer de l’« esthétisation » du lointain à sa « dégradation ». Au fil de l’ouvrage, on se questionne : l’histoire des lointains ne serait-elle pas celle de leur inexorable disparition ? Au contraire, rétorque Vigarello : « Le lointain s’impose plus que jamais. » La dévastation des forêts et la fonte des banquises rappellent que nous sommes liés à ces contrées éloignées. Si elles s’effacent, c’est nous qui coulons. « Le lointain fait retour », alerte Vigarello… Et il ne risque pas de se faire oublier.
Une histoire des lointains
Livre
Sylvain Tesson
Blanc
Publié le 25 novembre 2022
Représenter un carré blanc sur fond blanc ? Impossible ! Aussi le peintre russe Kasimir Malevitch usa-t-il pour son tableau d’un subterfuge, employant deux nuances de blanc distinctes. Raconter 84 jours passés à crapahuter et à skier dans la neige, hors piste – des journées qui toutes se ressemblent, du départ à l’aurore jusqu’à l’arrivée au refuge, dans des paysages uniformes et sans contour ? Difficile de ne pas lasser, de ne pas s’engourdir dans la répétition. Aussi l’écrivain Sylvain Tesson alterne-t-il plusieurs nuances de blanc dans son dernier récit de voyage. Il en emploie surtout trois, qui créent des contrastes internes au livre. Il y a d’abord le blanc-surface, cette croûte durcie par le froid que les spatules de skis frottent et qui inspire des aphorismes âpres comme : « Huit heures à racler un paysage demande des ressources intérieures. » Il y a ensuite le blanc-substance, qui convient peut-être mieux à la poudreuse, à la fois coton et cristal. Ce blanc-là, sous « le ciel fraise-pistache », prend des teintes roses et or. C’est la matière de la neige qu’aimèrent naguère Monet et les impressionnistes, parce qu’elle est onirique, douce et presque charnelle, qu’elle évoque « le souvenir d’un corps chaud ». Et puis il y a le blanc-absence, car la neige a le pouvoir d’annihiler les formes habituelles du monde, de nous mettre sous les yeux une béance. Ce blanc-là est en fait très proche du Noir, autre livre de Sylvain Tesson publié cette année, qui dévoilait une face plus ténébreuse de l’écrivain, puisqu’on y découvrait de nombreux dessins de pendus et de suicide. Ainsi le noir du néant est-il la doublure du blanc du suaire.
Blanc
Livre
Michel Pastoureau
Histoire d’une couleur. Blanc
Publié le 25 novembre 2022
Blanc, le sous-titre du nouvel ouvrage de Michel Pastoureau – sixième volume d’une série entamée en 2000 avec le bleu –, surprendra peut-être. N’apprend-on pas, en effet, que le blanc n’est pas une couleur mais le mélange en égales proportions de toutes les couleurs ? Cette ambiguïté, l’historien des sensibilités la tranche dès l’introduction : le blanc a connu une éclipse chromatique pendant quelques siècles. « L’apparition de l’imprimerie et de l’image gravée – à l’encre noire sur papier blanc » a relégué le blanc au rang de toile de fond informe, neutre, indéterminée. Le blanc se mue en « non-couleur » : un rien incolore, quasi immatériel, qui devient par excellence le symbole abstrait de l’absolu. Cette parenthèse, qui, d’après Pastoureau, se referme aujourd’hui, reste une exception dans l’histoire : pendant des siècles, le blanc était une couleur parmi d’autres, opposée au rouge plus qu’au noir. L’œil de nos prédécesseurs était d’ailleurs beaucoup plus sensible que le nôtre aux « nuances du blanc ». N’en demeure pas moins, reconnaît l’historien, un fil directeur dans l’histoire du blanc : si la majorité des couleurs sont ambivalentes, « la plupart des idées associées au blanc sont des vertus ou des qualités : pureté, virginité, innocence, sagesse, paix, bonté, propreté ». Même lorsque, comme en Asie, le blanc évoque la mort, c’est une mort comme renaissance. Couleur des dieux, couleur des rois, le blanc semble auréolé d’une irréductible positivité, dont l’éclat mystérieux et implacable, difficile à créer artificiellement, a tout de même quelque chose d’« inquiétant » et peut évoquer « le vide, le froid, la peur et l’angoisse ». Cet ouvrage richement illustré éclaire cette histoire contrastée.
Histoire d’une couleur. Blanc
Livre
Bruno Latour
Pasteur
Publié le 25 novembre 2022
Disparu le 9 octobre dernier, Bruno Latour manque déjà au monde des idées et accessoirement à celui des arts. Comment, alors, aborder ou redécouvrir l’œuvre protéiforme d’un penseur singulier qui répugne aux différentes classifications qu’on voudrait lui imposer en cherchant à le situer quelque part entre anthropologie, sociologie et philosophie des sciences (liste non exhaustive) ? Peut-être en se replongeant dans cette réédition de Pasteur, une science, un style, un siècle (1994), qu’il avait écrit en hommage à celui dont on célébrait alors le centenaire de la mort, dix ans après des publications qui étaient ses premières et qu’il avait déjà consacrées au microbiologiste. L’intérêt de Latour pour Pasteur ne s’est jamais démenti, car le scientifique représente, comme l’explique ici un avertissement inédit et rédigé à la lumière de la pandémie de Covid, celui qui a, le premier, rencontré les microbes. Mieux, renchérit Latour, Pasteur nous a appris à regarder autrement le monde dans lequel nous, humains, vivons et que nous avions pris pour le nôtre… alors que c’est en réalité nous qui « habitons chez les microbes ». Avons-nous cependant l’entière conscience de la révolution qu’implique cet enseignement ? Non, puisque la leçon doit régulièrement être rappelée par les pandémies (passées, présentes et à venir) que Latour voit comme des « maîtres d’école rigoureux » et d’impitoyables professeurs. Là où Pasteur a innové également, c’est parce qu’il a su quitter son laboratoire pour mobiliser les politiques publiques de santé en faveur de vastes campagnes de vaccination, comme s’il avait tout compris de l’étroite et nécessaire intrication des avancées savantes et des enjeux politiques et sociaux… Comme s’il avait eu avant l’heure l’intuition du concept de « Nouveau Régime Climatique » que Latour a développé, dans Face à Gaïa (2015) notamment. Le choix du terme « Gaïa », repris au scientifique James Lovelock, doit d’ailleurs quelque chose à Pasteur, dans la mesure où il signifie à quel point la Terre est un être vivant riche de micro-organismes pleinement actifs qui coexistent dans un fragile équilibre, et non une nature inerte, offerte à notre regard et à notre emprise d’humains (Nous n’avons jamais été modernes, 1991). On n’a donc pas fini de mesurer la portée des découvertes de Pasteur. Mais quand Latour resitue son génie dans son contexte, quand il vante ce qu’il appelle « son style de recherche si particulier » et qu’il dégage les enjeux philosophiques de ses innovations, c’est aussi la cohérence de son propre parcours qu’il retrace
Pasteur
Livre
Christophe Bonneuil, Jean-Baptiste Fressoz et Jean-Robert Viallet
Nous avons mangé la terre
Publié le 25 novembre 2022
Lequel des chefs d’État actuels oserait s’exprimer aussi intensément que l’ex-président Jimmy Carter, quand ce dernier s’adressa aux téléspectateurs américains le 15 juillet 1979 ? « L’identité humaine n’est plus définie par ce que l’on fait, mais par ce que l’on possède. Cependant, nous avons découvert que posséder des choses et consommer ne satisfont pas notre désir de sens. Nous avons appris que l’accumulation de biens matériels ne peut combler le vide d’existences dans la confiance. » Ce n’est pas par hasard que ce discours conclut le beau et pédagogique livre consacré à l’Anthropocène par deux historiens des sciences – Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz – accompagnés par Jean-Robert Viallet, réalisateur du documentaire L’homme a mangé la terre. Car, inspiré par le rapport Meadows de 1972 sur les « limites de la croissance », Carter a posé un diagnostic lucide sur la nécessité d’un changement de paradigme productif et existentiel épuisé par le mode de vie américain. « Comment avons-nous avancé dans l’histoire pour en arriver là ? », se demandent les auteurs, rappelant, images fortes à l’appui, les grandes étapes de l’histoire de l’industrie, du charbon, du pétrole, de l’automobile… L’inventaire des choix politiques et industriels à l’origine de l’Anthropocène permet de mettre au clair le prix du progrès : réchauffement climatique, pesticides, millions de molécules chimiques et de biocides, déchets radioactifs… La « grande accélération », ainsi baptisée par les penseurs de l’Anthropocène pour désigner le point de bascule pour la planète depuis le milieu du XXe siècle, attend en retour une « grande transformation ». Et si l’on mangeait enfin son chapeau, plutôt que la Terre, rongée jusqu’à l’os ?
Nous avons mangé la terre
Livre
Nathanaël Wallenhorst
Qui sauvera la planète ?
Publié le 28 novembre 2022
Les débats autour de l’urgence climatique ne posent pas seulement la question des modalités d’action, oscillant entre désobéissance civile et réformisme mou. Elles mettent aussi en tension une énigme épistémologique posée en ces termes par Nathanaël Wallenhorst : « Pourquoi la vie sociale et politique n’est-elle pas organisée à partir de ce que nous savons ? » Pour clarifier cette impossibilité d’intégrer « un paradigme de la rupture » dans nos modes d’existence, l’auteur identifie six méta-récits qui s’affrontent aujourd’hui autour du sujet de la planète en péril. Si l’effroi provoqué par le récit « mensonger » du climatoscepticisme – doutes sur l’origine humaine du changement climatique – ou par le récit « chinois » – selon lequel la fin justifierait les moyens autoritaires – semble largement partagé, il ne faudrait pas se laisser pour autant berner par le cynisme du récit « californien », qui fait miroiter un salut techno-scientifique dangereux. Ou même par le récit « Bisounours-mais-pas-que » qui fait reposer naïvement un changement global sur la conversion à l’écologie de chaque citoyen. Quant au récit « pervers », sa promesse de tout faire tenir ensemble n’agit en réalité sur rien – c’est l’arnaque du « en même temps ». Face aux insuffisances confondantes de chacun de ces récits, seul un grand récit alternatif, arrimé aux savoirs géoscientifiques, devrait s’imposer. Postulant qu’une vraie radicalité démocratique, politisant les questions environnementales et faisant place s’il le faut à la désobéissance civile, nous permettra de vivre mieux et de ne plus danser sur un volcan, ce récit nous tend la main, tremblante, mais raffermie par ce livre précieux.
Qui sauvera la planète ?
Livre
David Graeber
La Fausse Monnaie de nos rêves
Publié le 25 novembre 2022
Qu’est-ce qui importe vraiment en ce monde ? Alors que cette question devrait orienter notre vie au quotidien, on ose rarement affronter le problème de la valeur d’une façon aussi brutale. L’audace associée à une sorte de gouaille critique est la signature de David Graeber, anthropologue de génie disparu en 2020. Il pose d’abord trois définitions de la valeur comme on chausserait des skis. Au sens sociologique, les valeurs sont nos conceptions du bien ; au sens économique, elles sont la mesure de la désirabilité des objets ; enfin, au sens linguistique, elles révèlent une différence significative entre ce qui a du sens et ce qui n’en a pas. Il entraîne ensuite lecteurs et lectrices dans un slalom géant où, pour ainsi dire, tout bouge. Les valeurs n’y apparaissent pas comme des principes fondamentaux que nous devrions défendre ; elles ne se réduisent pas non plus à des normes dont les individus devraient s’émanciper. Elles s’avèrent des réalités dynamiques, produites lorsque plusieurs puissances sociales se coordonnent et engendrent, en plus de leurs effets, une représentation de la « valeur » de ces effets. Au passage, on aura découvert que le « marché » – structure qui prétend s’arroger l’établissement des valeurs d’échange – n’a rien d’une réalité naturelle qui naîtrait de façon magique du désir de marchandises et que – plus étonnant encore – le « calcul rationnel et intéressé » n’est qu’une manière habile de convaincre les individus de passer leur vie au service de quelqu’un d’autre. Souvent érudites, parfois ardues, ces réflexions s’avèrent incroyablement utiles pour éclairer notre destin et y reprendre l’initiative, en se fiant à nos capacités non seulement à produire mais surtout à créer et à réinventer les valeurs.
La Fausse Monnaie de nos rêves
Livre
Brigitte Giraud
Vivre vite
Publié le 25 novembre 2022
« Trouve cette chose que tu aimes, et laisse-la te tuer », lâche Bukowski. Claude, c’était le frisson du vent sur une belle moto. Il en mourut le 22 juin 1999 à Lyon. Vingt ans après, sa femme et la mère de son fils enfourche sa plume pour mener une enquête qui ne ressuscitera personne mais permettra, disséquant les mille « si » qui conduisirent à l’accident, de regarder en face ce passé qu’on ne fouille que lorsque le train déraille. Dès lors, dans un style simple et doux comme une chanson de Barbara, Brigitte Giraud embarque le lecteur dans l’invisible kaléidoscope de toute heure, de toute existence. Pourquoi ce véhicule ? Pourquoi – pas – ce coup de fil ? Et pourquoi ce soleil, quand la pluie aurait détourné son rockeur adoré de l’arme du crime ? Chaque mot s’avale de travers, avec l’âpreté de ce réel dont nous nous efforçons de dénier la toute-puissance pour survivre. Tant il est vrai, comme le posait Henri Maldiney, que le réel « c’est ce qu’on n’attendait pas ». Mais au-delà des rouages de la contingence, c’est un livre hanté par la culpabilité que signe l’autrice. Comme s’il y avait toujours un coupable à désigner. Comme si un innocent projet de déménagement, de domino en domino, avait dicté le drame. « Je peux affirmer ici que c’était la vie parfaite, écrit-elle. Je ne sais pas ce qui m’a pris de vouloir changer quelque chose à cet équilibre. » Ou plus loin : « Je maudis cette liberté dont j’ai si mal usé. » On a envie de la consoler en convoquant un autre philosophe. Dans Le Réel et son double, Clément Rosset montre que le propre de la tragédie est d’être imperméable aux « si ». Rien de plus naturel que de se réfugier dans le coton de ce qui aurait pu advenir, note Rosset, qui tranche toutefois : « Le fantasme du double trahit le refus du réel […], qui finit toujours par prendre sa revanche. » Ce que Giraud se résout à admettre : « Il n’y a que de mauvaises questions. » Quelle est dans tout cela la marge de manœuvre de l’humain ? Sans doute celle de l’art qui, par-delà l’équation impossible, dévoile le portrait d’un amoureux encombré par son grand corps – lequel encombrerait bientôt la mémoire de ceux qui le chérissaient. On savait que la littérature ne faisait pas revivre les morts. Dérogeant salutairement à son obsession du roman, le jury du Goncourt rappelle qu’elle détient un pouvoir encore plus grand : les faire vivre.
Vivre vite
Livre
Simone de Beauvoir, Élisabeth Lacoin et Maurice Merleau-Ponty
Lettres d’amitié 1920-1959
Publié le 25 novembre 2022
On connaît leur histoire tragique : une amitié fusionnelle comme on n’en vit qu’à 20 ans, notamment entre « Simone » et « Zaza », des sentiments naissants entre « Mlle Lacoin » et Merleau-Ponty, les convenances bourgeoises qui contrarient les élans et la maladie ajoutée au désespoir qui finit par emporter Élisabeth Lacoin à 21 ans. Parce que Merleau-Ponty ne s’est pas marié avec Zaza, Beauvoir lui en veut longtemps. Ils se retrouvent à la Libération, se brouillent à nouveau, Sartre et ses gros sabots se mêlant à l’affaire. Alors que la perspective d’une réconciliation est proche de voir le jour, Merleau-Ponty meurt brutalement à son tour, en 1961. La publication de cette correspondance pour partie inédite éclaire d’une lumière douce-amère les liens qui unissaient les trois amis, entre badinage, construction de soi et discussions philosophiques. Les premiers échanges entre Beauvoir et Zaza sont fortement marqués par un habitus bourgeois : ce sont parties de tennis, promenades en voiture, thé pris entre cousins et moqueries sur telle camarade qui a raté sa version latine. Peu à peu, les lettres prennent un tour plus personnel, plus introspectif : à son « inséparable », on confie « l’étonnement de vivre, le vertige de l’infini » et on forme des projets pour un après qui ne se conçoit pas sans l’autre : « Je fais tant de rêves pour plus tard où je vous donne une si grande place », écrit Beauvoir. Entre cette dernière et Merleau-Ponty, les lettres se font plus intellectuelles, même si la chaleur est bien là. La toute dernière donne une résolution, inédite, à l’affaire : après la parution des Mémoires d’une jeune fille rangée en 1958, Merleau-Ponty éprouve le besoin de s’expliquer (de s’excuser ?). Il reconnaît avoir été « passif, inconscient, inexistant », alors qu’Élisabeth était au plus mal. Il achève par un aveu touchant : « Vous êtes, oui, même quand vous m’engueulez, une des très rares per-sonnes que je ne discute jamais en moi-même. » Sans doute la plus belle preuve d’amitié que rien n’a finalement su gâcher.
Lettres d’amitié 1920-1959
Livre
Annie Ernaux
Écrire la vie
Publié le 25 novembre 2022
Dans l’imaginaire collectif, le grand écrivain de langue française a un style extraordinaire – on pense d’abord à Hugo, Proust ou Céline. Et pourtant, avec le recul, on s’aperçoit que ce sont peut-être les romans de Camus que les lecteurs préfèrent. Or le point commun entre Camus, prix Nobel de littérature 1957, et Annie Ernaux, prix Nobel de littérature 2022, c’est leur style simple, sans ponctuation ni musique reconnaissables. « À partir du mois de septembre l’année dernière, je n’ai plus rien fait d’autre qu’attendre un homme : qu’il me téléphone et qu’il vienne chez moi. » Dans cette phrase, au début de Passion simple (1992), il y a tout : à la fois l’honnêteté intellectuelle, la précision du regard et la tension dramatique. Cette simplicité-là, c’est sans doute ce qu’il y a de plus difficile à réussir en littérature ! Une autre force d’Ernaux est que sa phrase décrit la réalité la plus prosaïque sans dégoût, au contraire, elle en souligne le merveilleux : « Ses longs baisers après qu’il a joui dans ma bouche (la dernière fois, en décembre je crois). Je ne sais pas, en revivant tout cela, comment nous allons nous séparer » (Se perdre, 2001). Enfin, dernier tour de force, les romans d’Ernaux sont portés par un « je » qui n’est jamais égocentrique, car enchâssé dans un « on » ou un « nous ». Cet exploit n’est jamais poussé si loin que dans son chef-d’œuvre Les Années (2008) : avec des phrases comme « Les jeunes étaient raisonnables, pour la première fois ils pensaient comme nous » ou « Dans les déjeuners de fête, les références au passé se raréfiaient », elle raconte les années 1980 mais en caméra subjective. Et si la force de la simplicité résidait dans son caractère universel, sa capacité à plaire à des lecteurs de toutes les classes sociales, de tous les niveaux d’études ? En somme, et si c’était l’art suprême ?
Écrire la vie
Livre
Michael Kupperman
L’Enfant prodige
Publié le 25 novembre 2022
Si Michael Kupperman consacre une bande dessinée à son père Joel (1936-2020), ce n’est pas pour évoquer sa carrière de professeur de philosophie. C’est un autre aspect de sa vie qui l’intéresse, connu de nombreux Américains, sauf de lui. Dans les années 1940, de 7 à 16 ans, Joel Kupperman est la vedette d’une émission de radio, puis de télévision, The Quiz Kids. Il y résout des problèmes mathématiques, souvent complexes. L’enfant star rencontre Marlene Dietrich, Orson Welles ou l’industriel antisémite Henry Ford – « Il voulait peut-être voir le gamin juif que j’étais de ses propres yeux » –, et tourne même un film. Une jeunesse en pleine lumière mais marquée par l’exploitation. À tel point qu’une fois adulte, ce spécialiste d’éthique a préféré la laisser dans l’ombre. Mais aux yeux de son fils, il s’agit de la clé pour comprendre cet homme distant avec tous, et surtout avec lui : « Je considérais mon père comme un intello distrait. Désormais, je le vois comme le survivant d’un traumatisme qui se serait dissimulé derrière une personnalité factice conçue pour esquiver l’hostilité. » Un traumatisme qui se manifeste par la passivité face à l’existence de celui qui a consacré des essais à la « vie bonne »: « J’ai été fabriqué de toutes pièces », avoue Joel, qui commence à souffrir de démence sénile. Et Michael, ravivant ce passé qui a eu tant de mal à passer, de se demander en « question bonus » : « Est-ce que cela fait de moi un bon ou un mauvais fils ? »
L’Enfant prodige
Livre
Philippe Nassif
Changer le monde… en tout cas, un peu
Publié le 25 novembre 2022
« Changer le monde, même un peu » : ce fut un leitmotiv dans le travail – et la vie – de Philippe Nassif, disparu en mars dernier. Le recueil de certains de ses articles parus depuis le début des années 2000 dans Philosophie magazine, Technikart, Madame Figaro et L’ADN vient rappeler la singularité de sa pensée, animée par la recherche d’une voie permettant de conjurer le nihilisme contemporain, son éternelle cible. Comme l’indique dans la préface son ami Charles Pépin, « il cherchait la trouée de lumière dans l’obscurité ». Une grande question traverse ses écrits, dont son meilleur livre, La Lutte initiale (Denoël, 2011) : « Serait-il possible d’échapper à la dépressive ironie contemporaine ? » Les articles traduisent la profondeur de ce questionnement inquiet, même sous forme de propositions « pop ». Admirateur de Peter Sloterdijk, Hartmut Rosa, Bernard Stiegler, Mehdi Belhaj Kacem, Quentin Meillassoux ou Tristan Garcia, au-delà de sa vénération pour les sages taoïstes, Jacques Lacan et le chamanisme, Philippe Nassif posait comme préalable au changement du monde le changement de soi, cette « lutte initiale ». Comment trouver l’apaisement dans une époque menacée par le ressentiment, les crispations identitaires et le péril climatique ? En empruntant, par exemple, la « voie des arts », porteuse d’« une conversion positive – cet engagement vers la découverte de mon désir », en assumant « le salut par le vide », c’est-à-dire « se souvenir que le vide est le propre de l’homme », qu’il est « ce qui nous menace et ce qui nous sauve », en cultivant les relations « résonnantes », conceptualisées par Rosa, en encourageant de nouveaux dispositifs de soin de l’âme, une micropolitique de la désintoxication… À la gravité de ses cheminements anxieux, il ajusta, dans son écriture même, une intensité lumineuse, comme si les mots, et la pensée qu’ils abritaient, restaient l’arme ultime de sa lutte ; une lutte finie pour lui, mais en souvenir de lui, toujours initiale pour nous.
Changer le monde… en tout cas, un peu
Livre
Laozi, Zhuang zi, Lie Yikou / Éd. et trad. du chinois R. Mathieu
Philosophes taoïstes. Tome I : Lao zi, Zhuang zi, Lie zi
Publié le 25 novembre 2022
« Il n’y a pas de définition du dao. C’est ce qui en constitue à la fois le charme et la difficulté : on ne sait jamais de quoi on parle », explique Rémi Mathieu, traducteur et préfacier de cette nouvelle édition des Philosophes taoïstes dans la Pléiade. Après une mise au point aussi déroutante, on ne peut que chercher dans les textes eux-mêmes cette insaisissable définition. La philosophie du dao, ou tao, que l’on peut tout de même traduire par « chemin » ou « voie », repose sur trois auteurs : Lao zi (Lao-tseu), Zhuang zi (Tchouang-tseu) et Lie zi (Lie-tseu), ici présentés dans une nouvelle traduction accompagnée d’un solide appareil critique. Au IVe siècle avant notre ère, à l’époque des « royaumes combattants », la Chine connaît un brillant essor politique et économique accompagné de guerres incessantes. Comme les épicuriens et les cyniques en Grèce à la même époque, les penseurs du dao tentent de répondre à une question urgente : dans ce monde violent et cupide, où trouver les vraies valeurs ? Par certains aspects, la réponse chinoise paraît proche de celle des Grecs, car Zhuang zi et Lie zi font l’éloge de la frugalité et du retrait des affaires. En revanche, elle s’en différencie radicalement par son refus de la connaissance. Celle-ci fait partie du trop-plein du monde, et l’adepte du dao s’efforcera de chercher le « vide » ou la « racine », c’est-à-dire de retrouver la spontanéité de chaque être. Le caractère illusoire de la réalité sensible, la frontière incertaine entre le rêve et l’état de veille et même entre la vie et la mort, tout ceci accentue, face au dao, notre dépaysement intellectuel. La beauté déroutante de ces trois œuvres repose aussi sur la diversité de leur style qui mêle le poème, l’aphorisme et le conte, et n’a rien de « théorique » au sens où nous l’entendons.
Philosophes taoïstes. Tome I : Lao zi, Zhuang zi, Lie zi
Livre
Frédéric Lenoir
Le Désir. Une philosophie
Publié le 25 novembre 2022
« On nous inflige des désirs qui nous affligent », chantait Alain Souchon dans Foule sentimentale. À ces désirs « affligeants », l’histoire de la philosophie oppose des désirs affolants, propres à intensifier nos existences. Cartographiant la multitude des courants de pensée sur le sujet, Frédéric Lenoir rappelle ce que la philosophie dit des désirs qui nous conduisent vers ce que Spinoza appelle la « béatitude ». Deux grandes conceptions se distinguent : celle du désir comme « manque », déployée dès Platon et les écoles de sagesse antique (on désire ce qu’on n’a pas) ; et celle du désir comme « puissance », esquissée par Aristote. D’un côté, le désir reste suspect, au point que certains lui opposent la modération (« le plaisir véritable et pur est le privilège des âmes raisonnables plutôt que des malheureux égarés », disait Lucrèce). Plus méfiante encore, la voie ascétique (bouddhisme, stoïcisme) invite à échapper à la servitude du désir. De l’autre, Spinoza, Nietzsche, Bergson et Jung nous invitent à « vivre aux éclats ». Porté par un souci de transmission de la philosophie vers un large public, Lenoir ne cède pas à un appel à la libération pulsionnelle de nos seuls désirs pour formuler une riposte à nos désarrois contemporains. Vivre aux éclats impose surtout de « mettre de la conscience sur nos désirs », pour les ajuster au respect du vivant, au souci d’autrui et à la recherche de la vérité. Bref, d’imaginer une nouvelle politique du désir, dont la puissance servira, par-delà la béatitude individuelle, la joie collective.
Le Désir. Une philosophie
Livre
Boris Mikhailov
From « Blaue Horse » Till Now Days. 1965-2022
Publié le 25 novembre 2022
Comment rester joyeux et libre dans une ville industrielle sous une dictature interminable ? Boris Mikhailov, photographe né en 1938 à Kharkov, en Ukraine, y est parvenu avec panache. En feuilletant le catalogue de la rétrospective que lui consacre jusqu’au 15 janvier la Maison européenne de la photographie, on suit une œuvre qui raconte l’histoire de son pays, de la grise URSS à la guerre d’aujourd’hui, en passant par la révolution du Maïdan. Comment s’y est-il pris pour ne pas céder à la déprime générale ? Premier ingrédient, l’érotisme : le jeune Mikhailov est chassé de son travail pour avoir pris des photos de nus – la chair, le sexe sont partout dans ses clichés. Le deuxième est l’humour, entre parodies de vacances de luxe en Crimée, autoportraits grotesques ou détournements de photos officielles. Troisième ingrédient, l’invention perpétuelle : coller quatre photos sur la même feuille, créer des surimpressions de diapositives pour un effet psychédélique. Le quatrième est l’attention au réel. On est plongé dans le quotidien des Soviétiques, qui attendent le tramway, défilent lors de manifestations du régime, font la queue devant les magasins. On voit aussi des SDF des années 1990 se déshabiller sous l’objectif : images insoutenables. On con-temple les usines délabrées. L’Ukraine est là, sans fards. Mais le plus beau est que la liberté éclate jusque dans les vies les plus ordinaires : sur les plages bondées, dans l’épanouissement des corps, lors de cours de danse auxquels participent les personnes âgées. En Ukraine, chacun s’invente des petites libertés, juste pour rester humain. Mais pour la restituer dans sa densité, il faut les compositions, les couleurs, les lumières d’un grand artiste, et le regard attendri d’un Mikhailov.
From « Blaue Horse » Till Now Days. 1965-2022
Livre
Cédric Enjalbert
Londres
Publié le 25 novembre 2022
« Un énorme enchevêtrement de terreurs accumulées. » Dans cet inédit de Céline, redécouvert en 2021, Ferdinand, le narrateur, brosse le tableau de son séjour dans l’enfer londonien, auprès des macs et des prostituées, après qu’il a réussi à se soustraire à l’horreur de la guerre, bien qu’elle continue de le hanter. Il en ressort des saillies de poésie âpre : « C’est pas méchant un homme au fond, c’est un acharné voilà tout. C’est fier de son rêve. C’est un poète bien marrant. » Mais Céline y témoigne aussi de la naissance d’une double vocation : la médecine – « c’est le pouvoir que j’aurai voulu, l’intime, le véritable, celui qui est là au petit nerf de la douleur physique, celui qui ne ment pas » – et la littérature, qui dit vrai sur « le mensonge de sa propre vie ». Cette réflexion sur le réel et son double prend finalement un tour shakespearien. L’un des acolytes ne s’appelle-t-il pas Yorick, comme le bouffon mort dans Hamlet ? Angèle, sa compagne, ne finit-elle pas comme Ophélie, folle dans un monde détraqué par la violence ? Être ou ne pas être, telle est bien la question « ontologique » de cette épopée des bas-fonds… qui a failli n’être jamais ! La préface, qui minore étrangement l’antisémitisme de Céline, ne dit par ailleurs rien du parcours exceptionnel de ce texte. Il faut lire le récit enlevé du journaliste Jean-Pierre Thibaudat (Louis-Ferdinand Céline. Le Trésor retrouvé, chez Allia), devenu fortuitement le dépositaire secret de ces milliers de pages, pour en savoir plus. Où l’on apprend comment ce « trésor » a été préservé grâce au résistant Yvon Morandat par « respect de la chose écrite ». Ce qu’on appelle avoir du style ?
Londres
CULTURE
Article 2 min
“Sans tambour” : un siphon fond, fond, fond…
Cédric Enjalbert 29 novembre 2022
Une scène de ménage sur fond d'évier encrassé débouche sur de grandes inspirations romantiques : c'est le tour de force de cette pièce de Samuel Achache, qui parvient à rire de tout et surtout de la catastrophe.
“Sans tambour” : un siphon fond, fond, fond…
Article 2 min
“Saint Omer” : démonstrer
Cédric Enjalbert 29 novembre 2022
La cinéaste Alice Diop s’empare d’un fait divers pour en tirer la dimension universelle, mystérieuse et humaine, loin des clichés spectaculaires : un film de procès, qui s’ouvre à une réflexion magistrale sur l’identité et sur la monstruosité.
“Saint Omer” : démonstrer
Article 2 min
“Champollion. La voie des hiéroglyphes” : plein phare sur le Sphinx
Cédric Enjalbert 29 novembre 2022
Le musée du Louvre-Lens consacre une grande exposition à Jean-François Champollion, l'homme qui, au XIXe siècle, déchiffra le système d'écriture de l’Égypte antique. Une révolution scientifique et historique, qui bouleversa notre conception de l’universel.
“Champollion. La voie des hiéroglyphes” : plein phare sur le Sphinx
OH ! LA BELLE VIE !
Article 2 min
Conseil n° 24 : brûlons la chandelle par les deux bouts
François Morel 29 novembre 2022
Oui, le mieux, dans un contexte anxiogène, c’est de ne faire aucune concession à la prudence, à la modération, à la tempérance. Puisque le Titanic sombre sans espoir, réclamons à l’orchestre de jouer encore plus fort. Lorsque, au sommet de l’État, on invite à la sobriété, la mei..
Conseil n° 24 : brûlons la chandelle par les deux bouts
JEU
Article 1 min
Philocroisés #86
Gaëtan Goron 29 novembre 2022
Horizontalement I. Le premier maître universel selon Hegel. II. Goûteras à la jouissance. III. Piégé. Au moins deux moins deux. IV. En forme de grelot. V. Cet écrivain espagnol a traduit Hugo et Dumas (de). Il est essentiel au banquet, chez Platon ou ailleurs. V..
Philocroisés #84
QUESTIONNAIRE DE SOCRATE
Article 2 min
Mirwais. Le couteau entre les danses
Sylvain Fesson 29 novembre 2022
À l’aube des années 1980, il était avec Daniel Darc dans Taxi Girl, le groupe du tube Cherchez le garçon qui a ouvert la voie à la modernité dans la pop française mais est resté sur le carreau. Dans les années 2000, il était derrière Madonna
(Philomag) |
[n° ou bulletin] est un bulletin de / Alexandre Lacroix (2011)N°165 - Décembre 2022 - Janvier 2023 - La question Woke [texte imprimé] . - 2022 . - 98 p. : ill. en coul. ; 29 cm. Langues : Français ( fre) Catégories : | Philosophie
| Tags : | Woke | Index. décimale : | 17 Morale. Éthique. Philosophie pratique | Résumé : | Peut-on encore parler de racisme, de sexisme et d’identités de genre sans se fâcher ?
Pour certains, le wokisme est une nouvelle police de la pensée, une idéologie semblable au maoïsme d’antan, qui renvoie tous les interlocuteurs à leur couleur de peau ou à leur sexe... D’autres expliquent que les wokes n’existent pas, sinon dans le fantasme d’une bourgeoisie conservatrice qui craint pour ses privilèges. Et si l’on avait tort de camper sur des positions aussi caricaturales ?
(Philomag) | Note de contenu : | ÉDITO
Article 3 min
Un genre de trouble
Alexandre Lacroix 30 novembre 2022
Ils sont dans une cafétéria, non loin de la fac. Elle a pris un demi pression et lui un jus d’abricot. C’est la première fois qu’ils partagent un peu d’intimité. Ils sont de la même promo mais n’ont échangé que des regards de loin durant les cours communs. Ils ont dans les vingt&..
VOS QUESTIONS
Article 3 min
“Faut-il chercher à éviter les émotions négatives ?”
Charles Pépin 30 novembre 2022
Question de Pauline Faivre
“Faut-il chercher à éviter les émotions négatives ?”
REPÉRAGES
Article 1 min
L’adaptation roule des mécaniques
Octave Larmagnac-Matheron 30 novembre 2022
La capacité d’adaptation à l’environnement passe pour un trait caractéristique du vivant, par opposition à la matière inerte. Cependant, cette conviction pourrait bien être ébranlée par une équipe d’ingénieurs de l’université de Californie à Los Angeles : ces derniers ont mi..
L’adaptation roule des mécaniques
Article 1 min
“Choix”
Octave Larmagnac-Matheron 30 novembre 2022
“L’humanité a un choix : coopérer ou périr” António Guterres, secrétaire général de l’ONU, lors du sommet de la COP27 à Charm el-Cheikh en Égypte, le 7 novembre “Choix et conscience sont une seule et même chose” Jean-Paul Sartre, dans L’Être et..
Article 1 min
Géopolitique des choses
Octave Larmagnac-Matheron 30 novembre 2022
Crise énergétique, pénuries alimentaires, tension sur les semi-conducteurs… Oubliées à la faveur d’un sentiment global d’abondance et de la dématérialisation numérique, les choses reviennent sur le devant de la scène. Nous vivons une « crise des “choses” », analysent d..
Géopolitique des choses
Article 1 min
“4 020”
Octave Larmagnac-Matheron 30 novembre 2022
C’est le nombre de signalements adressés en 2021 à la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), soit une augmentation de 33,6 % par rapport à 2020. Un cinquième de ces signalements concerne le domaine de la santé. 293 sont liés à la..
Article 2 min
L’animal, si proche, si loin…
Octave Larmagnac-Matheron 30 novembre 2022
POURCENTAGE DE CAPACITÉS HUMAINES POSSÉDÉES Proximités cognitives 77 % Porc 71 % Poule 57 % Abeille 49 % Pieuvre 43 % Carpe 26 % Crevette Proximités hédoniques Porc 64 % Poule 60 % Pieuvre 53 % Carpe 5..
PERSPECTIVES
Article 3 min
Après Kherson, la Crimée ?
Michel Eltchaninoff 01 décembre 2022
Après la reprise de Kherson à la mi-novembre, l’armée ukrainienne se rapproche de la Crimée annexée. La péninsule servira-t-elle de monnaie d’échange entre l’Ukraine et la Russie ? Ou provoquera-t-elle une montée aux extrêmes ?
Après Kherson, la Crimée ?
Article 3 min
La morale est-elle soluble dans le nombre ?
Alexandre Lacroix 30 novembre 2022
Alors que l’humanité vient de passer le cap des 8 milliards d’individus, on peut se demander, avec l’écrivain polonais Witold Gombrowicz, comment le sens de l’existence est affecté par ces ordres de grandeur.
La morale est-elle soluble dans le nombre ?
Article 3 min
Eva Illouz : “La peur est un sentiment qui fait toujours bouger l’échiquier politique à droite”
Charles Perragin 30 novembre 2022
La sociologue Eva Illouz, qui vient de faire paraître Les Émotions contre la démocratie (Premier Parallèle), montre comment les expériences sociales suscitent des réactions affectives qui se transforment en idéologies, notamment en un nationalisme populiste.
Eva Illouz : “La peur est un sentiment qui fait toujours bouger l’échiquier politique à droite”
Article 3 min
Donald Trump sera-t-il à nouveau président ?
Batiste Morisson 30 novembre 2022
Peu après les résultats des élections du Congrès, Donald Trump a annoncé le 15 novembre qu’il briguerait un second mandat en 2024. Pour le politiste américain Roger Berkowitz, spécialiste de Hannah Arendt, cette tentative n’est pas si désespérée.
Donald Trump sera-t-il à nouveau président ?
AU FIL D’UNE IDÉE
Article 2 min
“Testo”, c’est trop ?
Sven Ortoli 29 novembre 2022
La production moyenne de testostérone chez une femme est de 10 à 20 fois inférieure à celle d’un homme. Le niveau de testostérone passe par un maximum entre 18 et 19 ans avant de décliner en moyenne de 1 % par an à partir de 30 ans. À ce déclin dû à l’âg..
“Testo”, c’est trop ?
ETHNOMYTHOLOGIES
Article 3 min
Puff. Jeunesse dans les vapes
Tobie Nathan 29 novembre 2022
Peu chère, parée de couleurs vives et d’arômes fruités, cette cigarette électronique jetable séduit les adolescents, voire les enfants. Malgré sa nocivité avérée, le tabac s’empare encore et toujours des corps et des esprits. Manœuvre marketing ou revanche divine ?
Puff. Jeunesse dans les vapes
RÉCIT
Article 22 min
Pythagore. Un sacré numéro
Martin Duru 30 novembre 2022
Tout le monde connaît le théorème qui porte son nom, mais on ne sait que peu de choses de lui. Héros de la rationalité mathématique, pionnier du végétarisme, gourou new age, théoricien de la musique… Qui était vraiment Pythagore ? Nous vous invitons à découvrir cet inconnu célèbre, dont l’aura n’a cessé d’influencer l’histoire de la pensée.
Pythagore. Un sacré numéro
L’ŒIL DE LA SORCIÈRE
Article 3 min
Reprendre ses esprits
Isabelle Sorente 29 novembre 2022
Les contenus ciblés des réseaux sociaux ne cessent de s’engouffrer dans nos failles les plus intimes… jusqu’à provoquer la mort. Pour contrer leurs effets délétères, il est nécessaire de se réapproprier nos imaginaires dans toute leur plasticité.
Reprendre ses esprits
DOSSIER
5 articles
La question woke
Publié le 01 décembre 2022
Peut-on encore parler de racisme, de sexisme et d’identités de genre sans se fâcher ? « Woke » est un mot paradoxal. Dès qu’il est prononcé, s’expriment des avis tranchés. Certains pensent que le wokisme est une nouvelle police de la pensée, une idéologie semblable au maoïsme d’antan, qui renvoie tous les interlocuteurs à leur couleur de peau ou à leur sexe… D’autres contre-argumentent aussitôt en expliquant que les wokes n’existent pas, sinon dans le fantasme d’une bourgeoisie conservatrice qui craint pour ses privilèges. Et si l’on avait tort de camper sur des positions aussi caricaturales ? > En effet, depuis #metoo et le mouvement Black Lives Matter, qui ont eu des répercussions en France, c’est toute la société qui a bougé sur l’enjeu du sexisme et du racisme. Que nous le voulions ou non, nous nous sommes tous un peu réveillés ! Pour certains, ça pique plus que pour d’autres… C’est pourquoi nous vous invitons à faire notre test : ne seriez-vous pas woke sans le savoir ? > La généalogie du mot « woke », qui remonte à la fin du XIXe siècle et aux luttes des Afro-Américains, nous permet d’éclairer les termes du débat actuel : le wokisme est moins un courant de pensée unifié qu’un fourre-tout qui renvoie au communautarisme, aux études de genre, à la pensée postcoloniale et au féminisme. Nous vous proposons de déplier cette histoire. > La mère d’un enfant trans, une étudiante qui en a assez d’endosser le rôle de la « bonne Noire », un musicien juif qui découvre la persistance de l’antisémitisme, une femme témoin d’un harcèlement sexuel, un végane : nous proposons ici cinq histoires d’éveil commentées par la philosophe spécialiste de l’écoféminisme Jeanne Burgart Goutal. > Auteur de La Religion woke, Jean-François Braunstein est un adversaire déclaré de ce mouvement où il décèle une « haine de la raison ». Pour conclure ce dossier, il débat avec Alex Mahoudeau, qui tourne en dérision « la panique woke », titre de son dernier ouvrage. Étonnamment, ils sont parvenus à trouver sur le terrain de la philosophie quelques points de convergence !
La question woke
Article 6 min
Pour plus de fluidité dans nos échanges
Alexandre Lacroix 01 décembre 2022
Une société où il n’y aurait plus que des gens convaincus, où les réactionnaires et les progressistes n’auraient plus aucun langage commun pour échanger, ne deviendrait-elle pas irrespirable ? Pour résister à la dynamique conflictuelle de l’espace public, adoptons des conceptions plus fluides.
Et si l’on essayait de devenir “opinion fluid” ?
Article 12 min
Test : êtes-vous woke sans le savoir ?
Alexandre Lacroix 01 décembre 2022
Vu la gradation subtile des positions qui vont de gauche à droite, on est toujours le woke – ou le réac – de quelqu’un d’autre ! Alors, comment s’y retrouver ? En faisant ce test, qui vous invite à établir vos priorités.
Êtes-vous un woke qui s’ignore ? Faites le test !
Article 16 min
La grande marche des éveillés
Cédric Enjalbert 01 décembre 2022
Si, en France, le mot « woke » a vraiment surgi dans le débat public vers 2020, il est le fruit d’une étonnante histoire, agrégeant le mouvement des droits civiques afro-américains, l’influence de la déconstruction de Derrida et les études de genre. Par un étrange retournement, cette idée d’« éveil » serait-elle en train de se muer en une nouvelle forme d’autocensure ?
La grande marche des éveillés
Article 16 min
Prises de conscience
Victorine de Oliveira 01 décembre 2022
Confrontés à des structures de domination écrasantes ou à un monde en mutation, nos cinq témoins ont vécu un choc existentiel. Ils expliquent ici comment ils se (re)construisent en dehors des normes. Des parcours éclairés par la philosophe Jeanne Burgart Goutal.
Prises de conscience
Dialogue 8 min
Jean-François Braunstein-Alex Mahoudeau : oui, on peut encore tout dire !
Michel Eltchaninoff 01 décembre 2022
Tout les oppose ! Pour le philosophe Jean-François Braunstein, le wokisme est un fanatisme. La spécialiste de science politique Alex Mahoudeau, elle, y voit un renouveau salutaire de la pensée critique. Malgré leurs divergences, ils ont accepté de débattre en toute liberté, au-delà des caricatures.
Jean-François Braunstein-Alex Mahoudeau : oui, on peut encore tout dire !
ENTRETIEN
Entretien 16 min
Lionel Naccache : “Notre conscience est constituée d’atomes insécables”
Martin Legros 30 novembre 2022
La pensée, pur produit de notre cerveau ? Pas pour ce neurologue, qui entretient un dialogue fécond entre neurosciences et philosophie, mais aussi Talmud ou cinéma. À l’occasion de la parution de son Apologie de la discrétion, il explique comment cette notion, mathématique autant que psychologique, permet de répondre à nos questionnements éthiques ou politiques.
Lionel Naccache : “Notre conscience est constituée d’atomes insécables”
L’AVENTURE D’UN CLASSIQUE
5 articles
“Le Monde comme volonté et comme représentation”, d’Arthur Schopenhauer : la volonté, clé du réel
Publié le 30 novembre 2022
Schopenhauer (1788-1860) est un ovni en philosophie. Héritier de Kant, il s’en affranchit toutefois en puisant dans la philosophie hindouiste pour forger, dans Le Monde comme volonté et comme représentation un concept nouveau : la volonté. Selon lui, elle est le principe à l’œuvre dans tout l’univers, qui anime les humains, les insectes ou les planètes. De quoi réconcilier toutes les dimensions de la réalité.
“Le monde comme volonté et comme représentation”, d’Arthur Schopenhauer : une volonté qui vient de loin
Article 11 min
“Le monde comme volonté et comme représentation”, d’Arthur Schopenhauer : une volonté qui vient de loin
Victorine de Oliveira 30 novembre 2022
Le monde est gouverné par la volonté, que nous expérimentons en nous, même si elle nous dépasse. Pour la canaliser, Schopenhauer a élaboré une métaphysique inspirée par le kantisme, le bouddhisme et l’art.
“Le monde comme volonté et comme représentation”, d’Arthur Schopenhauer : une volonté qui vient de loin
Article 3 min
Arthur Schopenhauer : métaphysique de la mélancolie
Victorine de Oliveira 30 novembre 2022
Drôle d’objet que ce Monde comme volonté et comme représentation qui, à sa parution, ne rencontre que l’indifférence générale. Deux siècles plus tard, le voilà pourtant devenu un ouvrage culte pour métaphysiciens exaltés et poètes maudits. Il faudra vous armer de toute votre volonté si vous souhaitez à votre tour vous y attaquer…
Article 3 min
Schopenhauer : un Français à la rencontre du maître
Victorine de Oliveira 30 novembre 2022
Paul Challemel-Lacour (1827-1896) a été l’un des premiers disciples de Schopenhauer en France. Bien qu’habité par l’idéal républicain de progrès, cet agrégé de philosophie à la longue carrière politique est rongé par un profond pessimisme existentiel. Il rencontre son idole en 1856, à Francfort. Il en tirera un portrait frappant de « l’Allemand ».
Article 5 min
Vincent Stanek : “La volonté schopenhauerienne n’est pas déterminée par le principe de raison”
Victorine de Oliveira 30 novembre 2022
Pour Vincent Stanek, qui a consacré plusieurs ouvrages à l’auteur du Monde comme volonté et comme représentation, Schopenhauer propose une solution à l’énigme du réel avec le concept de volonté. Il explique ici ce que recouvre cette notion.
Vincent Stanek : “La volonté schopenhauerienne n’est pas déterminée par le principe de raison”
Article 22 min
“Le Monde comme volonté et comme représentation”, d’Arthur Schopenhauer : les extraits
Arthur Schopenhauer 30 novembre 2022
Nous reproduisons des extraits du Monde comme volonté et comme représentation d’Arthur Schopenhauer traduits par Auguste Burdeau.
BOÎTE À OUTILS
Article 3 min
Pourquoi aimons-nous partager un repas ?
Batiste Morisson 29 novembre 2022
Un déjeuner ou un dîner en commun est une promesse de convivialité… pas toujours tenue. Les philosophes mettent les petits plats dans les grands pour qu’ils soient réussis à chaque fois.
Pourquoi aimons-nous partager un repas ?
Article 1 min
Ūhtċearu
Octave Larmagnac-Matheron 29 novembre 2022
Langue d’origine : vieil anglais
Article 2 min
“Musique”
Caroline Pernes 29 novembre 2022
Cinq philosophes se mettent au diapason.
LIVRES
Livre
Mona Chollet
D’images et d’eau fraîche
Publié le 25 novembre 2022
On croyait bien connaître Mona Chollet. On l’étiquetait essayiste féministe depuis ses livres à succès : Beauté fatale (2012) sur les injonctions imposées par l’industrie de la mode, Sorcières (2018) sur la stigmatisation subie par celles qui refusent la maternité, ou Réinventer l’amour (2021) sur les méfaits du patriarcat et les possibilités d’en sortir. Elle publie un livre inattendu où elle se dévoile comme collectionneuse d’images – avec, preuves à l’appui, de nombreuses et riches illustrations tirées de son iconothèque personnelle : photographies, gravures, peintures, enluminures, dessins tantriques du Rajasthan, gravures de Serge Rezvani, tarots enluminés du XVe siècle, etc.Un livre d’images ? Oui, mais aussi et avant tout un livre sur les images et sur l’influence qu’elles exercent sur nos vies. Car ce n’est pas seulement collectivement que nous vivons au sein de ce que le philosophe Georges Gusdorf appelait « la civilisation de l’image », c’est surtout dans l’intimité de notre existence qu’elles nous accompagnent. Les tableaux et affiches qui nous suivent, déménagement après déménagement, les images que nous stockons sur nos téléphones, celles que nous nous approprions et celles que nous partageons, les ineffaçables que nous aimons fidèlement comme celles qui nous lassent… Toutes disent quelque chose de nous. Et Chollet de se remémorer les photos cool qu’elle découpait dans les magazines et collait dans son agenda comme pour construire son identité, parce qu’elles lui donnaient l’impression d’être une jeune fille. Aujourd’hui, les multiples images qui l’entourent lui apportent autant de plaisir qu’elles comblent un besoin compulsif : nourrie de sa « ration quotidienne de mondes miniatures, dessins, tableaux ou photographies d’art, emprisonnés dans un rectangle de papier ou de pixels, tels des génies dans leur bouteille », elle peut ainsi éprouver « une sorte d’orgasme visuel » à tourner les pages de son compte Pinterest. Pourquoi une telle fascination ? C’est parce que « nous sommes tous japonais », explique Chollet, qui refuse d’opposer les Occidentaux, qui auraient un rapport aux images seulement esthétique, intellectuel – et donc superficiel –, aux Japonais qui verraient leurs estampes comme des appels à la méditation et au voyage intérieur. Tout geste artistique pouvant être interprété « comme une manière d’accorder l’hospitalité au spectateur », c’est universellement qu’« on recherche des images qu’on peut habiter, dans lesquelles on peut se projeter », ce qui explique que « les photos d’intérieurs, d’architecture, de maisons, de cabanes dans les arbres » soient si populaires. En aspirant non seulement notre œil mais tout notre être, les images nous enveloppent et nous protègent de la violence du monde, comme des « concentrés de sens et de beauté dans un univers quotidien qui échoue trop souvent à nous en fournir la dose nécessaire ».
D’images et d’eau fraîche
Livre
Georges Vigarello
Une histoire des lointains
Publié le 25 novembre 2022
Partir le plus loin possible, s’extirper du quotidien, fouler des contrées insolites… Qui n’en a jamais rêvé ? Dans cette Histoire des lointains – superbement illustrée de gravures, de tableaux et de photographies –, l’historien Georges Vigarello montre que ce désir d’ailleurs ne date pas d’hier. Au cœur de l’Antiquité, le lointain renvoie à l’étrange. « Bois profonds » ou « vallées escarpées » abritent des « Blemmyes » dépourvus de tête ou des « Sciapodes » dotés de pieds immenses. Ce lointain bigarré et un brin cocasse célèbre une « nature féconde comme jamais », « hésitant entre mille formes possibles ». Mais avec les explorations du XVIe siècle, le lointain devient concret : une forme de désillusion s’amorce. L’éloignement se ressent dans la chair des voyageurs qui doivent faire face aux maladies, à la peur de la mort et des tempêtes. Nous passons « de la distance à la souffrance ». C’est la fin de la naïveté. L’imagination est remplacée par la curiosité, laquelle se meut en désir de maîtrise. Cette volonté occidentale de domination du lointain culmine pendant la colonisation. Plus tard, l’aviation et la mondialisation réduisent la quantité de parcelles non foulées par l’humanité. Les désastres écologiques nous font passer de l’« esthétisation » du lointain à sa « dégradation ». Au fil de l’ouvrage, on se questionne : l’histoire des lointains ne serait-elle pas celle de leur inexorable disparition ? Au contraire, rétorque Vigarello : « Le lointain s’impose plus que jamais. » La dévastation des forêts et la fonte des banquises rappellent que nous sommes liés à ces contrées éloignées. Si elles s’effacent, c’est nous qui coulons. « Le lointain fait retour », alerte Vigarello… Et il ne risque pas de se faire oublier.
Une histoire des lointains
Livre
Sylvain Tesson
Blanc
Publié le 25 novembre 2022
Représenter un carré blanc sur fond blanc ? Impossible ! Aussi le peintre russe Kasimir Malevitch usa-t-il pour son tableau d’un subterfuge, employant deux nuances de blanc distinctes. Raconter 84 jours passés à crapahuter et à skier dans la neige, hors piste – des journées qui toutes se ressemblent, du départ à l’aurore jusqu’à l’arrivée au refuge, dans des paysages uniformes et sans contour ? Difficile de ne pas lasser, de ne pas s’engourdir dans la répétition. Aussi l’écrivain Sylvain Tesson alterne-t-il plusieurs nuances de blanc dans son dernier récit de voyage. Il en emploie surtout trois, qui créent des contrastes internes au livre. Il y a d’abord le blanc-surface, cette croûte durcie par le froid que les spatules de skis frottent et qui inspire des aphorismes âpres comme : « Huit heures à racler un paysage demande des ressources intérieures. » Il y a ensuite le blanc-substance, qui convient peut-être mieux à la poudreuse, à la fois coton et cristal. Ce blanc-là, sous « le ciel fraise-pistache », prend des teintes roses et or. C’est la matière de la neige qu’aimèrent naguère Monet et les impressionnistes, parce qu’elle est onirique, douce et presque charnelle, qu’elle évoque « le souvenir d’un corps chaud ». Et puis il y a le blanc-absence, car la neige a le pouvoir d’annihiler les formes habituelles du monde, de nous mettre sous les yeux une béance. Ce blanc-là est en fait très proche du Noir, autre livre de Sylvain Tesson publié cette année, qui dévoilait une face plus ténébreuse de l’écrivain, puisqu’on y découvrait de nombreux dessins de pendus et de suicide. Ainsi le noir du néant est-il la doublure du blanc du suaire.
Blanc
Livre
Michel Pastoureau
Histoire d’une couleur. Blanc
Publié le 25 novembre 2022
Blanc, le sous-titre du nouvel ouvrage de Michel Pastoureau – sixième volume d’une série entamée en 2000 avec le bleu –, surprendra peut-être. N’apprend-on pas, en effet, que le blanc n’est pas une couleur mais le mélange en égales proportions de toutes les couleurs ? Cette ambiguïté, l’historien des sensibilités la tranche dès l’introduction : le blanc a connu une éclipse chromatique pendant quelques siècles. « L’apparition de l’imprimerie et de l’image gravée – à l’encre noire sur papier blanc » a relégué le blanc au rang de toile de fond informe, neutre, indéterminée. Le blanc se mue en « non-couleur » : un rien incolore, quasi immatériel, qui devient par excellence le symbole abstrait de l’absolu. Cette parenthèse, qui, d’après Pastoureau, se referme aujourd’hui, reste une exception dans l’histoire : pendant des siècles, le blanc était une couleur parmi d’autres, opposée au rouge plus qu’au noir. L’œil de nos prédécesseurs était d’ailleurs beaucoup plus sensible que le nôtre aux « nuances du blanc ». N’en demeure pas moins, reconnaît l’historien, un fil directeur dans l’histoire du blanc : si la majorité des couleurs sont ambivalentes, « la plupart des idées associées au blanc sont des vertus ou des qualités : pureté, virginité, innocence, sagesse, paix, bonté, propreté ». Même lorsque, comme en Asie, le blanc évoque la mort, c’est une mort comme renaissance. Couleur des dieux, couleur des rois, le blanc semble auréolé d’une irréductible positivité, dont l’éclat mystérieux et implacable, difficile à créer artificiellement, a tout de même quelque chose d’« inquiétant » et peut évoquer « le vide, le froid, la peur et l’angoisse ». Cet ouvrage richement illustré éclaire cette histoire contrastée.
Histoire d’une couleur. Blanc
Livre
Bruno Latour
Pasteur
Publié le 25 novembre 2022
Disparu le 9 octobre dernier, Bruno Latour manque déjà au monde des idées et accessoirement à celui des arts. Comment, alors, aborder ou redécouvrir l’œuvre protéiforme d’un penseur singulier qui répugne aux différentes classifications qu’on voudrait lui imposer en cherchant à le situer quelque part entre anthropologie, sociologie et philosophie des sciences (liste non exhaustive) ? Peut-être en se replongeant dans cette réédition de Pasteur, une science, un style, un siècle (1994), qu’il avait écrit en hommage à celui dont on célébrait alors le centenaire de la mort, dix ans après des publications qui étaient ses premières et qu’il avait déjà consacrées au microbiologiste. L’intérêt de Latour pour Pasteur ne s’est jamais démenti, car le scientifique représente, comme l’explique ici un avertissement inédit et rédigé à la lumière de la pandémie de Covid, celui qui a, le premier, rencontré les microbes. Mieux, renchérit Latour, Pasteur nous a appris à regarder autrement le monde dans lequel nous, humains, vivons et que nous avions pris pour le nôtre… alors que c’est en réalité nous qui « habitons chez les microbes ». Avons-nous cependant l’entière conscience de la révolution qu’implique cet enseignement ? Non, puisque la leçon doit régulièrement être rappelée par les pandémies (passées, présentes et à venir) que Latour voit comme des « maîtres d’école rigoureux » et d’impitoyables professeurs. Là où Pasteur a innové également, c’est parce qu’il a su quitter son laboratoire pour mobiliser les politiques publiques de santé en faveur de vastes campagnes de vaccination, comme s’il avait tout compris de l’étroite et nécessaire intrication des avancées savantes et des enjeux politiques et sociaux… Comme s’il avait eu avant l’heure l’intuition du concept de « Nouveau Régime Climatique » que Latour a développé, dans Face à Gaïa (2015) notamment. Le choix du terme « Gaïa », repris au scientifique James Lovelock, doit d’ailleurs quelque chose à Pasteur, dans la mesure où il signifie à quel point la Terre est un être vivant riche de micro-organismes pleinement actifs qui coexistent dans un fragile équilibre, et non une nature inerte, offerte à notre regard et à notre emprise d’humains (Nous n’avons jamais été modernes, 1991). On n’a donc pas fini de mesurer la portée des découvertes de Pasteur. Mais quand Latour resitue son génie dans son contexte, quand il vante ce qu’il appelle « son style de recherche si particulier » et qu’il dégage les enjeux philosophiques de ses innovations, c’est aussi la cohérence de son propre parcours qu’il retrace
Pasteur
Livre
Christophe Bonneuil, Jean-Baptiste Fressoz et Jean-Robert Viallet
Nous avons mangé la terre
Publié le 25 novembre 2022
Lequel des chefs d’État actuels oserait s’exprimer aussi intensément que l’ex-président Jimmy Carter, quand ce dernier s’adressa aux téléspectateurs américains le 15 juillet 1979 ? « L’identité humaine n’est plus définie par ce que l’on fait, mais par ce que l’on possède. Cependant, nous avons découvert que posséder des choses et consommer ne satisfont pas notre désir de sens. Nous avons appris que l’accumulation de biens matériels ne peut combler le vide d’existences dans la confiance. » Ce n’est pas par hasard que ce discours conclut le beau et pédagogique livre consacré à l’Anthropocène par deux historiens des sciences – Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz – accompagnés par Jean-Robert Viallet, réalisateur du documentaire L’homme a mangé la terre. Car, inspiré par le rapport Meadows de 1972 sur les « limites de la croissance », Carter a posé un diagnostic lucide sur la nécessité d’un changement de paradigme productif et existentiel épuisé par le mode de vie américain. « Comment avons-nous avancé dans l’histoire pour en arriver là ? », se demandent les auteurs, rappelant, images fortes à l’appui, les grandes étapes de l’histoire de l’industrie, du charbon, du pétrole, de l’automobile… L’inventaire des choix politiques et industriels à l’origine de l’Anthropocène permet de mettre au clair le prix du progrès : réchauffement climatique, pesticides, millions de molécules chimiques et de biocides, déchets radioactifs… La « grande accélération », ainsi baptisée par les penseurs de l’Anthropocène pour désigner le point de bascule pour la planète depuis le milieu du XXe siècle, attend en retour une « grande transformation ». Et si l’on mangeait enfin son chapeau, plutôt que la Terre, rongée jusqu’à l’os ?
Nous avons mangé la terre
Livre
Nathanaël Wallenhorst
Qui sauvera la planète ?
Publié le 28 novembre 2022
Les débats autour de l’urgence climatique ne posent pas seulement la question des modalités d’action, oscillant entre désobéissance civile et réformisme mou. Elles mettent aussi en tension une énigme épistémologique posée en ces termes par Nathanaël Wallenhorst : « Pourquoi la vie sociale et politique n’est-elle pas organisée à partir de ce que nous savons ? » Pour clarifier cette impossibilité d’intégrer « un paradigme de la rupture » dans nos modes d’existence, l’auteur identifie six méta-récits qui s’affrontent aujourd’hui autour du sujet de la planète en péril. Si l’effroi provoqué par le récit « mensonger » du climatoscepticisme – doutes sur l’origine humaine du changement climatique – ou par le récit « chinois » – selon lequel la fin justifierait les moyens autoritaires – semble largement partagé, il ne faudrait pas se laisser pour autant berner par le cynisme du récit « californien », qui fait miroiter un salut techno-scientifique dangereux. Ou même par le récit « Bisounours-mais-pas-que » qui fait reposer naïvement un changement global sur la conversion à l’écologie de chaque citoyen. Quant au récit « pervers », sa promesse de tout faire tenir ensemble n’agit en réalité sur rien – c’est l’arnaque du « en même temps ». Face aux insuffisances confondantes de chacun de ces récits, seul un grand récit alternatif, arrimé aux savoirs géoscientifiques, devrait s’imposer. Postulant qu’une vraie radicalité démocratique, politisant les questions environnementales et faisant place s’il le faut à la désobéissance civile, nous permettra de vivre mieux et de ne plus danser sur un volcan, ce récit nous tend la main, tremblante, mais raffermie par ce livre précieux.
Qui sauvera la planète ?
Livre
David Graeber
La Fausse Monnaie de nos rêves
Publié le 25 novembre 2022
Qu’est-ce qui importe vraiment en ce monde ? Alors que cette question devrait orienter notre vie au quotidien, on ose rarement affronter le problème de la valeur d’une façon aussi brutale. L’audace associée à une sorte de gouaille critique est la signature de David Graeber, anthropologue de génie disparu en 2020. Il pose d’abord trois définitions de la valeur comme on chausserait des skis. Au sens sociologique, les valeurs sont nos conceptions du bien ; au sens économique, elles sont la mesure de la désirabilité des objets ; enfin, au sens linguistique, elles révèlent une différence significative entre ce qui a du sens et ce qui n’en a pas. Il entraîne ensuite lecteurs et lectrices dans un slalom géant où, pour ainsi dire, tout bouge. Les valeurs n’y apparaissent pas comme des principes fondamentaux que nous devrions défendre ; elles ne se réduisent pas non plus à des normes dont les individus devraient s’émanciper. Elles s’avèrent des réalités dynamiques, produites lorsque plusieurs puissances sociales se coordonnent et engendrent, en plus de leurs effets, une représentation de la « valeur » de ces effets. Au passage, on aura découvert que le « marché » – structure qui prétend s’arroger l’établissement des valeurs d’échange – n’a rien d’une réalité naturelle qui naîtrait de façon magique du désir de marchandises et que – plus étonnant encore – le « calcul rationnel et intéressé » n’est qu’une manière habile de convaincre les individus de passer leur vie au service de quelqu’un d’autre. Souvent érudites, parfois ardues, ces réflexions s’avèrent incroyablement utiles pour éclairer notre destin et y reprendre l’initiative, en se fiant à nos capacités non seulement à produire mais surtout à créer et à réinventer les valeurs.
La Fausse Monnaie de nos rêves
Livre
Brigitte Giraud
Vivre vite
Publié le 25 novembre 2022
« Trouve cette chose que tu aimes, et laisse-la te tuer », lâche Bukowski. Claude, c’était le frisson du vent sur une belle moto. Il en mourut le 22 juin 1999 à Lyon. Vingt ans après, sa femme et la mère de son fils enfourche sa plume pour mener une enquête qui ne ressuscitera personne mais permettra, disséquant les mille « si » qui conduisirent à l’accident, de regarder en face ce passé qu’on ne fouille que lorsque le train déraille. Dès lors, dans un style simple et doux comme une chanson de Barbara, Brigitte Giraud embarque le lecteur dans l’invisible kaléidoscope de toute heure, de toute existence. Pourquoi ce véhicule ? Pourquoi – pas – ce coup de fil ? Et pourquoi ce soleil, quand la pluie aurait détourné son rockeur adoré de l’arme du crime ? Chaque mot s’avale de travers, avec l’âpreté de ce réel dont nous nous efforçons de dénier la toute-puissance pour survivre. Tant il est vrai, comme le posait Henri Maldiney, que le réel « c’est ce qu’on n’attendait pas ». Mais au-delà des rouages de la contingence, c’est un livre hanté par la culpabilité que signe l’autrice. Comme s’il y avait toujours un coupable à désigner. Comme si un innocent projet de déménagement, de domino en domino, avait dicté le drame. « Je peux affirmer ici que c’était la vie parfaite, écrit-elle. Je ne sais pas ce qui m’a pris de vouloir changer quelque chose à cet équilibre. » Ou plus loin : « Je maudis cette liberté dont j’ai si mal usé. » On a envie de la consoler en convoquant un autre philosophe. Dans Le Réel et son double, Clément Rosset montre que le propre de la tragédie est d’être imperméable aux « si ». Rien de plus naturel que de se réfugier dans le coton de ce qui aurait pu advenir, note Rosset, qui tranche toutefois : « Le fantasme du double trahit le refus du réel […], qui finit toujours par prendre sa revanche. » Ce que Giraud se résout à admettre : « Il n’y a que de mauvaises questions. » Quelle est dans tout cela la marge de manœuvre de l’humain ? Sans doute celle de l’art qui, par-delà l’équation impossible, dévoile le portrait d’un amoureux encombré par son grand corps – lequel encombrerait bientôt la mémoire de ceux qui le chérissaient. On savait que la littérature ne faisait pas revivre les morts. Dérogeant salutairement à son obsession du roman, le jury du Goncourt rappelle qu’elle détient un pouvoir encore plus grand : les faire vivre.
Vivre vite
Livre
Simone de Beauvoir, Élisabeth Lacoin et Maurice Merleau-Ponty
Lettres d’amitié 1920-1959
Publié le 25 novembre 2022
On connaît leur histoire tragique : une amitié fusionnelle comme on n’en vit qu’à 20 ans, notamment entre « Simone » et « Zaza », des sentiments naissants entre « Mlle Lacoin » et Merleau-Ponty, les convenances bourgeoises qui contrarient les élans et la maladie ajoutée au désespoir qui finit par emporter Élisabeth Lacoin à 21 ans. Parce que Merleau-Ponty ne s’est pas marié avec Zaza, Beauvoir lui en veut longtemps. Ils se retrouvent à la Libération, se brouillent à nouveau, Sartre et ses gros sabots se mêlant à l’affaire. Alors que la perspective d’une réconciliation est proche de voir le jour, Merleau-Ponty meurt brutalement à son tour, en 1961. La publication de cette correspondance pour partie inédite éclaire d’une lumière douce-amère les liens qui unissaient les trois amis, entre badinage, construction de soi et discussions philosophiques. Les premiers échanges entre Beauvoir et Zaza sont fortement marqués par un habitus bourgeois : ce sont parties de tennis, promenades en voiture, thé pris entre cousins et moqueries sur telle camarade qui a raté sa version latine. Peu à peu, les lettres prennent un tour plus personnel, plus introspectif : à son « inséparable », on confie « l’étonnement de vivre, le vertige de l’infini » et on forme des projets pour un après qui ne se conçoit pas sans l’autre : « Je fais tant de rêves pour plus tard où je vous donne une si grande place », écrit Beauvoir. Entre cette dernière et Merleau-Ponty, les lettres se font plus intellectuelles, même si la chaleur est bien là. La toute dernière donne une résolution, inédite, à l’affaire : après la parution des Mémoires d’une jeune fille rangée en 1958, Merleau-Ponty éprouve le besoin de s’expliquer (de s’excuser ?). Il reconnaît avoir été « passif, inconscient, inexistant », alors qu’Élisabeth était au plus mal. Il achève par un aveu touchant : « Vous êtes, oui, même quand vous m’engueulez, une des très rares per-sonnes que je ne discute jamais en moi-même. » Sans doute la plus belle preuve d’amitié que rien n’a finalement su gâcher.
Lettres d’amitié 1920-1959
Livre
Annie Ernaux
Écrire la vie
Publié le 25 novembre 2022
Dans l’imaginaire collectif, le grand écrivain de langue française a un style extraordinaire – on pense d’abord à Hugo, Proust ou Céline. Et pourtant, avec le recul, on s’aperçoit que ce sont peut-être les romans de Camus que les lecteurs préfèrent. Or le point commun entre Camus, prix Nobel de littérature 1957, et Annie Ernaux, prix Nobel de littérature 2022, c’est leur style simple, sans ponctuation ni musique reconnaissables. « À partir du mois de septembre l’année dernière, je n’ai plus rien fait d’autre qu’attendre un homme : qu’il me téléphone et qu’il vienne chez moi. » Dans cette phrase, au début de Passion simple (1992), il y a tout : à la fois l’honnêteté intellectuelle, la précision du regard et la tension dramatique. Cette simplicité-là, c’est sans doute ce qu’il y a de plus difficile à réussir en littérature ! Une autre force d’Ernaux est que sa phrase décrit la réalité la plus prosaïque sans dégoût, au contraire, elle en souligne le merveilleux : « Ses longs baisers après qu’il a joui dans ma bouche (la dernière fois, en décembre je crois). Je ne sais pas, en revivant tout cela, comment nous allons nous séparer » (Se perdre, 2001). Enfin, dernier tour de force, les romans d’Ernaux sont portés par un « je » qui n’est jamais égocentrique, car enchâssé dans un « on » ou un « nous ». Cet exploit n’est jamais poussé si loin que dans son chef-d’œuvre Les Années (2008) : avec des phrases comme « Les jeunes étaient raisonnables, pour la première fois ils pensaient comme nous » ou « Dans les déjeuners de fête, les références au passé se raréfiaient », elle raconte les années 1980 mais en caméra subjective. Et si la force de la simplicité résidait dans son caractère universel, sa capacité à plaire à des lecteurs de toutes les classes sociales, de tous les niveaux d’études ? En somme, et si c’était l’art suprême ?
Écrire la vie
Livre
Michael Kupperman
L’Enfant prodige
Publié le 25 novembre 2022
Si Michael Kupperman consacre une bande dessinée à son père Joel (1936-2020), ce n’est pas pour évoquer sa carrière de professeur de philosophie. C’est un autre aspect de sa vie qui l’intéresse, connu de nombreux Américains, sauf de lui. Dans les années 1940, de 7 à 16 ans, Joel Kupperman est la vedette d’une émission de radio, puis de télévision, The Quiz Kids. Il y résout des problèmes mathématiques, souvent complexes. L’enfant star rencontre Marlene Dietrich, Orson Welles ou l’industriel antisémite Henry Ford – « Il voulait peut-être voir le gamin juif que j’étais de ses propres yeux » –, et tourne même un film. Une jeunesse en pleine lumière mais marquée par l’exploitation. À tel point qu’une fois adulte, ce spécialiste d’éthique a préféré la laisser dans l’ombre. Mais aux yeux de son fils, il s’agit de la clé pour comprendre cet homme distant avec tous, et surtout avec lui : « Je considérais mon père comme un intello distrait. Désormais, je le vois comme le survivant d’un traumatisme qui se serait dissimulé derrière une personnalité factice conçue pour esquiver l’hostilité. » Un traumatisme qui se manifeste par la passivité face à l’existence de celui qui a consacré des essais à la « vie bonne »: « J’ai été fabriqué de toutes pièces », avoue Joel, qui commence à souffrir de démence sénile. Et Michael, ravivant ce passé qui a eu tant de mal à passer, de se demander en « question bonus » : « Est-ce que cela fait de moi un bon ou un mauvais fils ? »
L’Enfant prodige
Livre
Philippe Nassif
Changer le monde… en tout cas, un peu
Publié le 25 novembre 2022
« Changer le monde, même un peu » : ce fut un leitmotiv dans le travail – et la vie – de Philippe Nassif, disparu en mars dernier. Le recueil de certains de ses articles parus depuis le début des années 2000 dans Philosophie magazine, Technikart, Madame Figaro et L’ADN vient rappeler la singularité de sa pensée, animée par la recherche d’une voie permettant de conjurer le nihilisme contemporain, son éternelle cible. Comme l’indique dans la préface son ami Charles Pépin, « il cherchait la trouée de lumière dans l’obscurité ». Une grande question traverse ses écrits, dont son meilleur livre, La Lutte initiale (Denoël, 2011) : « Serait-il possible d’échapper à la dépressive ironie contemporaine ? » Les articles traduisent la profondeur de ce questionnement inquiet, même sous forme de propositions « pop ». Admirateur de Peter Sloterdijk, Hartmut Rosa, Bernard Stiegler, Mehdi Belhaj Kacem, Quentin Meillassoux ou Tristan Garcia, au-delà de sa vénération pour les sages taoïstes, Jacques Lacan et le chamanisme, Philippe Nassif posait comme préalable au changement du monde le changement de soi, cette « lutte initiale ». Comment trouver l’apaisement dans une époque menacée par le ressentiment, les crispations identitaires et le péril climatique ? En empruntant, par exemple, la « voie des arts », porteuse d’« une conversion positive – cet engagement vers la découverte de mon désir », en assumant « le salut par le vide », c’est-à-dire « se souvenir que le vide est le propre de l’homme », qu’il est « ce qui nous menace et ce qui nous sauve », en cultivant les relations « résonnantes », conceptualisées par Rosa, en encourageant de nouveaux dispositifs de soin de l’âme, une micropolitique de la désintoxication… À la gravité de ses cheminements anxieux, il ajusta, dans son écriture même, une intensité lumineuse, comme si les mots, et la pensée qu’ils abritaient, restaient l’arme ultime de sa lutte ; une lutte finie pour lui, mais en souvenir de lui, toujours initiale pour nous.
Changer le monde… en tout cas, un peu
Livre
Laozi, Zhuang zi, Lie Yikou / Éd. et trad. du chinois R. Mathieu
Philosophes taoïstes. Tome I : Lao zi, Zhuang zi, Lie zi
Publié le 25 novembre 2022
« Il n’y a pas de définition du dao. C’est ce qui en constitue à la fois le charme et la difficulté : on ne sait jamais de quoi on parle », explique Rémi Mathieu, traducteur et préfacier de cette nouvelle édition des Philosophes taoïstes dans la Pléiade. Après une mise au point aussi déroutante, on ne peut que chercher dans les textes eux-mêmes cette insaisissable définition. La philosophie du dao, ou tao, que l’on peut tout de même traduire par « chemin » ou « voie », repose sur trois auteurs : Lao zi (Lao-tseu), Zhuang zi (Tchouang-tseu) et Lie zi (Lie-tseu), ici présentés dans une nouvelle traduction accompagnée d’un solide appareil critique. Au IVe siècle avant notre ère, à l’époque des « royaumes combattants », la Chine connaît un brillant essor politique et économique accompagné de guerres incessantes. Comme les épicuriens et les cyniques en Grèce à la même époque, les penseurs du dao tentent de répondre à une question urgente : dans ce monde violent et cupide, où trouver les vraies valeurs ? Par certains aspects, la réponse chinoise paraît proche de celle des Grecs, car Zhuang zi et Lie zi font l’éloge de la frugalité et du retrait des affaires. En revanche, elle s’en différencie radicalement par son refus de la connaissance. Celle-ci fait partie du trop-plein du monde, et l’adepte du dao s’efforcera de chercher le « vide » ou la « racine », c’est-à-dire de retrouver la spontanéité de chaque être. Le caractère illusoire de la réalité sensible, la frontière incertaine entre le rêve et l’état de veille et même entre la vie et la mort, tout ceci accentue, face au dao, notre dépaysement intellectuel. La beauté déroutante de ces trois œuvres repose aussi sur la diversité de leur style qui mêle le poème, l’aphorisme et le conte, et n’a rien de « théorique » au sens où nous l’entendons.
Philosophes taoïstes. Tome I : Lao zi, Zhuang zi, Lie zi
Livre
Frédéric Lenoir
Le Désir. Une philosophie
Publié le 25 novembre 2022
« On nous inflige des désirs qui nous affligent », chantait Alain Souchon dans Foule sentimentale. À ces désirs « affligeants », l’histoire de la philosophie oppose des désirs affolants, propres à intensifier nos existences. Cartographiant la multitude des courants de pensée sur le sujet, Frédéric Lenoir rappelle ce que la philosophie dit des désirs qui nous conduisent vers ce que Spinoza appelle la « béatitude ». Deux grandes conceptions se distinguent : celle du désir comme « manque », déployée dès Platon et les écoles de sagesse antique (on désire ce qu’on n’a pas) ; et celle du désir comme « puissance », esquissée par Aristote. D’un côté, le désir reste suspect, au point que certains lui opposent la modération (« le plaisir véritable et pur est le privilège des âmes raisonnables plutôt que des malheureux égarés », disait Lucrèce). Plus méfiante encore, la voie ascétique (bouddhisme, stoïcisme) invite à échapper à la servitude du désir. De l’autre, Spinoza, Nietzsche, Bergson et Jung nous invitent à « vivre aux éclats ». Porté par un souci de transmission de la philosophie vers un large public, Lenoir ne cède pas à un appel à la libération pulsionnelle de nos seuls désirs pour formuler une riposte à nos désarrois contemporains. Vivre aux éclats impose surtout de « mettre de la conscience sur nos désirs », pour les ajuster au respect du vivant, au souci d’autrui et à la recherche de la vérité. Bref, d’imaginer une nouvelle politique du désir, dont la puissance servira, par-delà la béatitude individuelle, la joie collective.
Le Désir. Une philosophie
Livre
Boris Mikhailov
From « Blaue Horse » Till Now Days. 1965-2022
Publié le 25 novembre 2022
Comment rester joyeux et libre dans une ville industrielle sous une dictature interminable ? Boris Mikhailov, photographe né en 1938 à Kharkov, en Ukraine, y est parvenu avec panache. En feuilletant le catalogue de la rétrospective que lui consacre jusqu’au 15 janvier la Maison européenne de la photographie, on suit une œuvre qui raconte l’histoire de son pays, de la grise URSS à la guerre d’aujourd’hui, en passant par la révolution du Maïdan. Comment s’y est-il pris pour ne pas céder à la déprime générale ? Premier ingrédient, l’érotisme : le jeune Mikhailov est chassé de son travail pour avoir pris des photos de nus – la chair, le sexe sont partout dans ses clichés. Le deuxième est l’humour, entre parodies de vacances de luxe en Crimée, autoportraits grotesques ou détournements de photos officielles. Troisième ingrédient, l’invention perpétuelle : coller quatre photos sur la même feuille, créer des surimpressions de diapositives pour un effet psychédélique. Le quatrième est l’attention au réel. On est plongé dans le quotidien des Soviétiques, qui attendent le tramway, défilent lors de manifestations du régime, font la queue devant les magasins. On voit aussi des SDF des années 1990 se déshabiller sous l’objectif : images insoutenables. On con-temple les usines délabrées. L’Ukraine est là, sans fards. Mais le plus beau est que la liberté éclate jusque dans les vies les plus ordinaires : sur les plages bondées, dans l’épanouissement des corps, lors de cours de danse auxquels participent les personnes âgées. En Ukraine, chacun s’invente des petites libertés, juste pour rester humain. Mais pour la restituer dans sa densité, il faut les compositions, les couleurs, les lumières d’un grand artiste, et le regard attendri d’un Mikhailov.
From « Blaue Horse » Till Now Days. 1965-2022
Livre
Cédric Enjalbert
Londres
Publié le 25 novembre 2022
« Un énorme enchevêtrement de terreurs accumulées. » Dans cet inédit de Céline, redécouvert en 2021, Ferdinand, le narrateur, brosse le tableau de son séjour dans l’enfer londonien, auprès des macs et des prostituées, après qu’il a réussi à se soustraire à l’horreur de la guerre, bien qu’elle continue de le hanter. Il en ressort des saillies de poésie âpre : « C’est pas méchant un homme au fond, c’est un acharné voilà tout. C’est fier de son rêve. C’est un poète bien marrant. » Mais Céline y témoigne aussi de la naissance d’une double vocation : la médecine – « c’est le pouvoir que j’aurai voulu, l’intime, le véritable, celui qui est là au petit nerf de la douleur physique, celui qui ne ment pas » – et la littérature, qui dit vrai sur « le mensonge de sa propre vie ». Cette réflexion sur le réel et son double prend finalement un tour shakespearien. L’un des acolytes ne s’appelle-t-il pas Yorick, comme le bouffon mort dans Hamlet ? Angèle, sa compagne, ne finit-elle pas comme Ophélie, folle dans un monde détraqué par la violence ? Être ou ne pas être, telle est bien la question « ontologique » de cette épopée des bas-fonds… qui a failli n’être jamais ! La préface, qui minore étrangement l’antisémitisme de Céline, ne dit par ailleurs rien du parcours exceptionnel de ce texte. Il faut lire le récit enlevé du journaliste Jean-Pierre Thibaudat (Louis-Ferdinand Céline. Le Trésor retrouvé, chez Allia), devenu fortuitement le dépositaire secret de ces milliers de pages, pour en savoir plus. Où l’on apprend comment ce « trésor » a été préservé grâce au résistant Yvon Morandat par « respect de la chose écrite ». Ce qu’on appelle avoir du style ?
Londres
CULTURE
Article 2 min
“Sans tambour” : un siphon fond, fond, fond…
Cédric Enjalbert 29 novembre 2022
Une scène de ménage sur fond d'évier encrassé débouche sur de grandes inspirations romantiques : c'est le tour de force de cette pièce de Samuel Achache, qui parvient à rire de tout et surtout de la catastrophe.
“Sans tambour” : un siphon fond, fond, fond…
Article 2 min
“Saint Omer” : démonstrer
Cédric Enjalbert 29 novembre 2022
La cinéaste Alice Diop s’empare d’un fait divers pour en tirer la dimension universelle, mystérieuse et humaine, loin des clichés spectaculaires : un film de procès, qui s’ouvre à une réflexion magistrale sur l’identité et sur la monstruosité.
“Saint Omer” : démonstrer
Article 2 min
“Champollion. La voie des hiéroglyphes” : plein phare sur le Sphinx
Cédric Enjalbert 29 novembre 2022
Le musée du Louvre-Lens consacre une grande exposition à Jean-François Champollion, l'homme qui, au XIXe siècle, déchiffra le système d'écriture de l’Égypte antique. Une révolution scientifique et historique, qui bouleversa notre conception de l’universel.
“Champollion. La voie des hiéroglyphes” : plein phare sur le Sphinx
OH ! LA BELLE VIE !
Article 2 min
Conseil n° 24 : brûlons la chandelle par les deux bouts
François Morel 29 novembre 2022
Oui, le mieux, dans un contexte anxiogène, c’est de ne faire aucune concession à la prudence, à la modération, à la tempérance. Puisque le Titanic sombre sans espoir, réclamons à l’orchestre de jouer encore plus fort. Lorsque, au sommet de l’État, on invite à la sobriété, la mei..
Conseil n° 24 : brûlons la chandelle par les deux bouts
JEU
Article 1 min
Philocroisés #86
Gaëtan Goron 29 novembre 2022
Horizontalement I. Le premier maître universel selon Hegel. II. Goûteras à la jouissance. III. Piégé. Au moins deux moins deux. IV. En forme de grelot. V. Cet écrivain espagnol a traduit Hugo et Dumas (de). Il est essentiel au banquet, chez Platon ou ailleurs. V..
Philocroisés #84
QUESTIONNAIRE DE SOCRATE
Article 2 min
Mirwais. Le couteau entre les danses
Sylvain Fesson 29 novembre 2022
À l’aube des années 1980, il était avec Daniel Darc dans Taxi Girl, le groupe du tube Cherchez le garçon qui a ouvert la voie à la modernité dans la pop française mais est resté sur le carreau. Dans les années 2000, il était derrière Madonna
(Philomag) |
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